Interview de M. Jacques Delors, membre associé du bureau national du PS, à France-Inter le 26 juillet 1999, sur le décès de Sa Majesté le roi Hassan II du Maroc, la place du Maroc dans les relations entre l'Europe et les pays méditerranéens.

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Média : France Inter

Texte intégral

GERARD COURCHELLE
Alors nous avons maintenant en ligne Jacques DELORS, l'ancien président de la Commission européenne. Bonjour Monsieur le Président.

JACQUES DELORS
Bonjour.

GERARD COURCHELLE
Le nouveau roi du Maroc a effectué un stage à Bruxelles, à la Commission pour une thèse sur la coopération entre le Maghreb et l'Union, c'était sous votre présidence, quel genre d'homme est-ce ?

JACQUES DELORS
Le roi Hassan II m'avait demandé en août 88 de participer, en quelque sorte, à l'éducation de son fils qui, je vous le rappelle à l'époque n'avait que 25 ans et le nouveau roi a participé à la vie de mon cabinet de novembre 88 à juin 1989 et il a vu comment s'exerçaient tous les métiers que l'on peut imaginer pour un gouvernement ou une administration d'Etat depuis la diplomatie jusqu'à la négociation commerciale, depuis l'aide au développement économique jusqu'aux affaires sociales, etc. Donc il m'a dit avoir bien profité de ce stage et également aussi pour sa thèse. C'était un jeune homme très attachant, très discret, très disponible et qui n'a pas ménagé sa peine pendant ce stage, qui parfois était interrompu parce que son père lui demandait de le remplacer à une visite officielle.

GERARD COURCHELLE
Oui justement, dans quelle mesure son père l'associait-il à l'exercice du pouvoir ?

JACQUES DELORS
Ecoutez, moi je ne suis pas un intime du nouveau roi, je vous dis simplement ce que j'en sais d'après ce stage et aussi les entretiens que nous avons pu avoir après, puisque je le rappelle, il avait gardé un bon souvenir de cette période, bien entendu il était curieux de tout, ce que je peux vous dire, c'est qu'à la fois il connaissait parfaitement la tradition du Maroc, sa spécificité que l'on oublie, trop souvent lorsqu'on parle de ce pays et d'un autre côté qu'il était un jeune homme de son temps, de son époque, épousant la modernité.

GERARD COURCHELLE
Il était curieux de tout, dites-vous, quels étaient ses centres d'intérêts ?

JACQUES DELORS
Ses centres d'intérêts étaient bien entendu à l'époque d'apprendre aussi les métiers de l'administration et de l'Etat, les métiers qui ont trait à ce qu'on pourrait comparer à ce que fait un ministre si vous voulez, mais ses grands centres d'intérêts étaient d'un côté les affaires sociales et de l'autre, comme son père, d'ailleurs, la géopolitique et il savait combien les relations entre l'Union Européenne et le Maroc étaient importantes et tous les efforts qu'il avait su faire pour surmonter l'égoïsme de certains pays membres de l'Union Européenne, ou l'indifférence des autres et puis de l'autre côté, au Maroc peut -être une mauvaise appréciation de ce qu'étaient les problèmes de l'Europe. Bref, tout ça, il l'a pénétré parfaitement, il en a tenu compte dans sa thèse. Pourquoi a t-il choisi le Maghreb à l'époque ? C'est, je vous rappelle qu'à ce moment-là, il était question de faire a l'instar de ce que nous avons fait en Europe, l'Union du Maghreb Arabe avec le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie. Malheureusement ce projet n'a pas pu voir le jour en raison des événements que vous savez en Algérie.

GERARD COURCHELLE
Monsieur le Président, vous avez dit c'était à l'époque où il était à la Commission de Bruxelles, il donnait l'image d'un homme de son temps, on dit beaucoup ça depuis deux ou trois jours du nouveau roi, qu'est-ce que c'est qu'être un homme de son temps et un homme moderne au Maroc aujourd'hui ?

JACQUES DELORS
C'est-à-dire que cela veut dire, mais si vous faisiez une analyse des problèmes du Maroc politiques et économiques, vous auriez la même impression, ce pays a un pied dans ses traditions, dans le monde rural, c'est un pays dans lequel le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel se confondent d'un côté et dans lequel, vous avez vu d'après les évènements d'hier, le roi était considéré comme le chef de famille en plus et puis de l'autre, la jeunesse marocaine apprend, elle va dans les villes, elle est à l'unisson des musiques du monde, des plaisirs du monde. Donc il connaissait les deux. Et je crois que c'est ça qui est important de souligner. Pour des gens plus intimes de lui, ils vous en diront davantage bien sûr.

GERARD COURCHELLE
Quels seront les premiers dossiers auxquels il devra travailler ce nouveau roi pour imprimer sa marque, pour montrer qui il est selon vous ?

JACQUES DELORS
Ecoutez, je pense que le roi Hassan II, auquel, même s'il y a des zones d'ombre, je dois rendre hommage parce que c'est un homme qui a permis au Maroc de rester à un niveau de stabilité, qui a vu plus clair que les autres en ce qui concerne la place d'Israël dans le monde arabe, qui a maintenu de l'Islam une vision modératrice, ouverte aux autres et non une mission intégriste. Je pense que le roi Hassan Il a permis à son pays de connaître l'alternance, il y a un gouvernement socialiste, ce n'est pas simple, je le reconnais, mais il reste aujourd'hui à définir la place du Maroc dans l'ensemble géopolitique que constitue la Méditerranée avec l'Europe d'un côté, l'Afrique et le Moyen-Orient, sa place dans la division internationale du travail, il est très difficile pour ces pays de savoir ce qu'ils peuvent produire et vendre car ils ont besoin d'acheter d'un autre côté, ça c'est pour la réflexion d'ensemble et pour le reste, je pense que le nouveau roi sera très sensible à ce qui a été dit avant par votre correspondant, l'analphabétisme notamment les jeunes filles, la promotion de ces mêmes jeunes filles et des femmes et d'un autre côté, lutter contre le chômage, y compris ce qui a été ces temps derniers un motif de crise sociale, même légère encore, le chômage des jeunes diplômés. Donc tout ça amène le Maroc qui est placé dans une position assez particulière à une réflexion très originale sur sa place, mais cela renvoie aussi aux dirigeants européens qui comme moi je me suis efforcé de le faire, partent toujours avec succès mais parfois avec beaucoup de difficultés. Il faut donner une position privilégiée au Maroc dans cet ensemble qui est notre monde, celui de la Méditerranée et de l'Afrique.

GERARD COURCHELLE.
Merci Jacques DELORS.