Interview de M. Jack Lang, membre du bureau national du PS et président de la commission des affaires étrangères à l'Assemblée nationale, à RTL le 15 juillet 1999, sur la cohabitation constructive, la charte sur les langues régionales, la réduction à cinq ans de la durée du mandat présidentiel et sur ses raisons de décliner l'offre d'occuper un poste dans la future commission européenne.

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Intervenant(s) : 
  • Jack Lang - membre du bureau national du PS et président de la commission des affaires étrangères à l'Assemblée

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Ainsi donc, hier, Jacques Chirac n'a pas annoncé qu'il démissionnerait l'an prochain, la cohabitation devra aller jusqu'aux présidentielles de 2002 ?

– « Oui et ce n'est pas surprenant. »

Q - On dit qu'en trois ans, la droite peut se redresser, la gauche peut s'essouffler et qu'il semble que ce soit là, le calcul de l'Elysée ?

– « Je ne souhaite pas entrer dans ces calculs, s'il y a calcul. Ce qui me paraît important, c'est que le Gouvernement désigné par les Français voici deux ans, puisse poursuivre sa mission avec détermination et efficacité, que le Président puisse assumer sa fonction telle qu'elle est définie par la Constitution. »

Q - Est-ce que vous considérez que Jacques Chirac accomplit bien son rôle de Président en cohabitation ?

– « Il respecte la Constitution, il assume les fonctions qu'elle lui réserve, en particulier au plan international, en pleine harmonie avec le Gouvernement. Et, au cours de la guerre du Kosovo, je crois que les relations entre les deux têtes de l'exécutif ont été exemplaires. Personnellement, je préfère mettre en lumière les aspects positifs et constructifs. »

Q - En tout cas, il évite d'apparaître comme un chef de camp, c'est même ce qu'on lui reproche dans son camp.

– « Eh bien que son camp s'exprime. »

Q - Quand il parle d'une « cohabitation constructive », c'est convenable pour la gauche ?

– « Oui, parce que c'est d'abord convenable pour un démocrate ; la Constitution étant pleinement respectée, une majorité s'est dessinée voici deux ans. A elle de tracer son sillon, d'approfondir son action, de réformer profondément. »

Q - Jacques Chirac considère qu'il y a toujours cohabitation entre Président et Premier ministre, même quand ils appartiennent à la même famille. C'est aussi ce que vous avez observé ? Il a cité l'exemple Mitterrand-Rocard.

– « Oui, mais vous savez, bon… Entre êtres humains, nous avons le devoir de cohabiter, nous sommes différents même quand nous partageons les mêmes idées, donc il y a un devoir de cohabitation pour tout être humain quelle que soit sa fonction. »

Q - En tout cas pas question de réviser la Constitution en direction du quinquennat – l'idée de réduire à cinq ans le mandat présidentiel – notamment parce que Président ne veut pas trop souvent réviser la Constitution.

– « Nous avons dans les questions de fond, qui sont peut-être plus passionnantes, la Constitution. Une constitution, c'est un corps vivant. Si vous l'enfermez dans des règles inchangeables, gravées dans le marbre, elle finit par craquer, par être totalement inadaptée à une société. C'est le cas de la Constitution de 1958 qui a été conçue dans une certaine circonstance, par le général de Gaulle. Aujourd'hui, elle mérite d'être profondément transformée si l'on veut bâtir une France moderne et ouverte vers le futur. En quoi serait-il sacrilège de réformer une Constitution ? Les Etats-Unis d'Amérique ont la Constitution la plus ancienne au monde – elle date de plus de deux siècles – elle a été réformée une trentaine de fois et très profondément. Je dirais donc que la Constitution n'est pas assez profondément transformée. Et le jour venu, il faudra s'y atteler. Il suffira d'ailleurs de changer quelques articles pour en faire une Constitution réellement démocratique. Sur la durée du mandat, ce n'est qu'un élément d'un ensemble de dispositions à transformer pour rénover profondément la Constitution française et en particulier… »

Q - Il faut rétablir le quinquennat de tous les côtés ?

– « … et en particulier pour doter la France d'un vrai Parlement qu'elle n'a pas, au sens où l'ont les Etats-Unis, ou l'Allemagne, ou l'Italie. Et puis, deuxièmement, alors revenons à la question de la durée du mandat, où naturellement c'est une évidence absolue : il faut réduire à cinq ans la durée du mandat présidentiel si on veut que les citoyens puissent, à échéance régulière, dire leur mot sur la personne même du Président de la République. »

Q - Ce qui n'évitera pas qu'il y ait encore cohabitation, a expliqué le Président.

– « Après tout, pourquoi pas. Je crois que le point important sur ce sujet, est de dire que ce n'est pas seulement la durée du mandat présidentiel qu'il faut réformer, mais c'est la durée de tous les mandats. Et dans les propositions que nous avions faites, à la demande du premier secrétaire de l'époque, Lionel Jospin, nous avions établi un document sur la démocratie et j'avais moi-même proposé la réduction de la durée de tous les mandats électifs à cinq ans. Nous sommes le pays des longs mandats, des mandats les plus longs : six ans les conseils municipaux, six ans les conseils départementaux, sept ans le Président de la République, neuf ans le Sénat. »

Q - Vous ramenez tout à cinq ans donc ?

– « Bien entendu, c'est une évidence. Qu'on ne parle pas de démocratie si on ne donne pas le droit aux électeurs, tous les cinq ans – au moins tous les cinq ans – de dire leur mot sur leur maire, leur président de conseil général, etc., etc. Je suis maire, je considère totalement abusif d'être élu pour une durée de six ans. C'est pourquoi d'ailleurs je souhaite – et l'on peut agir, nous, majorité – que le plus vite possible nous déposions un projet de loi pour réduire à cinq ans la durée du mandat des conseils municipaux pour les prochaines élections municipales. Nous l'avons d'ailleurs fait pour les élections régionales. Pour la prochaine élection régionale ce sera réduit à cinq ans. »

Q - Pas besoin d'une révision de la Constitution.

– « Un article… »

Q - De loi…

– « … de loi. »

Q - Les langues régionales, j'imagine que là vous êtes pour la révision de la Constitution ?

– « Puisqu'il y a obstacle, il est évident que nous devons, en France, après des siècles où on a raboté, nié le droit à l'existence des cultures de France, de faire adopter cette charte et par conséquent réviser la Constitution. »

Q - Le Président est pour les langues régionales mais pas à travers une révision de la Constitution et pas à travers cette charte.

– « Il a employé même l'expression : « langues minoritaires », expression que je n'aime pas parce qu'elle est péjorative et restrictive. Je considère que, dans notre pays il y a des langues et des cultures de France, qui doivent être reconnues en pleine dignité. Naturellement, la langue nationale, officielle est la langue française. »

Q - L'Europe – vous êtes un européen convaincu : il y a dix jours encore, était envisagé, pour vous, un poste à la Commission de Bruxelles qui s'intitulait : « Intelligence, culture, nouvelles technologies. » Finalement vous avez dit : non.

– « Je crois que ce projet demeure, il faut absolument réorienter la Commission européenne vers ces sujets d'avenir pour créer une véritable conscience politique européenne dans la jeunesse d'Europe, pour encourager la création d'emplois à travers les industries de l'imaginaire, et pour que la culture européenne précisément puisse pleinement se développer et surtout, je dirais, il faut, face aux Etats-Unis constituer un véritable pôle scientifique et culturel. »

Q - Ce n'est pas vous qui allez le faire…

– « Non, mais j'y contribuerai de la même manière. Je me bats pour ça depuis si longtemps, avec d'autres. Le Président R. Prodi en est convaincu. Simplement, les conditions dans lesquelles le budget européen a été adopté, voici deux mois, n'offrent aucune marge de manoeuvre. »

Q - C'était des raisons budgétaires donc…

– « Tout a été centré sur l'agriculture – et j'admets son importance –, les fonds structurels – j'admets leur importance. Mais aucune marge de manoeuvre nouvelle n'a été accordée à ces sujets d'avenir. »

Q - Vous voilà donc libre pour être candidat, le moment venu, à la mairie de Paris. On dit que vous l'envisagez, c'est vrai ?

– « Où avez-vous découvert ça ? »

Q - C'est une rumeur qui circule, y compris à gauche.

– « Eh bien, écoutez, ce matin, comme ça, vous me réveillez un peu plus par une rumeur dont je n'avais pas entendu parler. »

Q - Donc, c'est un bruit qui n'a pas de fondement ?

– « Non. Je crois qu'à propos de Paris, j'ai l'impression que tous les fantasmes se propagent. Les élections européennes, qui sont des élections très particulières – Jospin les a appelées "objet électoral non identifié", voulant dire par là que, finalement, souvent les électeurs, à cette occasion, font des votes un peu bizarres, étranges, ils font l'école buissonnière – il y a certains résultats qui montent à la tête de certains. Je crois qu'il faudrait garder raison. Paris est une ville sociologiquement plutôt conservatrice et ceux qui sont prêts au combat devraient réfléchir à deux fois avant de s'y engager à moins qu'ils aient le goût – et c'est une bonne chose – d'engager des luttes très difficiles. Mais il n'y a pas de raison néanmoins que pour l'éternité, Paris soit une ville conservatrice. Mais il ne faudrait pas que le résultat des élections européennes conduise certains à perdre le sens des réalités. »