Texte intégral
J.-P. Defrain : Comme il se doit vous êtes à Valenciennes : Toyota produira à partir de 2001 une petite voiture destinée aux marchés européens. Pour la région c'est une bouffée d'air, en ce qui concerne l'emploi. Ce matin, le PDG de Toyota déclarait : « Nous arrivons avec un esprit de responsabilité partagée. » Comment interprétez-vous cette phrase ?
C. Pierret : Toyota sait que, pour réussir son implantation en France, il faut d'abord la volonté de sa part : elle est acquise après des études qui ont pris plus d'un an et demi. Il faut ensuite être convaincu – et c'est le cas – que la France est un pays compétitif pour accueillir les investissements étrangers – c'est le fait. Et puis, il faut que de notre côté, les pouvoirs publics français, nous fassions tout pour faciliter cette implantation dans un esprit de création d'emplois et aussi de modernisation de notre infrastructure locale, régionale et nationale. Nous y sommes prêts et l'État fera son devoir.
J.-P. Defrain : Mais précisément le PDG de Toyota reconnaît, lui-même, que les Japonais ont à se faire accepter en France, qu’ils sont prêts à relever le défi. Certes, mais comment la greffe peut prendre ?
C. Pierret : Ils ne sont pas trop mal acceptés. Je crois qu'il y a déjà beaucoup d'entreprises japonaises en France, dans beaucoup de régions – je crois qu'il y a 200 entreprises japonaises qui sont aujourd'hui sur notre sol. Il n'y a pas de difficultés, je dirais, d'acceptation culturelle. La culture industrielle japonaise peut parfaitement s'adapter et être vécue positivement par les salariés français. C'est le cas aujourd'hui. Donc, ils doivent naturellement s'insérer eux-mêmes avec la difficulté de la langue – car le japonais est très différent du français – dans notre appareil industriel. Mais je crois que cela se passe bien là où ils sont implantés.
J.-P. Defrain : Est-ce que l'aide financière de la France a joué un rôle important dans l'implantation de Toyota ? À combien évaluez-vous le montant des aides publiques ?
C. Pierret : Les aides publiques sont, sur ce dossier, très nettement inférieures à ce qu'elles sont sur d'autres dossiers au cours des dix ou quinze dernières années. En pourcentage du montant de l'investissement total, cela est très faible. Cela n'a pas été décisif. Ce qui a été important c'est la confirmation de l'entrée de la France dans l'euro. Les Japonais y tenaient absolument. Il fallait qu'ils soient à l'intérieur d'un marché où l'euro est la monnaie unique. (Mais aussi, Ndlr) l'importance des infrastructures, le sentiment que l'esprit d'entreprise était bien la direction que prônait le gouvernement français, la formation et la qualité des salariés. Au-delà de cela, je crois que les aides publiques sont un adjuvant intéressant mais qu'elles n'ont pas été du tout déterminantes. Si vous voulez, Toyota n'est pas un chasseur de primes.
J.-P. Defrain : On ne sait pas en tout cas ce que la France va donner ?
C. Pierret : Si, on sait ce que la France s'apprête à donner.
J.-P. Defrain : Oui, mais vous ne le dites pas.
C. Pierret : Je peux vous dire un chiffre très simple : par exemple, la prime d'aménagement du territoire c'est 20 millions de francs. 20 millions de francs à rapporter avec un investissement global de Toyota de 4 milliards de francs. Vous voyez que ce n'est pas vraiment décisif.
J.-P. Defrain : Venons-en à la question de la concurrence : l'égalité de concurrence entre Toyota et les constructeurs français. Toyota va engager des jeunes. Alors, comment refuser aux constructeurs français de rajeunir leurs effectifs comme ils le souhaitent ?
C. Pierret : Un gouvernement français ne refuse pas du tout aux constructeurs français d'embaucher des jeunes.
J.-P. Defrain : Non, mais de rajeunir leurs effectifs, visiblement oui.
C. Pierret : Au contraire, au contraire. Simplement, il faut savoir comment on le fait. Le choix du précédent gouvernement avait été d'étudier – et finalement de refuser, parce que ce n'était pas possible budgétairement, pour le pays – des aides du type classique Fonds national de l'emploi, comme cela aurait pu être fait depuis des années. Et, aujourd'hui, on s'oriente plutôt vers des contacts qui seront pris au cours des prochaines semaines ou des prochains mois, avec les constructeurs français, entre le ministère de Mme Aubry et le mien, d'une part, et les constructeurs, d'autre part, pour faire en sorte que s'il y a modulation, aménagement du temps de travail et en même temps rajeunissement, l'État puisse apporter son soutien à une démarche contractuelle négociée et qui ne soit pas purement et simplement budgétaire.
J.-P. Defrain : C'est ce qu'il faut comprendre quand Mme Aubry disait ce matin, chez Olivier Mazerolle : « On va les aider, les constructeurs français, à condition qu'ils s'aident » ?
C. Pierret : Voilà, exactement. Il y a une démarche qui doit être moderne. D'ailleurs, j'en ai discuté personnellement avec les deux présidents-directeurs généraux des groupes, M. Folz et M. Schweitzer, et je pense qu'on est bien sur la même longueur d'onde. L'industrie automobile doit nous présenter quelque chose de crédible, qui s'insère dans la politique économique et sociale de l'État : à savoir encourager l'emploi-jeunes, c'est sûr, et en même temps moduler le temps de travail par la négociation et la concertation avec les organisations représentatives. Donc, je crois qu'il y a une démarche tout à fait novatrice et nouvelle qu'ont bien comprise les constructeurs et que l'État veut jouer avec eux.
J.-P. Defrain : Il y a un autre sujet, M. Pierret, sur lequel les constructeurs français sont inquiets : c'est le créneau choisi. Toyota vise 5 % du marché européen d'ici à 2001. Donc, Toyota va concurrencer directement la Twingo et la Peugeot 106 sur un marché qui est quand même encombré ?
C. Pierret : Oui. Il y a une question de concurrence. Moi je fais confiance à PSA et à Renault pour relever le défi. On a des entreprises françaises qui ont quand même su s'adapter formidablement Elles sont parmi les premières du monde. On fait 360 milliards de chiffre d'affaires avec nos automobiles. Ce n'est pas pour rien. On fait 34 milliards de solde commercial positif. C'est parce que ces entreprises françaises sont compétitives. Alors on ne craint pas qu'un constructeur vienne nous dire – alors qu'on construit à peu près entre 1,7 et 1,8 million de véhicules par an : « Je vais en construire 150 000 de plus. » 150 000 sur 1,8 million, ça ne me paraît pas étonnant, ni dangereux. Donc, il y aura concurrence. Moi je trouve que c'est plutôt positif. Car au fond, nous sommes un gouvernement qui encourage l'esprit d'entreprise, qui encourage la compétition, la recherche, le développement, et c'est plutôt sain qu'on vienne un petit peu nous chatouiller sur nos marchés. Eh bien, pourquoi pas ? Après tout, on est capable de répondre et de répondre en gagnant.
J.-P. Defrain : Christian Pierret, qui est à l'origine de cette décision ? Jean-Louis Debré dit : le dossier était ficelé. C'est grâce à Jacques Chirac. Tout était réglé avant l'arrivée des socialistes ?
C. Pierret : On connaît bien le calendrier. C'est vers le milieu 96 que Toyota, en interne, a réfléchi à la question. C'est au début 97 que le premier contact a eu lieu entre la Datar, à Tokyo. C'est en mars 97 qu'un dirigeant, M. Sakaï, a rencontré l'ambassadeur aux investissements internationaux, M. Tordjman, qui était d'ailleurs là aujourd'hui avec nous à Valenciennes. Et c'est seulement en avril 97, donc un mois avant les élections, que M. Aubert l’a rencontré à nouveau, à Tokyo. Et puis, après, moi j'ai repris le témoin, en tant que ministre de l'Industrie, Mme Aubry, Mme Voynet, M. D. Strauss-Kahn, M. Sautter... Le Premier ministre lui-même s'est intéressé au dossier de manière très très active. Et je crois que c'est tout cela qui a fait que cette convergence d'efforts a convaincu les gens de Toyota de venir chez nous plutôt qu'en Grande-Bretagne ou en Pologne.
J.-P. Defrain : M. Pierret, envisagez-vous – et c'est un tout autre sujet – de nouvelles mesures pour débarrasser le marché des véhicules polluants ?
C. Pierret : Écoutez, moi j'attends le rapport que va faire M. Fuchs, qui paraîtra cette semaine, le rapport de l'Assemblée nationale. Nous en discuterons avec l'Assemblée et M. Fuchs. Et puis, nous verrons bien ce que nous pouvons faire.