Texte intégral
Pour la ratification des accords de Maastricht
Il s'agit de jeter les bases d'une Europe qui construit sa force et sa cohésion sur la complémentarité et la solidarité des États membres.
Le bureau national de la CFDT s'est clairement prononcé pour la ratification des accords de Maastricht. Cette ratification est nécessaire pour faire franchir à l'Europe une nouvelle étape, en particulier sur le plan social.
La CFDT ne donnera aucune consigne de vote, estimant que cela ne relève pas de la responsabilité d'une organisation syndicale. Cette position concrétise les décisions prises au congrès de Strasbourg dans la résolution "Orientations" qui indique clairement : "cela traduit notre conception de l'autonomie qui est d'être ni neutre ni partisane. Cette conception conduit la CFDT, lorsque les intérêts des salariés sont en jeu, à exprimer ses positions, à faire avancer les débats publics et à donner son opinion sur les propositions politiques".
Le débat qui s'est engagé autour de la ratification des accords de Maastricht oscille souvent entre deux extrêmes. D'un côté, il y a les euro-euphoriques qui parlent de l'Europe comme d'un nouvel "Eldorado". L'Europe serait Merlin l'Enchanteur qui, avec sa baguette magique, apporterait les solutions aux problèmes du chômage, de l'exclusion et de la pauvreté et nous dispenserait des efforts à fournir dans chacun des pays ; c'est l'Europe "fuite en avant". D'un autre côté, on trouve les euro-pessimistes. Pour eux, l'Europe se sera des difficultés supplémentaires, c'est-à-dire plus de chômage, plus de pauvreté et de marginalisation. L'Europe serait l'enfer et, pour l'éviter, il faudrait se réfugier dans le repli nationaliste.
Le traité de Maastricht peut renforcer la Communauté et lui permettre de franchir une nouvelle étape. Il ouvre, en effet, des perspectives en matière d'union économique avec une monnaie unique, il rend possible une politique sociale et reconnaît (c'est une première) l'importance et la nécessité d'un espace conclu le 30 octobre 1991 par les partenaires sociaux européens. Enfin, le traité permet de développer des possibilités d'action dans les domaines de la santé, de la culture, de l'éducation et de la consommation.
Bien sûr, sur de nombreux points, le traité n'apporte pas de réponses immédiates. Il ouvre des espaces d'intervention et d'action aux instances communautaires, aux États membres et aux acteurs sociaux. Le traité de Maastricht est une porte ouverte. Il s'agit de savoir si nous serons assez nombreux pour donner vie à ce Traité et jeter les bases d'une Europe qui construit sa force et sa cohésion sur la complémentarité et la solidarité des États membres.
Chacun est devant ses responsabilités. Les politiques, le patronat mais aussi le mouvement syndical. La CFDT se prononce pour la ratification des accords de Maastricht. C'est parce que nous voulons une Europe qui comble ses insuffisances sociales et démographiques qu'il nous faut agir pour faire émerger l'espace contractuel européen. L'Europe sera tout simplement ce que nous en ferons.
Jean Kaspar, secrétaire général
27 août 1992
RTL
P. Caloni : Vous appelez à voter oui, ou c'est plus subtil ?
J. Kaspar : Non, c'est un problème de responsabilité d'une organisation syndicale qui n'a pas à donner des consignes de vote ; cela appartient aux partis. Par contre, la responsabilité d'une organisation syndicale, c'est d'éclairer les salariés, les citoyens sur les grands enjeux que constituent un certain nombre de débats politiques. Il est évident que Maastricht est un enjeu important.
P. Caloni : Donc pas de consigne de vote, mais dans vos explications, c'est voter oui ?
J. Kaspar : Non, dans nos explications c'est que nous avons intérêt en tant que salariés, que le Traité soit ratifié, car nous pensons que la construction de l'Europe…
P. Caloni : Qu'est-ce qu'il y a de bien dans ce Traité ?
J. Kaspar : Deux choses fondamentales : le traité de Maastricht a décidé que sur un certain nombre de questions, la Commission européenne pourra traiter de ces questions à la règle de la majorité qualifiée et non plus à l'unanimité. Aujourd'hui sur les problèmes des conditions de travail, de l'égalité entre les hommes et les femmes, la santé, elle peut prendre des directives pour améliorer la situation des salariés. Alors que jusqu'à présent, avec la règle de l'unanimité, un seul pays, l'Angleterre par exemple, pouvait exercer un veto. Et deuxième chose importante : le traité permet aujourd'hui la reconnaissance d'un espace contractuel européen, de façon à progresser par la négociation collective pour réaliser un certain nombre de progrès. Bien sûr le traité ne répond pas à toutes les questions, n'apporte pas de réponse précise. Mais c'est aux acteurs, organisations syndicales et patronats de créer les conditions de négociations contractuelles pour donner un contenu à cet espace contractuel.
P. Caloni : Mais certains disent qu'il n'y a pas assez de social.
J. Kaspar : C'est aux acteurs sociaux de donner ce contenu. Cet accord est le premier qui reconnaît que le social est un élément constitutif de la construction européenne. Ce qui comptait jusqu'à présent, c'était les aspects économiques, monétaires et financiers. Mais nous devons nous battre pour donner un contenu à cette Europe sociale.
P. Caloni : Y a-t-il beaucoup de points communs entre les salariés des différents pays constitutifs de l'Europe ?
J. Kaspar : Il y a des points communs importants. Imaginez-vous qu'un seul pays soit capable aujourd'hui de faire face à la domination économique des États-unis ou du Japon ? Ceux qui essaient de faire croire qu'un pays seul peut faire face, trompent l'opinion publique. Je suis effaré quand j'entends qu'on peut être Européen mais contre le traité de Maastricht, j'ai l'impression que c'est de l'imposture. Si on est européen, on essaye de construire progressivement le contenu de ce que doit être l'Europe demain, et le traité de Maastricht permet une étape dans cette évolution. Il ne faut pas donner à ce traité plus d'importance, qu'il n'en a. Mais il faut lui donner toute son importance.
P. Caloni : Vous n'êtes pas inquiet en voyant les sondages ?
J. Kaspar : Si, mais il est important que ceux qui s'expriment pour la ratification du traité essayent de montrer quels sont les arguments. Quand j'entends la CGT dire, que le traité de Maastricht, ça va être le travail des enfants, la fin de la protection sociale, alors qu'il dit que sur cette question, ce sont les États qui restent responsables et qu'on ne peut rien changer au niveau européen; bientôt la CGT va dire qu'il va falloir travailler jusqu'à 90 ans. On se moque du monde. Le problème du fond aujourd'hui, est d'essayer de voir en quoi le traité peut être une étape et comment les acteurs vont essayer de créer les conditions d'une Europe sociale. Si on est sûr de notre identité, on n'a pas peur de participer à cet effort avec les onze autres pays.
P. Caloni : Mais il reste qu'à la fin de l'année, on aura probablement dépassé les 3 millions de chômeurs.
J. Kaspar : Ça dépend des uns et des autres. Nous allons montrer qu'il est possible aujourd'hui de créer les conditions d'une amélioration, à la condition que le patronat comprenne…
P. Caloni : C'est pas la méthode Coué ?
J. Kaspar : Non, par exemple, quand dans le BTP, les organisations syndicales et le patronat signent un accord visant à mettre en retraite à mi-temps 1 000 salariés et en contrepartie embaucher 2 500 jeunes en demandant aux anciens d'être des tuteurs, on va dans le bon sens. Quand dans une entreprise, les salariés acceptent de renoncer à une partie de leur augmentation de salaires pour embaucher 30 jeunes sans qualification, voilà un bel acte de solidarité. Il est possible à la condition que le patronat accepte de prendre ses responsabilités pour élargir le champ de la négociation et discuter.
P. Caloni : La reprise, c'est pas pour demain ?
J. Kaspar : Ceux qui essayent de faire croire qu'on va régler les problèmes de l'emploi par la croissance, se trompent de diagnostic. On le voit aux États-Unis, au Japon. Il faut un engagement des entreprises au niveau concret pour essayer d'apporter quelques réponses.