Interviews de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, à France 2 le 11 mars 1997 et à RTL le 25, sur l'intervention du chef de l’État sur les jeunes (qualifiée de "causerie médiatique... consternante"), la parution de son livre en forme de lettre ouverte aux jeunes sur la politique, et la lutte contre le Front national.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Interview de M. Jacques Chirac, président de la République, sur les jeunes le 10 mars 1997. Parution du livre de M. Robert Hue chez Stock "il faut qu'on se parle" le 19 mars 1997

Média : Emission L'Invité de RTL - Emission Les Quatre Vérités - France 2 - RTL - Télévision

Texte intégral

Date : mardi 11 mars 1997
Source : France 2

G. Leclerc : J. Chirac a donc consacré, hier, deux heures aux jeunes et vous-même, vous allez leur adresser dans quelques jours – le 19 mars exactement – ce petit livre : Il faut qu’on se parle, chez stock. Deux heures de J. Chirac sur les jeunes pour leur donner des motifs d’espérance en matière d’éducation et d’insertion. Est-ce que vous partagez l’optimisme de J. Chirac, est-ce qu’il a répondu à toute les attentes des jeunes ?

R. Hue : Je partage surtout le terrible scepticisme et la déception certainement de beaucoup de jeunes qui ont regardé l’émission. Une fois de plus, on a vu, là, une sorte de communication politicienne, une causerie médiatique qui a été consternante, pourquoi ? Parce qu’elle ne débouche pas sur des actes concrets. Pour les jeunes, la principales question – toutes les enquêtes, y compris celles qui marquent leur optimisme, le montrent – c’est l’emploi dont il faut parler. Or J. Chirac, hier, et c’est quand même invraisemblable, n’a apporté aucune proposition en matière d’emploi des jeunes. Les dispositions qu’il a imaginées concernant l’éducation – encore qu’elles sont très floues – la formation continue, sur toute une série de mesures d’ailleurs, il ne dit pas qui va financer, il dit simplement qu’il va faire appel à la démarche associative, aux personnes retraitées, au patronat, à la volonté du patronat. Mais le patronat, le grand patronat, on lui donne des centaines de milliards depuis des années. Il les met à la spéculation, il ne les met pas à l’emploi des jeunes. C’est vraiment très grave, il y a des mesures à prendre à la hauteur du problème posé.

G. Leclerc : Il a donné quand même un certain nombre de directions, de mesures concrètes. Par exemple, il veut éradiquer l’illettrisme avant la fin de son septennat, on va connecter les établissements secondaires avec les réseaux informatiques, on va réformer les programmes. Rien que sur les questions d’éducation…

R. Hue : Cela, ce sont les dispositions dont tout le monde a fait le constat et qui sont nécessaires dans un pays moderne comme la France, sauf qu’il en parle, il en a causé hier mais, concrètement, avec quels moyens va-t-il faire les choses ? Par exemple cela n’est pas la première fois qu’il y a un plan d’informatisation dans l’éducation. Qui a payé ? Au départ, le Gouvernement, le pouvoir, l’État donne quelques millions de francs mais ensuite, c’est qui ? Ce sont les collectivités locales, les collectivités territoriales, on demande à nos concitoyens de mettre la main à la poche une nouvelle fois, pour faire face à ces problèmes. Il me semble qu’i faut faire tout à fait autrement. De l’argent, il y en a dans cette société, il faut effectivement le contrôler, le mettre à l’éducation. C’est ce que je propose dans toute une série de dispositions dont je parle dans ce livre.

G. Leclerc : Sur l’emploi, a-t-il dit, il faut développer l’apprentissage, les stages diplômants et puis il a lancé un appel aux entreprises, en disant : il faut que vous embauchiez.

R. Hue : Oui mais cet appel aux entreprises, il n’est pas nouveau. S’il y avait une mesure positive, hier, dans cette intervention du Président de la République, je l’appuierais. Je ne suis pas contre tout mais pour que l’on avance dans cette société où c’est terrible, ce chômage qui écrase tout. Or, rien sur l’emploi – je le répète –, rien sur la précarité. Cette précarité chez les jeunes, elle est terrible. Il a parlé des 600 000 jeunes qui sont effectivement privés d’emploi, mais il y en a 800 000 qui sont dans une situation de précarité terrible. Qu’est-ce qu’on fait par rapport à eux ? Moi, je propose effectivement que, très vite, on transforme les stages qui sont instables en emplois stables précisément. Il y a des centaines de milliers d’emplois à créer. Si on dit cela simplement, sans préconiser les moyens concrets, on raconte des boniments. C’est ce que j’écris dans mon livre, il ne faut pas prendre des engagements que l’on ne tiendrait pas, en politique. Par exemple, je propose aussi la création de 700 000 emplois pour les jeunes, mais c’est une mesure qui apparaît “démago” si jamais on ne dit pas où on va prendre l’argent. Moi, je dis où on va prendre l’argent. Il y a, effectivement, à contrôler cet argent public : l’argent du contribuable passe pour l’essentiel actuellement, non pas à l’emploi des jeunes quand on le donner au patronat mais, je le répète, à la spéculation. Cela, c’est la politique des marchés financiers. C’est invraisemblable. Regardez, J. Chirac, hier, n’a pas dit un mot à propos de Renault, sauf pour dire que la méthode n’était pas bonne.

G. Leclerc : Justement, il y a plusieurs milliers de salariés français et belges qui se retrouvent à l’occasion du comité de groupe. Est-ce que vous pensez vraiment que l’on peut encore sauver l’usine de Vilvoorde ?

R. Hue : Naturellement. Quand on évoque – comme J. Chirac hier aurait dû le faire – les problèmes de l’emploi, il faut parler de Renault. Je suis allé en Belgique samedi dernier et j’ai rencontré les salariés, les syndicats de l’entreprise, il faut voir cette entreprise ; le Président hier parlait de technologies nouvelles, c’est une entreprise où, il y a deux ans, on a mis plusieurs milliards pour la modernisation. C’est une merveilleuse entreprise. Alors, on casse tout cela et il y a des milliers de jeunes. En France, c’est pareil. Je crois qu’il faut bien voire d’ailleurs la détermination de ces salariés.

G. Leclerc : Donc, vous pensez que l’on peut garder Vilvoorde ?

R. Hue : Qui, absolument.

G. Leclerc : Rien n’est joué ?

R. Hue : Non seulement cela, mais on peut également éviter ce que préconise désormais le Gouvernement, plus ou moins : la suppression de milliers d’emploi dans les usines françaises d’automobiles. Je pense que l’on peut faire autrement et je veux stigmatiser l’incroyable hypocrisie du pouvoir. Hier, Jacques Chirac à nouveau s’est ému à la télévision : “la forme n’était pas bonne”. Mais qui peut, un seul instant, penser que la décision de fermer cette usine a été prise sans lui, sans le Premier ministre ?

G. Leclerc : Le Gouvernement était au courant ?

R. Hue : Bien sûr que oui, il était au courant. Il a donné son aval. C’est sa politique. C’est celle qui choisit, avec la politique maastrichtienne, plutôt les marchés financiers que l’emploi pour les jeunes et l’emploi en général.

G. Leclerc : Une autre question tout à fait différente : il y a un débat aujourd’hui à l’initiative du Gouvernement sur la parité hommes-femmes. On a dit qu’A. Juppé pourrait aller jusqu’à faire inscrire les quotas dans la Constitution pour imposer les quotas hommes-femmes. C’est une bonne décision ?

R. Hue : De toute façon, il faut absolument que l’objectif de la parité avant et s’il y a un obstacle constitutionnel, il faut le dépasser. Je suis pour cela.

G. Leclerc : Donc, les quotas dans la Constitution et, d’une façon générale, des mesures pour la parié ?

R. Hue : Ah oui, oh combien ! On est en queue de peloton en Europe. C’est lamentable. Les communistes, d’ailleurs de ce point de vue, ont souvent donné l’exemple avec beaucoup d’élus femmes, encore au Parlement actuellement.

 

Date : mardi 25 mars 1997
Source : RTL

J.-M. Lefèbvre : Vous publiez une lettre aux jeunes sous forme d’un ouvrage, c’est la nouvelle mode politique, on s’adresse directement ?

R. Hue : J’ai souhaité, et les éditions Stock m’ont sollicité dans cet esprit, écrire un livre où je dis aux jeunes : aujourd’hui vous rejetez la manière dont est faite la politique, et vous n’avez pas tort, il faut la faire complètement autrement, mais il faut faire de la politique. C’est l’objet du livre, et je pense que c’est d’un sérieux coup de jeune que la politique a besoin. Dans ce livre, je donne mon sentiment. C’est un appel au dialogue, je n’y assène pas mes vérités, mais je donne un certain nombre de fondements de ce que je pense être, devoir être, la politique aujourd’hui : comme le devoir de résistance, le devoir de parole, le devoir citoyen. Autant d’éléments qui me semblent essentiels à la politique aujourd’hui.

J.-M. Lefèbvre : Il y a certaines phrases qui peuvent surprendre comme : j’ai voté non à Maastricht, et pourtant je suis attaché à la réussite d’une véritable construction européenne.

R. Hue : Je pense qu’il faut une véritable Europe, une communauté en Europe. Et d’ailleurs les jeunes rêvent d’une Europe à laquelle ils rêvent n’est pas celle de la spéculation, ce n’est pas l’Europe des marchés financiers. Beaucoup découvrent d’ailleurs aujourd’hui que l’Europe de Maastricht n’est pas l’Europe qu’ils souhaitent. Ils veulent une Europe des échanges, une Europe des coopérations, et je crois qu’ils ont raison. Il faut construire cette Europe-là, ce n’est pas l’Europe de la fermeture d’une usine ultramoderne en Belgique. Autant d’éléments qui, je crois, effectivement, appellent aujourd’hui à dire : il faut faire l’Europe mais complètement autrement. C’est pourquoi d’ailleurs, le PC se prononce pour une construction européenne qui ne soit pas celle de la monnaie unique, mais une construction qui s’inscrive dans le sens d’une Europe beaucoup plus sociale. Il faut rediscuter en profondeur l’ensemble des questions européennes.

J.-M. Lefèbvre : Autre surprise : l’entreprise. Les communistes qui veulent des entreprises qui soient gérées démocratiquement alors que vous dites qu’actuellement, c’est le profit qui domine. Donc, vous êtes partisan d’une entreprise plus démocratique ? L’esprit d’entreprise souffle dans le livre ?

R. Hue : Oui, je pense qu’il ne faut pas diaboliser l’entreprise de même qu’il ne faut pas diaboliser l’argent. Ce qu’il faut, c’est que les entreprises soient gérées autrement, que les salariés aient leur mot à dire dans l’entreprise, les usagers aussi. Imaginons si les salariés du Crédit Lyonnais avaient pu donner leur point de vue sur les choix d’investissement, les grandes orientations de ces dix dernières années, en la matière dans cette banque, ils n’auraient pas fait effectivement les mêmes choix qui ont conduit à ces plus de 100 milliards de trou financier. Ils pourraient orienter différemment les choix d’entreprise. C’est dans ce sens qu’il faut travailler.

J.-M. Lefèbvre : Vous évoquez aussi le désarroi social et politique qui, pour vous, profite à Le Pen. Est-ce que, pour vous, il y a un défi insupportable ? Est-ce que, pour vous, ce n’est pas une marque de l’échec du PC quand vous écrivez : « L’audience du Front national dans les milieux populaires… » ? Donc, pour vous, c’est un défi, c’est un échec que d’avoir laissé filer ainsi les électeurs et les sympathisants ?

R. Hue : En tous les cas il est clair aujourd’hui, pour le PC, qu’il faut relever ce défi dans les quartiers difficiles, où le Front national a des résultats électoraux, sur la base de la souffrance des gens qui y vivent, l’insécurité qu’ils ressentent. Il faut donc réinvestir ce terrain des quartiers difficiles. Il faut, à mon avis, beaucoup plus prendre en compte ces difficultés, les porter, et ne pas laisser à Le Pen, qui, en fait, a une démarche fondamentalement contraire à l’intérêt des gens de ces quartiers : une démarche visant à la division, à chercher le bouc émissaire. Il faut vraiment porter une autre démarche dans ces quartiers. Mais, en même temps, il y a à mener le combat sur les valeurs. D’ailleurs, on évoquait les jeunes, mais je vois que les jeunes rejettent profondément les idées de Le Pen. C’est très encourageant. Un sondage récent Sofres-RTL, montre que les jeunes rejettent – plus encore que la moyenne des Français – les idées de Le Pen. ? Il faut voir comment ce rejet du Front national est en fait chez les jeunes quelque chose où ils ont la dignité, la personne humaine à fleur de peau. Et c’est très bien ! D’ailleurs, je dois dire que ce qui va se passer à Strasbourg, eh bien j’appelle à cette manifestation, j’y serai personnellement, j’y vais absolument, je veux le dire encore ce soir, c’est un appel que je fais, que le PC fait. Nous devons, à Strasbourg, voir que ce n’est pas une manifestation comme les autres. C’est un appel qui doit être une véritable levée citoyenne par rapport aux idées du Front national, contre Le Pen. Et c’est dans cet esprit, que oui, avec le PC, nous y serons et avec de nombreux démocrates naturellement.

J.-M. Lefèbvre : Certains au PS demandent l’interdiction du Front national ?

R. Hue : Je ne m’inscris pas dans cette démarche, car je crois que si le Front national était interdit demain, il resurgira sous un autre nom. Il faut s’attaquer au fond, aux idées du Front national. Et surtout, et c’est ce que le PC s’efforce de faire : reconquérir, dans les quartiers difficiles, populaires, une partie de ce qu’il a pu gagner. Et je crois que c’est ce travail militant, ce devoir de résistance sur le terrain, ce devoir de fraternité sur le terrain, qui peut faire reculer au fond, Le Pen. Et c’est un devoir national.

J.-M. Lefèbvre : Mais pour l’emploi alors – puisque là aussi c’est un des thèmes de la crise actuelle et de ce désarroi – vous proposez en fait quelques vieilles recettes : l’embauche à nouveau par l’État, de nouveaux fonctionnaires. Donc vous allez alourdir encore le déficit ?

R. Hue : Je crois que, pour l’emploi, la gauche doit lancer un signal progressiste. Il faut une véritable mobilisation des ressources et des énergies pour l’emploi. C’est pour ça que, avant d’évoquer les 700 000 emplois que nous proposons de créer, pour les jeunes en particulier – mais il y a d’autres emplois à créer naturellement pour d’autres catégories de population – on ne peut pas simplement énoncer, comme ça, “il faut créer 700 000 emplois ! Voilà comment on va faire ! ” Il faut dire où nous allons prendre les moyens de cette politique. Et c’est là qu’il y a des différences entre le PS et PC actuellement. Nous voulons surmonter ces différences. Nous, nous disons : ne racontons pas d’histoires. Si on veut vraiment créer ces centaines de milliers d’emplois nécessaires, il faut dire où on va prendre l’argent et utiliser l’argent autrement. Et je crois que tant qu’on n’aura pas fait la proposition forte à gauche de taxer la spéculation, les mouvements spéculatifs au plan financier – ne pas laisser la porte ouverte avec Maastricht et la monnaie unique, aux marchés financiers – tant qu’on ne prendra pas des dispositions en la matière, les propositions de créations d’emplois risquent d’être en fait, quelque chose de difficile à tenir. Et ça, ça serait terrible de ne pas tenir ces engagements. Je propose qu’il y ait effectivement, notamment dans les grands services publics de ce pays, beaucoup d’emplois de créés. L’inventaire fait aujourd’hui dans le domaine de la santé, des postes, mériterait au moins 500 000 emplois nouveaux de proximité et d’autres, stables. Je propose que, au moins la moitié de ces emplois soit réservée aux jeunes. Je pense également qu’il faut certes, je répète, orienter l’argent autrement utiliser l’argent public – qui va actuellement soi-disant à l’emploi mais qui va en fait à la spéculation – autrement. Mais ça ne suffit pas. J’entends bien que certains disent : il faut rester à dépenses constantes en matière d’emplois. Non ! Il faut taxer, il faut avoir le courage de taxer l’argent dans ce pays, l’argent qui spécule, l’argent qui va à l’argent !