Texte intégral
Claude sérillon : Martine Aubry, bonsoir. Alors vous avez entendu François d'Aubert, il dit : le pays ira mieux avec des gens qui travaillent moins, il dit que c'est une illusion, une utopie.
Martine Aubry : Écoutez, je crois qu'on disait jusqu'à il y a quelque temps, que la réduction de la durée du travail crée des emplois. On le disait, maintenant on le sait puisqu'en moins d'un an, 125 000 emplois ont été soit créés, soit préservés par la réduction de la durée du travail, 85% d'ailleurs créés, ce qui est exactement la réduction du chômage l'année dernière en France qui est une année, je vous le rappelle, exceptionnelle. Ça veut dire finalement que la réduction du temps de travail, c'est à peu près 100 000 chômeurs en moins pendant toutes ces années où nous allons y passer, je crois que c'est loin d'être négligeable.
Claude Sérillon : Alors vous avez entendu très certainement monsieur Seillière qui était au palais des Sports hier à Versailles, on a beaucoup parlé de vous. Il dit qu'au fond, il y a 1% seulement des entreprises qui ont signé et que tout ça est un leurre et que c'est une erreur et que vous ne devriez pas persister. Qu'est-ce que vous pouvez lui répondre ?
Martine Aubry : D'abord deux choses. D'abord que les salariés qui sont dans les entreprises de plus de vingt, c'est-à-dire qui doivent appliquer les 35 heures d'ici le 1er janvier 2001, eh bien un sur quatre de ces salariés sont déjà aujourd'hui aux 35 heures ou couverts par un accord…
Claude Sérillon : Pour les entreprises de plus de cinquante salariés…
Martine Aubry : De plus de vingt salariés. Donc il y a effectivement des entreprises qui manifestent, il y en a d'autres qui manifestent en signant des accords et ça, je le regarde aussi. Ceci dit, moi j'écoute et j'entends ; je comprends d'ailleurs qu'il y ait des inquiétudes, ce n'est pas facile de passer aux 35 heures. Mais je crois que s'il était facile de réduire le chômage dans ce pays, nous aurions réussi les uns et les autres depuis longtemps. Donc il faut le faire, ce n'est pas facile. Ça met en cause les conditions de vie des salariés, leurs conditions de travail, l'articulation d'hommes et des machines, une meilleure qualité de l'organisation et il faut discuter de tout cela et les financer…
Claude Sérillon : Mais la question fondamentale, Martine Aubry, c'est quand même : pourquoi une loi ? Pourquoi est-ce qu'on ne peut pas seulement inciter, pourquoi est-ce qu'il faut contraindre ?
Martine Aubry : Je le regrette mais quand la loi Robien a lancé effectivement la négociation sur la réduction de la durée du travail, on a eu très très peu d'accords. Quand nous sommes arrivés, il y en avait à peine 500. C'est dommage mais nous sommes un pays où si la loi ne montre pas le cap, si le Gouvernement ne montre pas le cap - et nous devons le faire car aujourd'hui pratiquement personne ne conteste que la réduction de la durée du travail crée des emplois - si nous n'en montrons pas le cap, il ne se passe rien. Mais ceci dit, cette loi, elle a fait confiance à la négociation, déjà la première loi ; et je crois que nous avons bien fait de faire confiance à cette négociation. Nous n'avons pas été déçus.
Claude Sérillon : Sauf quand même qu'il y avait déjà des accords de branche, il y avait des accords de branche qui étaient signés et sur lesquels vous passez complètement.
Martine Aubry : Absolument pas.
Claude Sérillon : Il y en a quand même…
Martine Aubry : Bien sûr…
Claude Sérillon : Le bâtiment, la chimie…
Martine Aubry : Bien évidemment, mais ces accords sont très importants, ils couvrent aujourd'hui 8 millions de salariés. Nous avons repris toutes les clauses sauf celles qui manifestement étaient contraires à la loi, je vais vous le dire tout de suite, par exemple celles qui visaient à sortir complètement les cadres de la réduction de la durée du travail, ou à faire travailler le dimanche dans des secteurs où la loi ne le permet pas. Pour le reste, la loi, la deuxième loi - et je crois que le MEDEF le sait bien - reconnaît les accords qui ont été signés, je dirais même plus : cette deuxième loi sur beaucoup de domaines, la définition des cadres, contraindre la modulation justement et la souplesse, la légitimer, mettre des délais de prévenance, c'est sur les accords que nous nous sommes appuyés. C'est donc les chefs d'entreprise et les salariés qui ont négocié, qui nous permettent aujourd'hui de faire une deuxième loi qui est je crois un progrès dans le domaine social, qui apporte des contreparties mais qui aussi prépare l'avenir, c'est-à-dire des entreprises plus compétitives.
Claude Sérillon : Quand même, alors j'évoquais… pourquoi contraindre avec une loi. Vous dites, je regrette mais on ne peut pas faire autrement. Mais alors une loi qui va jusqu'à réglementer les temps de pause, les problèmes d'habillement et tout. Est-ce que l'État ne se mêle pas d'un peu trop de choses au sein d'une entreprise ?
Martine Aubry : Si vous voulez, ça, ça date de 1909 en France et je crois qu'au contraire, nous avons essayé de moderniser ce texte. Avant, on parlait par exemple du temps de casse-croûte. Aujourd'hui on dit tout simplement - et je crois que tout le monde le comprendra, c'est quelque chose qui est de bon sens - que lorsque l'on se restaure, si on reste à la disposition de l'entreprise qui peut vous appeler à tout moment à travailler, c'est du temps de travail ; si vous pouvez vaquer à vos occupations, ce ne l'est pas. Donc je crois que c'est simplement une règle de bon sens qui reprend la jurisprudence et ce n'est en aucun cas revenir sur des éléments archaïques ou je ne sais quoi, c'est d'ailleurs encore une fois dans le code du travail depuis des années, je pense que personne ne peut en douter.
Claude Sérillon : Les 35 heures créent des emplois mais votre ami Dominique Strauss-Kahn, dans son projet de loi de finances, montre qu'avec l'allégement des charges, on créerait beaucoup plus d'emplois. Est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux abaisser les charges beaucoup plus ?
Martine Aubry : C'est bien pour ça que nous allégeons. Vous savez que je me bats depuis deux ans pour que l'on baisse les charges sociales sur le travail. Nous le faisons cette année…
Claude Sérillon : Pardon mais dans la deuxième loi, vous baissez les charges mais sans obligation de créer des emplois.
Martine Aubry : Non, non, si vous le permettez, il y a aujourd'hui une baisse des charges qui se limite aux très très bas salaires et qui a été financée par les ménages. C'est la ristourne dégressive que messieurs Balladur et Juppé ont mis en place. Qu'est-ce qu'il y aura demain ? Et c'est pour ça que le président de l'Union Professionnelle et Artisanale, l'UPA applaudit à cette réduction des charges. Il va y avoir une réduction des charges qui va entre le SMIC et 1,8 fois le SMIC. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'on va baisser les charges dans notre pays environ de 5%... le coût du travail va baisser de 5% pour les salaires en-dessous de 10 000 francs une fois prise en compte la réduction de la durée du travail.
Claude Sérillon : Est-ce que pour autant vous tenez compte de création d'emplois ou pas ?
Martine Aubry. :Si vous le permettez un instant, donc cette baisse des charges, elle est très importante. Elle va être financée de plusieurs manières, y compris par les grandes entreprises par une taxe sur les profits et sur les entreprises polluantes et cette baisse des charges qui va au-delà encore une fois du coût de la réduction de la durée du travail, va aider le commerce, l'artisanat, les services, les entreprises de main-d'oeuvre, ceux qui créent des emplois aujourd'hui. Que dit-on et pourquoi a-t-on lié cette réduction des charges à l'accord sur la durée du travail ? Eh bien justement parce que quand on signe un accord sur la durée du travail, on crée des emplois ou on sauvegarde des emplois. Depuis un an, je dirais, la preuve est faite. Et moi je fais confiance à ceux qui signent des accords, ce d'autant plus, vous le savez, que dans cette loi, pour avoir droit à la baisse des charges, il faudra que l'accord ait été signé par des syndicats majoritaires ou qu'il ait donné lieu à une consultation du personnel et qu'une majorité d'entre eux se soient dit favorables. Moi vous savez, je fais confiance aux salariés, ils me disent tous quand je vais dans des entreprises qui signent : on est fier de créer des emplois, donc ils vont se battre.
Claude Sérillon : Martine Aubry, vous dites que vous êtes prêts à améliorer ou à enrichir votre texte. Ça veut dire que vous êtes prêts à céder quoi au Parti communiste par exemple ?
Martine Aubry : Je crois que les choses ne se posent pas comme ça…
Claude Sérillon : Quand même, il va y avoir des transactions, là pendant deux semaines.
Martine Aubry : Non, non, on n'a jamais travaillé comme ça entre les groupes de la majorité ; chacun - et moi je m'en réjouis, je crois que c'est la démocratie et puis ça montre aussi que nous n'avons pas des députés godillots mais des gens qui se battent parce que nous voulons tous réussir les 35 heures…
Claude Sérillon : Ils sont quelquefois un peu méchants avec vous, non ?
Martine Aubry. Mais non, ils ne sont pas méchants. Ça se passe très bien. Vous savez, on veut tous réussir les 35 heures. Ce n'est pas une loi qui est faite pour plaire aux uns ou déplaire aux autres, c'est une loi qui est faite pour réussir. Réussir, c'est quoi ? C'est avoir des entreprises plus compétitives et 84% des entreprises…
Claude Sérillon : Qu'est-ce que vous allez céder au Parti communiste par exemple ?
Martine Aubry : Je vais vous dire un mot tout de suite : 84% des entreprises qui ont signé les 35 heures s'en disent satisfaites ; 85% des salariés. Est-ce que ça, ce n'est quand même pas plus intéressant, d'écouter ceux qui ont signé. Le Parti communiste demande qu'effectivement il y ait un effet emplois. Bien évidemment, il faut que ces accords prévoient de manière claire - et la loi le dit d'ailleurs déjà - des créations d'emploi ou des emplois préservés. Je fais confiance aux syndicats pour les négocier. Le Parti communiste insiste par exemple sur le fait que les durées maximales du travail doivent être réduites. Ce que demandent aussi l'ensemble des partis de la majorité. Nous sommes, d'accord pour le faire. Tout le monde s'est mis d'accord, le rapporteur l'a rappelé cet après-midi, pour une définition du travail effectif, pour la formation professionnelle et là nous avons un accord de tous les partis de la majorité. Vous savez, je crois que les 35 heures, c'est un vrai changement de la société ; les gens vont mieux vivre. Tout le monde les veut. Et tous ceux qui veulent une société où on vive mieux et on vive mieux ensemble, voteront cette loi et nous arriverons à un bon texte j'en suis sûre.
Claude Sérillon : Si je comprends bien, Martine Aubry, j'aurai peut-être des réponses plus précises au bout de deux semaines après le débat parlementaire.
Martine Aubry : J'ai quand même essayé d'y répondre un petit peu.
Claude Sérillon : Merci beaucoup.