Texte intégral
Force Ouvrière Hebdo - 29 octobre 1997
FO, un investissement ? Non, une garantie !
Dans une interview au journal L’Événement du Jeudi, le ministre du Budget, M. Sautter, indiquait qu’une perspective de croissance économique de 3 % en 1998 devrait conduire à la création de 200 000 emplois. Il précisait également que l’application des 35 heures à 700 000 salariés en 1998 créerait 42 000 emplois.
À raison de 9 000 francs par salarié, ces 42 000 emplois coûteraient donc au budget de l’État 6,3 milliards de francs qui devraient correspondre à une exonération partielle de cotisations sociales de l’ordre de 10 % pour un salaire au SMIC.
Chaque emploi créé coûterait donc 159 000 francs*.
À titre comparatif, le coût par individu de l’ARPE est inférieur à 120 000 francs par an.
En faisant le choix de franchiser ainsi de 9 000 francs par an et par salarié les cotisations patronales, le Gouvernement amorce, ce faisant, la fiscalisation de cette cotisation dont la réforme est annoncée pour 1998.
Donc, ce que l’employeur ne paiera plus, ce sera le contribuable (en grande majorité les salariés) qui le paiera.
Toujours est-il qu’en matière de créations d’emplois, les propos de M. Sautter constituent un aveu : la croissance économique est beaucoup plus efficace que la réduction de la durée du travail. Nous ajouterons qu’elle n’implique pas l’accroissement de la flexibilité et qu’elle amène plus de recettes fiscales et sociales.
Tout cela ne fait que conforter la justesse des positions et revendications que nous avons exprimées à la conférence du 10 octobre 1997 :
1. Soutenir la consommation et l’activité économique par une augmentation des salaires, retraites, pensions et minima sociaux.
2. Permettre le départ des salariés ayant commencé à travailler à quatorze ou quinze ans avec embauches en contrepartie.
3. Réduire la durée du travail dans une vision progressiste, c’est-à-dire qui ne s’accompagne pas de conditions de travail et d’emplois dégradées.
L’exemple du Villages, Vacances, Familles (VVF) doit aussi être médité. Présidé par l’ancien secrétaire général de la CFDT (Edmond Maire), l’application de la loi Robien aurait permis la création de 174 emplois sans alourdir le coût salarial total.
Les salariés y sont allés de leur poche (baisse des salaires).
Les salariés saisonniers ne peuvent pas travailler plus et, surtout, le budget de l’État a financé l’opération.
Il faut d’ailleurs noter (est-ce lié ?) que VVF a, en plus, changé de statut. C’est dorénavant une société anonyme dont le président se félicite que la loi Robien soit inscrite dans la lignée des lois Auroux, impliquant les salariés dans l’organisation du travail. C’est ce que nous expliquions quand nous disions que certains syndicats se verraient bien DRH ou Co-DRH.
Fidèle à la conception et à la pratique de l’indépendance syndicale, Force Ouvrière continuera à mener de front ses trois revendications : salaires – ARPE – durée du travail ; sans oublier, bien entendu, la protection sociale collective.
Tel est l’objet de la pétition nationale que nous avons lancée et qui sera suivie d’autre initiatives.
Pour les salariés, cela doit les éclairer sur le syndicalisme qu’ils souhaitent. Adhérer, et soutenir FO ce n’est pas un investissement à risque, c’est une garantie !
* Prenons l’exemple d’une entreprise de cent salariés embauchant six salariés (soit 6 %) pour une réduction de 10 % du temps de travail, l’aide global de l’État serait donc de 106 X 9 000 francs, soit 954 000 francs, ce qui revient à dire que chaque embauche aurait un coût de 954 000/6, soit 159 000 francs.
Force Ouvrière Hebdo - 26 novembre 1997
Lettre ouverte au prochain responsable du CNPF
Il n’est ni dans les habitudes, ni dans le rôle d’une organisation syndicale de salariés qui, comme la nôtre, pratique l’indépendance syndicale, de s’immiscer dans la désignation des instances patronales.
L’annonce par votre prédécesseur de son départ de la présidence, présidence que maintenant vous allez assumer, outre son aspect spectaculaire, a, de manière importante, perturbé les relations sociales dans notre pays.
Celles-ci, basées depuis 1950 sur des négociations par voie d’accords collectifs (la politique contractuelle) se sont trouvées « frigifiées » voire remises en cause par le refus public de négocier.
Il vous appartient maintenant, Madame ou Monsieur le président, d’éclairer l’opinion, les syndicats, les salariés, les chômeurs et retraités sur vos intentions.
Autorisez-moi, Madame ou Monsieur le président, à vous rappeler les dossiers :
– Relance de la consommation par une augmentation complémentaire du Smic et par l’ouverture des négociations au niveau professionnel pour réviser les minimas conventionnels, pour tenir compte des augmentations du minimum interprofessionnel. Ces négociations sont nécessaires pour rétablir un minimum de hiérarchie professionnelle et améliorer les salaires réels, de plus en plus de salariés étant payés aux minima, ce que confirme, si besoin est, l’enquête effectuée par l’INSEE sur la réalité des salaires.
– Encouragement au départ de l’entreprise par l’adaptation temporaire de l’ARPE (allocation de remplacement pour l’emploi) pour les salariés ayant commencé à travailler à quatorze et quinze ans et qui auraient d’ores et déjà quarante ans de cotisations sociales.
La mise en application de cette disposition qui, selon nos études, pourrait concerner 150 000 postes de travail (c’est-à-dire 150 000 départs et embauches en contrepartie), serait facilitée par un intervention financière de l’État qui, dans un premier temps, a été fixée de manière arbitraire et insuffisante. Nous allons d’ailleurs reformuler nos demandes lors de la réunion du 12 décembre 1997 sur l’ARPE.
– La réduction de la durée du travail, par le passage aux 35 heures hebdomadaires de la durée légale à l’an 2000.
C’est sur cette notion que votre prédécesseur a rompu le dialogue.
Avant d’en examiner les conséquences, puis-je attirer votre attention sur les sujets induits par la mise en pratique de cette intention ?
Il serait utile d’encadrer la notion d’heures supplémentaires, les statistiques mettant en lumière l’insuffisance de leur suivi et leur aspect de substitution à l’emploi ; cela devrait pouvoir se faire par négociation.
Il serait par ailleurs important de fixer les conditions de travail des salariés à temps partiel, leur proportion croissant de 9 à 15 %, et des pratiques exorbitantes du droit étant constatées. Un texte européen ayant été négocié entre l’UNICE et la CES, il ne devrait pas y avoir de difficultés majeures à son adaptation positive au droit français, adaptation nécessaire compte tenu des insuffisances de ce texte.
L’éventualité de la réduction de la durée du travail conduit à s’interroger sur le décompte du temps de travail pour les cadres, bien souvent forfaité. D’ores et déjà, ceux-ci réclament le retour au pointage. Une tentative de définition contemporaine du statut des cadres s’impose donc.
Quant à la réduction effective de la durée du travail et au maintien du salaire à 39 heures, cela dépendra de nos éventuelles négociations, le Gouvernement n’ayant, pour l’instant, nullement manifesté publiquement l’intention de réduire la durée du travail avec maintien du salaire.
La persistance du patronat dans le refus de négocier conduirait à deux conséquences :
La prise de responsabilité publique de ne pas satisfaire des revendications considérées comme équitables et de bon aloi.
Je pense plus particulièrement aux départs par effet d’âge. Je vous rappelle que j’avais sollicité votre prédécesseur, post 10 octobre, sur cette question et il m’avait répondu négativement bien que cette disposition eût aidé à l’embauche, notamment de jeunes.
Le renvoi de la solution des problèmes à des décisions législatives du Gouvernement.
Madame ou Monsieur le président, la vie sociale en serait fortement affectée, l’action syndicale (qu’elle soit salariée ou patronale) se verrait réduite à peser sur les politiques. Dans ces conditions, la négociation, qui nous conduit parfois à créer le droit, perdrait beaucoup de son autorité et de ses effets, elle confinerait rapidement à l’obsolescence.
D’une certaine façon, c’est notre mode de démocratie qui disparaît. Lors de son accès à la présidence du CNPF, M. Gandois avait déclaré qu’il avait l’intention de se réapproprier le dialogue social, lassé des grand-messes gouvernementales. Je m’en étais félicité et avais repris l’ancienne.
C’est pourquoi, il m’apparaît essentiel que vous puissiez vous prononcer sur cette question.
Bien entendu le dialogue social ne s’exprime pas que dans les négociations, la participation à la gestion des institutions paritaires en est le second pilier. Or, de récentes déclarations patronales pourraient laisser accréditer l’idée que le patronat quitterait, à moyen terme, certaines institutions, anticipant ainsi sur l’éventuelle mise en concurrence de ces régimes.
Nous avions eu l’occasion, il y a quelques mois, de nous en entretenir avec une délégation du CNPF, document d’analyses à l’appui.
Cette question étant d’importance, nous attendons, avec votre élection, une affirmation publique de vos réflexions et intentions.
Madame ou Monsieur le président, j’ai conscience du caractère original de notre intervention, je confirme qu’il ne s’agit aucunement d’une immixtion dans la vie du Conseil national du patronat français. Mais l’importance de ces questions, qui conditionnent pour beaucoup l’avenir du dialogue dans notre pays, méritait un tel traitement.
Je vous prie de croire, Monsieur (Madame) le président (e) en ma considération la plus distinguée.