Interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à RTL le 14 octobre 1997 repris dans "L'hebdo des socialistes" du 17, sur la décision d'abaissement de la durée légale hebdomadaire du travail à 35 heures et l'annonce de la démission de Jean Gandois de la présidence du CNPF.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence nationale sur l¿emploi, les salaires et le temps de travail à Paris le 10 octobre 1997. Démission de Jean Gandois de la présidence du CNPF le 13

Média : Emission L'Invité de RTL - L'Hebdo des socialistes - RTL

Texte intégral

RTL : mardi 14 octobre 1997

O. MAZEROLLE : Vous avez été l’un des principaux rédacteurs du programme économique du PS. Le Gouvernement parlait de concertation. J. Gandois s’en va, est-ce l’échec de la méthode du Gouvernement ?

P. MOSCOVICI : Sûrement pas. Moi, je regrette le départ de J. Gandois qui était un grand patron énergique et qui avait le sens du dialogue. Je ne veux pas commenter ce qu’il se passe au CNPF mais je voudrais émettre un souhait : c’est que la négociation se poursuivre. Car quand on fait une grande réforme comme le passage aux 35 heures, quand on agit pour l’emploi, on n’a pas besoin de faire la guerre, on a besoin d’interlocuteurs, on a besoin de dialogue. Et je nourris aussi une petite inquiétude, peut-être : J. Gandois a dit : je m’en vais, au fond, parce qu’on n’a plus besoin de négociateurs, on a besoin de tueurs. Ce vocabulaire-là n’est pas celui qui convient en ce moment. Il faut négocier, il faut poursuivre le dialogue social. La mesure qu’a prise le Gouvernement est une mesure de dialogue, c’est une mesure de progrès et je crains qu’il y ait une sorte de durcissement d’une fraction du patronat. Ce n’est pas cela dont on a besoin. Le Gouvernement n’agit pas de façon idéologique ou dogmatique. Il agit dans le sens de l’intérêt général et je souhaite que nous trouvions toujours des interlocuteurs du côté du patronat, car on ne peut pas bâtir une économie moderne, une société moderne contre les patrons.

O. MAZEROLLE : Mais tout de même, J. Gandois et le CNPF vous avaient avertis : s’il y a une loi-cadre et une date butoir, nous ne pourrons pas continuer.

P. MOSCOVICI : Vous savez, dans cette affaire, personne n’a été berné, personne n’a été surpris. Vous rappeliez que j’étais l’un des rédacteurs du programme économique du PS. Il a été finalement élaboré, il y a entre un an et six mois, et nous avons toujours fait de cette question des 35 heures une question fondamentale parce que c’est une question de société, pour l’emploi, pour le temps libre des individus et également pour le dialogue social. Et on en a vraiment besoin dans ce pays. C’était un des thèmes de la campagne de L. Jospin, c’était un des thèmes de son discours de politique générale, c’était dans le programme du PS. Comment s’étonner que ce parti, aujourd’hui au gouvernement, applique ce programme, qu’il agisse dans le sens des intérêts du monde du travail ? Et donc, il n’y a pas de surprise et il y a aussi beaucoup de souplesse dans cette affaire. Car quand on dit : loi-cadre – d’ailleurs L. Jospin ne dit pas loi-cadre, il dit loi d’orientation et d’impulsion – en fait, on impulse une négociation et on se donne rendez-vous au 1er janvier 2000, et au 1er janvier 2000, pour passer à l’heure légale qui n’est pas l’heure effective. Donc, on met en place des incitations et on va négocier. C’est cela que signifie la loi d’impulsion.

O. MAZEROLLE : Cela avait évolué concernant les privatisations partielles, concernant l’immigration et certains sont convaincus que, précisément, les 35 heures étaient devenues l’objet sur lequel le Gouvernement ne pouvait plus reculer sinon ses troupes de gauche le considéreraient comme étant discrédité.

P. MOSCOVICI : Encore une fois, il n’y a pas eu d’approche idéologique ou dogmatique. Nous ne sommes pas des notaires, nous ne sommes pas en train de mettre en face de telle ou telle case : cela c’est fait, là il y a reniement, là on bouge.

O. MAZEROLLE : Ce n’est pas une décision politique, les 35 heures ?

P. MOSCOVICI : C’est une décision politique, c’est surtout une grande décision sociale – c’est là-dessus que j’insiste – et c’est une décision pour l’emploi. Revenons-y quand même une seconde : dans cette affaire-là, il n’y a pas un couperet. La date butoir ne signifie pas, tout d’un coup, que toutes les entreprises passent à 35 heures effectives. Qu’est-ce qu’on fait ? On dit : on va négocier pendant deux ans – ce qui est quand même une durée honorable –, deuxièmement, l’État met en place des incitations financières calculées. De quoi s’agit-il ? Prenez une entreprise qui a 50 salariés. On y travaille 39 heures. On passe à 35 heures, c’est-à-dire qu’on réduit le temps de travail de 10 %. Cette entreprise se verra donner 9 000 francs par salarié. Cela fait 450 000 francs. Si elle crée trois emplois, cela veut dire qu’on en finance presque deux. Donc, il y a quand même un élément d’incitation financière à la création d’emplois. C’est cela qui est quelque chose d’absolument majeur. Cela ne concerne pas les petites entreprises de moins de 10 salariés. On sait que, pour elles, il y a des difficultés d’organisation. Qu’est-ce qui se passe au 1er janvier 2000 ? On fait le point en fonction de la situation économique et on voit, entreprise par entreprise, comment c’est appliqué et, en plus, comment, à partir de ce moment-là, on réglemente les heures supplémentaires. Et progressivement, on passe à 35 heures durée effective. Tout cela, en créant des emplois. Franchement, ce n’est pas une mesure idéologique.

O. MAZEROLLE : Tout de même, les craintes du patronat avaient trouvé un écho au sein même du Gouvernement quelques jours avant cette Conférence. Dans Libération, D. Strauss-Kahn, ministre de l’Economie et des Finances, disait que tout est ouvert et qu’il faut voir cela plus en économiste qu’en politique. Or, vous disiez tout à l’heure que c’était une décision politique.

P. MOSCOVICI : J’ai dit : c’est une décision politique, c’est une décision économique, c’est une décision sociale et moi, je n’oppose pas les uns aux autres dans cette histoire-là car certains disaient loi-cadre, d’autres disaient loi-balai, c’est-à-dire la loi qui vient après. Mais on a les deux. On a une loi d’impulsion et d’orientation à l’origine, parce que l’État prend ses responsabilités. Il dit aux partenaires sociaux : je vous demande de négocier, voilà ce que je mets sur la table et voilà ce vers quoi on va. Mais au 1er janvier 2000, on fera le bilan de tout cela et on prendra une autre loi d’application. Donc, il y a bien ce mouvement, finalement, en trois temps : la loi qui donne le cap, la négociation qui donne le sens et une autre loi qui vient organiser le mouvement.

O. MAZEROLLE : Est-ce que tout de même, en fixant une date pour la loi, le Gouvernement n’a pas pris le risque de provoquer un engrenage, c’est-à-dire d’un côté le patronat qui fait ce qu’il dit et qui veut quitter la discussion sociale et puis les syndicats qui commencent à s’inquiéter. L. Viannet dit : il va falloir mobiliser. C’est-à-dire finalement, un affrontement ?

R. – « Non, l’optique du Gouvernement n’est pas une optique de lutte des classes et, je souhaite très honnêtement, quelles que soient les péripéties de ce qui peut se passer au CNPF – qui reste une grande organisation –, que le patronat reste à la table des négociations, qu’il reste dans les organes de concertation, qu’on reste dans un pays où il y a, à tous les échelons, du dialogue social. Ce que nous voulons, c’est l’intérêt général. L’intérêt général du pays, c’est deux closes et L. Jospin dit : c’est faire une politique qui donne la priorité à l’emploi avec l’euro. Nous voulons à la fois créer des emplois et mener une politique qui favorise la compétition, qui favorise la coopération et, par exemple, on en parlait tout à l’heure, ce qui a été fait dans le cadre du regroupement d’un pôle européen de défense et d’électronique autour de Thomson, c’est quelque chose de fondamental. Nous voulons les deux. Nous n’avons pas d’approche dogmatique, nous ne sommes pas en guerre, nous sommes en train de rechercher un nouveau modèle français, un nouveau modèle européen.

O. MAZEROLLE : Avant la Conférence, certains patrons disaient : si c’est comme cela, on va aller établir nos entreprises aux frontières de la France, au sein de l’Europe, et puis on vendra nos produits en France puisque le marché commun nous donne la possibilité de le faire.

P. MOSCOVICI : J’ai même entendu certains patrons – M. Gandois, tiens justement ! – à la sortie de Matignon, de la Conférence salariale, dire qu’on ne pourrait pas faire l’euro avec les 35 heures. Moi, je ne crois pas du tout. Vous savez, il y a une petite contradiction. On nous dit beaucoup : l’emploi, ce n’est pas une affaire européenne, c’est une affaire nationale. Moi, j’observe que, dans beaucoup de pays, on a réduit la durée du temps de travail, on l’a fait dans des conditions particulières, aux Pays-Bas, au Danemark on veut le faire en Italie, beaucoup d’entreprises l’ont fait en Allemagne. Je crois que, dès lors qu’on ne touche pas à la compétitivité des entreprises et nous ne touchons pas à la compétitivité des entreprises, alors la mobilité reste la règle de l’économie. C’est une économie de marché dans laquelle nous vivons et l’Europe n’est pas le libéralisme, l’Europe n’est pas la dérégularisation, l’Europe n’est pas uniquement la flexibilité. L’Europe, c’est un espace où l’on crée des emplois.

O. MAZEROLLE : Le Gouvernement peut faire un geste pour recoller les morceaux ?

P. MOSCOVICI : Je crois que, quand même, il s’agit d’une affaire qui concerne une organisation patronale. Le Gouvernement, lui, a mis sur la table des éléments pour négocier. M. Gandois est encore là jusqu’au 16 décembre, je crois qu’il faut que les esprits se calment et qu’on revienne à la table de la négociation, car ce n’est que comme cela qu’on pourra faire progresser la cause de l’emploi et celle de l’entreprise.