Texte intégral
M. FIELD. – Dans un instant, Michel Rocard est l’invité de Public. L’ancien Premier ministre, l’ancien Premier secrétaire du Parti socialiste commentera l’actualité de la semaine, la tension grandissante en Irak et puis, évidemment, l’actualité du jour avec la mort de Georges Marchais, l’ancien dirigeant du Parti communiste français.
C’est dans un instant : c’est Public avec Michel Rocard comme invité.
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M. FIELD. – Bonsoir à tous et à toutes. Merci de nous rejoindre.
Michel Rocard, merci d’être l’invité de Public, ancien Premier ministre, ancien Premier secrétaire du Parti socialiste. J’ai évidemment l’intention de vous demander le regard que vous portez sur la politique gouvernementale des socialistes aujourd’hui.
Nous évoquerons évidemment l’actualité à partir de l’Edito, une actualité internationale, l’Algérie, l’Irak, le sommet de la francophonie. Mais d’abord, la première partie de l’émission est évidemment modifiée en fonction de l’actualité et de la mort, ce matin, de Georges Marchais, l’ancien secrétaire général du Parti communiste français.
J’avais envie déjà de vous demander, à vous, une première réaction, à celui qui a été à la fois votre partenaire et votre adversaire, et quelquefois les deux à la fois.
M. ROCARD. – La première réaction est bien sûr d’émotion. Je voudrais dire à sa femme, à ses amis, à ses enfants, que je comprends qu’ils aient pu souhaiter un peu de silence et de recueillement aussi. C’était une figure Georges Marchais… Je l’ai bien connu, moi, puisqu’avant de revenir chez moi, c’est-à-dire de rentrer au PS, j’étais chef de parti, j’ai eu à négocier en tête-à-tête avec lui, beaucoup. Je le connaissais bien, c’était une force de la nature, et j’avais un peu d’affection.
M. FIELD. – Il vous a pourtant peu ménagé, politiquement ?
M. ROCARD. – Oui, c’est assez réciproque, on n’avait pas de raison…
Que vous-dire ? Ce décès clôt une période, d’une certaine façon, et je suis aussi sensible à l’émotion de Robert Hue, pare que Robert Hue, lui, sait ce qui se passe. Le projet communiste n’a plus de sens et nous sommes en train déjà, en Italie, en Belgique un peu, en Suède même, en Espagne, au Brésil, au Chili, en France, de gérer les séquelles historiques de traditions qui ont été différentes, d’expériences qui ont été différentes, d’analyses qui parfois restent différentes dans la même perspective.
Comment faire une société plus solidaire dans une économie de marché, puisqu’on n’y échappe plus ? Il n’y a plus de nécessité à un communisme qui s’en distingue. Et en fait, il ne s’en distingue que par un peu plus d’exigences dans la revendication et un peu moins d’expérience dans la difficulté de gérer les Etats modernes.
M. FIELD. – Mais Georges Marchais a été un obstacle à cette prise de conscience et à ce qu’on pourrait appeler, ou ce que vous appelleriez, vous, la modernisation de la pensée de Gauche ?
M. ROCARD. – Il a eu une trajectoire étrange, parce qu’il a d’abord été un accélérateur, puis un obstacle. Georges Marchais était de condition ouvrière ; il avait beaucoup lu, beaucoup travaillé, il était très autodidacte. Il n’entrait pas dans les problèmes par la culture, il y entrait par la pratique, par la fidélité, par l’amitié. Il était lié à Waldeck-Rochet.
Et il faut se souvenir que c’est Waldeck-Rochet qui, contredisant 50 ans de tradition communiste, avait décidé d’orienter le Parti communiste français vers l’Union de la gauche, vers un programme d’Union de la gauche. Marchais, qui était à ses côtés et sous ses ordres à ce moment-là, avait suivi ; s’était fait un peu l’héritier de cette volonté qu’il a incontestablement traduite avec énergie et sincérité au début.
Mais assez vite, ce qui devait arriver arriva, parce que c’était bien la moindre des choses : cela a profité davantage au Parti socialiste de France, simplement parce qu’il était plus en concordance avec les exigences de la démocratie. Il ne pouvait pas en être autrement, et le retard historique qu’avait déjà pris le Parti communiste français par rapport à son confrère italien n’a pu être résorbé.
Il faut savoir que le Parti socialiste italien s’est interrogé sur la logique du système depuis les années 50 et que maintenant, c’est le plus grand parti social-démocrate d’Europe. Il est d’ailleurs le parti majoritaire de la coalition gouvernementale en Italie ; c’est une évolution absolument formidable, que tout le monde a oublié. La meilleure force sociale-démocrate d’Europe, une des deux, avec l’allemand et l’anglais sans doute, vient du monde communiste, qui a fait cette évolution.
Donc elle est possible et dans le Parti communiste français elle fut bloquée. Même l’ouverture vers l’Euro-communisme et l’ouverture vers le programme commun, que Marchais a essayé de soutenir, se sont faites d’en haut, sans ouvrir la démocratie et tout en continuant à exclure les opposants. Dans le parti italien, on les faisait taire, mais on les gardait dedans, si bien que quand les circonstances changeaient ou que les thèses devaient être différentes, les opposants réapparaissaient prenaient part aux débats et le parti évoluait.
M. FIELD. – Comme au Parti socialiste, un peu.
M. ROCARD. – Comme au Parti socialiste, mais ce n’est pas parce qu’on est plus flexible, plus malin. Demandez à Monsieur Juppé : il a fallu qu’il paie pour découvrir qu’en effet nous étions mieux adaptés à la situation démocratique contemporaine.
M. FIELD. – Je vous propose de revenir notamment sur le rôle qu’a été celui de Georges Marchais dans ce long processus d’Union de la gauche, dont vous avez été l’un des acteurs. C’est après un petite page de pub. À tout de suite.
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M. FIELD. – Retour sur le plateau de Public avec Michel Rocard. Nous évoquions la disparition de Georges Marchais. Claire Chazal reviendra longuement dans le journal de 20 heures sur cette disparition qui marque évidemment la vie politique française.
J’ai choisi pour ma part un extrait, qui date de 1970 : c’était lors du XIXe congrès du Parti communiste français et Georges Marchais tournait résolument son parti vers ce qui allait être l’aventure du programme commun, avec les conséquences que l’on sait. Regardez.
(XIXe CONGRÈS DU PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS – FÉVRIER 1970)
M. FIELD. – Michel Rocard, cela nous ramène évidemment en arrière, mais vous avez des souvenirs j’imagine assez vivaces, vous qui avez été immédiatement je dirais hostile, ou réservé, réservé diplomatiquement et hostile sur le fond, à ce programme commun que vous avez jugé d’emblée archaïque. On vous prête même une formule : « Un torchon de papier », auriez-vous dit.
M. ROCARD. – Ah non !
M. FIELD. – On vous la prête.
M. ROCARD. – Jamais de la vie.
M. FIELD. – Vous la démentez donc ?
M. ROCARD. – Oui, oui complètement ; c’est même la première fois que j’entends cela.
M. FIELD. – C’est dans un livre, « Au nom de la Rose ».
M. ROCARD. – Au contraire, je trouve que votre appel historique n’est pas très exact. Le communiqué du PSU qui a salué l’événement, c’est moi qui l’ai rédigé, donc je m’en souviens un peu. Et il disait : « C’est un événement considérable, pour des quantités de raisons. Deux sont positives, deux sont négatives ».
Les deux positives, c’était d’abord ce réveil de l’unité et d’une volonté de convergence, parce que les appareils de parti peuvent dire ce qu’ils veulent : une fois un mouvement lancé, cela peut devenir torrentiel, on ne l’endiguera plus, cela produira beaucoup de choses, et toute l’histoire a montré la suite. Le second élément, c’était que le programme commun enregistrait au fond un durcissement à gauche d’un Parti socialiste qui en avait bien besoin. Souvenez-vous comment avait fini Guy Mollet. Il faut voir d’où l’on vient. Donc nous avons salué ces deux événements.
Mais en effet, dans la suite du commentaire, nous soulignions que le programme commun était trop centré sur l’appareil de l’État, nationalisateur donc, et qu’il avait un aspect archaïque, c’est exact, vous avez raison. Mais ce n’est pas le seul élément. Et le bilan au total est assez positif, et d’ailleurs si le PSU de l’époque ne l’a pas signé, je vous dois l’aveu que c’est parce que Marchais ne l’a pas voulu et qu’à cette époque le désaccord ne nous suffisait pas pour choisir de nous mettre en dehors de ce mouvement historique.
M. FIELD. – Vous vous êtes engagé à Gauche très tôt, et en même temps dans cet engagement à Gauche, il y avait une dimension anti-communiste immédiate. Antistalinienne pourrait-on dire, mais anti-communiste.
M. ROCARD. – Oui, disons antistalinienne, c’est un peu la même chose. Naturellement, oui, mais… Enfin, c’est vrai que quand j’ai fait ce choix, c’est-à-dire en 1948-1949, la majorité de la jeunesse intellectuelle de l’époque partait du côté des communistes : nos plus grands cinéastes, nos plus grands romanciers et beaucoup de nos meilleurs intellectuels étaient communistes, et pas mal de scientifiques aussi. Tous les noms viennent. Il y en avait au cœur du parti, comme Aragon ; il n’y en avait pas loin derrière…
M. FIELD. – Et qu’est-ce qui immédiatement vous a donné envie de ne pas être dans cette troupe-là ?
M. ROCARD. – Deux ou trois choses à la fois. La première était le comportement de nos camarades étudiants communistes à Sciences Po : ils étaient déjà sûrs d’eux, dominateurs, insupportables, parfaitement sûrs d’eux, dominateurs, insupportables, parfaitement sûrs d’avoir totalement raison, et donc totalitaires dans leurs pensées. Et c’était perceptible dans des relations d’étudiants.
La seconde chose qui probablement m’a sauvé de tout cela, c’est que j’étais dans une démarche un peu d’hostilité paternelle – mon père est un très grand physicien, mais conservateur – et je sentais bien, moi, qu’après tous les événements que marquait la grande crise, puis la guerre, on avait besoin de chercher des régimes correspondant mieux aux aspirations du peuple, et notamment du petit peuple. J’étais parti pour être de Gauche, mon éducateur protestante a dû jouer aussi là-dedans.
Mais un grand livre sort au milieu de tout cela : c’est Kraftchenko, « J’ai choisi la Liberté ». Le Parti communiste français à l’époque a été capable d’organiser une monstrueuse campagne de dénigrement, accusant d’abord le libre d’être un faux, accusant Kraftchenko de tous les crimes, etc. J’ai trouvé à ce livre un fantastique parfum d’authenticité, il m’a guéri. Et puis Koestler avait déjà produit « Le Zéro et l’infini » ; on savait, on savait pour qui voulait savoir.
Il y a un aveuglement de l’intelligentsia française qui est quand même un problème historique sérieux, de manière rétrospective, mais moi je ne me suis pas laissé emballer.
M. FIELD. – Alors justement, cela a été dans l’actualité de la semaine, puisque vous savez qu’il y a un libre qui est sorti, qui s’appelle « Le Livre noir du Communisme », qui a provoqué de nombreuses polémiques, on va le voir dans un instant. C’est l’objet de la France vue par, notre rubrique d’une télévision étrangère portant son regard sur l’actualité française, et aujourd’hui c’est la télévision de Catalogne qui a rendu compte de l’incident à l’Assemblée nationale française.
La France vue par la Televisio de Catalunya.
JOURNALISTE. – Polémique aux allures de guerre froide à l’Assemblée nationale : un député UDF centriste libéral a demandé au Premier ministre ce qu’il pensait faire pour déterminer les responsabilités de ceux qui ont été les complices des abominations du stalinisme. Cette interpellation s’adresse à l’alliance gouvernementale entre Socialistes et Communistes, à laquelle Lionel Jospin a répondu avec conviction.
M. JOSPIN. – Même s’il n’a pas pris ses distances assez tôt avec les phénomènes du stalinisme, le Parti Communiste a tiré des leçons de son histoire. Il est représenté dans mon gouvernement et j’en suis fier.
JOURNALISTE. – Jospin a refusé d’identifier le Communisme au nazisme. Le résultat : applaudissements et enthousiasme dans les rangs de la majorité de Gauche, et départ de l’hémicycle des députés de l’UDF. Le groupe gaulliste préférera ne pas se rabaisser à cette polémique et ne quittera pas ses sièges.
Pourquoi soulever maintenant au Parlement cette question de ce qu’on appelle Socialisme réel ? La raison, c’est ce livre qui vient de paraître, « Le Livre noir du Communisme », un document historique qui évalue à un minimum de 85 millions de personnes les victimes des régimes communistes. Le livre, plus la présence des ministres communistes dans le gouvernement, a poussé une partie de l’opposition à tenter une opération politique plutôt mal engagée.
Moins d’une semaine après sa publication, ce livre fait d’jà partie des meilleures ventes en librairie. Six auteurs français ont reconstitué minutieusement l’histoire des régimes communistes, de Staline à Pol Pot, de Mao à Caucescu, et les partis qui les ont approuvés. Les conclusions qui en résultent sont plutôt terrifiantes. « Le Livre noir du Communisme » alimente l’intérêt passionnel que les Français semblent aujourd’hui éprouver à l’occasion des événements récents.
M. FIELD. – Michel Rocard, vous disiez à l’instant : « Le Communisme n’a plus de sens, n’a plus aucun sens ».
M. ROCARD. – Le projet communiste, tel que monté par les Staliniens. L’espoir communiste, c’est autre chose, mais cela devient une affaire de vocabulaire. Il y a toujours des raisons, elles sont même de plus en plus graves et de plus en plus sérieuses, d’espérer une société moins injuste. La pauvreté monte à vitesse vertigineuse dans tous nos pays développés. Il y a 20 ans, on la croyait disparue, ou à peu près. Le chômage monte de façon moins vertigineuse, mais tout de même aussi : nous avons 18 millions de chômeurs en Europe, 11 % de nos populations. Il y a matière à s’interroger sur notre équilibre social et cette interrogation, Socialistes et Communistes se la posent, de manière différente certes.
C’est la raison d’ailleurs pour laquelle il est urgent de régler les problèmes de cette histoire et d’organiser une convergence des forces sur des bases réelles, possibles, compatibles avec le monde d’aujourd’hui. C’est pour cela que je n’aime qu’à moitié toute cette polémique. Je n’ai pas lu ce livre encore, je ne sais pas si j’aurai le temps de le lire ; je préfère lire ce qui m’aide à construire l’avenir plutôt que de régler les comptes du passé. Je suis un porteur d’avenir, on va le voir tout à l’heure.
Il est clair, tout le monde le dit, que sa partie historique, statistique, est d’une objectivité scrupuleuse, et qu’on avait besoin de certaines évaluations ; on en connaissant la plupart mais on les avait rarement rassemblées. La partie disons doctrinale semble complètement oubliée. Il s’agit moins d’un projet pervers dès l’intention, à la manière du Nazisme, que de la dégénérescence d’un projet qui se voulait généreux et qui n’a pas collé et que ceux qui y croyaient ont maintenu ensuite par la police, alors que les règles de fonctionnement du système ne marchaient pas. Cela fait une différence tout à fait majeure, et au fond Jospin a raison de le dire : ce n’est pas au nom du passé qu’on est fier d’avoir les Communistes au gouvernement, c’est au nom de ce que l’avenir permet, maintenant que le projet stalinien, ou le projet totalitaire, a disparu d’une part et ne correspond plus à ce qui est possible. Donc tous ces hommes et toutes ces femmes porteurs d’espérance, il faut les rendre utiles à la transformation sociale de la France.
M. FIELD. – Vous êtes porteur d’avenir, on va le voir dans un instant, mais dernier coup d’œil sur le rétroviseur, mais centré sur vous : vous avez évidemment droit à l’exercice de style habituel dans Public. C’est votre portrait, et accrochez-vous quand même…
M. ROCARD. – Ouah, j’ai peur !
M. FIELD. – Vous avez raison…
PORTRAIT
M. FIELD. – Alors ?
M. ROCARD. – Je soupçonne votre commentatrice de me faire juste un tout petit peu plus naïf que je ne le suis. Je n’aurai pas d’autres commentaires.
M. FIELD. – Mais c’est assez spectaculaire, quand même ; même avec la loi du genre, c’est-à-dire le résumé, la personnalisation à outrance des enjeux, il y a quand même ça, il y a quand même une carrière qui semble une succession de rendez-vous manqués ?
M. ROCARD. – Pas seulement, j’en ai aussi réussi pas mal, dites donc… On n’est pas impunément le créateur du RMI, celui de la CSG, celui des contrats de plans, le négociateur de la paix en Nouvelle-Calédonie. Pardonnez-moi, puisque vous me le demandez, mais je suis très fier de ma vie publique et je n’y ai pas que des ratés.
M. FIELD. – Non, mais ces ratés-là…
M. ROCARD. – C’est dommage.
M. FIELD. – … est-ce que vous portez aujourd’hui sur eux un regard amer, un regard ? …
M. ROCARD. – Vous connaissez des gens qui sont contents d’avoir été battus ?
M. FIELD. – Non, mais comment expliquez-vous cette répétition finalement de décalages ? Un de vos proches disait un jour que vous avez maintenu vos candidatures quand il fallait les enlever, que vous les avez enlevées quand il fallait les maintenir, comme une démarche à contretemps. Parce que vous n’étiez pas assez bon stratège ? Parce que vous étiez peut-être plus naïf que d’autres ?
M. ROCARD. – Parce que je n’avais pas le rapport de forces. En attention : les deux candidatures 81 et 88, c’est tout à fait différent. La première est une candidature de combat, que j’ai perdue. La seconde, c’est en souplesse et en sachant que François Mitterrand sortant avait option pour se représenter ; mais comme il ne voulait pas et ne pouvait pas le dire, il fallait bien garder la maison, l’électorat et ne pas laisser la Droite six mois avec une Gauche sans candidat. On a fait ça et l’atterrissage en douceur a été suffisamment réussi pour assurer sa réélection au second tour, et je pense démentir un tout petit peu votre commentaire à l’instant.
Non, ce n’est pas ça le problème. Le problème, c’est que depuis très longtemps, un bon siècle et demi, on a deux polarités dans la Gauche : l’une est étatique, jacobine, facilement protectionniste, et très politicienne ; tout passe par l’État, tout passe par la politique, tout passe par l’électorat, par le commandement politique. L’autre est plus girondine, décentralisatrice, régionaliste et beaucoup plus soucieuse d’une relation forte avec le mouvement syndical, avec les coopératives et d’une transformation du pays par le contrat.
C’est, si vous voulez, Mendès face à Mitterrand, mais c’est aussi Léon Blum face à Paul Fort et c’est surtout Jaurès face à Jules Guesde. Mais il faut rappeler que Jaurès était minoritaire et que la longue tradition des Jaurès, Léon Blum, Pierre Mendès-France, Jacques Delors et moi-même, a toujours été minoritaire dans le Socialisme. Il n’y a pas de surprise. Je ne sais pas comment j’aurais pu être victorieux, mais nous avons fait rudement avancer les idées, au point, car votre commentatrice est admirable, de dire : « Jospin (je ne sais pas comment il prendra ça) devient Premier ministre et rafle la mise avec les idées de Rocard ». Lionel, pardonne-moi, ce n’est pas moi qui l’ai dit, c’est un peu gros.
Mais du point de vue du bilan…
M. FIELD. – Mais cela ne vous déplaît pas comme interprétation ?
M. ROCARD. – Cela me déplairait si c’était faux, mais je ne suis pas tellement sûr que cela soit trop faux, et donc je laisserai à Lionel Jospin le soin d’interpréter.
M. FIELD. – Quel regard portez-vous sur la cohabitation entre Lionel Jospin et Jacques Chirac, qui a l’aire de mieux se passer que l’expérience de cohabitation bizarre que vous avez eue, vous, avec François Mitterrand ?
M. ROCARD. – Beaucoup mieux, oui.
M. FIELD. – Mais c’est paradoxal déjà.
M. ROCARD. – Non, cela confirme simplement qu’il arrive que les institutions sont moins importantes que les hommes. Enfin, les institutions, ça compte ! Ce sont des garde-fous. Mais une fois les institutions en place, les hommes font tout. Et le fait est que ces deux-là, les actuels, Jacques Chirac et Lionel Jospin, ont d’abord comme caractéristique principale de leur personne, une profonde loyauté un souci de tenir la parole par rapport à l’autre, même si les convictions peuvent changer. Il est arrivé à Jacques Chirac de changer de vision de l’avenir de la Droite française au long de sa vie, on l’a vu ! Mais on ne va pas lui en faire grief. Celle qu’il a maintenant nous arrange plutôt, d’ailleurs, puisqu’il facilite la cohabitation. C’est cela la clé. Et cela permet une cohabitation digne avec, en plus – j’espère que les constitutionnalistes s’y mettront – bien sûr, on peut dire que, quand le Président est d’un côté et la majorité parlementaire de l’autre, cela marche cahin-caha, il peut y avoir des heurts de volonté, reste que l’organisation du pouvoir est plus claire quand le Premier ministre est le seul patron et que le Président n’a que les fonctions présidentielles, et non pas celles de diriger l’exécutif que quand il y a à diriger au sommet. Parce que, là, on ne sait plus très bien qui commande. Et tous ceux qui cherchent à arranger des décisions, les syndicats, le patronat, l’administration, les groupes de pression, font des tirs aux billes de l’Élysée contre Matignon ou de Matignon contre l’Élysée…
M. FIELD. – … c’est autobiographique, là ?
M. ROCARD. – Oui, mais pas exclusivement. C’est sur une longue période. On commence à voir cela. La France n’est pas si mal gouvernée en période de cohabitation du moment qu’il n’y a pas de drame sur l’essentiel. S’il y a un drame sur l’essentiel, les institutions ne tiendraient pas sans doute ! Mais en ce moment, il n’y a pas de drame sur l’essentiel. Notre politique étrangère est assez largement bi-partisane. Le souci de réduire la fracture sociale est peut-être plus vif à Gauche qu’à Droite, mais cela ne devrait pas prendre le Président trop à contrepied. Bref, cela ne marche pas mal. Les Français s’en rendent très bien compte.
Les deux, le Président de la République et le Premier ministre, ont de bons sondages.
M. FIELD. – Vous êtes un peu envieux de cette expérience assez inespérée que vit Lionel Jospin quand vous la comparez à la vôtre à Matignon ?
M. ROCARD. – Il a pu choisir ses ministres. Il n’a personne pour lui assaisonner des peaux de banane et il a une majorité parlementaire claire, à son autorité. Ce sont des conditions que je n’avais point. Je n’avais pas de majorité parlementaire. J’étais même probablement minoritaire à l’intérieur du Groupe parlementaire socialiste, et les principaux ministres avaient été choisis nominalement par François Mitterrand. J’ai travaillé dans d’autres conditions, disons.
Alors, on peut être un peu jaloux, mais, moi, je suis surtout content d’autres choses. Je vous rappelais tout à l’heure ces deux polarités de la Gauche française. Celle qui est majoritaire depuis toujours, peut-être à cause de la manière dont on enseigne l’Histoire de notre pays à l’école, mais d’où cela vient tout cela ? Ce n’est pas fatal. La France est le dernier pays d’Europe à avoir introduit de l’économie dans l’enseignement secondaire. C’est formidable !
Aujourd’hui, il n’y a pas un colonel ou un général, il n’y a pas un juge, il n’y a pas un journaliste, il n’y a pas un fonctionnaire qui a appris de l’économie à l’école. Et le grand enseignant de l’économie au peuple de France, depuis 50 ans, c’est la CGT. Cela laisse des rémanences sur la façon de penser l’économie.
Au milieu de tout cela, la légitimité à Gauche se prenait chez cette Gauche plutôt de source un peu étatique.
M. FIELD. – Et ça change ça ?
M. ROCARD. – Justement ! Lionel Jospin l’a montré dès sa campagne présidentielle. Tout le monde a rendu hommage au réalisme et à l’énergie en même temps, parce qu’il était ambitieux, mais tout de même au réalisme et à la rigueur de son programme. Depuis, il travaille avec tout le Parti, mais un immense mouvement est engagé. Et ma grande fierté à moi, c’est d’y avoir beaucoup contribué, c’est tout.
M. FIELD. – Votre attitude par rapport au Congrès de Brest qui se tient la semaine prochaine, c’est un congrès sans surprise et un peu pépère par rapport à un autre congrès breton qui était le Congrès de Rennes, par exemple ?
M. ROCARD. – Oui, justement, il faut réhabiliter la Bretagne.
Cela va être des retrouvailles de la famille socialiste et la joie de découvrir qu’on peut être responsables. Savoir ce qu’est une balance des paiements, équilibrer le budget, respecter les critères de Maastricht, sans pour autant renoncer non seulement aux ambitions de transformation sociale et de progrès social, mais même à leur visibilité. À cet égard, cela va être un très beau congrès.
M. FIELD. – Vous avez le sentiment que le Parti socialiste change sous l’impulsion de Lionel Jospin par rapport, justement, à ce portrait que vous dessiniez à demi-teinte de l’ère Mitterrand ? Les mœurs changent à l’intérieur du Parti socialiste ?
M. ROCARD. – Oui, tout à fait. Mais j’avais envie de sourire parce que, permettez-moi une méchanceté…
M. FIELD. – Volontiers !
M. ROCARD. – … le changement des mentalités et des structures ne peut être que lent. Le meilleur moyen que ça se passe mal, c’est que vous nous le demandiez trop vite. Le changement des attitudes, des mentalités, des procédures, des façons d’être, cela prend des années. Et c’est difficile de faire des flashes ou des scoops avec. C’est difficile de vivre avec la télé, vous savez !
M. FIELD. – Il paraît, oui.
M. ROCARD. – Il paraît ! Je suis heureux de vous le confirmer.
M. FIELD. – On se retrouve avec une page de publicité, indice de cette difficulté.
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M. FIELD. – Retour au plateau de « Public ». Michel Rocard est mon invité.
Nous avons donc longuement évoqué la disparition de Georges Marchais, les rapports des socialistes et des communistes à l’époque de Georges Marchais.
Il y a un certain nombre d’étudiants et de jeunes étudiants, d’ailleurs socialistes, qui sont là et qui voudraient vous poser un certain nombre de questions ou nous faire part de leurs interventions.
Charlotte, vous êtes étudiante en maîtrise d’Histoire et vous avez une question à poser à Michel Rocard.
CHARLOTTE. – Beaucoup de personnes, en ce moment, s’attachent à voir, dans la conférence du 10 octobre dernier sur la réduction du temps de travail et dans le conflit des routiers, une méthode Jospin qui serait particulière, qui serait propre en soi. Les commentaires sur ce sujet sont multiples et variés. On peut les lire partout dans la presse, les entendre à la télé, etc.
Moi, j’aimerais avoir votre avis personnel sur la question. Votre avis en tant qu’ancien Premier ministre, mais aussi votre avis en tant que militant socialiste. Y a-t-il, oui ou non, une méthode Jospin qui se distinguerait de celle de ses prédécesseurs ? Si oui, quelles en sont les particularités ?
M. FIELD. – Michel Rocard, y a-t-il une méthode Jospin ? Vous qui évoquiez d’ailleurs le devoir de grisaille quand on est Premier ministre. Ce n’est pas trop gris pour Lionel Jospin.
M. ROCARD. – Lionel Jospin a une méthode très claire : il écoute beaucoup, il prend connaissance de tout, il ne fait pas semblant d’écouter et il consulte énormément. Il préfère produire les décisions après délibérations et même négociations plus qu’avant. Cela ne lui est pas particulier, il y a d’autres exemples dans l’Histoire de France. Mais je suis très heureux qu’on se rappelle. C’est peut-être par une différenciation très soulignée par rapport aux méthodes de Monsieur Juppé qui avait voulu restaurer le sens du commandement. Je n’ai pas de rancœur particulière vis-à-vis de Monsieur Juppé. En tout cas, après l’épisode Juppé, il était clair qu’il fallait changer. Et le fait que Lionel Jospin l’ai fait avec brio au point de faire appliquer son propre nom à une méthode qui, historiquement, n’est pas tout à fait née avec lui, est remarquable et très utile pour faire passer la confiance dans l’opinion. Je suis heureux que ça se passe comme ça, parce que c’est vrai, c’est authentique.
Reste que, dans cette conférence sur l’emploi, le discours d’entrée de Lionel Jospin a été immensément novateur. Il comporte des phrases comme « j’entends ne rien faire qui n’ait pas votre accord ». Cela s’adresse à tous les partenaires sociaux. Il nous faudra un mécanisme incitatif. Une loi lancera ce mouvement de manière à permettre que les négociateurs aient lieu par entreprise. C’est tout à fait inhabituel.
Ce n’est qu’à la fin de la conférence qu’il a rappelé qu’on avait dans la tête une deuxième loi qui, elle, serait la loi « voiture-balai » qui ramènerait le monde à une durée maximale de 35 heures si le système incitatif n’avait pas suffi. Le système en question n’est pas encore au point. On libère dans le gouvernement, ce n’est pas mon problème. Mon problème est de découvrir que le patronat français n’a pas écouté, qu’ils n’ont pas compris à quel point la démarche était novatrice et à quel point l’ouverture pour une vrai négociation – on reviendra peut-être sur le fond du thème du chômage. Là, nous sommes sur la procédure et l’image –, la recherche du mécanisme qui permettrait d’introduire la durée du travail comme un facteur dans le combat contre le chômage, étaient novatrices et prenaient en compte toutes les contraintes du patronat.
Il y a aussi, dans le discours initial de Lionel Jospin, cette phrase : « il ne faut pas augmenter les charges des entreprises ». Nous le savons, nous le disons. En moyennant quoi, c’est sur l’hypothèse de la seconde loi, dans le cas où le premier mécanisme ne serait pas suffisant, celle qui mettrait l’obligation, que le patronat a décidé de faire un psychodrame, de hurler à la mort, d’acculer son propre Président, qui n’en voulait probablement pas tant, à la démission…
M. FIELD. – … On peut penser que c’est une victoire de votre part, finalement, que les 35 heures et la réduction du temps de travail, en général, aient droit de cité, désormais, au sein du Parti socialiste comme une des grandes priorités programmatiques. En même temps, n’êtes-vous pas déçu de voir que le mécanisme sur lequel vous avez réfléchi n’a finalement pas été celui qui a été retenu, ni par Martine Aubry, ni par Lionel Jospin ?
M. ROCARD. – Le mécanisme qui va être retenu on le connaîtra en janvier ou en février.
M. FIELD. – Mais ce n’est vraiment sur le vôtre qu’ils travaillent d’après ce qu’on en sait. Vous en savez peut-être plus que moi ?
M. ROCARD. – On passe au fond du sujet, là ?
M. FIELD. – Oui.
M. ROCARD. – Tout cela est très compliqué. Quel est le problème ? Le problème est qu’on ne peut pas faire la division du travail par des ordres. C’est trop compliqué. Chaque entreprise a sa propre monographie. Donc, il faut le faire par négociation dans chaque entreprise, terrible ! Il y a 300 000 entreprises en France. Et d’une.
Et de deux : si on le fait par négociation, il faut que la négociation réussisse. Il n’est pas question qu’elle réussisse si les salariés rentrent dedans avec la certitude qu’ils y perdront beaucoup d’argent. Tirez l’échelle.
Et de trois : il ne faut pas augmenter les charges des entreprises. Point final.
Comme par ailleurs on ne peut pas non plus augmenter le déficit de l’État, l’affaire à l’air bouclé. Et jusqu’à présent tout le monde s’arrête là et on ne fait rien. Or nous dépensons – écoutez bien, Michel Field – 450 milliards de franc par an, soit pas loin de 5 % de notre produit national, à soutenir les chômeurs. Des allocations de chômage, des cotisations qui ne rentrent pas puisqu’ils sont toujours à l’assurance-maladie sans payer de cotisations, plus la formation, plus les pré-retraites. L’interrogation est de savoir si on peut transvaser ces sommes folles qu’on dépense sur le chômage vers l’entreprise pour permettre d’embaucher. Et les mécanismes pour ce faire, j’en ai proposé un avec mon ami Godinot qui se trouve être présent dans cette salle d’ailleurs, ce n’est pas le seul possible, il y en a d’autres. L’essentiel, c’est le principe.
Rien d’autoritaire au début, il faudra la « voiture-balai » comme partout, mais rien d’autoritaire au début. De la négociation, une baisse des salaires aussi limitée que possible et si possible nulle pour les salaires inférieurs à deux ou trois Smic. Et la compensation de tout cela par les économies que l’UNEDIC fera s’il y a moins de chômeurs à financer. Voilà le système. Ils sont pour l’instant en train d’y travailler mais on se trouvera, à la fin, avec un système qui répondra en gros à ce que nous avons soumis.
Cela étant, je voudrais relever autre chose. Vous avez dit : « une victoire pour eux ». Si on emploie le mot de « victoire », c’est qu’il y a des vaincus. Je n’aime pas cela ! Je préfère constater que nous avons fini par réussir à convaincre l’essentiel de la Gauche. Il ne reste plus qu’une toute petite partie du patronat, parce qu’il y en a une autre qui a fait de loi de Robien à mort. Or, la loi de Robien en tout petit, c’est le même principe. Mais au fond nous ne pensons qu’à sa généralisation et à sa systématisation. Enfin, ce n’est pas tout à fait exact ! Là, je suis un peu caricatural. Mais c’est tout de même le principe. Donc, nous n’avons pas toute la Droite comme ennemie. Nous n’avons vaincu personne, mais nous avons fait avancer la pensée collective. C’est moins conflictuel.
M. FIELD. – Vous êtes bien diplomate ces jours-ci ?
M. ROCARD. – Je ne suis pas diplomate. Je n’aime pas les conflits. Je sais me battre. Je me suis souvent battu. J’ai gagné quelquefois. Cela a été rappelé tout à l’heure, j’ai perdu aussi. Mais les choses se font mieux quand tout le monde est d’accord.
M. FIELD. – Hervé, une question.
HERVÉ. – Bonsoir.
Je voudrais insister ou revenir sur le paradoxe Rocard. Après la victoire de la Gauche en juin dernier et à une semaine du Congrès de Brest, on serait tentés de considérer que votre conception du socialisme a triomphé en France sur celle incarnée par François Mitterrand. Pourtant, aujourd’hui, force est de constater que la partition se joue sans vous.
Ma question est la suivante : comment expliquez-vous que le succès de vos idées se fasse sans le même temps que votre effacement de la scène politique française ?
M. ROCARD. – Qu’est-ce que c’est que cette idée pour un étudiant qui dit avoir quelques rapports avec le socialisme de personnaliser les problèmes à ce point-là ?
M. FIELD. – Allons ! Allons !
M. ROCARD. – Nous sommes dans des mouvements historiques. Les idées sont patrimoine collectif…
M. FIELD. – … Mais est-ce que cela n’est pas votre faiblesse d’avoir toujours cru au combat d’idées tandis que ceux d’en face voyaient très bien que c’était un combat personnel d’organisé ?
M. ROCARD. – Mais enfin qu’est-ce qui vous fait croire que c’est une faiblesse ? On peut dire les choses un peu autrement…
M. FIELD. – … le fait que vous ne soyez pas Président de la République, Michel Rocard.
M. ROCARD. – On va y venir !
Je continue ma réponse à notre ami pour lui dire que, là-dedans, une défaite au mauvais moment, puis un peu l’âge qui avance, cela vous règle le problème. Il n’y a pas de quoi se masturber la cervelle pour chercher davantage derrière.
Reste le fond de l’affaire. Le métier que je fais maintenant est un métier d’influence, à partir de l’endroit où l’on est le plus libre du monde qui est le Parlement européen. Incidemment, j’ai une petite nouvelle à vous annoncer. Comme j’en avais pris l’engagement vis-à-vis de Lionel Jospin, avant le Congrès de Brest, je viens de démissionner du Sénat. Donc, je suis le premier homme politique français qui ne dépende plus que d’une charge, d’une responsabilité, d’un mandat européen. Ma liberté est donc totale et mon pouvoir d’influence, de ce fait, considérable.
Or, ma découverte de la vie publique, c’est l’énorme paralysie de toutes nos grandes institutions. Très, très dur de gouverner, les zones de liberté sont très faibles. Et puis le temps de penser est court. Il y a une fonction à remplir qui est de secouer, de proposer, de faire bouger, de créer des situations dans lesquelles nous sommes bien obligés de voir tel responsable…
M. FIELD. – … vous aviez commencé comme cela. Finalement, pourquoi avoir fait ce long détour pour en revenir ? Peut-être êtes-vous plus un agitateur d’idées qu’un homme politique ?
M. ROCARD. – Cela me va très bien !
M. FIELD. – Mais vous auriez pu vous en apercevoir avant.
M. ROCARD. – Non, parce que, encore une fois, je prétends avec beaucoup de fierté avoir bien géré mon ministère à l’agriculture et mes fonctions de Premier ministre pendant trois ans. Qu’est-ce que c’est que ça ?
M. FIELD. – Pas celui du Plan. ? Vous l’oubliez.
M. ROCARD. – Non, celui du Plan ne servait à rien. J’étais au placard. Ce n’est pas un mystère.
M. FIELD. – Pourquoi ne pas l’avoir dit en 1981 ? Vous vous rendez compte du décalage avant d’avoir des éléments d’information de cet ordre !
M. ROCARD. – Premier élément, sauvons le Commissariat, il est stupide d’avoir un ministre du Plan, de toute façon. Seulement, j’ai accepté parce que je n’avais pas le choix. Le Plan ne peut être, pour servir à quelque chose, qu’un conseiller proche et écouté du Premier ministre, c’est-à-dire pour donner le sens du long terme dans tous les arbitrages et pour dominer tous les ministres, sinon cela n’a pas grand sens.
Deuxième élément : quand le ministre des finances est aux ordres du Premier ministre pour se méfier du Plan, terminé ! Paralysé !
J’y ai tout de même fait quelque chose d’utile, c’est que j’ai inventé les contrats de plan. Et cela a changé toute la philosophie des relations entre l’État central et les régions, les collectivités en France. Jusque-là, l’État n’avait que des sujets, y compris les régions et les collectivités territoriales. Et, maintenant, tout le monde veut faire des contrats de plan partout.
M. FIELD. – Avouez que vous avez un curieux destin ! Vous créez finalement la CSG. Tout le monde, désormais, s’accorde sur le bien-fondé de ce qu’a été une époque…
M. ROCARD. – J’ai eu raison !
M. FIELD. – … qui vous a coûté politiquement énormément.
M. ROCARD. – J’ai perdu 10 points de sondage.
M. FIELD. – Il y a des hommes politiques qui, en avançant, réussissent. Et vous, à chaque fois que vous avancez, justement, vous perdez des points, vous perdez des occasions. Il y a quelque chose d’un destin politique barré quand même.
M. ROCARD. – On peut dire que la perte d’amitié ou de soutien d’opinion que j’ai eue sur la CSG est la cause de la suite. Cela complèterait la réponse à notre ami étudiant, on peut le dire comme ça ! Il faut déjà l’avoir fait. Mais je veux dire : « cela m’est égal. Il faut aussi créer la situation telle qu’on fasse la CSG. Et puis on paie ». Joseph Caillaux a payé d’avoir fait l’impôt sur le revenu. Personne ne lui a pardonné. Et on ne l’a plus guère revu en politique après.
M. FIELD. – Il ne vous est jamais arrivé, dans l’intimité, au moment où l’on s’endort, où l’on rêvasse un peu avant de s’endormir, d’imaginer ce qu’aurait pu être votre vie politique sans François Mitterrand ?
M. ROCARD. – C’est un peu difficile à imaginer ! Il occupait de la surface. Non, j’ai plutôt passé beaucoup de mon temps de réflexion et de rêve à réfléchir à ce que je faisais avec que sans François Mitterrand. Mais enfin je ne suis pas fabriqué comme cela ! Je suis plutôt fabriqué de manière à chercher ce qu’on peut faire avancer utilement pour faire du bien quelque part.
M. FIELD. – Avez-vous eu le sentiment que cette personnalité, François Mitterrand, vous avait barré votre destin politique ?
M. ROCARD. – Non, pas tellement ! Vous avez dit : « victoire » à propos, déjà, du petit système sur la durée du travail. Votre collaboratrice, qui en a peut-être fait un peu trop, je ne sais pas dans quel état… au congrès, vendredi, on va rigoler… sur cette phrase : « Lionel Jospin a gagné, mais avec les idées de Michel Rocard » … pourquoi voulez-vous enterrer mon destin politique en catastrophe ?
M. FIELD. – Au cas où elle serait passée inaperçue, vous la répétez trois fois pour que tous les congressistes socialistes s’en souviennent.
M. ROCARD. – Rassurez-vous, Michel Field, il n’y avait aucun risque qu’elle passe inaperçue. Elle-même devait savoir ce qu’elle savait.
Moi, je suis plutôt fier de ce à quoi j’ai pu contribuer…
M. FIELD. – … il vous est arrivé de le haïr quand même ?
M. ROCARD. – Qui ça, François Mitterrand ?
M. FIELD. – Oui.
M. ROCARD. – C’est trop fatigant la haine. Non, non, il m’est arrivé de m’en méfier. Nous étions sans contacts privés, personnels. Cela avait un avantage immense dans la gestion de l’État. Le Premier ministre et le Président ont quand même 60 décisions d’État à prendre par mois, une bonne quinzaine par semaine, et comme nous n’avions, ni l’un ni l’autre, plaisir aux tête-à-tête, au moins cela allait vite. Si vous voyez ce que je veux dire ! Mais, bien, ce fut ainsi. Et puis voilà j’ai fait avec. Je suis, encore une fois, plutôt fier de ma vie politique – et elle n’est pas finie, j’aime mieux vous dire…
M. FIELD. – On va en parler.
M. ROCARD. – … et sur ce que je fais en ce moment. D’abord, je ne désespère pas, sur le chômage, de continuer à pousser raisonnements et réflexions. Et puis me voilà au Parlement européen qui va être l’endroit où va se nouer la crise institutionnelle de l’Europe. Dans un an ou deux, il se passera au Parlement européen des choses gravissimes là-dessus. Et précisément ma charge, c’est l’Afrique là-dedans, la Convention de Lomé où nous venons de faire voter un très important et très considérable rapport qui est un débordement d’un conseil des ministres de l’Europe totalement silencieux. Donc, on se rend utiles, croyez-moi !
Je n’ai aucun regret. Vous ne m’enterrerez pas dans les regrets et la nostalgie.
M. FIELD. – Eh bien, on va voir l’EDITO de la semaine, ce qui nous permettra de parler d’une actualité largement fournie par l’actualité internationale. On regarde.
L’EDITO
UNESCO/le pardon
FRANCOPHONIE/Chirac en Asie
ALGÉRIE/la solidarité
IRAK/ la pression
M. FIELD. – Vous aurez évidemment reconnu, dans un extrait de reportage de cet EDITO, la voix de Marine Jacquemin qui, avec toute la rédaction de TF1, suit depuis quelques jours cette montée de la tension en Irak. Avec ses reportages tout à fait remarquables qu’elle nous livre dans les journaux télévisés.
Michel Rocard, vous étiez en fonction à un moment où une autre tension, d’une autre ampleur, mais en même temps on ne peut pas ne pas penser à la guerre du Golfe. Quel regard avez-vous, vous qui avez eu finalement l’expérience de cette crise internationale aux affaires ?
M. ROCARD. – Le problème n’a pas changé. Il est que Monsieur Saddam Hussein est un dictateur sanguinaire, d’une extraordinaire brutalité…
M. FIELD. – … Ce n’est pas le seul.
M. ROCARD. – Non, ce n’est pas le seul. Mais c’est un des plus systématiques et peut-être l’un des moins intelligents. Mais surtout, il pousse jusqu’à construire chez lui ou prendre les moyens d’essayer d’obtenir des armes bactériologiques, des armes chimiques, et il l’a tenté sur des armes nucléaires.
Une puissante investigation des Nations unies, suite à la guerre du Golfe précisément, a obtenu le démantèlement d’une partie des installations nucléaires. On apprend, depuis 8 à 10 jours, que la communauté intellectuelle nucléaire irakienne est intégralement reconstruite. Elle travaille sur papier, sur simulation, mais elle est refaite. Et tout cela est extraordinairement dangereux.
De nouveau, nous voilà placés devant un problème. Alors, peut-être, Saddam Hussein va lui-même contribuer à ce qu’on le résolve. La Communauté internationale, dans sa difficulté à trouver un accord, parce qu’il n’y a pas de tribunal international, surtout pour des choses comme ça, l’ONU c’est un rassemblement de Nations, on y délibère avec des intérêts. Personne ne croit que l’impartialité ou la justice vienne de là. Ce qu’il faut, c’est réaliser un accord entre des Nations qui poursuivent des intérêts, qui ont des alliés et qui ont des choix géostratégiques. Bref, on a trouvé, comme seul moyen de faire pression sur Saddam Hussein, un embargo, un blocus qui aboutit maintenant à ce que la population est affamée, à ce que les enfants meurent de faim par centaines chaque mois…
M. FIELD. – … 5 000 par mois, d’après les chiffres de l’UNICEF.
M. ROCARD. – 5 000 par mois, c’est tout à fait effrayant ! Et tout cela sans que le régime en soit affaibli – il est sûrement un peu affaibli –, mais sans que la position particulière de Saddam Hussein et de son régime dictatorial soient menacés à l’intérieur de ce pays. Donc, il faut s’y prendre autrement. Et je plaide qu’il faut maintenant poser le problème de la capacité de la Communauté internationale à donner un ordre de tir pour détruire des usines de fabrication d’armements massifs.
M. FIELD. – Mais si les Américains le font seuls, sans passer par le biais des Nations Unies, parce que, là, on voit bien que la position française, par exemple, du Président Chirac n’est pas exactement celle de Clinton ?
M. ROCARD. – Dieu merci ! D’abord s’agissant du Président Chirac et des Droits de l’homme, j’ai apprécié ce qu’il vient de dire, qui est remarquable de précision. Il a raison. L’arrogance et les leçons données, les incidents diplomatiques recherchés pour le plaisir, cela ne marche pas. Mais le respect des Droits de l’homme, il faut, en effet, le pratiquer, en donner l’exemple et puis, inlassablement, expliquer.
Reste que, sur l’Irak, il est en retrait, y compris par rapport à son propre gouvernement. Je crois me souvenir que, soit le Premier ministre, soit le ministre des affaires étrangères ont fait une déclaration plus forte.
Le problème, c’est qu’en effet nous sommes devant une menace. L’Irak essaie de reconstituer ses capacités nucléaires et on n’est pas sûrs d’avoir détruit ses capacités bactériologiques et chimiques. Et il n’est pas animé de bonnes intentions vis-à-vis de son voisinage. Peut-être même pas seulement Israël, les royautés du Moyen-Orient ont de quoi s’inquiéter avec un pareil voisin.
M. FIELD. – Cela veut dire que s’il y a une opération militaire déclenchée par les États-Unis, vous la soutenez, aujourd’hui, à l’heure qu’il est ?
M. ROCARD. – Le gouvernement français a laissé savoir qu’il ne désapprouverait pas. Et je suis, moi, à la télévision, devant vous, Michel Field, en train de vous dire qu’il serait dommage, pour le droit international, pour notre lucidité et notre responsabilité à tous, de laisser les États-Unis faire le travail tout seuls, en avoir toute la réprobation, sans que monte l’idée que la paix dans le Monde exige une police internationale un jour et, en tout cas, une capacité de décision de tout le monde à la fois. Il n’y a pas d’autre choix.
Pour le moment, on affame les enfants irakiens parce qu’on n’ose pas et parce qu’on n’a pas cet accord. Alors, il faut bien poser ce problème. Et, en tout cas, je suis obligé de dire que « je souhaite qu’on soit capables. Peu importe le dictateur ! Ce qui importe, ce sont les usines de fabrication d’armes bactériologiques, chimiques et nucléaires. Il n’y a pas le choix ».
M. FIELD. – L’impuissance internationale devant l’Algérie, la manière dont des journalistes sont aujourd’hui, en Algérie même, inquiétés pour émettre cette hypothèse de plus en plus plausible que les forces de sécurité sont impliquées dans des attentats, pourtant, officiellement attribués aux groupes islamistes ?
M. ROCARD. – Je ne rentrerai pas dans un degré de détail que je n’ai pas. Ce n’est pas un des problèmes que je suis quotidiennement. Sur l’Algérie, j’ai une vision un peu simple. Et d’abord pardonnez-moi, mais je n’ai pas changé depuis 1956. Un pouvoir qui a affaire avec une insurrection chez lui ne pourra gagner que s’il est totalement respectable. Cela valait pour l’occupant français – respectable en matière de Droits de l’homme–, cela vaut pour l’actuel gouvernement militaire algérien. C’est tout ce qu’il faut dire. Que dire de plus !
Nous ne sommes plus dans une période où l’on peut imaginer des expéditions internationales pour mettre la paix entre les factions rivales à l’intérieur d’un peuple. Tout cela est tragique. Mais je pense que le gouvernement algérien doit pousser un peu plus loin la réflexion, l’analyse des effets de ce qu’il fait. Le contre-effet de la torture, de l’emprisonnement, de l’absence de liberté vraie et d’expression, l’empêche d’avoir le soutien de sa population.
M. FIELD. – Mais vous ne pensez pas que le gouvernement français pourrait être plus actif, finalement, en raison justement de cette Histoire commune avec l’Algérie ?
M. ROCARD. – Souvenez-vous de ce que vient de dire le Président Chirac à l’instant, vous en déduisez immédiatement qu’il faut tout de même faire la différence entre ce qu’on dit devant la télévision, pardonnez-moi, et ce qu’on dit secrètement.
M. FIELD. – Mais ce sont des propos qui servent aussi d’alibi pour ne rien faire. Le fait de dire : « il ne faut pas humilier, il ne faut pas brusquer, il faut convaincre » …
M. ROCARD. – … mais quand on a des choses dures à se dire, pour ne pas humilier, il faut se le dire en tête-à-tête. Mais à ce moment-là, je suppose qu’on se l’ait dit. Du moins, je l’espère ! Je ne suis pas le ministre en charge. Enfin, je le pense.
M. FIELD. – Votre regard, d’ailleurs, sur la diplomatie française menée par Hubert Védrine ? Vous vous y retrouvez pour l’essentiel ?
M. ROCARD. – Écoutez, nous ne nous sommes pas trouvés en conflit massif sur les orientations. Non, non, pas du tout !... La France reste dominante européenne. Nous devons au talent de l’ensemble du gouvernement et de Lionel Jospin que le budget se soit fait sans drame, dans le respect des critères de Maastricht. Donc, il y avait un problème angoissant, très lourd et dramatique, qui est réglé maintenant. Qu’est-ce qu’on aurait fait si on avait eu une espèce d’antagonisme entre le souci de traiter les graves problèmes sociaux d’une France qui ne va pas bien, où il y a beaucoup de chômeurs et de pauvres, et s’il était apparu que c’était contradictoire avec notre vision stratégique du long terme qui passe par l’Europe ? Ça colle ! Ça passe ! C’est un beau succès, et Hubert Védrine l’orchestre bien.
M. FIELD. – Vos prochains chantiers à vous, alors, puisque vous évoquiez votre action sur l’Afrique dans la Commission de développement du Parlement européen que vous présidez ?
M. ROCARD. – Eh bien, voilà le problème ! Cela fait 25 ans que l’Europe a noué avec 71 pays, la plupart en Afrique, mais aussi quelques États des Caraïbes et du Pacifique. Cela s’appelle les États ACP, des conventions de travail, des conventions de coopération.
M. FIELD. – Vous n’aviez pas trop parlé Rocard jusqu’à maintenant, continuez.
M. ROCARD. – Je veux, là, refaire une tirade. On ne peut pas toujours tout simplifier quand même ! Mais rassurez-vous !... Bon, d’ailleurs, c’est historique. Cela fait 25 ans qu’on se donne des moyens d’aider ces pays à leur développement. Et puis cela n’a pas très bien marché. Aucun n’a décollé, n’est devenu rayonnant. Et les décollages se font à la brutale, mais ils se font en Asie.
M. FIELD. – Donc changer de modèle de développement ?
M. ROCARD. – Donc, il faut changer de modèle de développement. D’où l’idée qui est passée au Parlement européen, avant de sortir d’un seul de nos gouvernements ou du conseil des ministres de l’Europe, qui est de compléter les outils de l’actuelle convention – ils sont très compliqués, il y a du commerce, il y a des subventions, etc. Je n’entre pas dans le détail – de deux types d’outils très nouveaux et très différents.
Le premier, c’est d’ajouter à de l’économie, de la politique. Le plus grand blocage au développement, c’est la guerre, c’est l’insurrection, c’est le désordre, c’est l’instabilité gouvernementale, ce sont les bagarres ethniques. Donc, des dispositifs de sécurité.
M. FIELD. – On ne les voit pas beaucoup efficients sur le terrain, dans l’actualité africaine en ce moment ?
M. ROCARD. – Attendez un peu ! Nous sommes en train de les proposer pour les mettre dans une convention qui va être signée en janvier 2000. Alors, pas de précipitation, Michel Field, s’il vous plaît !
M. FIELD. – Non, mais peut-être que les Congolais auraient bien aimé que ce soit déjà efficace.
M. ROCARD. – Mais sûrement !... Justement, d’ailleurs, le drame congolais, aggravé de la paralysie du conseil de sécurité et, au fond, du refus américain que l’Europe et l’Afrique montrent ensemble qu’ils n’ont pas besoin d’eux pour régler un problème urgent, cela coûte 50 000 morts. C’est donc une chose très lourde. Et, en effet, le drame congolais nous appelle à proposer à l’Afrique des dispositifs de sécurité. Mais comme il s’agit d’affaire de souveraineté, ce sont les Africains qui décideront. L’Europe ne peut apporter, là que son expertise et des sous.
Le deuxième volet est d’attaquer la pauvreté par en bas aussi. Qu’est-ce que je veux dire par là ? On a fait de la coopération gentiment, c’est généreux, on y met quand même une trentaine de milliards de francs par an. L’Europe est record du monde de l’aide au tiers-monde. Pour l’Afrique même, l’apport de l’Europe, à travers l’Union, comme les différents pays, c’est 20 fois l’aide publique américaine. Il ne faut pas se raconter d’histoires, on est quand même meilleurs ! Mais il se trouve qu’on a aidé ce qui nous ressemblait, ce qu’on connaît : des États, des entreprises moyennes ou grandes. Les vrais pauvres, il faut les sortir de la vraie pauvreté. Le petit cireur de godasses, il faut qu’il s’achète sa première caisse et ses deux premières boîtes de cirage d’où la Banque des pauvres. Vous avez dû en entendre parler…
M. FIELD. – … Oui.
M. ROCARD. – Généraliser les micro-crédits. Voilà une suggestion parmi d’autres. Une autre est de mettre l’accent sur les techniques, disons, de première ligne. Comment, quand on crève la faim, avoir les variétés nouvelles de plantes maraîchères pour manger mieux ? Comment faire de l’arrosage…
M. FIELD. – Par quels types de relais ? Parce que ce ne serait pas la première fois qu’une institution internationale décrète cela. Ce sont des discussions que l’UNESCO connaît depuis des dizaines et des dizaines d’années. Et puis il n’y a rien de pratique, finalement, sur le terrain.
M. ROCARD. – On s’est peut-être trompés de méthode. Et, en tout cas, ce n’est pas une institution qui va décréter cela, ce sont 86 gouvernements d’un coup. Donc, cela met en jeu l’Union européenne, l’Organisation de l’Unité africaine et tous les gouvernements. Et en plus priorité à la coopération décentralisée, c’est-à-dire celle qui, au lieu de passer par les États, passera par des collectivités locales – les villes font plein de choses – et par les fameuses ONG, Organisations non gouvernementales.
Donc, c’est une vision nouvelle. On va essayer. Mais nous avons deux ans de négociation, pour voir si cela réussit dans la négociation. Et, après, sur le terrain, il faut encore cinq ans. Ne soyez pas trop pressé. Pour le bilan, nous prenons rendez-vous pour dans 5 ans. Je vous expliquerai si cela a marché.
M. FIELD. – Je ne suis pas sûr d’être là. Mais, vous, vous avez l’air d’être plus sûr.
M. ROCARD. – Absolument.
M. FIELD. – Vous anticipez aussi la future loi sur le cumul des mandats en annonçant votre démission du Sénat ?
M. ROCARD. – C’est un engagement que j’avais pris avec Lionel Jospin depuis longtemps.
M. FIELD. – Mais tous les engagements ne sont pas tenus. Celui-là, oui.
M. ROCARD. – Je suis plutôt de la catégorie de gens qui préfèrent tenir les leurs.
M. FIELD. – Dernière question, puisque l’heure avance : à la lumière de votre trajet, vaut-il mieux un politique qui perd en gardant ses principes ou un politique qui gagne en s’arrangeant avec eux ?
M. ROCARD. – Il vaut mieux un politique qui perd en gardant ses principes. Comment voulez-vous que les citoyens y comprennent quelque chose si les principes changent à l’occasion des victoires.
M. FIELD. – Michel Rocard, merci.
Dans un moment, le journal de Claire Chazal évidemment.
M. ROCARD. – Mais vous avez oublié un détail…
M. FIELD. – Dites !
M. ROCARD. – Je suis profondément gagnant plus que perdant.
M. FIELD. – La semaine prochaine, Jean-Louis Debré sera l’invité de « Public ».
À la semaine prochaine.