Texte intégral
L’Évènement du Jeudi - 13 novembre 1997
Edj : Nicole Notat a obtenu, sans vous, un accord avec les patrons des chauffeurs-routiers. Et peut se targuer d'avoir fait lever le blocus. Ce n'est pas la première fois que vous passez pour le « cocu magnifique ».
Marc Blondel : Je suis peut-être cocu, comme vous dites. Mais je suis en règle avec les mecs. Moi, mon boulot, ce n'est pas de faire l'amour avec les Premiers ministres, que ce soit Juppé ou Jospin. D'abord parce qu'ils sont mâles et que je ne suis pas homo. Ou alors j'aurais envie d'être reçu dans les salons, ce dont je me fous. Mme Notat a maintenu la grève jusqu'à vendredi et cependant elle savait qu'elle signerait. Ce syndicalisme-là, je ne le pratique pas, cela s'appelle de la trahison en rase campagne.
Edj : Vous aviez pourtant la même revendication que la CFDT : un salaire de 10 000 F pour 200 heures par semaine. L’accord est acquis. Pourquoi avoir voulu poursuivre la grève ?
Marc Blondel : Tactiquement, au départ, on a fait une connerie. On n'aurait pas dû demander avec la CFDT et la CGT 10 000 F pour 200 heures de travail sans préciser qu'il fallait un calcul à la semaine et non au mois. Du coup, les patrons ont pu dire : « On vous l'accorde », alors qu'ils nous l’ont mis dans le trou de balle avec l’aide de Madame Notat. L'accord de 10 000 F pour 200 heures en juillet 2000 ne va concerner que 13 % du personnel, les routiers internationaux. Ils sont à peine 15 000 sur 240 000 que compte la profession. Ceux-là vont obtenir 150 F de plus. 150 F de plus pour cinq jours de grève alors qu'on les avait dès le dimanche 2 novembre, vous parlez d'un succès ! Les autres, les 200 000 restants qui sont payés sur la base du Smic, ils ne vont avoir que 1,8 % d’augmentation et encore seulement parce que le Smic a été réévalué par ailleurs.
Edj : Pensez-vous capitaliser sur ce conflit ?
Marc Blondel : FO va faire des cartes parce qu'on a eu un langage plus clair, moins équivoque. Je vais gagner 500 adhérents. La CFDT ne va rien obtenir. Si Madame Notat dit le contraire, ce sera un mensonge. Mais la mentalité des chauffeurs-routiers est, dans l'ensemble, poujadiste. Ce conflit ne va rien arranger. Les mecs savent qu'ils ont été bernés. Ils ne croient plus en personne. Ni dans leurs patrons ni dans les promesses du gouvernement, qui, en 1996, n'a pas honoré ses engagements. Même si, depuis, Jospin a dégagé des fonds dans le budget pour financer les départs volontaires à la retraite à 55 ans. Mais cela ne suffit pas. Ils risquent de foutre le camp au FN. Voilà le boulot d’apprenti sorcier, ce n'est pas moi, c'est Madame Notat. Si encore elle avait dit : « Retirez-vous des barrages ! » mais sans avoir signé, on gardait notre potentiel de lutte.
Edj : Pourquoi Roger Poletti, patron FO des chauffeurs-routiers, a-t-il dit oui sur un accord avec le patronat dans la nuit du 2 novembre pour se rétracter ensuite ?
Marc Blondel : Il était 5 heures du matin et Poletti était fatigué. Il n'a pas eu le coup de feu qu'il fallait avoir. Si j'avais été à sa place, je serais monté sur la table et j'aurais dit : « Vous nous prenez pour des cons ! ». Je suis amer parce que j'aime bien Poletti et, vendredi, j’ai eu l'impression qu'il allait pleurer après la signature de l'accord. Attention, Poletti est un militant, ça se transformera. Il a du gnac ! Il se remettra.
Edj : Pourquoi Nicole Notat a-t-elle signé l'accord ?
Marc Blondel : Elle voulait arrêter pour montrer qu'elle était « courageuse », comme dit le Nouvel Observateur. Ah, elle est courageuse, la saint-simonienne ! Elle a joué avec les gars. Et puis, au dernier moment, hop on se couche ! À force d'être proche des gens du Club Saint-Simon, de M. Touraine, de M. Julliard, de tous ces gens qui communient dans la « pensée unique », qui disent « c'est incontournable » à tout bout de champ, elle finira par devenir le syndicat officiel. Peut-être Madame Notat aura-t-elle la Légion d'honneur un jour en guise de récompense pour tous ses efforts ! Sur tous les dossiers, elle se comporte comme ça. C'était vrai avec le gouvernement Juppé sur la sécurité sociale. En acceptant le basculement des charges sociales sur la CSG, elle a permis l'étatisation de la sécu. Et donc, à terme, la suppression du monopole de la Sécu. L'État, pour satisfaire aux critères de Maastricht, finira, un jour ou l'autre, par se désengager. Cela mènera à un système assurantiel comme en Grande-Bretagne pour les riches et les bien-portants. Martine Aubry m'a dit qu'elle s'y opposerait de toutes ses forces. Mais la pauvre chérie, elle ne sera pas toujours là.
« Si encore Notat avait dit : “Retirez-vous des barrages sans signer” l’accord… »
Edj : Qu’il s’agisse de vous, de Nicole Notat ou de Louis Viannet, n’avez-vous pas espéré tirer votre épingle du jeu dans la perspective des élections prud’homales de décembre ?
Marc Blondel : C’est Madame Notat qui a joué à ce jeu-là. En signant l’accord avec les patrons des chauffeurs-routiers, elle a voulu apparaître comme raisonnable dans la perspective de ces élections. Pour les prud’hommes, il faut être bon chic bon genre, 16e arrondissement. Mais ce n’est pas mon genre. Moi, j’habite dans la Seine-Saint-Denis. Déjà, j’ai l’auréole de novembre-décembre 1995. Si j’avais pu foutre encore la merde avec les chauffeurs-routiers, cela l’aurait arrangée !
Edj : N’avez-vous pas tenté de passer un accord avec Jospin, sans en référer à Jean-Claude Gayssot, le ministre des transports ?
Marc Blondel : Pendant le conflit, j’ai eu plusieurs fois Jospin au téléphone. Il avait peur que les négociations ne rompent. Aujourd'hui, il peut dire « ouf » ! Il s'est attelé au dossier. Sur le plan réglementaire, il s'est engagé à faire le ménage au niveau européen. C'est plus important que l'accord salarial que nous avons refusé de signer et qui risque de ne pas être tenu. Vous verrez, les gars vont avoir plus d'espoir sur des dispositions réglementant la profession que sur les accords salariaux. Mais attention, il va falloir que Lionel Jospin aille jusqu’au bout. Il ne faudrait pas qu’il me fasse le même coup qu’à Amsterdam : donner l’impression qu’il ne se couche pas devant la mondialisation et puis, en définitive, se faire enfler. Si Jospin échoue, ce que je crains, hélas ! La réalité nous redonnera raison. Il y aura un autre conflit. Il est mûr. Mais je peux vous dire que je prendrai moi-même les choses en main plus tôt, avec Poletti, et les mecs de la CFDT, je leur ferai jurer de tenir jusqu’au bout. Pour passer, il faudra qu’ils donnent des gages.
Edj : À l’issue de la conférence sur l’emploi, les salaires et le temps de travail, le 10 octobre, n’avez-vous pas aussi eu le sentiment d’être « berné » par un accord en trompe l’œil ?
Marc Blondel : Je n’étais pas venu pour les 35 heures. J’étais venu pour l’emploi. Aubry a répondu à mes revendications. Le patronat a dit oui pour financer le départ de ceux qui avaient cotisé 40 ans. Je crée 150 000 emplois. Les 35 heures n’en créeront pas autant. Les patrons qui passeront aux 35 heures vont acheter du matériel, et ce sera plus efficace que d’engager de nouveaux salariés. Seules les entreprises en difficulté vont se précipiter sur les 35 heures pour obtenir la prime de 9 000 F par salarié. La durée légale du temps de travail à 35 heures, à la limite, c’est un cadeau pour le patronat. Quand Gandois crie : « J’ai été berné », c’est du pipeau. Moi, je pense qu’il avait l’intention de se tailler avant. Mieux, je crois Gandois assez vicieux pour redevenir candidat à la présidence du CNPF.
Edj : Pensez-vous qu’il ait des chances ?
Marc Blondel : Pourquoi pas ? Il suffit qu’il fasse comprendre aux patrons que les 35 heures, cela ne leur coûte rien.
Le Nouvel Observateur - 13 novembre 1997
Le Nouvel Observateur : Lionel Jospin vient de vivre son premier conflit social. Quel bilan dressez-vous de l'action du Premier ministre ?
Marc Blondel : Il se débrouille bien, traite les dossiers de manière pragmatique. Et surtout il défend l'intérêt général, ce qui redonne du sens au rôle de l'État et à celui des interlocuteurs sociaux. C'est la première fois qu'un Premier ministre a eu le courage de faire une déclaration aussi forte à l'Assemblée nationale sur le conflit des routiers. Enfin quelqu'un qui ne croit pas que les financiers ont toujours raison ! Est-ce que cela va durer ? Je ne sais pas. En revanche, ce qui ne va pas du tout, c'est le transfert des cotisations maladie des salariés sur la CSG. Avec cette mesure, le gouvernement accélère le plan Juppé. Et je le répète, avec ce plan, on va dans le mur. À un moment donné, soit on remettra en question le remboursement des médicaments, soit la Sécu passera au privé.
Le Nouvel Observateur : FO n'a pas signé l'accord sur les routiers. Quelles leçons tirez-vous de ce conflit ?
Marc Blondel : À nouveau, je ne suis pas sûr que les patrons tiendront leurs engagements, cet accord étant encore ambigu sur de nombreux points, y compris en matière de salaires. Un exemple : au lieu d'avoir 5 % d'augmentation, les routiers au coefficient 138 - les plus nombreux - n'auront, compte tenu de la revalorisation du Smic, que 1,8 %. Par ailleurs, la voie est engagée pour l'annualisation de la durée du travail, ce qui dans cette profession conduit obligatoirement à des excès. Je relève enfin que, comme en novembre 1995, la CFDT est proche des pouvoirs, loin des syndicats.
Le Nouvel Observateur : Vous avez dit en septembre dernier que le premier conflit social de la rentrée aurait lieu dans les transports. Quel sera le prochain ?
Marc Blondel : À mon avis, le prochain conflit aura lieu dans la fonction publique. Pour l'instant, le ministre chargé de ce secteur, Emile Zuccarelli, mène un bon travail d'approche avec les syndicats.
Mais ensuite il va devoir se tourner vers le gouvernement, vers le ministre des finances. C'est tout le problème : dans Je budget, pour 1998 il n'y a que 3 milliards de provisions pour les fonctionnaires. Or 1 point d'augmentation, c'est 5,8 milliards de francs ! Sans parler du contentieux des années précédentes ni de la réduction du temps de travail. Si M. Zuccarelli sème des illusions en discutant avec les syndicats et qu'ensuite ceux-ci sont déçus, il y aura grève. Et dans la fonction publique, les grèves sont presque toujours unitaires…
Le Nouvel Observateur : Vous demandez la réduction du temps de travail dans la fonction publique ?
Marc Blondel : Nous n’avons rien demander. Lors de la conférence du 10 octobre, le Premier ministre l’a promis.
Le Nouvel Observateur : Pas franchement… Quel bilan faites-vous, pour Force ouvrière, de cette conférence ?
Marc Blondel : Je suis très critique, et je vais bientôt dire que c'est moi qui ait été berné ! Au départ, la réduction du temps de travail en l'an 2000 devait s'appliquer aux entreprises de plus de 10 salariés. J'entends maintenant que les entreprises ne seraient concernées qu'à partir de 20 voire 25 salariés. Certes, le gouvernement a tenu son engagement avec sa conférence sur l’emploi. Ce ne fut pas une grand-messe, il y avait du contenu. Mais nous, nous étions venus pour tenter de résoudre les problèmes de l'emploi, avec des propositions sur les salaires, la réduction du temps de travail et le départ en préretraite des salariés qui ont commencé à travailler à 14 ans et qui ont fait le plein de leurs cotisations vieillesse, avec des embauches pour les remplacer. Je pensais que nous étions avec le gouvernement sur la même longueur d'onde, celle de la relance keynésienne. Eh bien, sur les salaires, j'ai demandé à trois reprises qu'on augmente le smic de 2 %. En vain. Je n'ai pas eu la moindre réponse. J'ai également demandé que l'on renégocie dans les branches les salaires minimaux qui sont inférieurs au Smic…
Le Nouvel Observateur : Vous savez bien que cette négociation ne peut se faire qu’entre le patronat et les syndicats…
Marc Blondel : Le gouvernement peut également convoquer les commissions mixtes paritaires, avec toutes les parties prenantes.
Le Nouvel Observateur : Sur quels autres points vous estimez-vous déçu ?
Marc Blondel : Sur les préretraites. Le gouvernement entend limiter sa contribution à 40 000 francs par départ, ce qui est très insuffisant.
Le Nouvel Observateur : Et la réduction du temps de travail ?
Marc Blondel : Attention aux illusions ! Je ne crois pas que la diminution du temps de travail crée autant d'emplois qu'on veut le faire croire. La tendance naturelle des entreprises, c’est d’essayer de produire plus sans effectifs supplémentaires. Il ne faut pas leurrer les gens. En revanche, je crois que la réduction est nécessaire si parallèlement on augmente les salaires, car ainsi on relance la consommation, donc la production. Et puis, prenez les services, les grands ou les petits magasins, par exemple. Pour satisfaire la clientèle, on va embaucher. Mais un magasin qui a 200 vendeuses n'embauchera pas à temps plein créera des emplois à temps partiel. Vous me direz qu'un temps partiel, c'est mieux que rien du tour. Mais bientôt, dans les services, tout le monde sera contraint au temps partiel. Alors qu'il faudrait déjà se préoccuper des abus du temps partiel. Il ne faut plus qu'une dame attende derrière son téléphone qu'on veuille bien lui donner un peu de travail !
Le Nouvel Observateur : Bref, vous voulez le beurre et l'argent du beurre.
Marc Blondel : Pourquoi ? Qui a dit, il n'y a pas si longtemps, que les 35 heures seraient payées 39 ? Et puis il faut revenir sur le cinéma de Jean Gandois, le président du CNPF. Oui, du cinéma ! Que propose le Premier ministre ? De réduire la durée légale du travail à 35 heures en l'an 2000. Il ne parle pas de la durée effective du travail. Un patron peut très bien décider de rester à 39 heures en payant les quatre autres en heures supplémentaires. Comme elles sont taxées à 25 %, cela lui coûte seulement une heure de plus !
Le Nouvel Observateur : Mais Jean Gandois ne voulait pas d'une, réduction généralisée avec une date-butoir !
Marc Blondel : Je vous ai dit qu'il s'agissait de durée légale, pas de durée effective. En 1936, on a fixé la durée légale à 40 heures. En 1970, la durée effective était encore de 46 heures... Je suis certain que Jean Gandois a agi pour des raisons internationales, pour qu'aux yeux des patrons étrangers la France ne soit pas la première à passer aux 35 heures. C'est une position ultralibérale. D’ailleurs, après le 10 octobre, je lui ai écrit pour qu'il ouvre des négociations sur les départs anticipés pour les salariés qui ont commencé à travailler à 14 ou 15 ans. Il m'a répondu le 27 octobre. Que m'écrit-il ? Que, compte tenu de la décision du gouvernement sur les 35 heures, il lui est impossible de mesurer l'impact de cette mesure sur les entreprises et qu'il ne peut donc négocier sur ce sujet. Encore une fois, ses raisons sont idéologiques.
Le Nouvel Observateur : Les syndicats ne seront-ils pas tentés de ne rien négocier jusqu’en l’an 2000 ?
Marc Blondel : Pourquoi ? On peut discuter de tout. Des salaires là où il y a lieu, de la réduction du temps de travail ailleurs. Tout dépend des secteurs d'activité, et je privilégie les négociations de branche pour des raisons de concurrence.
Le Nouvel Observateur : Quelles seront vos prochaines revendications ?
Marc Blondel : Des augmentations de salaires dans les entreprises et la réduction du temps de travail dans les branches. Par ailleurs nous faisons circuler une pétition sur les départs anticipés. Et elle recueille beaucoup de signatures…
Le Nouvel Observateur : En septembre 1999, il y aura une seconde loi qui définira les modalités concrètes du passage aux 35 heures. Que refuserez-vous ?
Marc Blondel : L'annualisation du temps. Elle conduira forcément un jour à l'annualisation des salaires.
Le Nouvel Observateur : Dans toutes les entreprises qui ont conclu des accords sur la baisse du temps de travail, les salariés sont payés au mois.
Marc Blondel : Peut-être. Mais l'annualisation des salaires, c'est la revendication des patrons. Accepter l'annualisation du temps de travail, c'est mettre le doigt dans l'engrenage pour arriver à l'annualisation du Smic.
Le Nouvel Observateur : Qu’attendez-vous du futur président du CNPF ?
Marc Blondel : J'espère que le « tueur » dont Jean Gandois disait qu'il devrait lui succéder ne tirera que des balles à blanc et qu'il ne remettra pas en question les contrats collectifs que nous avons conclus depuis les années 50. Rien n'est pire que ne pas négocier, même si la discussion échoue. Sinon, soit on décide d'obtenir tout du gouvernement, et inévitablement le mouvement syndical se politise ; soit on agit par l'action, par l'usage du rapport de force. Je ne le souhaite pas car cela mène forcément à des réactions poujadistes, la notion interprofessionnelle étant négligée.
Le Nouvel Observateur : Qu’attendez-vous du sommet social sur l’emploi qui aura lieu vers la fin de novembre à Luxembourg ?
Marc Blondel : Est-ce que concrètement les gouvernements sont en mesure de mettre au point une législation européenne en faveur de l'emploi ? Non. Est-ce que tous les salariés des quinze pays sont capables de faire grève en même temps pour que la durée légale du travail soit la même pour tous ? Non. Je suis très pessimiste sur la capacité des gouvernements à construire une Europe à dominante sociale. Dans l'esprit de ceux qui nous gouvernent au niveau européen, on accepte beaucoup plus volontiers le libéralisme et la flexibilité que des solutions à la française, par exemple. J'aimerais bien que les sommets sociaux soient des réunions « anti-Davos ». Je fais en sorte qu'il en soit ainsi, mais…
Le Nouvel Observateur : Aux élections prud’homales de 1992, vous étiez arrivés derrière la CGT et la CFDT. Pensez-vous, le 10 décembre prochain, remonter la pente ?
Marc Blondel : Nous serons satisfaits si nous gagnons 2 % de voix supplémentaires. Surtout, je souhaite qu'il y ait plus de 50 % de participation. Sans cela, l'institution prud'homale serait affaiblie. Or les dossiers traités aux prud'hommes relèvent de manquements aux conventions passées entre interlocuteurs sociaux. Depuis 1950, Force ouvrière a mis toute son énergie dans la construction des contrats collectifs. La CGT et la CFDT nous l'ont suffisamment reproché ! Mais, que cela plaise ou non, c'est notre culture.
RTL - mardi 18 novembre 1997
O. Mazerolle : Vous n'avez pas de regret d'avoir parlé de coucheries au sujet de Madame Notat et des Premiers ministres ?
M. Blondel : Nous n'avons pas lu le même article mais, si vous me permettez, je voudrais vous proposer quelque chose : en principe, aujourd'hui, il y a une manifestation de la part des journalistes pour lutter contre le fait qu'on retire les 30 %. Je veux me déclarer, moi, en soutien avec les journalistes et je ne voudrais pas que ma présence ici soit interprétée comme étant celle de la présence d'un jaune. C'est clair.
O. Mazerolle : Vous n'êtes pas jaune, c'est bien clair. Alors, N. Notat…
M. Blondel : Ça vous intéresse beaucoup !
O. Mazerolle : Oui parce que je pense que ça a été très retenu !
M. Blondel : Oui, bien sûr. C'est bien ce que je regrette. J'aurais aimé, moi, qu'on retienne de l'interview en question des choses qui me semblaient beaucoup plus importantes comme, par exemple, le fait que les gars n'avaient plus confiance…
O. Mazerolle : On va y revenir, mais pourquoi utiliser cette terminologie ?
M. Blondel : Quelle terminologie ?
O. Mazerolle : Faire l'amour avec les Premiers ministres !
M. Blondel : J'ai dit que…
O. Mazerolle : … mon métier n'est pas de faire l'amour avec les Premiers ministres.
M. Blondel : Je confirme ! Ma fonction n'est pas, effectivement, d'être, disons, conciliant avec les Premiers ministres, parce que c’était ça, l’interprétation…
O. Mazerolle : … C'est déjà différent, « conciliant ».
M. Blondel : Ou « complice ». C'était ça, l'interprétation. Moi, vous savez, dans mon esprit, il n'y a rien d'orgiaque.
O. Mazerolle : … Si L. Viannet signait un accord avec le Gouvernement, vous diriez « Mon métier n'est pas de faire l'amour avec les Premiers ministres » ?
M. Blondel : Le cas échéant.
O. Mazerolle : Et était-ce utile d'ajouter « Moi, je ne suis pas pédé, donc… »
M. Blondel : C'était pour rassurer tout le monde.
O. Mazerolle : Donc, vous croyez qu'il est nécessaire, important d'utiliser ce style de langage pour convaincre les salariés ?
M. Blondel : Pas du tout je n'ai pas du tout l'intention, dans ce genre de chose, de convaincre les salariés. Ce qui est important pour les salariés, c'est la situation dans laquelle ils se trouvent. C'était ça, le fond. J'ai fait parallèlement deux interviews, l'une dans L'Evénement du Jeudi l'autre dans Le Nouvel Observateur. Dans Le Nouvel Observateur, il n'y a pas un mot de ce genre. Comment se fait-il que L'Evénement du Jeudi ait, lui, valorisé ce genre de chose ?
O. Mazerolle : Parce que vous l'avez dit, sans doute !
M. Blondel : Attendez. C'est très important, L'Evénement du Jeudi. La même semaine, il y avait une interview de Monsieur R. Hue. On n'en a pas parlé. Il y avait même une interview fort intéressante de Monsieur M. Field. On n'en a pas parlé.
O. Mazerolle : Bon, d'accord, mais c'est parce que vous l'avez dit. Cela retient l'attention, forcément, quand on parle d'une femme de cette manière !
M. Blondel : Eh bien, vous avez raison quand on parle d'une femme de cette manière ! Moi, je parle du secrétaire général de la CFDT.
O. Mazerolle : Oui mais c'est une femme !
M. Blondel : Je n'y peux rien.
O. Mazerolle : Des salariés sont femmes et vont voter aux prud'homales !
M. Blondel : Oui, bien sûr, et alors ?
O. Mazerolle : Vont-elles avoir envie de voter FO ?
M. Blondel : Ah, je vous remercie ! Donc, vous êtes en train de m'aider à expliquer qu'en définitive, il ne faut pas prendre cette position au sérieux et que FO, c'est autre chose que les déclarations de son secrétaire général ?
O. Mazerolle : Je ne sais pas, parce que peut-être que des femmes salariées vont se dire « mais qui c'est, ce M. Blondel qui parle de nous en ces termes ?! »
M. Blondel : Mais j'essaierai de le faire savoir ! Vous voyez ?! Vous avez dit « nous », c'est-à-dire « elles ». Je n'ai pas parlé des femmes en général : j'ai parlé du secrétaire général de la CFDT. Si nous discutions effectivement de la raison pour laquelle j'ai une colère contre le secrétaire général de la CFDT ?
O. Mazerolle : Eh bien, allez-y, dites !
M. Blondel : C'est relativement simple : je l'accuse tout simplement d'avoir fait faire cinq jours de grève pour rien.
O. Mazerolle : Tout de même : il y a quand même eu un résultat !
M. Blondel : Il y avait déjà exactement le même résultat. Bien mieux : je pense que le dernier résultat est plus mauvais. Sur le plan chiffré, c'est identique ; sur le texte lui-même, l'annualisation, la possibilité d'annualisation pour un métier comme celui-là, sera individuelle : cela veut dire que, pratiquement, on ne pourra plus contrôler les horaires.
O. Mazerolle : Pourquoi les routiers ont-ils levé les barrages à l'appel de la CFDT, alors ?
M. Blondel : Parce qu'il se trouve tout simplement que dans ce secteur d'activité où il y a peu de tradition syndicale, on n'a pas de sentiment de lien aussi fort que lorsqu'on travaille dans une usine. À partir du moment où il y a cinq, six ou dix types qui sont ensemble à un endroit, à partir du moment où il y en a deux, trois ou quatre qui s'en vont, c'est fini, tout le monde s'en va. C'est évident. C'est une question de comportement dans un milieu qui n'a pas de grande tradition. Je vous rappelle qu'il y a 25 ans, il n'y avait pratiquement que des syndicats-maison. Maintenant, il y a quelques influences d'organisations syndicales, qui ne sont pas d'ailleurs très bonnes, en tout cas largement insuffisantes. Nous essaierons de faire mieux.
O. Mazerolle : Votre colère ne vient-elle pas aussi du fait que la CFDT a pris grosso modo la place de FO comme syndicat réformiste ?
M. Blondel : Mais c'est vous qui placez le syndicat FO à une place qui changerait ! Le syndicat FO est resté ce qu'il a été et ce qu'il est toujours : un syndicat réformiste qui signe quand il considère que ça amène quelque chose aux gens. C'est aussi simple que ça. Comme interlocuteur – puisque je vais devancer vos propos – j'ai été le premier à dire que moi, je ne réclame pas être l'interlocuteur privilégié de personne ! Parce que je sais que quand on dit « privilégié », on sous-entend « celui qui accepte et qui est plus facilement complice de l'autre ». Ce n'est pas du tout ce que nous voulons être. Et puis, la réalité des choses est là : il y a dans ce pays plus de trois millions de chômeurs, un million de RMistes et on va à la catastrophe ! C'est aussi simple que ça ! Notre rôle à nous, organisation syndicale, c'est de le dire et d'essayer de faire comprendre aux gens qu'en définitive, il faut qu'ils se battent et ne pas laisser faire les choses selon la pensée générale du moment. Voilà !
O. Mazerolle : Et Madame Notat est la représentatrice de la pensée générale ?
M. Blondel : Madame N. Notat est la représentatrice de son organisation syndicale, c'est tout.
O. Mazerolle : Et de cette pensée générale, la pensée unique ?
M. Blondel : Écoutez, ça, demandez-le-lui !
O. Mazerolle : Dans l'interview au Nouvel Observateur, précisément, vous dites « Le Front national va progresser », et…
M. Blondel : Non, je ne l'ai pas dit comme ça. Encore une fois, je vous en prie, essayez au moins de respecter ce que je dis, y compris si je dis des bêtises ! »
O. Mazerolle : Vous avez dit que les routiers allaient rejoindre le Front national.
M. Blondel : C'est tout autre chose et je ne l'ai même pas dit comme ça. J'ai dit que les routiers en 1996 avaient été fortement floués parce que les patrons n'avaient pas appliqué les textes et les engagements qu'ils avaient pris. J'ai dit que cette fois, on les avait trahis. Ça veut dire que, dans ce milieu où il y a un fort poujadisme – c'est vrai –, il y a le risque tout simplement que ne croyant plus à rien, y compris dans leur propre organisation syndicale, ces gens se tournent vers le Front national. Je le dis et je le répète. C'est un danger ! C'est aussi simple que ça.
O. Mazerolle : Vous croyez qu'aux prud'homales, des organisations qui ne seront pas très éloignées du Front national feront des voix ?
M. Blondel : Je crains effectivement qu'aux prud'homales, les organisations, les candidats qui se présentent sous le sigle – je ne sais plus exactement lequel, d'ailleurs, la coordination de je ne sais quoi – prennent des voix. Je ne dis pas qu'ils vont faire des scores mirobolants parce que je pense quand même qu'il y aura un peu de sagesse du côté des salariés et qu'ils feront plutôt confiance aux organisations syndicales qui savent ce que c'est, au moins, qu'une convention collective et qui savent ce qu'est un dossier prud'homme. Je pense quand même qu'il y a un niveau de compétence qu'on ne peut pas contester aux organisations syndicales. J'espère que les salariés leur feront confiance. Malheureusement, je crois aussi au vote protestataire. Je crains le vote protestataire. Il peut se faire effectivement que les gens votent aussi pour le Front national. Vous remarquerez qu'en plus des partis politiques, ils auront des élus aux Prud'hommes, des élus aux Chambres de commerce et de l'industrie. Cela s'appelle un bon maillage, une belle toile d’araignée. Je crois que le danger est là, et qu’il est large, grand.
Force ouvrière Hebdo - 19 novembre 1997
L’éditorial de Marc Blondel
À une camarade adhérente de FO ou d’ailleurs.
Tu n'as vraisemblablement pas pris connaissance de l'interview publié par le Nouvel Observateur du 13 au 19 novembre 1997, sollicités que nous fûmes par les échos médiatiques de celle de l'Événement du Jeudi.
Cette dernière, publiée sans que je l'ai relue, a été conditionnée par une présentation (qui bien entendu est de la responsabilité de la rédaction) fondée sur la mise en valeur, par le journal, de deux a priori : je suis une grande gueule et un machiste.
Grande gueule, d'autres auraient dit il a son franc-parler. Que voilà une découverte ! Elle est d'ailleurs régulièrement utilisée par les journalistes qui sont fort heureux d'éviter la langue de bois et qui se félicitent de m'en « parler vrai », allant parfois jusqu'à solliciter des images ou métaphores un peu vives.
Machiste, par contre, sur quoi se basaient-ils ?
Sur mon comportement actuel : je suis marié, je forme un couple militant avec ma secrétaire*, nous consacrons la quasi-totalité de notre temps à l'Organisation, ce qui n'est pas sans conséquences sur notre mode de vie. C'est ainsi, par exemple, que je suis le cuisinier du ménage. Au plan personnel, nous avons des comptes bancaires séparés, chacun participe, à sa façon, aux besoins financiers du couple. Elle n'a jamais et je n'ai jamais ouvert un courrier adressé à l'autre : je ne dis pas que c'est un modèle de vie, mais nous vivons heureux comme ça, dans le respect de la personnalité de l'un et de l’autre.
Par le passé, lors de mon premier mariage, ma femme, maintenant décédée, a assuré l'éducation de mes deux filles, elle l'a fait sur sa proposition. Nous avions le virus militant, comme on dit, tous les deux. Elle a sacrifié celui-ci pour m'aider, ce n'est pas exceptionnel mais moi, au moins, je le dis. Je n'ai inculqué à mes filles (dont l’aînée va avoir 40 ans) que l'indépendance de vie : faites vos études, assurez-vous d'être en situation financière de choisir votre vie, de vous unir ou non (devant l'état civil ou sans celui-ci) ; en tout cas, ne restez pas avec quelqu'un pour des raisons économiques, vous seriez malheureuses et vous auriez gâché votre vie. Elles me donnent la joie d'avoir cinq petits-enfants, et je les crois heureuses.
Mon militantisme m'a conduit à promotionner le planning familial, à défendre, avec la loi Veil, l'IVG. Je me souviens d'ailleurs d'une manifestation à la salle Pleyel, où ce qu’on considérait comme l'élite militante et intellectuelle de gauche posait publiquement le problème.
Toujours, donc, l'indépendance et la liberté de la femme, le souci de l'égalité que je revendique notamment dans les milieux internationaux, en aidant, par exemple, mon ami Fatoumata Siré dans sa lutte contre l'excision au Mali.
Est-ce le profil d'un machiste ?
L'Événement du Jeudi a-t-il voulu, un peu de frais, parler de lui, ou, faute de vouloir examiner mes propos sur le fond, a-t-il joué la facilité ? Car enfin, qu’ai-je dit, ou plutôt dénoncé : le comportement d'une organisation syndicale qui avait, avec d'autres, appelé à la grève et qui a signé un texte qui n'amène rien, ou peu de choses, aux chauffeurs routiers, texte qui permettra demain une exploitation quasi sans limite de ceux qu'on appelle les forçats de la route.
Qu'on en juge, la revalorisation des salaires sera pour la grande majorité de + 1,8 %, c'est-à-dire 6 784 francs brut pour 169 heures, pour un métier de responsabilité.
Alors, le salaire se fait avec des heures supplémentaires, 200 heures paraissent un horaire normal, quand 250 heures ne sont pas rares.
Dans ces conditions, l'annualisation du temps de travail, qui sera dans ce métier individuel, permettra tous les excès, sauf à mettre un contrôleur dans chaque véhicule.
Que reste-t-il des velléités de créations d'emplois par la réduction de la durée du travail que prônait fièrement la CFDT le 10 octobre 1997 ?
Imaginons un seul instant la vie de famille, s'il en reste, de ces professionnels. Ce secteur s'est quelque peu féminisé, il suffit de discuter avec quelques camarades chauffeurs femmes pour mesurer l'état réel de leur situation.
Les chauffeurs routiers avaient été floués en 1996, les patrons n'ayant pas respecté leurs engagements. Ils ont le sentiment d'avoir été manipulés : cinq jours de grève (c'est-à-dire non payés) pour rien, les augmentations ayant été accordées avant la fin de l'ultimatum. On s'étonnera alors qu'ils risquent de se réfugier dans l'extrémisme (risque que je dénonçais dans l'interview à l'Événement du Jeudi et que l'on a curieusement oublié).
Alors, pourquoi éviter le débat et le réduire à un discours sexiste dont le fondement reste à démontrer. Qui peut, en toute bonne foi, croire que je m'intéresse au comportement personnel de la secrétaire générale de la CFDT ? Il s'agissait avant tout de constater le comportement du leader de cette organisation avec le gouvernement.
Il a aidé celui-ci comme il avait aidé le précédent, en 1995, pour lui permettre de mettre fin à un conflit ouvert qui risquait, à terme, de porter tort à son crédit. Je le dis d'autant plus facilement que j'ai noté et approuvé le discours du Premier ministre sur la nécessité de la réglementation, de l'assainissement de la profession, de la transparence et de sa projection au niveau européen. En termes plus simple, la politique l’a emporté sur l'intérêt des salariés.
Voilà ce dont il s’agit.
Le schéma ne serait pas complet si j’omettais de marquer mon étonnement sur les propos d'un éminent journaliste de télévision qui, chez l'ami Laurent Ruquier, suggérait, parce que sensible au fait que j'ai déclaré ne pas être homosexuel, que l'on me prive d’antenne.
En dehors du fait qu'au nom de la liberté je considère que chacun, homosexuel ou pas, peut se comporter comme il entend, qu'un journaliste réclame ainsi la censure me laisse dubitatif. Dans une telle logique, l'émission critique, ironique et bien française de Ruquier ne pourrait-elle être victime, un jour, de ladite censure !
Voilà, j'ai voulu par notre presse éclairer le débat, il reste qu'il faut se demander à qui profite cette médiatisation. La proximité des élections prud'homales peut laisser penser qu'il s'agit de se montrer à l'électorat comme les représentants de la force calme et tranquille ; et les femmes étant majoritaires, de recueillir leurs voix.
Eh bien non ! J'aimerais, moi aussi, la tranquillité sociale, mais la vouloir à tout prix ce serait se soumettre et taire la réalité vécue par les salariés et les chômeurs.
Il reste trois millions trois cent mille sans-emplois, un million de RMistes et la dégradation s’accentue journellement pour les autres.
Se taire serait trahir, nous continuerons donc, parfois avec des éclats de voix, à dire la vérité.
Pour la défense des femmes et des hommes.
Pour la défense de la liberté.
* Bien entendu, je n'ai publié cette partie du texte qu'avec son accord.
La Voix du Nord - vendredi 21 novembre 1997
La Voix du Nord : Si un conflit comme celui des routiers a donné l'impression d'un mouvement fort, la France connaît une syndicalisation faible. Pourquoi ?
Marc Blondel : Il n'y a jamais eu en France un taux de syndicalisation très élevé. Dès lors que le produit de l'action syndicale est applicable à tous, la nécessité de se syndiquer ne se ressent pas de la même façon qu'en Belgique, par exemple, où ce sont les centrales qui paient les indemnités chômage.
Il y a aussi les avatars du mouvement syndical, ses scissions successives, sa tradition d'indépendance. Je ne juge donc pas l'influence syndicale sur le seul critère d'adhésion. Ce qu'il faut voir, c'est la situation relative des salariés. Et là, on peut subir la comparaison.
La Voix du Nord : Pensez-vous vraiment que les routiers sont prêts à se battre à nouveau dans quelques mois ?
Marc Blondel : Oui, car en juillet s'ouvre ce qu'on appelle le cabotage. Dès lors, un transporteur domicilié en Allemagne pourra utiliser un camion immatriculé en Pologne avec des chauffeurs yougoslaves et faire du transport entre Lille et Pau. Ce sera la loi de la jungle. Et dans ce métier, c'est toujours celui qui roule qui paie pour les autres.
Le conflit de 1996 n'a pas été réglé, les patrons n'ayant pas versé la prime prévue. Les routiers ont un sentiment d'abandon, de trahison et risquent de virer à l'extrémisme. La situation peut redevenir très, très dure. C'est pourquoi nous voulions terminer le conflit de 1997 par un accord définissant l'organisation du travail et son contrôle. Et pourquoi j'aurais préféré que la CFDT arrête les barrages mais ne signe pas.
La Voix du Nord : Vous n'avez pas l'air de regretter vos propos à l'encontre de Nicole Notat. Pourquoi tant de hargne, sinon de haine ?
Marc Blondel : Pourquoi employer des mots si forts ? On se polarise sur une interview faite dans des conditions fort particulières, heureusement en compagnie de ma femme, car je ne sais pas ce qu'il y aurait eu après. On m'a demandé si je n'étais pas le cocu magnifique…
En quoi étais-je cocu ? Si les salariés ont été trompés dans cette affaire, ce n'est pas par mois. Alors j'ai répondu de façon, pas trop spirituelle sans doute, en disant que je n'avais pas de relation personnelle avec le Premier ministre. Je sous-entendais ainsi la façon dont la secrétaire générale de la CFDT vole au secours des gouvernements. Juppé ou Jospin. Elle avait condamné la grève de 1995. En 1997, Elle lance le mouvement avec nous le dimanche pour faire reprendre le travail cinq jours plus tard sur les mêmes positions. Si j'étais cruel, je rappellerai qu'elle avait annoncé l'an dernier son intention de faire le blocus de Paris. Je me sens victime dans cette affaire. Sans faire de paranoïa excessive, il y a là une manipulation. Ne cherchez pas à qui cela profite : il s'agit de faire jouer le réflexe féminin en vue des élections prud’homales.
La Voix du Nord : Vous avez dit que le conflit aurait un impact sur les prud'homales. Ne craignez-vous pas plutôt la concurrence du Front national ?
Marc Blondel : Le problème de ces élections, c'est la participation. Je pensais que le conflit des routiers aurait un effet positif. À la CFDT, ils ont pris le parti de se montrer « raisonnables ». C'est un choix. Moi, je ne suis pas un va-t-en-guerre. Si on peut obtenir satisfaction sans conflit, tant mieux… Le Front national, c'est une nouveauté gênante. On aurait pu l'empêcher de se présenter dans la mesure où il prône la ségrégation et où l'on peut se demander quel sera le comportement d'un conseiller prud'homal du FN ayant à traiter un dossier de non français. L'ennui c'est que plus nous en parlons, plus nous lui faisons de la publicité.
La Voix du Nord : Comment envisagez-vous les négociations sur les 35 heures alors que le gouvernement paraît… hésiter ?
Marc Blondel : Comme vous le dites… J'ai soutenu l’idée de Jospin concernant la conférence sur l'emploi. J'y ai demandé trois choses : la relance par la consommation et l'effet d’âge, acceptés par M. Gandois. Puis la réduction du temps de travail. Or, si la loi des 35 heures est appliquée en l'an 2000, elle équivaudra à 2,86 % d'élévation de salaire, soit moins que l'inflation. Vous parlez d'un cadeau. Et M. Gandois a démissionné pour ça ?
D'une certaine façon, c'est nous qui avons été bernés.
La Voix du Nord : Que vous inspire la grève des machinistes du Nord qui craignent pour leur sécurité ?
Marc Blondel : Plus ça va, plus le problème se posera. Je pense à Roubaix. Peut-on rattraper la chose au niveau de la jeunesse. La situation n’est-elle pas déjà gangrenée, sans espoir de solution ? L’une des erreurs commises par les gouvernements successifs est d’avoir voulu faire du communautarisme, qui conduit obligatoirement à des tensions. En sommes-nous au moment où seule la répression peut résoudre la question ? Si oui, est-ce encore de la démocratie ? Protéger les chauffeurs, c’est mettre à leur côté deux types avec les bastons. Ce n’est pas la solution idéale…
La Voix du Nord : Quelle est l’utilité du sommet social qui se tient en ce moment à Luxembourg ?
Marc Blondel : Vous voulez me couper l'appétit… J'ai la déclaration finale sous les yeux. Ce sont des revendications patronales. Je pense qu'on est cul par-dessus tête. L’Europe serait-elle capable de décider au niveau des Quinze des choses impossibles à réussir par chaque pays ? Les gouvernements nous font de grandes déclarations de principe pour dire que le plein emploi à la mode libérale est un objectif majeur pour les cinq ans. Des bonnes paroles, rien d'autre. Je crains que ce soit semeur d’illusions…
La Voix du Nord : Vous qui avez l'air si soucieux de votre popularité, ne pensez-vous pas que votre image se ternit du fait de votre attitude provocatrice, voir populiste, sinon jusqu’au-boutiste ?
Marc Blondel : Provocateur, je suis d'accord. Mais il faut savoir. Si je maniais la langue de bois, je ne serais pas celui qui passe le plus souvent à la radio et à la télévision. Populiste, non. C'est une image qu'on essaie de me coller et je sens bien la connotation. Quand on sait qui je suis et d'où je viens, il y a des choses qu'on n’ose pas dire, fort heureusement.
Jusqu’au-boutiste, pas du tout. J'estime qu'il n'y a pas d'autre possibilité pour le syndicalisme que la réforme. De là à devenir un adepte de la contre-réforme, c'est autre chose. Mais pour la sécu, je ne me suis pas trompé. Je me suis battu contre et les faits me donnent raison. De façon viscérale, presque existentielle, je suis un négociateur. Mais je dois prendre position selon les situations. J'aimerais bien la paix sociale, je ferais autre chose. Je pourrais passer des heures à bavarder avec vous. Pour dire le plaisir que j'ai toujours à retrouver le Nord, les moules, les frites et la bière…
Dernières Nouvelles d’Alsace
DNA : Comment jugez-vous les six premiers mois du gouvernement Jospin ?
Marc Blondel : Ce gouvernement est arrivé au pouvoir de manière incidente et nous avons compris qu'il fallait lui laisser un peu de temps. Je mets dans la colonne actif son comportement lors de la conférence nationale pour l’emploi. Mais je suis aujourd'hui plus réservé car il n'a pas géré suffisamment les retombées de cette journée du 10 octobre, notamment dans les domaines qui sont de sa compétence directe comme la durée légale du travail. On sent bien qu'il y a des hésitations et elles me gênent. Quel sera le champ d'application réelle des 35 heures ? Quelles seront les exemptions ? Où sont les dispositions garantissant les 35 heures effectivement payées 39 ? Je crains que nous nous trouvions bientôt devant un vide… si le gouvernement recherchait vraiment des effets réels des 35 heures sur l'emploi, ils auraient dû accélérer les choses !
Sécu : les bases solidaires vont être ébranlées.
DNA : Sur le financement de la sécurité sociale, voyez-vous une inflexion du plan Juppé que vous aviez combattu avec résolution fin 1995 ?
Marc Blondel : Non. Je vois plutôt une accélération des effets de la « contre-réforme Juppé ». Le gouvernement veut financer la sécurité sociale par l'impôt, et le problème du déficit ne sera pas réglé pour autant. On ouvre la porte aux compagnies d'assurance pour qu'elles remettent en cause le monopole de la sécurité sociale… Les bases solidaires de la sécu vont être ébranlées. Mais ce message est pour le moment difficile à faire passer auprès des salariés !
DNA : Alors ?
Marc Blondel : 1998 sera peut-être une année décisive. Le jour où on remettra en cause le déficit de la sécu pour satisfaire aux critères de convergences, on remettra en cause du même coup le niveau des remboursements. Ce sera le moment de vérité. Et là, il faudra réagir.
DNA : Sur le conflit des routiers, vous annoncez aussi des lendemains houleux ?
Marc Blondel : Je crois que les routiers ont l'impression d'avoir été lancés en grève pour être abandonnés en rase campagne. Ils ont été manipulés. La signature des accords ouvre la voie à l'annualisation du temps de travail. C'est la porte ouverte à tous les abus ! L'immense majorité des salariés ne bénéficiera que d'une augmentation de 1,8 % au-dessus du SMIC, soit 6 784 francs pour au moins 169 heures de travail mensuelles ! Et le cabotage qui permettra de casser le marché du travail dans toute l'Europe va rendre furieux les routiers. C'est tout ça le conflit ! Et la déception risque d'être pain béni pour des extrémistes. Mais personne n'en parle. C'est ce qui m'a poussé à dire que la CFDT avait été complaisante, avec une démarche politique de courroie de transmission du pouvoir qui a toujours été à l'opposé de notre approche quelle que soit la couleur des gouvernements. Le fait de l'avoir dit de manière imagée a déclenché la vindicte et masqué le problème de fond.
DNA : N’y êtes-vous pas allé un peu fort dans la formulation tout de même ?
Marc Blondel : Écoutez, je ne suis ni sexiste, comme on l'a écrit, ni féministe d'ailleurs. Je suis simplement pour l'égalité des droits. Il n'y avait aucune connotation sexuelle, ni machiste, ni même provocatrice dans mes propos, je vous l'assure. La journaliste qui m'a interpellé m'avait demandé si je n'étais pas « le cocu magnifique ». J'ai répondu sur le même ton. Je suis victime de mon franc-parler, c'est tout. Et ça me fait mal d'avoir à me justifier alors que depuis plus de 30 ans, j’ai été de tous les combats pour défendre l'égalité des droits des femmes et des hommes et que je continue de le faire sur le terrain salarial notamment.