Interview de M. Jack Lang, membre du bureau national du PS, et président de la commission des affaires étrangères à l'Assemblée nationale, à RTL le 18 juin 1999, sur les élections européennes, le manifeste de la nouvelle gauche de Tony Blair et Gerhard Schöder, la décision du Conseil constitutionnel contre l'application de la charte européenne sur les langues régionales et l'internationalisation de la fête de la musique.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Jack Lang - membre du bureau national du PS, et président de la commission des affaires étrangères à l'Assemblée ;
  • Olivier Mazerolle - Journaliste

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Olivier Mazerolle : L’accumulation des découvertes des horreurs continue au Kosovo. Dans ces conditions, peut-on tolérer que Miloševic reste au pouvoir ?

Jack Lang : Ce qu’on découvre est monstrueux et révoltant. Je ne suis pas certain, malheureusement, qu’on ait découvert l’ensemble des abominations commises par la police et l’armée serbes. Ce n’est pas à nous à décider du maintien au pouvoir de Miloševic, c’est aux Serbes eux-mêmes…

Olivier Mazerolle : Il faut aller le chercher à Belgrade ?

Jack Lang : Je crois qu’il y a d’autres procédés et procédures. En particulier, il y a une procédure judiciaire internationale qui a été engagée. Personnellement, je fais confiance à la prise de conscience politique. Le peuple serbe finira par se rendre compte que le maintien au pouvoir de ce personnage salit la Serbie, la conduit à la ruine. Il devra être, le jour venu, puni et sévèrement puni.

Olivier Mazerolle : Le rêve d’un Kosovo multi-ethnique, Serbes et Albanais ensemble, s’enfuit tout de même !

Jack Lang : C’est vrai que cette situation ne rend pas aisée la cohabitation des communautés. Cela réclamera beaucoup d’efforts, de patience et d’obstination. Et comme vous le savez, l’Union européenne, et spécialement la France, sont prêtes à y consacrer toute leur volonté.

Olivier Mazerolle : Les élections européennes. Il y a une exception française en Europe : la France vote à gauche quand l’Europe vote plutôt à droite.

Jack Lang : C’est plus compliqué que cela. On aime bien simplifier les choses. Disons qu’en effet, il y a une particularité française : c’est cette victoire globale de la gauche, et en particulier de la stratégie de Lionel Jospin. Avec un petit regret : une fraction des jeunes et de l’électorat populaire a un peu déserté le Parti socialiste lors de cette élection ; ce qui réclame, de la part de notre parti, un besoin de rénovation supplémentaire pour retrouver nos racines, nous tourner vers le futur et construire plus que jamais un parti du mouvement, de la vie et de l’audace.

Olivier Mazerolle : Vous voulez dire que les jeunes ont voté Verts ?

Jack Lang : Ils se sont abstenus. Et par conséquent, je crois qu’il faut faire un travail pour que le Parti socialiste devienne beaucoup plus fortement un parti du rayonnement d’intellectuels, du rayonnement des idées et soit vraiment le parti du mouvement et de l’audace.

Olivier Mazerolle : Vous parlez comme Daniel Cohn-Bendit. Il était là l’autre jour et a dit : « Les Verts, ce sont les idées dans la société ; il faut les transformer en projets politiques. »

Jack Lang : Ils n’en ont pas le monopole. Il y a beaucoup de gens de talent au Parti socialiste qui ne manquent pas d’idées.

Olivier Mazerolle : Lesquels ?

Jack Lang : Ils sont très nombreux, partout ! Il y a une pléiade d’intelligences et de talents.

Olivier Mazerolle : Vous souhaitez un deuxième souffle à l’automne pour le Gouvernement ?

Jack Lang : Le Gouvernement a choisi une stratégie consacrée par les électeurs, globalement, puisque la gauche obtient un score tout à fait remarquable, ce qui est rare, et même exceptionnel, après deux années de gouvernement. Cela ne doit pas nous inciter à nous reposer sur nos lauriers mais, au contraire, à être plus inventifs, plus créatifs et plus dynamiques.

Olivier Mazerolle : Dans quels domaines ?

Jack Lang : Dans beaucoup de domaines ! Sur le plan de la protection des droits ; sur le plan des inégalités sociales qui, malheureusement, sont toujours aussi fortes, et qu’il faut faire reculer ; sur le plan de la fiscalité qui est toujours aussi injuste ; sur le plan de toute une série de réformes : l’échec scolaire qu’il faut faire reculer encore, etc. Pour un gouvernement, c’est une tâche de transformation immense.

Olivier Mazerolle : Partagez-vous la réponse faite par le PS au manifeste de Tony Blair et Gerhard Schröder : « la vraie gauche est en France » ?

Jack Lang : Je ne veux pas m’adonner à des simplifications de ce type. Nos amis anglais et allemands n’ont pas été d’une grande élégance à la veille du scrutin en publiant ce texte qui n’est pas, au demeurant, d’une grande hauteur intellectuelle. Et puis, il faut voir la réalité des choses. Il y a beaucoup de transformations, en Angleterre, qui sont très progressistes et très courageuses. Je pense en particulier aux réformes locales, ou encore à la réforme de la fiscalité, ou à ce qui a été entrepris pour surtaxer les profits des entreprises privatisées. En Allemagne, de même, il y a eu toute une série de réformes importantes, notamment sur la nationalité. Je crois que ce qui est très important, aujourd’hui, c’est d’ouvrir un vrai débat. Nous avons, à cet égard, un devoir de vérité : ne pas cacher les choses par les mots, ne pas nous payer de mots. Je pense qu’effectivement, nous devons, aujourd’hui, nous interroger sur ce qu’est un socialisme profondément transformateur dans une société moderne.

Olivier Mazerolle : Autre exception française : le Conseil constitutionnel vient de juger que la France ne pouvait pas appliquer la Charte européenne sur les langues régionales parce que la langue de la République, c’est le français.

Jack Lang : Mais en quoi la langue de la République – le français – interdirait-elle la reconnaissance pleine et entière des langues et cultures régionales ? C’est un combat d’arrière-garde qui est mené, qui est très ancien. Dès 1981, nous avons voulu changer les choses, il y a toujours eu des opposants…
Olivier Mazerolle : Au Conseil constitutionnel…

Jack Lang : Pas seulement le Conseil constitutionnel, il y a même des hommes politiques à gauche qui sont hostiles à ces transformations…

Olivier Mazerolle : Jean-Pierre Chevènement !

Jack Lang : Par exemple. Il a toujours été hostile à cette reconnaissance des langues et cultures régionales. Personnellement, je combats ce centralisme raboteur et niveleur des cultures des langues de France. C’est une des richesses du pays qu’il faut préserver et encourager. Bon, la naphtaline a encore quelques beaux jours devant elle.

Olivier Mazerolle : On vous dira que vous faites exploser l’union nationale.

Jack Lang : C’est une plaisanterie ! Comment pouvez-vous imaginer que la reconnaissance – d’ailleurs heureusement en marche ! – des langues et cultures régionales fasse exploser la République ? C’est une vision étriquée, étroite, archaïque, dépassée. La meilleure réponse, c’est de continuer, plus fort que jamais, à encourager les langues et cultures régionales partout en France.

Olivier Mazerolle : À bas le Conseil constitutionnel !

Jack Lang : Non, parce qu’il n’y a pas besoin d’une loi pour cela. Il suffit d’avancer par des mesures administratives, financières et autres. Ou alors, révisons la Constitution ! Moi, je suis d’accord.

Olivier Mazerolle : En 1981, vous avez fait appliquer en France le principe du prix unique du livre. Voilà que les commissaires – qui finissent leur mandat, M. Van Miert – disent : « c’est contraire à la loi sur la concurrence ; donc, on va abolir le prix unique du livre en Europe. »

Jack Lang : C’est un exemple, parmi d’autres, de ce qui se passe à la Commission depuis trop longtemps : à savoir, la dictature, je dirais, d’une idéologie marchande, rentabiliste, économiste qui fait fi de toutes les considérations humaines, sociales, culturelles. Et j’espère que la nouvelle Commission présidée par Prodi va pouvoir faire prévaloir des points de vue beaucoup plus humains. L’Europe, ça n’est pas seulement la jungle ; l’Europe, c’est aussi la culture, la science, l’éducation, la jeunesse. Et le coup porté à nos amis allemands et autrichiens n’est pas acceptable. Par conséquent, je crois que la France va soutenir à fond le Gouvernement allemand et le Gouvernement autrichien pour que le prix unique puisse continuer à exister en Allemagne et en Autriche.

Olivier Mazerolle : Vous êtes le « père » de la Fête de la musique en France. Maintenant, la Fête de la musique est devenue une fête européenne, y compris à l’Est. J’ai entendu que même la Moldavie s’était mise à la Fête de la musique.

Jack Lang : Absolument ! Je crois que c’est devenu un événement. Cette petite idée, qui est née voici une quinzaine d’années sur les bords de la Seine, a fait le tour de la planète, notamment de l’Europe. Moi-même, je pars tout à l’heure à Barcelone, puis à Rome pour donner le coup d’envoi à la Fête de la musique. On peut dire que plus de 100 millions de personnes vont participer à cette Fête de la musique. C’est le plus grand festival de musique du monde. Je crois que c’est surtout un événement qui rassemble des gens de toute sorte ; et ce qui les rassemble, c’est l’amour, le désir du partage, la passion, l’envie de se retrouver. Et je crois que cela peut contribuer aussi à la paix des esprits et à la créativité de l’Europe dont nous parlions à l’instant.

Olivier Mazerolle : Un peu d’imagination : je m’appelle Romano Prodi ; je suis nouveau président de la Commission ; je décroche le téléphone et je dis : « Jack, venez me rejoindre à la Commission pour faire la culture en Europe ! »

Jack Lang : Romano Prodi est un homme que je connais depuis longtemps. Il m’est arrivé souvent de discuter avec lui de ce sujet, et de lui dire à quel point…

Olivier Mazerolle : Mais vous allez à la Commission, si on vous le propose ?

Jack Lang : Je n’ai pas envie de me laisser enfermer dans une fonction ou dans une autre. J’ai la chance d’être libre, de pouvoir aller où je sens que je peux rendre service. Pourquoi est-ce que je me laisserais emprisonner ici ou là, à Bruxelles ou ailleurs ?