Texte intégral
RMC : Vous allez faire partie du futur conseil de sécurité intérieure. Tout le monde dit, ce matin : conversion de la gauche à la politique de sécurité. Est-ce que c’est vrai ?
C. Sautter : Je ne crois pas qu’il y ait de conversion. Je crois que l’insécurité, c’est comme l’inflation, cela touche principalement les plus pauvres. La gauche a terrassé l’inflation, je ne sais pas si nous terrasserons l’insécurité mais je pense que c’est un devoir social de lutter contre l’insécurité dans des zones où il est difficile de vivre.
RMC : Qu’est-ce qui a fait que la gauche a quitté son ancien langage pour un nouveau langage ? Qu’‘est-ce qui a permis quand même une légère transformation du discours de la gauche sur ce sujet-là ?
C. Sautter : Je crois que la gauche en général, et L. Jospin en particulier, est à l’écoute du pays et il y a un besoin de sécurité, notamment de la part des personnes les plus modestes. Ce besoin a été écouté. J.-P. Chevènement, qui est un républicain de convictions, est l’homme parfait pour ce rôle.
RMC : Juste un mot sur ce qui se passe en Extrême-Orient parce que vous êtes un connaisseur des finances et de l’Extrême-Orient depuis très longtemps. Est-ce que les vagues qui agitent les marchés financiers d’Extrême-Orient vont toucher les perspectives de croissance que l’on imaginait, pour la France et l’Europe dans les années qui viennent ? Est-ce qu’il y a un risque ?
C. Sautter : Ce que vit l’Asie actuellement, c’est un typhon monétaire et financier qui est très brutal. Il faut espérer que ce typhon reste localisé en Asie. Normalement, mais en la matière la norme n’est pas forcément la règle, normalement, nous ne devrions pas être touchés. Peut-être au contraire, une partie de l’épargne, qui est allée un peu imprudemment en Asie, va revenir sur l’Europe où elle trouve sécurité et rendement.
RMC : Il n’y a pas en France beaucoup d’établissements bancaires ou financiers qui avaient de l’argent en Extrême-Orient et qui risquent d’être sévèrement touchés ?
C. Sautter : Si je puis dire, malheureusement, nous étions peu ouverts sur l’Asie. Nos exportations étaient assez faibles, donc, je ne pense pas qu’il y ait de conséquences directes, sur telle ou telle entreprise ou sur tel ou tel établissement financier.
RMC : C. Sautter, vous êtes un homme miracle, dit-on, parce que vous êtes celui qui a fait un budget réputé impossible. Le secret de fabrication du budget, c’est ?
C. Sautter : Je ne crois pas qu’il y ait de miracle en la matière.
RMC : Même D. Strauss-Kahn l’a dit. Il a parlé de carré magique.
C. Sautter : Je crois que, tout simplement, nous avons beaucoup travaillé pendant l’été. Non seulement au sein du ministère des finances, mais nous avons travaillé au sein du gouvernement, au sein de la majorité, et je crois que nous sommes arrivés à faire un budget qui a été voté, au moins pour la partie fiscale, par l’ensemble de la majorité plurielle.
RMC : Cela dit, cela coûte un peu cher aux Français, entreprises comme particuliers, il a fallu mettre la main à la poche pour le boucler, ce budget-là !
C. Sautter : Cela coûte cher aux entreprises, et plus particulièrement aux grandes entreprises. Nous avons fait en sorte d’épargner les entreprises petites et moyennes parce que ce sont elles qui créent l’emploi. Quant aux particuliers, en ce qui concerne le budget de l’État, la ponction supplémentaire est de l’ordre de trois milliards de francs, c’est-à-dire, de 50 francs par Français. Je crois que c’est un budget très différent de celui d’A. Juppé en 1996. En 1996, les gains de pouvoir d’achat avaient baissé pour l’ensemble des Français de 1,6 %. Nous escomptons que l’an prochain, à cause de la modération fiscale, le pouvoir d’achat progressera de 2,2 % pour tous les Français.
RMC : Cela dit, on avait dit que l’on était arrivé au bout de l’effort fiscal possible et quand même, il a fallu en remettre un peu plus.
C. Sautter : Il a fallu en mettre un peu plus, mais le plus qui est mis n’est pas considérable et il est tel et c’est difficile à expliquer au petit matin que les impôts d’État progressent, en définitive, moins vite que la richesse nationale. Donc, on demande un effort aux entreprises. On demande pratiquement aucun effort aux ménages sur le budget de l’État et je pense qu’au total, vous verrez que la croissance en sortira confortée l’an prochain.
RMC : Quand on parle de réforme de la fiscalité, est-ce que l’an prochain, il y aura une réforme de la fiscalité en France ?
C. Sautter : Pour 1998, il y a une réforme de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur le bénéfice des sociétés. Grosso modo, on a chassé les niches, comme vous le savez. Ensuite, on va réfléchir, prudemment à la fiscalité du patrimoine.
RMC : Dans quelle direction ?
C. Sautter : Écoutez, on va regarder comment rendre la fiscalité du patrimoine plus propice à l’emploi et en même temps, plus juste. Et puis, on va travailler sur la fiscalité locale. Les entreprises se plaignent de la taxe professionnelle. On va aussi travailler sur la fiscalité écologique. C’est un nouveau chantier tout à fait passionnant.
RMC : Une baisse d’impôt, c’est un mot auquel vous pensez de temps en temps ?
C. Sautter : J’y pense, et nous espérons que dès que les déficits dont nous avons hérités seront revenus à la normale, c’est-à-dire, plus près de 2 % que de 3 %, à ce moment-là, la croissance nous donnera une marge de manœuvre pour diminuer les impôts, impôts indirects et pourquoi pas aussi un peu l’impôt direct.
RMC : Vous êtes inspecteur des finances, et un de vos collègues a signé un rapport à titre personnel mais c’est quand même le rapport de quelqu’un qui est censé connaître un peu l’administration et les comptes dans lequel on apprend qu’il y aurait 500 000 fonctionnaires de trop en France. Et si c’était vrai ? S’il avait le courage de dire ce que ceux qui sont aux responsabilités ne peuvent pas dire ?
C. Sautter : Je ne sais pas si c’est du courage de dire qu’il y a 500 000 fonctionnaires de trop. Le vrai courage est de dire où il y aurait 500 000 fonctionnaires de trop. Est-ce qu’on a trop d’enseignants ? Est-ce qu’on a trop de policiers ? Est-ce que l’on a trop de personnel des Ponts-et-Chaussées ? C’est là où est la véritable question ! La position du gouvernement est que les inspecteurs des finances peuvent écrire ce qu’ils veulent - c’est la liberté mais la politique du gouvernement, c’est de stabiliser les effectifs civils de l’État, c’est-à-dire que si on crée plus de postes de chercheurs, on doit prendre ces postes ailleurs, notamment à l’intérieur du ministère des finances. Mais, la stabilité des effectifs de l’État est la doctrine du gouvernement.
RMC : C’est-à-dire que chaque poste laissé vacant doit être remplacé ?
C. Sautter : Non, pas chaque poste puisqu’il y a eu un redéploiement de l’ordre de 7 000 fonctionnaires. Il y a 7 000 fonctionnaires qui, partis à la retraite, ont libéré des postes budgétaires et ces postes budgétaires ont été redéployés vers des tâches prioritaires. Mais, l’ensemble des effectifs de fonctionnaires civils, lui, n’a pas été modifié.
RMC : Vous ferez partie de la poignée de ministres qui, en France, vont expliquer que les 35 heures, c’est possible d’abord et que c’est une bonne chose ensuite. Est-ce que vous êtes absolument persuadé que cela créera des emplois ; parce que c’est le but tout de même ! Si cela ne crée pas d’emplois, ce serait une mesure qui n’aurait pas l’impact qu’elle est censée avoir.
C. Sautter : La réduction de la durée du travail peut créer des emplois. Elle peut créer des emplois si telle ou telle entreprise saisit cette occasion, et les aides qui accompagnent l’incitation à la baisse de la durée du travail, pour transformer son processus de production, pour passer d’une équipe à deux équipes, pour ouvrir les bureaux ou les commerces plus longuement. Tout part de l’entreprise en la matière. Et si D. Strauss-Kahn, et moi-même, et les autres secrétaires d’État allons sur le terrain, c’est d’abord pour voir des entreprises qui ont réussi cette opération – car, il y a des entreprises qui ont réduit la durée du travail et qui ont créé des emplois et pour dire aux autres qu’il n’y a pas d’obligation en la matière. Il y a simplement une incitation à trouver des emplois, non seulement par la croissance, mais aussi par d’autres moyens, et la réduction de la durée du travail fait partie de ces moyens.
RMC : Il n’y a pas d’obligation ! Il y aura obligation ?
C. Sautter : Non. C’est un point très important. En l’an 2000, c’est la durée légale du travail, c’est-à-dire, la durée à partir de laquelle on calcule les heures supplémentaires. C’est elle qui va bouger. Aucune entreprise ne sera obligée en l’an 2000 à avoir une durée effective du travail à 35 heures. Donc, ceux qui resteront à 39 heures paieront un petit peu plus cher leurs salariés mais c’est tout.