Interview de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, à France 2, le 1er septembre 1999, sur la crise de la production des fruits et légumes, les manifestations des agriculteurs pour demander la libération de M. José Bové, sur les sanctions américaines contre certains produits agricoles français suite à l'embargo sur le boeuf aux hormones, la fusion de deux grandes enseignes de la distribution : Promodès et Carrefour.

Prononcé le 1er septembre 1999

Intervenant(s) : 

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Q - Nous allons parler de la situation de l'agriculture, des manifestations, notamment dans le secteur des fruits et légumes, qui ont eu lieu au cours de ces derniers jours puisqu'un certain nombre de manifestations, dans 12 villes de France, ont eu lieu hier pour demander la libération de J. Bové, qui est fondateur de la Confédération paysanne, l'autre grand syndicat agricole français. Et cette nuit, il y a eu 15 tonnes de fruits et légumes déposées à Château-Renard, qui est un des grands marchés d'intérêt national français. Cette colère des agriculteurs s'intensifie à partir de la crise des fruits et légumes, mais surtout avec l'incarcération de ce leader syndicaliste emblématique, J. Bové.

- « Ce sont deux problèmes qui sont distincts et qui se cumulent dans la perception que l'on a du domaine agricole en ce moment. Il y a d'une part cette crise des fruits et légumes, qui est une crise hélas très récurrente, puisqu'on la retrouve tous les ans et devant laquelle j'aurais tendance à dire que notre principale responsabilité, à nous responsables politiques ou syndicaux, est de faire en sorte qu'on ne la retrouve pas en l'an 2000, en 2001, en 2002. C'est-à-dire qu'on ne fasse pas seulement un traitement conjoncturel, mais qu'on engage ce secteur dans une réforme plus structurelle. »

Q - Ça veut dire quoi ? Qu'on va réformer par exemple, y compris au niveau de l'organisation européenne, parce que ça ne dépend pas de la France, ça dépend de l'Europe.

- « Ça veut dire qu'il y a, à la fois, des problèmes conjoncturels à traiter, nous allons le faire – comme chaque année – ; qu'il y a probablement des problèmes de surproduction dans certains secteurs, mais pas seulement ; qu'il y a en tout cas des problèmes de baisse de cours et de difficultés pour un certain nombre de producteurs qu'il faut aider ; qu'il y a ensuite des rapports entre ce secteur de la production et la distribution, en particulier la grande distribution, sur laquelle nous avons commencé à travailler, cet été, avec cette affaire de double étiquetage. Mais faut poursuivre une réflexion qu'il faut mener plus loin encore. Ce que nous allons faire avec ma collègue Mme Lebranchu. Il y a une réforme de ce secteur des fruits et légumes à mettre en oeuvre, en France, pour que l'organisation collective des producteurs soit plus forte, qu'il n'y ait pas des petits producteurs qui soient comme ça, isolés, face à une concurrence déloyale et face à une grande distribution qui, elle-même, écrase tout sur son passage. Et puis, il y a la réforme mener au niveau européen de cette organisation commune de marché pour laquelle la France, avec l'Italie, l'Espagne, a déposé un mémorandum. Donc il faut agir sur tous ces terrains-là. Ça, c'est le problème des fruits et légumes qui doit, je le répète, nous occuper pour que ça revienne pas encore l'année prochaine et qu'on se dise, une fois de plus : "Il faut faire un chèque de fin de campagne pour aider les producteurs en difficulté." Il faut surtout faire en sorte que ça ne se reproduise plus. »

Q - Alors J. Bové, de la Confédération paysanne a eu l'initiative d'une action violente contre un McDonald's. C'est un peu la réponse du berger à la bergère, puisque c'était les producteurs de Roquefort qui voulaient protester contre la consommation américaine ou, en tout cas, contre un emblème, contre une enseigne américaine, puisque les Américains, eux-mêmes, ont pris des mesures de sanction contre certains produits agricoles français. C'est compliqué, mais voilà la situation : aujourd'hui, il est incarcéré. J.-P. Chevènement dit : « Attention, les agriculteurs n'allez pas trop loin ! » Du côté des Verts, on dit : « On est plutôt solidaire des actions de la Confédération paysanne. » Que dit le ministre de l'agriculture ?

- « Le ministre de l'agriculture dit un peu les deux choses. Sans vouloir être Normand dans cette affaire, il dit : moi je comprends et je partage la colère des agriculteurs – et il n'y a pas que les agriculteurs qui soient en colère dans cette affaire-là – contre les Américains qui ont pris ces mesures de chantage, de prises en otages de certains secteurs de la production contre ces mesures de rétorsion commerciale, contre le foie gras de notre Sud-Ouest, contre le Roquefort, contre d'autres produits européens, tout ça pour imposer leur boeuf aux hormones. Les Européens tiennent bon, ils ne veulent pas du boeuf aux hormones américain, car nous considérons que c'est dangereux, pour la santé des consommateurs. Alors, devant ces rétorsions commerciales il y a cette colère. Je la partage. J'ai vu encore, il y a quelques jours, le ministre américain de l'agriculture, je lui ai dit qu'il y a une colère européenne et française contre ces mesures de rétorsion. Que l'on exprime sa colère, ça ne me gêne pas, mais je ne suis pas là pour défendre telle marque ou telle marque de diffusion de hamburgers. Mais, en même temps, notre responsabilité c'est de dire : "Exprimez votre colère, manifestez tant que vous voulez !" Mais je préfère des manifestations pacifiques, comme celles qu'on a vues hier soir, ou on organise des barbecues devant des magasins McDonald's, pour montrer qu'il y a de la bonne viande française et que nous sommes dans un autre modèle de consommation, que les manifestations violentes. Parce que, quand ces manifestations dégénèrent dans la violence, à ce moment-là, elles perdent leur légitimité. Et puis il y a les suites judiciaires, sur lesquelles le Gouvernement ne peut rien. »

Q - Vous ne vous prononcerez pas sur votre souhait personnel en ce qui concerne l'avenir de J. Bové ?

- « Mais je déplore qu'il soit en prison mais, en même temps, je remarque qu'il y a des faits qui ont eu lieu un saccage dans un magasin, une plainte déposée par le gérant de ce magasin et, ensuite, partir de cette plainte, une action judiciaire qui se poursuit, sur laquelle le Gouvernement n'a pas son mot à dire. La justice est indépendante et il faut que la agriculteurs comprennent que l'opinion et la justice tolèrent de moins en moins ces violences. Alors qu'ils manifestent en restant dans les limites du droit. »

Q - La fusion Promodès-Carrefour, deux grandes enseignes de la distribution, vous les avez reçus hier...

- « Ils ont demandé à me voir, je les ai reçus, pour m'expliquer leur  projet, ce que j'ai écouté avec attention. Je leur ai dit ce que tout le monde, j'imagine de bon sens, leur aurait dit. C'est-à-dire : "Ça c'est votre problème, la fusion ce n'est pas... "Là encore, le Gouvernement n'a pas à dire, oui ou non, "fusionnez !" à deux entreprises privées. Mais ce que je voulais leur dire c'est que, justement, dans ces problèmes actuels de rapports entre la grande distribution et les producteurs, notamment les producteurs agricoles et, en particulier ceux de fruits et légumes, je ne souhaite: pas et je ne veux pas que cette fusion, pour faire un mégagroupe, impose un rapport de forces encore plus défavorable aux producteurs. Je leur ai demandé; dans cette fusion, de m'aider à obtenir une transparence dans les bonnes pratiques de la distribution. En tout cas nous allons poursuivre ce dialogue avec eux. »