Texte intégral
France 2 – vendredi 11 juin 1999
Q - Hier soir vous étiez à Marseille pour un grand meeting et vous avez dit : « nous ne sommes pas moins communistes, nous sommes communistes autrement. » Qu'est-ce ça veut dire ?
– « C'est vrai que ce qui est en train de se passer ·avec la mutation du Parti communiste, avec cette liste "Bouge l'Europe" où il y a 50 % de membres du Parti communiste et la moitié qui n'en sont pas membres. Eh bien, c'est un rapport nouveau à la société. »
Q - Et puis ça peut interpeller aussi au sein même du Parti communiste ?
– « Oui, mais je pense qu'il faut bouger. La société bouge, il faut bouger avec la société, sinon la société bouge sans nous. Il y a cette démarche nouvelle, en rapport avec la proximité, la réalité citoyenne, en plus un engagement du Parti communiste, foncièrement, pour une construction européenne naturellement différente de celle qui se fait actuellement où la logique de l'argent prédomine. Mais nous sommes vraiment engagés dans cette voie et c'est la voie d'un communisme nouveau. Ça se voit, dans cette campagne, je crois avec force, dans le respect des autres. Cette liste est une liste communiste et du mouvement social. Il y a des personnalités issues du mouvement social qui sont là pour faire passer dans la vie un certain nombre de grandes questions qui sont au coeur des actions de ces associations, de ces syndicats. Donc, ça me semble très important ce rapport à la société. »
Q - Votre Europe idéale, vous la définiriez comment ? Certains se réclament de l'Europe des nations, d'autres d'une Europe fédérale ? Vous, c'est l'Europe sociale avant tout ?
– « Je suis pour une Europe sociale où il y a une union de nations solidaires qui définissent ensemble des choix politiques en mettant le meilleur de chaque nation, de chaque peuple dans le pot commun. C'est vraiment, je crois, une grande force nécessaire, pacifique. Une Europe qui puisse aussi avoir son indépendance par rapport aux autres continents et notamment par rapport aux Etats-Unis. Donc, c'est une Europe différente, une Europe où ce qui prédomine, c'est d'abord le social – c'est-à-dire la priorité à l'emploi, à la personne humaine –, et non cette Europe qui se construit depuis des· années où l'essentiel c'est la rentabilité financière, les profits, les marchés financiers qui dominent avec une Banque centrale européenne indépendante qui n'a pas de compte à rendre aux politiques. Tout ça, il faut vraiment le changer. »
Q - Ce que vous nous dites, ce n'est pas une sorte d'Europe actuelle limitée aux acquêts, comme on dit dans un contrat de mariage ?
– « Non, je crois que c'est une Europe franchement différente, une Europe qui va dynamiser, en fonction des besoins des populations, des peuples, un certain nombre de grands choix. Et le choix décisif c'est le choix du social. On ne peut pas continuer avec une Europe où il y a 18 millions de chômeurs, 50 millions de gens en précarité. Il faut une Europe différente. Surtout que, dans le même temps, il y a des milliards qui vont d'une place financière à l'autre. Et il faudrait bien d'ailleurs taxer ces milliards. Parce que franchement, si déjà on prenait un petit peu de ces milliards qui vont chaque jour d'une place financière à l'autre – c'est-à-dire avec cette fameuse taxe Tobin – eh bien on aurait de quoi financer le social, et l'emploi, la croissance. »
Q - Qu'est-ce qui vous distingue du Parti socialiste, qu'est-ce qui distingue vos deux listes ?
– « Ce qui distingue notre liste de la liste du Parti socialiste, c'est qu'aujourd'hui le Parti socialiste est en situation dominante du point de vue des partis et des chefs de gouvernement dans l'Union européenne. Vous avez vu, F. Hollande a réuni 11 chefs d'Etat et de gouvernement socialistes à Paris, pour faire une politique sociale, mais après le 13 juin, alors qu'ils sont déjà en situation, qu'ils pourraient faire cette politique ! La contradiction qu'il y a actuellement, forte à mon avis, du côté du PS – c'est pour ça qu'il est utile que nous puissions ancrer avec notre liste à gauche précisément en France. et en Europe –, c'est que le PS n'a pas réussi à mettre un terme à l'Europe ultralibérale qui s'est construite depuis des années. »
Q - Vous êtes une sorte de contre-pouvoir à l'intérieur du pouvoir ?
– « Oui, votre formule n'est pas mauvaise. Nous sommes une sorte de relais critique et constructif. Nous ne voulons pas être dans la protestation à l'écart, au-dehors, nous voulons être à l'intérieur. »
Q - Vous faites référence à Laguiller-Krivine ?
– « Vous l'avez noté! Mais nous voulons être efficaces. Laguiller-Krivine, le 14 juin, on sait très bien qu'ils rentreront dans une période d'inefficacité. Alors que nous, nous sommes à l'intérieur des institutions, nous voulons apporter notre critique et nos propositions. Nous avons des propositions pour l'emploi que nous voulons dynamiser. Quelle différence y a-t-il, dites-vous, entre le Parti socialiste et notre liste ? Mais le PS n'a toujours pas touché à ce fameux Pacte de stabilité qui enferme nos budgets nationaux, notamment nos dépenses sociales! Il faut mettre un terme à tout ça. Or, ils sont en situation. Il faut donc bien qu'on les pousse un peu à être plus social. Nous sommes une sorte de plus-value sociale. »
Q - Donc on a compris que la liste « Bouge l'Europe », c'était aussi « Bouge le Parti socialiste. »
– « Oui, et bouge la gauche. »
Q - Les bombardements vont se poursuivre sur la Serbie, tant qu'il n'y aura pas de garantie sur les conditions de contrôle des retraits serbes et des possibilités de retour des réfugiés, c'est normal que les bombardements se poursuivent ?
– « Non, je crois qu'il faut mettre un terme aux bombardements. D'ailleurs, quand on entend parler de ce que va coûter la reconstruction de la Yougoslavie, du Kosovo, à laquelle il faut que l'on contribue fortement – l'Europe va s'engager, doit s'engager –, on voit bien qu'il faut arrêter de détruire. Il faut arrêter d'ailleurs en même temps, de toucher des civils. La sortie de guerre est difficile, mais c'est toujours comme cela, il ne faut pas à mon avis mettre de bâton dans les roues de la mise en oeuvre de l'accord. La force internationale doit comporter les forces de l'OTAN et d'autres forces. Tout ça doit être mis en oeuvre, en tous les cas le plus vite possible. Le gouvernement français et le Président de la République, naturellement, doivent pousser à ce que la révolution de l'ONU soit votée. »
Q - Alors, au début de cette guerre, à ce micro, vous avez dit : « mais cette guerre est une connerie », est-ce qu'à ce moment-là vous n'avez pas craint tout de même de renvoyer le Parti communiste sur de vieilles lignes... comme étant toujours soviétique.
– « Oui, mais en tous les cas, je confirme que cette guerre n'était pas utile. Je pense vraiment qu'il était clair que Milosevic devait être conduit à la table des négociations. Mais j'ai toujours pensé qu'on n'avait pas été au bout à Rambouillet, je le pense encore aujourd'hui. On aurait pu éviter cela, on aurait pu faire autrement. On a bien vu que les Américains voulaient absolument pousser à la roue. D'ailleurs, encore aujourd'hui, je trouve que leur volonté de trouver cette implantation au Sud-Est de l'Europe est significative. Au moment où vous me posiez la question O. Mazerolle, souvenez-vous, tout le monde disait, cela va durer quelques jours et Milosevic viendra, cédera, sera à la table des négociations. On a vu qu'au bout de 70 jours, 72 jours, les choses n'étaient pas ainsi. Il faut maintenant arrêter les bombardements, trouver une issue positive. Je suis satisfait de la situation qui s'engage, mais en même temps inquiet qu'il n'y ait pas de bâton dans les roues. »
Q - Alors la campagne européenne, prenons, l'exemple du poulet à la dioxine, vous dites : il faut limiter les pouvoirs de la Commission mais en réalité, la controverse est entre les différents gouvernements, entre la Belgique, la France et d'autres pays. S'il y avait plus d'Europe, peut-être y aurait-il un meilleur contrôle de la circulation de ces poulets.
– « C'est surtout si l'Europe n'était pas une Europe ultra libérale avec une politique agricole libérale qui donne la priorité au complexe agro-alimentaire que l'on sait, à l'agro-business qui en fait, a contribué à cette poussée productiviste de la rentabilité à outrance et qui fait que les farines animales ont été utilisées dans les conditions que l'on sait. Pourquoi les farines animales ? Parce que pendant toute une période, on a joué la carte des multinationales américaines en important du soja. »
Q - C'est l'Europe ou les différentes nations qui la composent qui sont responsables de cela ?
– « C'est et l'Europe et les différentes nations qui la composent. Ii y a globalement une politique libérale qui est menée en Europe, qu'il faut absolument réorienter. C'est bien d'ailleurs tout le sens de ces élections européennes. On ne va pas continuer comme ça. Par exemple, j'ai demandé à ce qu'il y ait un moratoire total et immédiat sur la fabrication et la distribution des farines animales, d'ailleurs, on a la possibilité de suppléer par des productions végétales. C'est gravissime. On a une libre circulation du capital et en même temps, on a une libre circulation de la contamination. C'est fou cette situation. Vraiment, on va vers quelle situation ? Une sorte de vente à double vitesse où certains pourront acheter des aliments qui ne seront pas mauvais pour leur santé, d'autres pas ? Non, c'est fou. »
Q - Alors, le pacte pour l'emploi : avant le sommet de Cologne européen, vous aviez lancé à destination des Premiers ministres socialistes : aux armes camarades ! Ils ne vous ont pas entendu, parce qu'ils ont refusé tous les objectifs contraignants sur l'emploi.
– « Oui. Et puis, les propositions qui avaient été faites, y compris par D. Strauss-Kahn et M. Aubry, visant à au moins fixer des objectifs au plan de l'emploi, de la formation, ont été balayées. C'est la sensibilité sociale libérale qui l'a largement emporté. »
Q - C'est T. Blair.
– « T. Blair et puis il faut bien le dire, une grande partie des amis de F. Hollande qui étaient là, autour de lui. »
Q - Alors, quelle est l'influence des socialistes dans cette affaire et votre influence auprès des socialistes français ?
– « L'influence auprès des socialistes français en Europe, comme l'influence des forces progressistes en Europe, dépend beaucoup de ce qu'on va être capable de faire avancer en France, le 13 juin prochain. L'ancrage à gauche, la liste que je conduis, peut contribuer à mettre en place – avec la nécessité de bien marquer, d'être plus offensif à gauche –, le moyen de renforcer sensiblement les forces progressistes en Europe, pour les faire bouger à gauche. »
Q - Mais quand L. Jospin arrive au sommet de Cologne et qu'il demande un certain nombre d'objectifs contraignants, les autres disent : on n'en veut pas ; et pourtant, il a déjà tenu le discours. Qu'est-ce que vous voulez qu'il fasse de plus ?
– « Il faut donner plus de moyens à L. Jospin. C'est ce que nous essayons de faire en ancrant mieux à gauche sa majorité plurielle et en ancrant plus à gauche l'Europe. Je crois que c'est ça le sens de la démarche. »
Q - Alors, à partir de quel chiffre cela sera un succès pour vous ? »
– « Tous les instituts de sondages, avec des différences, selon les uns et les autres nous donnent sensiblement au-dessus de notre score de 1994, déjà, 6,8. »
Q - Donc, il faut être au-dessus de 6,8.
– « Nous sommes en moyenne, au niveau de ce que nous avons réalisé, en pleine ascension, à l'élection présidentielle. »
Q - A partir de 6,9, vous dites j'ai gagné ?
– « Je pense que l'on va être sensiblement au-dessus de 6,9. Et de toute façon, le poids qu'aura la liste que je conduis dans ces élections, et en fait l'influence du Parti communiste, va être décisif à ce que l'on mène en France une politique bien plus à gauche. »
Q - C'est l'avenir de la gauche plurielle qui est en cause au travers de ces élections européennes, si vous ne faites pas un bon score ?
– « En tous·les cas son ancrage à gauche. Notre liste va obtenir vraiment un score significatif et cela permettra effectivement cet ancrage à gauche bien nécessaire. Il faut que l'on engage des réformes de structures importantes. »
Q - La participation au Gouvernement, c'est votre place même au Parti communiste qui est en cause ?
– « Vous extrapolez. Ce ne sont pas des élections législatives, on ne va pas refaire la majorité, ni la composition du Gouvernement d'ailleurs. L. Jospin l'a dit. Et puis, en ce qui concerne le Parti communiste, la grande majorité des électeurs communistes est engagée dans une campagne, tambours battants. Je suis très offensif ces derniers jours avec des milliers et des milliers de personnes qui se mobilisent pour gagner. Nous allons avoir un résultat très important, qui va être effectivement un événement pour la gauche plurielle, qui va permettre de pousser la gauche plurielle bien plus à gauche, mais c'est notre vocation. Nous ne voulons, pas brailler à l'extérieur tous les matins en disant que Jospin est un bourgeois, qu'il faut changer etc. »
Q - Ça, c'est Arlette !
– « Je le laisse à Arlette et c'est complètement inefficace et stérile. Par contre moi, à l'intérieur, je porte la révolte, la contestation nécessaire pour une autre politique à gauche. Et en même temps, je suis constructif, je suis positif. On n'empêchera pas cette démarche constructive forte, cela me semble le plus efficace. C'est un vote utile et c'est une politique, à mon avis, et un comportement utiles. »
Q - Ces élections européennes ne posent-elles pas, surtout la question de l'avenir des alliances et des groupes, à droite comme à gauche ? Et n'est-ce pas plutôt une recomposition du paysage politique français qui se prépare ?
A droite, que restera-t-il du lien entre le RPR et Démocratie libérale quand N. Sarkozy, dans sa campagne, ne laisse aucun espace à A. Madelin, et que la rupture d'affiche avec les centristes – hier soir violemment – sur le thème des impôts ? A gauche, qu'en sera-t-il de la hiérarchie de la gauche plurielle quand les Verts, dans les derniers sondages publiés la semaine dernière, étaient crédités d'intentions de vote égales ou supérieures à celles du Parti communiste, lui-même suivi de près par la liste Lutte ouvrière-Ligue communiste révolutionnaire ?
Q - R. Hue, n'est-ce pas plus le paysage politique français qui va bouger, que l'Europe elle-même ?
– « Les deux peuvent bouger ensemble·. De toute façon, il faut faire bouger le paysage politique en France. Regardez, le débat porte actuellement sur l'abstention... »
Q - 50 %, c'est énorme !
– « Donc la question est : quelle représentation politique, quel·rapport entre la politique et la société ? Dans cette élection européenne, nous avons voulu une liste qui soit vraiment en prise avec le mouvement social. Donc cette double parité, qui a un peu surpris au départ, vise à réconcilier la politique avec le mouvement social. Je pense qu'il faut que tous les acteurs du mouvement social – les syndicalistes comme M. Deschamps, D. Cohen, des grands syndicats ; ou des représentants de comités de chômeurs·comme Desanti, comme Malika Zediri ; ou les représentants de la lutte antiraciste comme F. Sylla – puissent participer à la vie politique française, ne pas rester en dehors, et il faut qu'une force politique leur offre cette possibilité. C'est ce qu'a fait le Parti communiste. »
Q - Vous faites le pari de l'ouverture. Votre liste est composée de 50 % de communistes et de 50 % de non-communistes. Est-ce que vous ne vous appuyez pas surtout sur les non-communistes pour réussir ?
– « Il n'y aurait pas cette ouverture s'il n'y avait pas le Parti communiste. Je vois bien qu'il peut parfois y avoir des interrogations et j'y réponds d'emblée. Je pense que pour être un communiste moderne, aujourd'hui, pour apporter une réponse qui ancre à gauche la France et l'Europe avec un Parti communiste qui soit plus influent et plus fort, il faut que ce parti soit complètement ouvert sur la société. Donc en s'ouvrant sur la société, le Parti communiste n'est pas moins communiste, c'est une autre façon d'être communiste aujourd'hui : être communiste non pas en étant d'accord avec soi et replié sur soi-même, mais en accord avec la Société. Et le problème qui est posé au Parti communiste est posé à toutes les formations politiques : est-ce qu'on va rester longtemps à imaginer que c'est au niveau d'états-majors, avec des programmes politiques où l'on est sûr de tout, où l'on vient avec une suffisance devant les électeurs... ? Il faut participer d'une construction avec d'autres. Je fais effectivement le pari d'un mouvement social qui investisse aussi le terrain politique. Et aujourd'hui, c'est dans cette liste "Bouge l'Europe" qu'il y a cette innovation. »
Q - Cette irruption de la société civile dans le champ politique, singulièrement au Parti communiste, c'est un peu la société civile contre les structures du parti ?
– « Je ne pense pas qu'il·puisse y avoir de structures du parti efficaces si ces structures ne sont pas en symbiose permanente avec le mouvement social. Je crois que l'un nourrit l'autre. Le mouvement social, dans ces élections importantes, ne serait pas présent s'il n'y avait pas cette audace du Parti communiste. Vous dites : « ce pari », cette formule est forte ; c'est un parti qui ose dire : "J'ai le courage de partager la moitié de ma liste avec des gens qui ne sont pas de ma sensibilité directe en tant que force organisée, mais qui participent d'une force démocratique, d'une force sociale importante. Il me semble qu'aujourd'hui, l'enjeu essentiel c'est : est-ce qu'on va réussir à bouger cette Europe qui reste libérale ? Est-ce qu'on va réussir, en France, à faire bouger le Gouvernement qui, à mon avis, reste trop sous pression libérale. On l'a bien vu à Cologne. Cela veut donc dire qu'il faut bien qu'il y ait un parti politique qui, dans le Gouvernement – pas à l'extérieur, pas en étant complètement inutile, stérile –, va faire bouger les choses. C'est cela notre objectif avec le mouvement social. »
Q - Est-ce que vous allez plus interpeller le Gouvernement ? Qu'est-ce que fait la social-démocratie avec l'économie de marché ?
– « Pour le moment, la social-démocratie est dominante au niveau des gouvernements en Europe. Or qu'est-ce qui se met en place ? Ce n'est pas une société qui va vers davantage de progrès social et de gauche, c'est une société libérale qui continue d'exercer sa pression. A Cologne, on a refusé les mesures de gauche. En France, on peut être une force dynamique au niveau de la gauche en Europe, mais à condition d'être déjà plus fort, plus nettement à gauche en France même! Quand je vois un certain nombre de mesures qui sont actuellement prises et qui ne vont pas dans le sens de la gauche, qui ne me semble pas participer d'une rupture avec la politique libérale, je pousse ! Et plus il y aura de votes, dimanche, qui se porteront sur cette liste que j'ai·l'honneur de conduire, plus on ancrera à gauche ce gouvernement. »
Q - Est-ce que vous poussez assez fort ? Ce qu'on appelle la "gauche rouge" pousse beaucoup plus fort que vous ?
– « Vous posez le problème de la protestation et de l'efficacité. Moi, je veux protester à l'intérieur, en étant efficace. Je sais ce que c'est que protester à l'extérieur, je sais ce que c'est que protester: en marge, je sais ce que c'est qu'être inefficace dans l'intervention. Le 14 au matin, qu'est-ce qui restera de l'extrême gauche, des discours antigouvernementaux qui mettent Jospin sur le même plan que Juppé – ce qui n'est pas la réalité, les Français savent bien que ce n'est pas la même chose ? Il ne restera rien, car après, ça sera inefficace. Moi je veux continuer à être efficace. Je veux être protestataire, je ne freinerai pas ma révolte contre les mesures quand elles me sembleront d'influence libérale. Je combats, de ce point de vue, y compris les mesures gouvernementales lorsqu'elles ne vont pas dans le sens de la gauche. Mais ensuite, je souhaite être efficace. Et c'est ce que je fais à l'intérieur. ».
Q - Votre efficacité, c'est aussi la hiérarchie que vous occupez au sein de la gauche plurielle. C'est serré, les Verts vous talonnent !
– « Je sais qu'on est tenu par les secrets sur les sondages, donc je ne dis rien. Mais vous savez qu'il faut regarder les sondages avec prudence. Les derniers sondages de dimanche ont été démentis pas des sondages d'hier qui montrent que cette différence que vous évoquiez n'est pas celle qu'on a hiérarchisé dans les sondages de dimanche. Je n'en dis pas plus. Le Parti communiste était à 6, 8 % en 94. De toute façon, déjà, le résultat va être sensiblement au-dessus. Les derniers éléments que j'ai me montrent qu'on est déjà au-dessus de la présidentielle où nous avions progressé, où j'étais candidat. Je crois que nous allons avoir un résultat significatif qui va nous permettre d'être plus forts à l'intérieur de la majorité et du Gouvernement. Ce qui ne va pas remettre en cause l'équilibre à gauche. Nous ne sommes pas dans une élection législative qui va redistribuer les cartes au Gouvernement. »
Q - Est-ce qu'on va vers un Parti communiste transfiguré ? Vous êtes à huit mois du XXXe Congrès du parti. Si vous réussissez cette ouverture, s'il y a une irruption de la société civile, cela change pas mal de choses, y compris dans ce que vous êtes et dans votre histoire ?
– « Le Parti communiste a fait le pari d'une mutation profonde de sa démarche. Il change ses pratiques, il doit changer un certain nombre de ses comportements, ses méthodes. Tout cela, il le fait, il le prouve en actes devant les Français. Eh bien le Parti communiste va continuer d'être un parti qui va contribuer à ce changement, à cette mutation, et agréger avec lui une grande force qui est en train de se constituer avec des hommes et des femmes qui, il y a un temps, ont peut-être été au Parti communiste, ou qui ne l'ont pas été, qui ont hésité, mais qui sont devenus une force progressiste, démocratique, communiste et qui veulent participer de ce mouvement avec un Parti communiste moteur de cette démarche. Voilà, oui, il y a quelque chose qui est en train de bouger, de fort et de nouveau avec le Parti communiste ! »
Q - C'est votre épiderme qui parle ?
– « C'est mon épiderme, parce que je suis fais de chair et de sang et que je vis une campagne électorale avec passion. Mais en même temps, je crois que cela correspond profondément à ce qui est en train de se passer dans la mentalité de la sensibilité communiste en France, c'est évident. »
Q - Les Serbes ont donc signé hier soir, ils ont accepté les conditions militaires des alliés soutenus par les Russes. Alors franchement, les yeux dans les yeux, est-ce qu'au bout du compte – puisque l'affaire semble maintenant en voie de résolution – les bombardements que vous avez critiqués depuis le début n'ont pas été utiles, voire indispensables à la signature ?
– « D'abord franchement, dans les yeux, je suis heureux de la défaite de Milosevic. Je trouve qu'on ne le dit pas assez. En même temps, vous avez raison de le rappeler, j'ai toujours dit que je souhaitais la voie politique – et c'est ce qui s'est passé –, mais j'ai toujours pensé, et je continue de penser, qu'on n'aurait pu éviter les bombardements. Je crois effectivement qu'on n'a pas été au bout de Rambouillet. Pendant toute une période – au début notamment – on disait qu'en huit jours on allait régler avec les bombardements... on a contribué à renforcer sensiblement, à ce moment-là Milosevic, et il y a eu amplification parce que l'épuration ethnique – naturellement, c'est terrible ! – était engagée depuis des années. Mais il reste qu'on a renforcé le pouvoir de Milosevic. »
Q - Ce n'est pas l'usage de la force qui l'a fait plier ?
– « Non, je ne crois pas. Regardez le résultat des accords ! Ils sont, certes, très contraignants – et je m'en félicite, je le répète, parce que ce dictateur, c'est bien qu'on ait pu réduire son influence – mais incontestablement, restera dans l'opinion que les. Américains ont quand même poussé à la roue pour des raisons qui sont géostratégiques les concernant : sur la nécessité de faire valoir la force de l'Otan, avec une dominante américaine. Dans l'immédiat, je suis heureux, heureux, très heureux, que maintenant on évoque l'arrêt des bombardements puisque c'est sine qua non à l'accord. C'est une très bonne chose. »
Q - Un mot sur le manifeste signé conjointement par T. Blair et O. Schröder : maîtrise des dépenses publiques, moins d'Etat et baisse des impôts sur les entreprises. Est-ce que ce n'est pas une mauvaise nouvelle pour M Jospin, le Premier ministre, pour l'ensemble du Gouvernement, et finalement pour l'ensemble de la majorité plurielle à laquelle vous appartenez ?
– « En tous les cas, pour L. Jospin ce n'est pas une bonne nouvelle. C'est un coup de frein qui peut être donné si on n'est pas assez influent – notamment à ceux qui préconisent l'ancrage à gauche –, un coup de frein au mouvement favorable à l'Europe sociale. Tout le monde a parlé d'Europe sociale au niveau des dirigeants sociaux démocrates européens... »
Q - C'est même un thème de campagne !
– « Sauf qu'aujourd'hui tout ce qui est avancé par T. Blair et G. Schröder – que ce soit en matière de flexibilité, de mise en cause des acquis sociaux, de mise en cause de la sécurité sociale – sont des éléments libéraux. Et ça c'est grave effectivement, et ça peut être un coup porté à la gauche plurielle. L. Jospin a dit hier son originalité. L'originalité de la France – et je crois que c'était pour tous ceux qui connaissent notre situation politique, française, quelque chose de significatif –, c'est que les communistes sont dans la gauche plurielle. Il est évident que l'ancrage à gauche de la gauche plurielle, cette garantie... »
Q - Vous voulez dire par là que si Jospin n'a pas signé le manifeste c'est à cause de vous, du Parti communiste ?
– « Je pense que l'influence du Parti communiste dans la gauche plurielle est significative, elle est forte, c'est une garantie d'empêcher le glissement libéral. Il y a des pressions énormes du patronat, des marchés financiers. Ça se sent dans toute une série de dispositions parfois du gouvernement de la France. Vous m'avez entendu sur cette antenne dire qu'il ne fallait pas céder à la pression libérale, et quelquefois la tendance est à céder. C'est vrai que c'est un mauvais coup pour le Parti socialiste à trois, quatre jours du scrutin. Mais, en même temps, à l'occasion de ce scrutin, les Français peuvent exprimer leur volonté que ce qu'il y a profondément à gauche dans la -majorité plurielle. A savoir que le Parti communiste, le mouvement social qu'on représente avec cette liste inédite, peut effectivement aider L. Jospin à rester dans cet ancrage à gauche. Ça me semble important. »
Q - Vous savez bien que, parmi les électeurs de gauche – dont certains s'expriment par l'intermédiaire d'A. Laguiller – certains d'entre eux regrettent que votre influence ne soit pas suffisante au sein du Gouvernement. Ils trouvent que vous êtes un peu pusillanime.
– « Ecoutez, là, c'est une formidable démonstration du contraire. Tout le monde s'accorde à reconnaître qu'aujourd'hui ce qui fait que en France on n'est pas sur la position de Schröder et de Blair, c'est bien qu'il y a un Parti communiste. J'ai fait un débat il y a trois jours sur les antennes de télévision. Sarkozy disait : "mon modèle, c'est Blair" ; il reprochait aux socialistes de ne pas être comme Blair. Et l'autre pendant de ce qu'il disait, c'est : "c'est quand même dommage qu'on ait ce Parti communiste". C'est donc bien la démonstration qui est faite de notre utilité. Vous n'entendrez jamais les dirigeants de droite critiquer Mme Laguiller. Ils critiquent Robert Hue. Ils critiquent le Parti communiste. Ils savent que c'est là le danger. Le danger ce n'est pas de brailler tous les matins et de dire : "ce soir on va faire la Révolution" et ne jamais la faire. Le danger, pour la droite, pour le libéralisme, c'est effectivement un Parti communiste qui est au sein de la gauche plurielle. Et s'il pèse plus fort – et je pense qu'il pèsera plus fort lundi prochain – ça sera, à l'intérieur des institutions, du Gouvernement, le moyen de faire reculer la pression libérale qui va être forte. »
Q - Est-ce que L. Jospin a bien fait d'inviter T. Blair et Schröder à Paris ? Est-ce que ce n'était pas une mauvaise idée? Est-ce que ce n'est pas une erreur politique ?
– « Ce n'est pas moi qui ai été à l'origine de cette invitation, vous le savez bien ! Ce que je pense, c'est que la contradiction apparaît de façon flagrante, dans l'opinion publique française, entre une sorte de grand rassemblement des sociaux-démocrates à Paris où tout le monde dit : "on est tous d'accord pour l'Europe sociale", et puis en même temps qu'ils le disaient, en même temps que T. Blair disait : "Europe sociale", "Europe sociale", il écrivait le manifeste, avec G, Schröder, qui est une pression libérale sur l'Europe. Ça montre bien que l'originalité de la France – et c'est formidable la gauche plurielle de ce point de vue, parce que dans la gauche plurielle le mot le plus fort c'est "plurielle"… »
Q - Oui, mais c'est la France seule contre tous, sur quinze, vous savez bien qu'elle ne pourra pas...
– « Je l'ai dit à L. Jospin, je l'ai dit à Hollande : il faut avoir le courage de nous en prendre à la logique libérale. Ce n'est pas encore suffisamment fait. Et si nous savons nous en prendre à la logique libérale, la France montrera une logique forte, progressiste. Le général de Gaulle... »
Q - Si elle n'est pas battue, si elle n'est pas battue, si elle n'est pas battue !
– « Le général de Gaulle, dans d'autres périodes a été isolé en Europe, parce qu'il avait une ligne, il la tenait. La gauche doit tenir cette ligne forte à gauche face au libéralisme et à la pression libérale qui s'exerce y compris maintenant à travers Schröder et Blair. »
Q - Le 14 juin au matin, est-ce que le Parti communiste à l'intérieur du Gouvernement et dans la majorité sera plus offensif que dans la période qui vient de s'écouler ?
– « Ecoutez, il a déjà été très offensif. Il a marqué sa différence, y compris dans des causes aussi lourdes que la guerre. »
Q - Et à l'avenir, et à l'avenir.
– « A l'avenir, le Parti communiste va plus encore être en situation de dire : "on ne peut pas continuer une politique qui ne prenne pas en compte les grands problèmes de l'emploi" :·En fait, ce Gouvernement fait quelques efforts pour quelques milliers d'emplois-jeunes, mais en même temps, il y a ces milliers de licenciements annoncés chez Elf, IBM. Donc on va être là pour être la plus-value sociale de la gauche plurielle. »
Q - Dimanche, les électeurs auront dans les yeux les premières images de l'entrée des troupes alliées dans un Kosovo inconnu. Est-ce qu'à votre avis, cela va inciter à voter davantage« oui» à l'Europe?
– « Je ne sais pas, parce que je ne suis pas sûr que l'Europe ait convaincu les Françaises et les Français et les Européens de sa capacité d'intervention propre, indépendante... »
Q - Sur le plan militaire, sur le plan diplomatique, elle a fait beaucoup ! Y compris la France !
– « Oui, la France a fait beaucoup – Rambouillet a été énorme – mais, ensuite, la France a continué sur cette ligne. Incontestablement, je suis très très satisfait de deux choses. Un, de cet accord ; deux, que Milosevic ait été défait – parce qu'il est défait – mais, en même temps... »
Q - Même s'il dit le contraire à son peuple ! Au milieu des ruines, il continue à dire qu'il a gagné la guerre.
– « Il ment, tous les jours, Milosevic a menti et il continuera de mentir. De toute façon, ce n'est pas ça la question… »
Q - Vous avez été d'accord quand il a été inculpé par le Tribunal international. Est-ce qu'il faut le juger ? Est-ce qu'il faudra tourner la page et oublier ?
– « Non, non. Les crimes doivent être jugés. Ce qui a été fait dans ce pays, ce qui a été fait avant les bombardements, ce qui s'est accéléré après, du fait aussi des bombardements – parce qu'il a utilisé cette période – sont des crimes qui devront : être jugés. Ça ne fait pas l'ombre d'un doute. »
Q - Est-ce que vous vous souvenez de ce que vous disiez deux jours après les premières frappes à l'Assemblée Nationale ? Vous disiez : « ce n'est pas en ajoutant la guerre à la guerre qu'on créera les conditions de la paix. » C'est ce qui a eu lieu. Est-ce que, dans cette époque de vérité, vous pourriez admettre que vous vous êtes trompé ?
– « Ecoutez, il faut toujours admettre qu'on s'est trompé quand on s'est trompé. Aujourd'hui, je persiste et je signe. Je pense, effectivement, que cette guerre pouvait être évitée, je pense qu'on pouvait aller à une issue politique dans le prolongement de Rambouillet, qu'on n'a pas été au bout, que les Américains nous ont forcé la main. Je continue de le penser. Vous voyez, autant je suis d'une grande sévérité par rapport à Milosevic – ça ne fait pas l'ombre d'un doute –, autant je reste persuadé que ces bombardements ont détruit et ont mis trente ans en arrière la Yougoslavie. Ça n'a pas mis en cause Milosevic. »
Q - Je vous entends dire ça depuis le début...
– « Oui, mais je ne change pas. »
Q - Oui, mais peut-être que vous faites une erreur – je ne sais pas –, je me permets de le dire. Pour cela, il fallait que Milosevic accepte. Or on voit bien que, même bombardé pendant trois mois, il continue à faire croire, avec un culot monstre et des mensonges énormes, qu'il a gagné et qu'il a résisté alors qu'il a fait souffrir son peuple.
– « Mais on ne découvre pas Milosevic ce matin. C'est un dictateur, c'est un dictateur ! Mais il reste qu'aujourd'hui, quand on voit la solution politique qui a été trouvée, elle est assez proche de ce qui pouvait être trouvé au moment où... »
Q - Mais après les bombardements, pas sans les bombardements, malheureusement !
– « Sauf que les Américains ont écarté l'ONU, ils ont mis en dehors les Russes, ils ont vraiment créé les conditions. Il y avait une démonstration de domination à faire : elle est faite. Je suis surpris et un peu choqué que l'une des phrases de B. Clinton, hier soir, c'est de dire : « L'Amérique a gagné. » Mais ce n'est pas du tout l'esprit de ce que j'ai entendu, d'ailleurs dans la bouche du Président Chirac hier. Donc, autant je suis satisfait de cette issue politique et du recul de Milosevic, en même temps, ne fermons pas les yeux sur une réalité : il faut que l'Europe soit indépendante par rapport aux Américains. »
Q - Il faut réclamer une force européenne d'action rapide ?
– « Pas d'action rapide. Il faut réfléchir à une force européenne. Un des éléments importants que le Parti communiste a évoqué durant cette guerre, c'est l'idée qu'on puisse ne pas s'appuyer sur l'Otan, et prendre notre indépendance implique une coordination des moyens de défense au niveau européen. »
Q - Vous avez beaucoup évolué depuis le début, quand même ?
– « Oui ! »
Q - Vous avez été contre la guerre au début, vous avez été solidaire du Gouvernement. J'ai envie de vous demander : quel goût ça a les…
– « Non, j'ai été contre la guerre d'un bout à l'autre. Et je pense encore qu'on a fait une erreur. On a détruit beaucoup de choses, on a contribué tout un temps à, renforcer Milosevic dans sa purification ethnique. L'histoire tranchera, mais je suis certain que vu la façon dont les choses se sont passées, on aurait pu faire les choses différemment. Aujourd'hui... »
Q - S'il n'y avait pas eu ni la résistance ni l'entêtement de Milosevic. Vous parlez comme s'il n'existait pas.
– « Bien sûr qu'il existe, bien sûr ! Mais il est toujours là justement, comme S. Hussein ! »
Q - Il faut le pousser vers la porte ?
– « Je ne pleurerai pas le jour où il sera écarté définitivement du pouvoir. »
Q - Les années alliées·vont s'installer au Kosovo. Si ça dure longtemps et si, ça coûte cher, est-ce que les Français restent et paient ? Est-ce qu'ils ont le choix ?
– « Mais les Français doivent participer à la reconstruction, c'est évident Et d'ailleurs, c'était imaginé avant cette guerre. Si la crise dans cette région du monde s'aggrave, c'est les intégrismes, les nationalismes qui se renforceront. Donc, il faut aider. »
Q - Pour une fois, vous êtes d'accord avec B. Clinton parce qu'il dit : « l'Amérique a financé la guerre. Pour la reconstruction, l'Europe paiera.»
– « B. Clinton a. contribué à beaucoup détruire, mais, aujourd'hui, il y a un devoir de la France et de l'Europe dans la reconstruction dans ce pays et, notamment, dans l'ouverture d'une véritable conférence sur les Balkans. »
Q - La rumeur sur les élections européennes, c'est que la liste Hue ferait un score médiocre. Vous consultez régulièrement les oracles, vous les auscultez, vous discutez avec les augures? Qu'est-ce que vous prévoyez, vous qui êtes coincé entre les Verts et l'extrême gauche active?
– « Moi, je ne suis pas coincé du tout, vous savez, et dans la vie et en politique. Aujourd'hui, d'abord, il y a ces enquêtes d'opinion que vous connaissez, qui datent de la fin de semaine. C'est d'ailleurs un petit jeu curieux parce que tout le monde connaît d'autres enquêtes d'opinion depuis quelques jours qui tombent – hier encore – et qui ne donnent pas tout à fait le même résultat. Mais ne spéculons pas là-dessus. La loi est la loi : on n'a pas à rendre publiques les enquêtes d'opinion. Je pense que, dans la mobilisation qui est en train de s'opérer·des forces de gauche et de l'électorat communiste, il y a cette idée que – notamment depuis que nous avons vu, à trois jours de l'élection le manifeste de T. Blair et G. Schröder qui disent en gros : « il faut une ligne libérale en Europe » – l'ancrage à gauche en France, l'ancrage à gauche dans le Gouvernement, c'était déjà notre ligne, et aujourd'hui, elle est encore plus forte. Plus il y aura de voix pour la liste du mouvement social et du Parti communiste, plus on ancrera à gauche. C'est bien nécessaire. On le voit aujourd'hui. »
Q - Est-ce qu'il y a un score-seuil à partir duquel les ministres communistes s'en vont ?
– « Non, ça ne se pose pas en ces termes. D'ailleurs, je suis très confiant sur le résultat. Vous verrez que ça pourrait appeler peut-être à avoir un renforcement du Parti communiste plutôt qu'un... »
Q - Si vous faites plus de 8,5/9 %, vous demanderez à L. Jospin un ministre de plus, deux ministres, des secrétaires d'Etat...
– « Ne nous trompons pas d'élections. Nous ne sommes pas dans les élections législatives. Mais vous me poussez, là, habilement, à dire un certain nombre de choses. Je l'ai dit : je pense qu'il faut une influence plus forte du Parti communiste et du mouvement social. C'est nécessaire à la gauche française. On le voit bien, il y a un coup bas qui a été porté à L. Jospin et à la gauche plurielle par T. Blair et G. Schröder. Il faut relever le défi, eh bien relevons le défi ! Donnons un signal à ce centrisme – parce qu'il faut l'appeler par son nom –, ils appellent à une démarche centriste... »
Q - Vous parlez comme on parlait autrefois quand on était communiste orthodoxe, alors que vous voulez la mutation : les centristes, vous les montrez du doigt...
– « Mais ce n'est pas moi qui le dis. Vous êtes curieux ! c'est Blair qui dit lui-même : « il faut une démarche centriste.» Il l'a même dit à Paris, il s'est fait siffler. »
Q - Mais sans une part du centre, on n'arrive jamais ou à l'Elysée ou à Matignon ?
– « On y arrive avec les communistes. Il faut faire un choix. »
Q - Dans le texte, il est dit que« l'ennemi numéro un, aujourd'hui, c'est le dogmatisme ». Est-ce qu'il ne faut pas rejeter – comme le disent d'ailleurs Blair et Schröder – dans le monde d'aujourd'hui, les camisoles de force idéologiques?
– « Mais la camisole de force la plus lourde, la plus pesante, ce sont les marchés financiers qui font qu'on fait des milliards de profits et qu'on licencie les hommes et les femmes dans ce pays. La camisole, c'est ça ! C'est que l'argent écrase tout. Il faut donc inverser l'orientation de l'argent la mettre au service du progrès social. »
Q - Il y aura beaucoup de changements dans le PC après et au début des années 2000 si ça marche pour vous ?
– « Il y a déjà eu beaucoup de changements et le Parti communiste va poursuivre sa mutation, j'en suis certain. »
Q - Une image est donnée : le PC est victime du syndrome Hamlet : il veut pas, il ne veut pas ; il est toujours au milieu du gué.
– « Non, non, il veut complètement. Il n'y a pas d'ambiguïté dans mon propos. Tout notre entretien atteste d'une démarche sans ambiguïté. Il y a un sens dans ma démarche, c'est le sens du progrès social et d'un communisme qui renoue avec un humanisme fort. »
Q - Et là, on chante la Marseillaise ou l'Internationale ?
– « Ecoutez, les deux sont agréables, mais, en tous les cas, « Le temps des cerises »
Q - Contre l'abstentionnisme, qu'est-ce que vous dites avec R. Hanin ?
– « Il a une formule forte. Il dit : « on ferme sa gueule si on ne vote pas ». Moi, je dis : « si vous voulez peser fortement à gauche, eh bien votez pour la liste « Bouge l'Europe.» Je suis certain que ça va être très important dans la prochaine période. »
Q - Vous jouez gros ?
– « Oui. »