Texte intégral
Q - Si on vous dit : « Oral de rattrapage pour L. Jospin », vous répondez ?
- « Ça c'est votre langage médiatique, parce que vous considérez que l'émission télévisée d'il y a deux semaines a besoin d'un rattrapage… »
Q - Tout le monde a été déçu !
- « Je crois surtout que ce que qui est vrai c'est que L. Jospin, à travers son discours de La Rochelle, le séminaire gouvernemental du mois de septembre, avait commencé à théoriser sur l'idée de deuxième étape. C'est vrai que ce Gouvernement représente une particularité – comme le disait A. Duhamel, à l'instant – c'est qu'on n'a ni besoin de faire une pause, ni besoin de faire une parenthèse, ni besoin de voir la récréation sifflée du fait que les cohabitations, jusqu'à présent, duraient deux ans. C'est la première fois depuis très très longtemps qu'un gouvernement est assuré de la durée sur cinq ans. Et non seulement il est assuré de la durée mais en plus il peut continuer son travail de réforme, d'où l'idée de deuxième étape. Deuxième étape, cela veut dire : “On continue notre travail.” Sans doute, dans cette émission de télévision, pour des raisons liées au déroulement de l'interview elle-même, il n'a pas pu donner un contenu à cette deuxième étape, et c'est cela qui a déçu. »
Q - Il avait des mesures à annoncer ?
- « Je pense qu'il a des projets et des idées… »
Q - Et L. Jospin oublie comme ça les mesures à annoncer, en cours de route !
- « Il ne les oublie pas, il n'a pas été en mesure de les révéler ce soir-là. Il va le faire maintenant, tranquillement. »
Q - Cela devient urgent, pour lui, d'en annoncer ?
- « Il n'y a pas urgence au demeurant. Il ne faut pas croire non plus que la situation politique fasse qu'il ait le couteau sous la gorge et que s'il ne révélait pas des projets nouveaux, les choses iraient moins bien. Non, la réalité c'est que c'est la rentrée politique. Il est devant le groupe le plus important de la majorité et il est normal qu'il dise à ce groupe quel travail il compte lui proposer pour les mois qui viennent. »
Q - Qu'est-ce qui est le plus dangereux pour lui : de se voir accuser d'attentisme en vue de la présidentielle ou de voir imploser la gauche plurielle ?
- « Je pense que l'un serait lié à l'autre. L. Jospin sait qu'il est là pour cinq ans avec son gouvernement et sa majorité. Qu'est-ce qui serait dangereux pour lui ? Ce serait, justement, de marquer une pause et d'être obsédé par des échéances électorales. Il doit faire le travail que les Français lui ont confié et ce n'est que s'il continue ce travail de réforme qu'il arrivera justement à souder sa majorité autour de lui, autour d'une dynamique de réforme. S'il s'arrête en chemin, alors les choses deviennent plus difficiles et avec sa majorité et avec les Français. Je pense que les choses sont liées. »
Q - Les critiques peuvent ne pas le conduire à aller plus à gauche qu'il ne l'aurait souhaité au départ ?
- « Le problème n'est pas d'être plus à gauche, il est d'être sur une ligne politique avec un équilibre. Il y a des gens qui le trouvent trop à gauche, il y en a qui ne le trouvent pas assez à gauche. Lui, il suit son chemin de manière équilibrée. Il ne faut varier de cap, surtout ! »
Q - L'agriculture : chaque semaine, on voit arriver des violences agricoles qui sont condamnées. En même temps, vous, comme d'autres d'ailleurs, vous manifestez votre compréhension envers les difficultés agricoles. Qu'est-ce qui n'avance pas assez vite dans la discussion entre producteurs et distributeurs ?
- « Cette discussion n'avance pas assez vite parce qu'elle a tardé à se mettre en place. Ce point particulier entre producteurs et grande distribution n'est qu'un des aspects de la crise agricole – il y en a malheureusement beaucoup d'autres –, c'est une sorte de dialogue de sourds, de confrontation, d'affrontements parfois violents, qui durent depuis trop longtemps. Avec ce Gouvernement, avec ma collègue M. Lebranchu, ministre du Commerce, nous avons entrepris de jouer notre rôle de médiateur – que l'Etat soit médiateur –, mettre les gens en présence, les forcer à dialoguer, les forcer à trouver une sorte de contrat de partenariat. Et, au besoin, les forcer par la loi si c'est nécessaire. Ce travail a été entrepris, il y a maintenant une dizaine de jours, il va durer pendant plusieurs mois. Je suis plutôt confiant, parce que les producteurs agricoles et les distributeurs, petits ou grands, ont besoin les uns des autres. Donc, ils n'ont pas d'autre choix que de nouer ses liens de partenariat et j'ai bon espoir que nous allons y arriver. »
Q - Le rôle de l'Etat dans ce domaine c'est, vous dites, : « Médiateur et éventuellement forcer par la loi. » Mais, il y a une date butoir, il y a des délais ?
- « Oui, il y a une date butoir, puisque le Premier ministre a fixé un programme de travail qui s'étend sur plusieurs mois et qui se terminera par des assises ou des états généraux de la grande distribution à la fin du mois de mars de l'an 2000. C'est-à-dire, grosso modo dans six ou huit mois. Donc, nous avons le devoir de préparer ces états généraux et de donner un contenu aux réformes que nous voulons mettre en place. Certains des acteurs nous disent qu'il faut modifier la loi, d'autres non. Ce sont des choses que l'on va auditer dans ces tables rondes. »
Q - Les agriculteurs en France se plaignent de la concurrence européenne. Ils disent : « Nous avons des charges sociales trop élevées par rapport à certains autres pays comme l'Italie, l'Espagne ou la Grèce. Et puis, en plus, nous avons affaire à une administration française qui est très précise, très tatillonne, qui nous force à appliquer les réglementations en vigueur, ce qui n'est sans doute pas le cas des pays voisins. »
- « Les agriculteurs français se plaignent de l'Europe, mais ils en profitent aussi beaucoup. Ils en profitent même énormément. C'est grâce à la Politique agricole commune que la France est devenue la première puissance agricole d'Europe et la deuxième du monde. Donc, les agriculteurs peuvent se plaindre de l'Europe, mais ils peuvent aussi avoir la lucidité de reconnaître que c'est grâce à l'Europe qu'ils sont devenus ce qu'ils sont. N'oublions pas que l'Europe déverse sur l'agriculture française presque 35 milliards de francs d'aides publiques chaque année dont bénéficient directement les agriculteurs français. Donc, ils peuvent s'en plaindre – il y a sûrement des améliorations à apporter –, mais il est vrai que, quand on met en place ce système d'aides publiques, c'est la responsabilité de l'Etat de contrôler l'utilisation de ces aides et d'être rigoureux. »
Q - Vous croyez que c'est fait suffisamment à côté ?
- « C'est fait plus rigoureusement qu'on ne le croit parce que l'Europe y veuille et qu'elle exige cela de tous les gouvernements européens. On voit toujours les problèmes dans les pays voisins et on ne voit pas la poutre qui est devant notre oeil. »
Q - À la fin du mois de novembre, il va y avoir des discussions très importantes sur le commerce mondial. Est-ce que, dans ces discussion – où l'Europe sera représentée par la Commission européenne et non par chaque gouvernement – la France et les gouvernements européens vont donner un chèque en blanc à la Commission ?
- « Pas du tout. L'Europe sera représentée dans des domaines qui seront de sa compétence. En particulier dans l'agriculture, parce que l'agriculture est la politique européenne la plus intégrée. Dans ces domaines-là – qui sont de la compétence de l'Europe – c'est l'Europe qui parlera d'une seule voix. En l'occurrence, elle parlera par la voix d'un Français, le nouveau commissaire aux Relations internationales, P. Lamy. Et je peux vous dire que, pour les agriculteurs français, d'avoir, là, un commissaire européen, j'ajoute socialiste-français plutôt qu'un conservateur britannique, ça change la donne ! »
Q - Il aura un mandat précis ?
- « Il aura un mandat précis puisque depuis les accords de Berlin la Commission et l'Union européenne travaillent sur ce mandat. Nous avons déjà, dans le domaine de l'agriculture, un Conseil européen en Finlande, exclusivement consacré à cela. Nous allons reparler ce soir à Bruxelles, puisque nous avons un Conseil de l'agriculture cet après-midi sur le sujet. Je peux vous dire que ce mandat sera très précis. Je suis assez confiant parce que l'Europe se prépare d'une manière très solidaire, et en plus on voit bien qu'il y a une cohérence des gouvernements européens. Je pense que la négociation à l'Organisation mondiale du commerce sera très dure, très longue, avec une confrontation sans doute très forte avec les Etats-Unis, mais l'Europe y sera cohérente et donc y sera assez forte. »