Discours de M. François Bayrou, Président de Force démocrate, et extraits des déclarations de Mme Anne-Marie Idrac et MM. Méhaignerie, Barrot et Arthuis, ministres et membres de Force démocrate, sur le projet politique de Force démocrate, Paris le 15 mars 1997, parus dans "Démocratie moderne" du 1er avril 1997.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Conseil national de Force démocrate à Paris le 15 mars 1997

Média : DEMOCRATIE MODERNE

Texte intégral

Conseil national

Discours de François BAYROU

Mes chers amis, cela a été une longue journée qui suivait elle-même une longue soirée de travail pour les cadres départementaux de notre mouvement, une longue journée qui – me semble-t-il – doit donner à chacun d’entre nous un sentiment d’optimisme profond.

En raison, d’abord, de la qualité des débats – près de 60 responsables de fédérations se sont exprimés sur chacun des chapitres de notre projet, et tous sans exception ont souligné la qualité du travail qu’Anne-Marie Idrac a conduit ; tous, sans exception, ont souligné que ce texte, préparé par cette équipe, traduisait un certain nombre des attentes profondes qui étaient les leurs devant l’évolution de la société que nous vivons.

Je veux dire, à mon tour, à Anne-Marie Idrac qu’elle a bien mérité de cette réflexion, qu’elle a bien mérité de notre famille politique et qu’elle prend sa place, à son tour, dans la chaîne de ceux qui ont écrit les projets de notre mouvement, leur ont donné un visage et un sens. Merci Anne-Marie Idrac.

Et puis c’était une occasion de vérifier, par l’expérience, ce qu’était la rénovation profonde de notre famille politique. Ce qui m’a frappé toute la journée, hier soir et ce matin, c’était le sentiment profond que chacun avait dans nos rangs de vivre une grande aventure politique, de participer à un de ces moments où des femmes et des hommes très nombreux, par milliers, se retrouvent, se rencontrent pour essayer de changer le cours des choses, pour poser leur marque sur le destin de la société à laquelle ils appartiennent. Et la joie de voir l’adhésion de beaucoup de ceux qui nous entourent, qui nous rejoignent et qui choisissent de venir participer à ce même projet.

La grande formation politique de l’espace démocrate.

Ce projet, il faut le nommer par son nom. Ce que nous faisons ici d’essayer – de commencer plus exactement – de donner à la France la grande formation politique qui manque depuis des décennies au centre, sur l’espace démocrate, pour que l’équilibre des forces politiques en soit changé et que le destin de notre pays prenne un autre visage. Nous voulons donner à la France la grande formation politique de l’espace démocrate.

Espace démocrate, qu’est-ce que ça peut dire ? Que sommes-nous en train de construire ?

Pierre Méhaignerie a, ce matin, décrit assez bien les cinq grandes forces que l’on peut apercevoir aujourd’hui : les deux extrêmes, et puis, à notre droite, le Rassemblement pour la République, qui assume une part très importante de responsabilité avec une majorité de la majorité et un Premier ministre à sa tête dont, je veux le répéter – c’est moins difficile à dire aujourd’hui que cela ne l’était hier – qu’il est courageux et estimable, qu’il fait bien son travail. Naturellement le RPR, cette sensibilité républicaine et nationale, à sa place dans notre majorité et non seulement sa place mais sa légitimité, son histoire ; il est juste qu’elle y soit et qu’elle s’y exprime. Le déséquilibre de la majorité, s’il existe, ne vient pas de la force du RPR ; le déséquilibre de la majorité, il vient de la faiblesse structurelle qui était celle de notre espace politique. C’est sur cet espace politique du centre que, depuis longtemps, se nourrissait la faiblesse ou le déséquilibre de la majorité. C’est ce que nous sommes en train de corriger. C’est notre projet. Et nous sommes en train de le corriger pour quoi ? Parce que nous savons que les projets de la majorité, la politique qu’elle conduit, ne seront pas les mêmes selon que nous serons forts ou que nous serons faibles. L’espace politique que nous couvrons, qui a vocation à exister et, je crois, à peser un jour fortement sur le destin du pays, cet espace importe à l’avenir de la France. Il importe à l’avenir de la France que la majorité soit équilibrée entre ses républicains et ses démocrates. Entre le RPR et la grande formation du centre que tous nous essayons de construire. Et c’est cela, précisément, qui nous donne notre force et notre dynamique d’engagement. Je vais essayer d’en prendre rapidement quelques exemples.

Une économie de marché au service d’un projet fraternel.

Je suis frappé de voir – et Pierre Méhaignerie l’a dit à notre place – qu’il y a dans la conscience profonde de la France aujourd’hui, une double attente. Une de ces attentes, nous le voyons bien, c’est que nous puissions répondre aux défis du temps.

La France voit bien que l’économie est devenue mondiale ; pour qu’elle vive et qu’elle soit forte, il faut que ses entreprises le soient. La France voit bien quelle est l’importance aujourd’hui des marchés monétaires, des disciplines de gestion. Ne vous trompez pas, les Français n’en ignorent rien dans leur tréfonds. Simplement, ils attendent que quelqu’un leur dise à quoi cette libéralisation de échanges, des marchés, de la production, à quoi tout cela va servir. Ils attendent avec impatience qu’on réconcilie cette démarche économique avec un projet de société. Je suis frappé de voir à quel point l’inquiétude des français porte sur le point de savoir où tout cela va, à quoi tout cela conduit, quel est l’horizon de cette démarche économique.

Je suis frappé de voir à quel point l’inquiétude se nourrit de l’incapacité où nous sommes, nous la France et nous l’Europe, de proposer un projet de solidarité et de générosité comme horizon à cette démarche économique.

Ce qui manque c’est l’horizon.

Les Français sont prêts, bien entendu. Nous le constatons tous les jours. Prêts à consentir des sacrifices. Ils les subissent aujourd’hui. Ils sont prêts à vivre les changements nécessaires. Ils les vivent tous les jours depuis des années. Ils veulent savoir à quoi ces sacrifices vont servir, où ces changements conduisent. C’est plus que jamais la question du projet de société qui se retrouve placée au cœur du débat politique. C’est à cela que nous nous efforçons de répondre. Notre réponse est celle-ci : bien entendu, la preuve est faite, sans qu’elle puisse être discutée par personne, la preuve est faite que l’économie de marché, la société des échanges, la liberté de la production et des échanges produisent plus de richesses, sont capables de faire naître plus de création que n’importe quelle autre organisation sociale dans le monde.

On a tout essayé : à l’Est, vous le savez, l’économie dirigée. La preuve est désormais apportée que pour ce qui est de la créativité d’une société, c’est bien l’économie de marché qui est, sans aucune comparaison possible, la réponse la plus adaptée.

Encore faut-il que l’on soit capable d’assigner à cette économie de liberté, un but ! Encore faut-il que l’on soit capable de dire quelle société, plus généreuse qu’aujourd’hui, mieux ordonnée qu’aujourd’hui, plus fraternelle qu’aujourd’hui, plus solidaire qu’aujourd’hui, on peut construire grâce à l’énergie que permet l’économie de liberté. C’est notre projet. Certains ont dit : « économie sociale de marché ». Je dirais volontiers économie de marché au service d’un projet généreux, au service d’un projet fraternel. Et nos compatriotes attendent que l’on décline devant eux ce projet fraternel là. Je vais prendre seulement quelques exemples à partir de ceux qui ont été énoncés dans la journée.

Tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut maîtriser la dépense publique. Tout le monde est d’accord pour voir que les déséquilibres générés par une charge trop importante de la dette publique, se retournent, au bout du compte, contre ceux-là mêmes qui étaient les bénéficiaires de la dépense publique. Tout le monde est d’accord. Encore faut-il se mettre d’accord sur les priorités. Encore faut-il être capable de dire, par exemple, que l’éducation (pardonnez au ministre de l’éducation de défendre, une seconde, devant vous cette priorité) est un investissement tel pour l’avenir d’un pays qu’il faut, en effet, que l’on sache ordonner la dépense publique à partir – c’est un exemple – de cette priorité.
J’étais très heureux que Pierre Méhaignerie dise qu’il fallait mette le droit à l’éducation hors de portée de l’injustice due à l’argent ; qu’il fallait que le droit à l’éducation s’impose comme un absolu et que nous soyons capables de garantir à tous, quelque que soit l’état de fortune, quelle que soit la situation sociale, le droit d’exercer pendant toute sa vie ce qui était hier le privilège de quelques-uns. Une société mieux ordonnée est celle qui est capable d’énoncer ses priorités. Je suis certain que c’est dans l’écriture soigneuse – et le projet s’y exerce – de ce qu’aura de social, de ce qu’aura de solidaire et de généreux notre économie de marché, que se situera la meilleure défense possible de cette organisation de la société. Autrement il y a une menace pendante que l’on voit tous les jours se développer dans un certain nombre d’extrémismes. Cette menace s’énonce ainsi : nos sacrifices, nous ne voyons pas à quoi ils servent, donc nous allons remette en cause l’organisation même de la société dans laquelle nous vivons. On voit naître des protestations un peu anarchiques, un peu désespérées, un peu immaîtrisées, qui menacent jusqu’à l’architecture même de la société que nous avons choisi de former ensemble. Je suis frappé de ce que la question du sens de nos efforts, la question du projet de société, est désormais pendante dans tous les débats et dans tous les conflits.

Le renouveau de la famille

Cette question du projet de société s’appuie, me semble-t-il, c’est le deuxième article que je voudrais souligner de conclusions de cette journée, sur un immense besoin moral, un immense besoin de morale, de la part des français. Je n’emploie pas ici le mot « morale » au sens d’un ordre moral et même pas seulement au sens d’une norme morale. Mais je crois que les français ont besoin que l’on présente à leur choix, à leur réflexion, des réponses à un certain nombre de questions qu’ils se posent sur le sens de la société à laquelle ils appartiennent. Je voudrais vendre un seul exemple : j’ai très peu souvent parlé de famille à cette tribune. Comme un certain nombre d’entre vous, j’étais un peu arrêt » par le sentiment que la famille était tellement en train de changer de visage, qu’elle présentait désormais un modèle si différent du modèle traditionnel pour beaucoup d’entre nous, que j’étais retenu par le sentiment qu’on pouvait donner à ceux qui vivaient une expérience différente (je pense aux familles monoparentales par exemple), qu’ils étaient mis de côté, laissés sur le bord de la route. Et j’aurais trouvé ça extrêmement regrettable. Et bien la famille, elle revient dans le débat par ceux qui, hier, paraissaient le moins sensibles à cette problématique.

Elle revient dans le débat par les adolescents. Par les jeunes. Dans toutes les enquêtes d’opinion que l’on mène, lorsque l’on demande aux jeunes quelle est la valeur qui leur paraît prioritaire, la valeur qui leur paraît le mieux répondre à un certain nombre d’attentes qui sont les leurs, la réponse qui vient de très loin en premier, c’est la famille. Avant l’école, avant le système de formation, avant la démocratie, avant la télévision, etc.

Comme si, de nouveau, s’exprimait le besoin de ce lien de sincérité, de ce lien d’échange, de ce lien de chaleur humaine qu’est le lien familial. Je crois qu’il faut que nous saisissions cette occasion pour dire, qu’en effet, il y a des réponses qui ne peuvent pas être formulées en dehors su lien qui unit une personne à une autre personne dans une communauté de proximité.

La démocratie de proximité.

J’ai été, de la même manière, frappé par la demande que la démocratie de terrain fait désormais apparaître. Cette demande, on aurait pu croire pendant longtemps qu’elle serait une demande de communication. Les nouvelles technologies de la communication permettent désormais l’échange d’informations lointaines, l’accession à des sources documentaires, la connaissance instantanée d’événements ou de documents qui, hier, étaient interdits. Je ne sais pas si vous vous êtes fait la même réflexion que moi, mais on aurait pu s’attendre à ce que cette chance de communication lointaine et facile permette désormais de gouverner de plus loin. Et bien c’est exactement le contraire qui se produit. Plus nos compatriotes disposent d’outils de communication, plus ils expriment le besoin du pouvoir de près, de la proximité, de la présence, de la chaleur humaine. Je suis certain que nous devons répondre à cette attente. Et réfléchir, notamment, sur l’organisation de la démocratie de proximité. Pendant tout un temps on n’a eu qu’une idée, c’était celle de supprimer un certain nombre de dizaines de milliers de communes de France, pour ressembler au modèle administratif de nos voisins. Or, ceux qui prônent ce modèle se heurtent à une exigence, celle du droit à la chaleur humaine, y compris dans l’exercice de la démocratie. Il y a là une nouveauté dont personne n’avait pris véritablement la mesure. En réalité, la technocratie se contentait de déduire de la facilité accrue des échanges que le pouvoir serait plus efficace sir le champ en était plus étendu. Les nouvelles attentes qui s’expriment sont des attentes morales. Et je pourrais multiplier les exemples de cette nature.

Le fait que j’énonce ici une morale de la générosité et de la chaleur humaine n’empêche pas, bien entendu, que l’on prenne aussi en compte l’exigence morale de nos concitoyens qui est l’exigence d’honnêteté. Il faut savoir en effet qu’un certain nombre de condamnation des attitudes politiques viennent de ce que nos concitoyens constatent : beaucoup trop d’hommes politiques, et plus généralement d’hommes de pouvoir (quels que soient les pouvoirs, économiques, administratifs, politiques…) se sont abstraits des règles simples qu’eux, les citoyens, s’imposent à eux-mêmes.

Au-delà de l’apparence

Je voudrais faire une réflexion à partir de cette constations. Pendant très longtemps, pendant des décennies, la politique et le reste de la société – mais la politique en particulier – ont été le lieu de l’apparence. Pendant des décennies, on a donné aux électeurs, téléspectateurs, le sentiment que c’était les « sunlights » et la capacité à mobiliser l’attention médiatique la plus superficielle, qui faisaient la différence en politique. Je voudrais vous dire ceci : la différence en politique, elle se fera désormais par le fond. Le temps où la différence se faisait par l’apparence est derrière nous. C’est désormais par la capacité à parler du fond – la sincérité et l’authenticité quand on parle du fond – que se fera la différence. C’est pourquoi, il est capital que nous n’hésitions pas à aborder comme il a été fait ce matin, à propos de tous les domaines de notre vie publique, les problèmes les plus enracinés, les plus profonds, les plus sérieux que notre réflexion politique se propose à elle-même. Je suis persuadé que c’est là qu’on nous attend et que c’est probablement là qu’est notre chance. C’est dans cette réponse nouvelle que les français attendent désormais les hommes politiques.

Le sens de la démocratie : la participation

J’ai noté dans les débats de ce matin, l’immense attente qu’il y avait autour de la démocratie de participation. Cela m’a paru très encourageant, car je crois que la question que les citoyens se posent au fond d’eux-mêmes est celle-ci : les démocraties sont-elles gouvernables ? Et la plupart de nos concitoyens et la plupart des hommes politiques sans doute, ont probablement la tentation de répondre : non, les démocraties ne sont pas gouvernables. Parce qu’on a le sentiment que dès que l’on propose une réforme, des résistances se lèvent pour empêcher la réforme de se faire ; chaque fois qu’une avancée est promise, elle devient impossible en raison de la protestation qu’elle entraîne. On a l’impression que les véritables décisions de prennent sur les marchés financiers lointains et que les engagements politiques dépendent de l’émotion fugace d’un instant à la télévision. Il y a un profond scepticisme sur la démocratie et son fonctionnement. Je crois que ce scepticisme n’est pas justifié. Ce qu’il faut comprendre, c’est que nous ne sommes pas en train de vivre une crise. C’est vrai en économie, et bien c’est vrai aussi pour la démocratie. Nous ne sommes pas en train de vivre une crise, nous sommes en train de vivre un changement d’époque. Une crise c’est un accident pendant lequel un monde ordonné se trouve déréglé, puis revient à l’ordre. D’ailleurs, tout le monde l’a cru. Regardez le nombre de responsables politiques qui ont annoncé au travers du temps que nous allions sortir du tunnel. Que les clignotants, s’étaient remis eu vert – je cite des métaphores habituelles des hommes politiques, que tous, d’un bord et de l’autre, ont adoptées. La vérité est que nous ne sommes pas dans une crise. Nous sommes dans un changement d’époque. Cela a une traduction en économie ; cela a une traduction aussi en démocratie. En démocratie, ma traduction est simple : le temps des tchèques en blanc est fini.

Ce qu’André Santini a dit à la tribune à propos du conseil municipal d’Issy-les-Moulineaux, me paraît complètement juste pour toutes les autres autorités, les plus élevées, les plus nationales, aussi bien que pour les autorités du pouvoir local. Pendant plus d’un siècle, la démocratie a consisté pour les citoyens à avoir rendez-vous une fois tous les cinq, six ou sept ans avec une urne. Les citoyens y prononçaient leur choix et puis, pendant cinq ans, c’était aux gouvernants de gouverner. Jusqu’au prochain rendez-vous au cours duquel ils vérifiaient si on était content d’eux ou pas. Dans le premier cas, on les réélisait, dans le deuxième cas, on les changeait. C’est comme ça que fonctionnait la démocratie de représentation. Ce temps-là est fini. Parce que les citoyens sont formés et informés. Parce que de nouveaux moyens de communication ont été mis en place. Les citoyens n’acceptent plus que leur sort ne dépende pas d’eux dans l’intervalle entre deux élections.

C’est un changement profond de toutes les attitudes politiques et, en particulier, un changement profond de la décision politique. Désormais la décision, fût-elle la mieux fondée, fût-elle la plus indiscutable doit se prendre avec le gens. Et pas sans eux. Et pas loin d’eux. Et par leur tomber à l’improviste sur le coin de la figure. Les citoyens ont le droit, exigent d’être associés à la préparation de la décision comme de véritables partenaires. Probablement est-ce la première fois dans l’histoire que le mot « démocratie », le « gouvernement du peuple », prend tout son sens. Et c’est pourquoi nous avons choisi ce mot comme emblème. Ce qui est à construire, c’est un nouveau rapport entre les citoyens et ceux qui ont la responsabilité de la décision politique. Ce nouveau rapport ne pourra pas s’établir sans que les institutions, aujourd’hui affaiblies, se trouvent renouvelées en prennent toute leur force. Je pense en particulier – pardonnez-moi de m’en faire le défenseur à cette tribune – je pense en particulier à l’institution syndicale. Nous avons besoin – notre projet le dit et il a raison de le dire – nous avons besoin de médiation entre les citoyens et les pouvoirs. Les organisations syndicales ont vocation à exprimer d’autres attentes que les attentes purement politiques, des attentes qui touchent à la vie des gens, qui touchent à leur travail, qui touchent à leur entreprise, qui touchent aux relations sociales ; les syndicats, mais aussi les associations, mais aussi le tissu de la démocratie locale. Mais ces institutions ne suffisent plus, il faudra en inventer d’autres. Ce n’est pas un hasard si le Général de Gaulle, après mai 68, eut cette intuition. Nous, nous voulons inscrire la participation non comme un prétexte, non comme un habillage ; nous voulons inscrire la participation comme la priorité de la nouvelle construction de la société démocratique que nous sommes en train d’inventer et que nous souhaitons voir naître.

Se garder des simplismes

Dernière demande, et je m’arrêterai là pour ne pas être trop long, la demande d’Europe. Je ne suis pas d’accord avec l’optimisme de notre ami qui, à l’instant, expliquait que le combat était gagné. Je crois exactement le contraire. Je crois que le combat européen, il est devant nous. Les choix européens sont devant nous. Il suffit de voir à quel point l’Europe est devenue, dans toutes les formations politiques en dehors de la nôtre, un sujet de discorde, un sujet de division. Regardez l’importance et l’influence, dans toutes les formations qui nous entourent, à notre droite et à notre gauche, regardez l’importance et l’influence de ceux qui sont en réalité, même s’ils s’en défendent, des anti-européens. Ils saisissent toutes les occasions, sans en laisser passer une, de dénoncer ce qu’est la vie quotidienne de l’Europe qui a, comme notre propre vie quotidienne, ses accidents. En réalité, chaque fois qu’ils dénoncent une parole, une décision, un débordement de l’Europe, ce n’est pas un accident qu’ils dénoncent, c’est l’Europe qu’ils condamnent. Derrière telle déclaration, tel accident de langage ou telle bêtise technocratique, c’est l’Europe qu’ils visent. Il faut que dans cette période qui va être très difficile – nous allons prendre les décisions sur la monnaie européenne et sur les institutions européennes – nous soyons déterminés à être les avocats et les défenseurs actifs de l’Europe.

J’ai fini avec ce que je retenais de cette journée.

Un mot sur ce que cela implique comme attitude politique. Je suis frappé de voir ressurgir dans le débat un certain nombre de thèmes qui appartiennent en réalité au passé. Qui appartiennent à hier. De voir à quel point on regarde quelquefois dans le rétroviseur, au moment où il va s’agir de faire les grands choix d’avenir. Je vois un certain nombre de nos amis, à qui je parle avec amitié ; je les vois et je les lis se prononcer pour qu’on choisisse comme slogan pour les élections qui viennent : « il faut que la France sorte du socialisme ». Mes chers amis, j’aimerais rappeler quelque chose : nous avons la majorité absolue – et quelle majorité ! – au Parlement depuis 1993 ; nous avons la majorité absolue – et quelle majorité ! – au Sénat, depuis longtemps ; nous avons le gouvernement de la France depuis 1993 et le président de la République depuis 1995. Si avec le Président, le Gouvernement, la majorité à l’Assemblée, la majorité au Sénat – je pourrais y ajouter les régions de France que nous gouvernons dans leur presque totalité – si nous ne sommes pas capables de montrer que la France est sortie du socialisme, alors c’est que nous avons un problème politique ! Et mon impression est qu’il n’y a pas un Français qui ait le sentiment que la question qui va se poser en 1998 est celle de savoir si la France est sortie du socialisme ou va sortir du socialisme. La question que les français se posent pour 1998 et au-delà, c’est celle de savoir s’il y a un projet pour la France, si ce projet leur convient et si la France est sur la voie de la réalisation de ce projet. Voilà la question. Et cette question nous impose de bien plus grands efforts de pensée, de création, de générosité et de propositions que celles de recommencer les polémiques stériles que nous avons connues depuis longtemps. Que nous expliquions qu’un certain nombre de propositions que le Parti socialiste fait aujourd’hui, sont profondément dangereuses pour l’avenir de la France me semble fondé. Je vais en prendre une. Le Parti socialiste propose de supprimer toutes les baisses de charges qui ont été accordées à des catégories particulières de nos entreprises ou à certains types d’emplois pour financer les 700 000 emplois qu’il propose de créer en une seule année. Je crois que c’est une erreur fondamentale. Je crois, nous l’avons dit à cette tribune, qu’une des principales causes du chômage, c’est le poids excessif des charges, le coût excessif total que le travail représente, et qui rend les entreprises occidentales moins compétitives qu’elles devraient l’être dans la grande compétition économique. Proposer de remonter les charges sociales pour un nombre très important d’emplois, c’est aller à contre-courant. Le dénoncer est un combat juste. Mais je voudrais que l’on sorte des pensées simplistes que j’évoquais à l’instant et qui vont dérouter profondément nos compatriotes qui auront le sentiment que l’on reprend des polémiques d’hier.

Se battre avec ses propres armes

Un mot, dans cette attitude politique, du combat qu’il convient de mener contre l’extrême droite, contre le Front national.

Je voudrais dire ceci : il y a des moments où il faut savoir identifier ce qui est en train de se jouer et la catégorie de risques à laquelle appartiennent un certain nombre de discours.

Je veux vous dire clairement que le discours sur l’inégalité des races est un discours dont l’Occident et l’humanité ont fait, au XXe siècle, l’expérience. Il a donné le plus grand malheur que l’histoire de l’humanité ait rencontré. Il faut être capable de le désigner avec précision pour savoir à quelle catégorie de risque il expose. C’est de ce discours sur l’inégalité des races qu’est venu le plus grand malheur que le monde ait rencontré depuis qu’il est monde. C’est de ce discours, et pas d’un autre. De même que, d’une manière générale, l’exploitation minutieuse de tous les thèmes qui peuvent provoquer la haine, le mépris de l’autre, l’affrontement avec celui, qui dans la rue, dans l’entreprise, dans l’école, est notre voisin. Cela ne peut donner que des fruits dramatiques pour l’avenir de notre pays et, plus largement, pour l’avenir des sociétés auxquelles nous appartenons. Il faut savoir ce qu’est la nature du danger. Et en face de ce genre de risque, il faut être d’une intransigeance absolue. Il faut ne rien céder.

Je n’engage que moi en le disant mais je veux le dire : il ne me paraît pas sain et il ne me paraît pas utile d’aller rechercher constamment les thèmes de l’extrême droite pour en faire des thèmes de notre discours. Certains le pensent. Je crois qu’ils se trompent. Lorsque l’on aperçoit des risques, il faut savoir identifier ces risques et nommer ces risques.

Mais, en même temps, deuxième proposition : je crois qu’il n’est ni sain ni utile pour la démocratie et pour ceux qui la défendent de faire du Front national le sujet unique de nos prises de position, de nos affirmations politiques, de notre discours politique. Il n’est pas sain et il n’est pas utile de multiplier à tout propos les manifestations qui donnent, à ceux qui pourraient être tentés par ce genre de vote, l’impression que c’est le seul vote de déstabilisation ou de transgression d’un monde politique qu’ils refusent. Et il me semble qu’il faut avoir le courage de choisir ces deux attitudes à la fois.

D’une part, intransigeance absolue sur le fond et, d’autre part, refus d’assurer, jour après jour, soirée après soirée, la publicité du Front national en faisant la référence unique de nos débats.

Il me semble que le seul moyen de combattre efficacement le Front national, c’est de présenter des projets plus cohérents plus courageux, plus solides plus cohérents, plus courageux, plus solides et plus attrayants que les siens. Il me semble que le seul moyen de faire reprendre au Front national l’étiage qu’il n’aurait jamais dû quitter, c’est d’être plus fort que lui. C’est-à-dire plus présent, plus entreprenant et plus généreux.

Reprendre confiance en la vie

C’est en nous qu’est le secret de la victoire. C’est en notre propre mobilisation et dans notre propre dynamique que se trouve ce secret. Et c’est, en particulier, en donnant à la France et aux Français le sentiment que nous sommes à l’écoute non seulement de leurs problèmes, mais aussi de leurs enthousiasmes.

Je veux vous dire ceci et ce sera, pour ainsi dire, ma phrase de conclusion. Le Président Clinton a gagné les élections présidentielles américaines de manière facile. Tous les observateurs ont noté que le secret de son succès, c’est qu’il avait compris, avant les autres, que quelque chose avait basculé dans la conscience américaine et que les américains avaient de nouveau envie d’être heureux. Envie qu’on leur dise des choses positives. Ils avaient repris confiance en la vie.

Eh bien, il me semble que quelque chose du même ordre est en train de se passer en France. Je crois que les français sont courageux et, au total, plus prêts au dynamisme, plus prêts à l’entreprise, plus prêts à l’effort qu’on ne le croit. L’évolution des sondages ne traduit pas autre chose.

 

Projet FD : l’idéal démocrate qui est le nôtre - Anne-Marie Idrac

« Les principales orientations de ce projet sont d’abord : les choix pour l’emploi, choix économique, choix social »

La préparation d’un projet est un moment fort dans la vie d’un parti, il l’est peut-être plus particulièrement pour nous. Et ce pour au moins trois raisons : nous faisons du combat politique un combat pour les idées, un combat pour des valeurs, fondé sur notre charte, nous voulons construire non pas seulement un programme (…) mais le cadre, l’orientation, d’un projet de société. Le débat d’aujourd’hui doit donc être d’abord un débat d’idées, un débat d’orientation. Force démocrate est ensuite un parti récemment refondé, en croissance, et un parti de militants, dont de nombreux nouveaux venus que nous sommes heureux d’accueillir (…). Or, notre modèle de société est celui de la participation, nous privilégions le local et l’expérimentation plutôt que la réforme uniforme et par le haut. Nous préférons l’écoute et le respect des partenaires à l’affirmation de solutions définies et a priori. Appliquons ces idées au fonctionnement du parti pour faire du débat d’aujourd’hui un débat de militants, d’élus et d’acteurs du terrain, fondé sur l’expérience, sur le bilan de ce qui marche et de ce qui bloque. Enfin, Force démocrate est un parti responsable, un parti de gouvernement important dans la majorité depuis 1993, et qui doit être plus important encore dans la majorité de demain. Nous avons des problèmes une approche lucide, courageuse et, de ce fait, d’autant plus généreuse. Pour être crédibles et forts, il nous faut être cohérents dans nos propositions, il nous faut affirmer les points clés auxquels nous tenons. (…) Les principales orientations de ce projet sont d’abord les choix pour l’emploi, choix économique, choix social. Il n’y a bien sûr pas de différence entre les deux. Notre option stratégique est claire : pour l’emploi, il faut créer de la richesse et non pas répartir la pénurie. Il faut donc créer un environnement favorable à l’initiative et à l’entreprise : pour ne pas pénaliser l’emploi par l’excès des charges publiques, charges réglementaires ou charges financières, il faut poursuivre l’effort de maîtrise de la dépense publique et de réforme du secteur public en fixant les priorités de ses interventions. Notre priorité absolue d’action est une nouvelle étape dans la baisse des charges sociales : il s’agira d’une réduction de coût du travail profitant aux entreprises et aux salariés. Elle sera dans un premier temps au moins concentrée sur les bas salaires et prendra la forme d’une franchise forfaitaire générale sur les premiers milliers de francs. (…)

« Nous concevons la politique familiale comme un investissement, centré autour de l’accueil de l’enfant, justifiant à ce titre des choix spécifiques ».

Ensuite, le choix de la cohésion sociale. Notre positionnement politique est clair : nous voulons que chacun trouve sa place dans la société, nous refusons les générations ou les groupes sacrifiés. Nous devons – plus que d’autres sans doute – affirmer que si nous sommes pour l’économie de marché, nous ne sommes pas pour la société de marché. (…) La solidarité n’est pas un « à côté » de la politique économique mais au centre de notre stratégie globale. (…) Troisième enjeu, la concrétisation de nos valeurs de société (…). Nous faisons de la famille un élément essentiel de notre positionnement, et de la responsabilité des familles l’un des fondements majeurs de la société. Nous concevons la politique familiale comme un investissement, centré autour de l’accueil de l’enfant, justifiant à ce titre des choix spécifiques que ne recouvrent pas les politiques sociales. (…) Il faudra là aussi fixer des priorités, notamment pour ce qui est du volet prestation de cette politique. (…) Fixons également quelques priorités concrètes, je pense personnellement au problèmes de la malnutrition des entrants. Le choix de l’intégration est le second élément majeur de notre projet de société : nous entendons là l’intégration de tous, le respect des valeurs de la République dont nul ne peut s’exclure ni être exclu. Les propos de François Bayrou sur la laïcité sont à cet égard notre référence. C’est dans ce cadre-là que s’expriment nos positions sur l’immigration, que Claude Goasguen a parfaitement calé en trois : le refus de l’immigration clandestine, et son outil le plus efficace, la lutte accentuée contre le travail clandestin, la poursuite tenace et courageuse (…) des efforts d’intégration par l’emploi, le logement, la vie locale, des populations étrangères, ainsi que la priorité à accorder désormais à la coopération avec les pays d’émigration. Nos valeurs de société, c’est aussi : la culture, et a qualité du cadre de vie. Les problématiques de développement durable devront trouver à se traduire en lignes d’actions. C’est bien sûr l’éducation, conçue comme une chance tout au long de la vie. Quatrième enjeu, celui de la démocratie de participation. Il s’agit en réalité d’un thème transversal, une affirmation de méthode, celle de la considération et du respect celle du local, celle de la proximité, qui nous identifie de manière très spécifique dans le paysage politique. L’élément majeur en est bien sûr la décentralisation, il s’agit pour nous de la faire vivre, d’enrichir son efficacité, plutôt que de proposer de nouveaux big-bangs institutionnels concernant par exemple la répartition obligatoire de compétences entre collectivités locales. Par contre, nous regrettons une fois de plus que le mode de scrutin retenu pour 1998 ne permette pas l’affirmation de l’identité régionale, et le renforcement de la région.

Enfin, l’Europe. (…) Sur ce sujet, le débat sera riche aussi je le sais. Il le sera aujourd’hui, il le sera pendant la campagne pour les législatives où nous serons une fois de plus en plus vaillants porteurs du drapeau européen. Comme nous l’avions dit en novembre, aimer la France, aimer l’Europe, pour nous, cela ne se distingue pas. Apprivoiser économiquement et socialement la mondialisation, c’est l’ambition la plus chaleureuse que nous devons avoir pour l’Europe. Nos priorités de gouvernement sont je crois, d’ores et déjà, assez claires : la monnaie unique aux échéances prévues (…), l’adaptation des institutions pour plus d’efficacité et plus de lisibilité et ce en préalable aux élargissements qu’il faut maîtriser, un mode de scrutin de proximité pour le parlement avec une circonscription restant à définir. (…) Affirmons clairement nos ambitions, elles sont fortes : nous sommes les plus européens et les plus décentralisateurs. Nous voulons réconcilier l’économie d’initiative avec la priorité à la cohésion sociale, faire la synthèse entre les deux. Nous voulons réconcilier les communautés de proximité, la communauté nationale fondée sur la valeurs d’intégration, et la communauté européenne, communauté au sens du cœur, au sens d’espace de puissance, de prospérité et de civilisation.

 

Pierre Méhaignerie

Lorsque nous réfléchissons à un projet, nous devons nous interroger sur les attentes de ceux qui ne sont pas dans cette salle. Cette attente, aujourd’hui, c’est d’abord une attente de résultats en niveau de vie, en emplois. C’est aussi une attente en matière de politique de proximité, une attente en matière d’intégrité morale, certes, mais aussi intellectuelle, parce qu’ils sont adultes et ne veulent plus entendre certains slogans. La première attente de nos compatriotes, c’est tout ce qui tourne autour de l’emploi et de la croissance. La deuxième attente, c’est tout ce qui tourne autour des sécurités de l’individu et des problèmes sociaux. La troisième, c’est tout ce qui concerne la vie démocratique, la participation des citoyens, le cumul des mandats, les institutions et l’Europe. (…) Les leviers traditionnels ne suffiront pas pour redonner de la vigueur et de la croissance à la France. Seules des réformes structurelles d’envergure permettront de répondre aux trois enjeux d’aujourd’hui qui ont été abordés ici, comme la mondialisation. Que nous le voulions ou non, la mondialisation est là et elle profite à beaucoup de nations, alors arrêtons de la critiquer (…). Deuxièmement, au niveau de la mutation technologique, nous prenons du retard, comme Charles Baur l’a dit tout à l’heure. Et le troisième enjeu, dont on ne se rend pas compte suffisamment, c’est le vieillissement de la population, qui porte sur le pouvoir d’achat des actifs une très lourde tribu, et qui crée aussi des insatisfactions. Ces réformes de structure, elles ont été faites ailleurs. (…) Il faut donner de la confiance à nos compatriotes et leur dire que si nous faisons ces réformes nécessaires, nous aurons des résultats. Quelles réformes ? Anne-Marie Idrac en a cité quelques-unes, je voudrais les hiérarchiser.

« Il ne faut pas uniquement considérer les charges pesant sur les employeurs, mais aussi les charges pesant sur les salaires et les salariés ».

La première pour moi, la plus importante, et Jean Arthuis nous y aide, c’est la volonté coûte que coûte de stabiliser la dépense publique, parce qu’elle conditionne l’allégement des charges sociales, la motivation des hommes, la capacité d’investissement du pays, parce qu’il y a des marges de productivité dans le secteur public, parce que nous avons du retard, et parce que la protection du contribuable et de l’entreprise en matière de fiscalité aujourd’hui est une marque de respect pour ceux qui travaillent. (…) Deuxième objectif par rapport à ce résultat : recentrer l’État sur ses fonctions essentielles. (…)

Troisième voie pour y parvenir : alléger le poids des réglementations qui pèsent sur la capacité d’initiative. Nous en parlons tous les ans, nous ne le faisons pas, et je ne suis pas sûr que nous n’ayons pas encore accumulé les réglementations et plus nous réglementerons, plus nous multiplierons les carcans qui pèsent sur l’acte de produire. (…) Il faudra aussi poser le problème de l’avenir des retraites du secteur public. (…) La seule des promesses fiscales que nous devrions faire, c’est l’allégement des charges sociales pesant sur les salaires. (…) Il faut une masse critique suffisante pour qu’il y ait un effet de levier. Il ne faut pas uniquement considérer les charges pesant sur les employeurs, mais aussi les charges pesant sur les salaires et les salariés. Lorsqu’on regarde la différence entre quelqu’un qui travaille du SMIC et quelqu’un qui est au RMI, avec un ou deux enfants, cette différence n’est pas suffisamment significative. (…) Si, dans les trois ou cinq années qui viennent, nous nous concentrions sur l’allègement des charges sociales, ce serait le meilleur moyen de réduire la fracture sociale française. (…) Ce programme, oui, il doit être libéral, c’est la condition de la réussite. Mais cette réussite, nous ne pourrons pas la mettre en œuvre si elle n’est pas au service d’un projet social. Et c’est là où, à l’intérieur de la majorité actuelle, nous devons être ceux qui font l’articulation entre le projet social et la réussite économique. (…) Le premier combat à mener est celui de la lutte contre l’exclusion. Il y a une place pour tout le monde dans la société française, et nous devrions essayer de faire à la table familiale une place pour la onzième convive. Mais sans faire de malthusianisme. La loi Robien a quelque chose de positif, de très bon, je le défendrai, mais quelque chose aussi de dangereux, qui développe un peu l’esprit du malthusianisme, en disant : c’est en restreignant les parts de chacun que nous allons résoudre le problème de l’emploi. Je n’y crois pas. (…) Comment pouvons-nous, réellement, et non pas en slogan, lutter contre les inégalités ? Je ne vois qu’une solution : c’est mettre hors de la portée de l’argent un certain nombre de fonctions : l’école, l’initiation artistique et musicale, en partie les problèmes de santé, en partie les problèmes de logement, les aménités de la vie et de certains loisirs. C’est le seul moyen pour que, dans la société, il n’y ait pas deux classes qui, de plus en plus, se creusent. Il y a donc là une recherche à faire. Mais, dans le même temps, cela peut nous donner des arguments vis-à-vis de tous ceux qui défendent, quel que soit le résultat, le service public. (…) Il y a une troisième voie possible, c’est la voie libérale sociale. Elle est alliée avec la voie libérale. Et il faut dire à nos électeurs qui sont sceptiques, qui ne croient plus aux idées, ce que je disais aux agriculteurs sceptiques sur le progrès, quand j’ai commencé ma carrière professionnelle à Grenoble. Je ne leur lisais pas de grands circulaires, je leur disant : « Regardez par-dessus la haie ». Dites aux Français aujourd’hui : « Regardons par-dessus la haie ». Quels sont les pays dans le monde qui ont réussi ? Vous constatez que la quasi-totalité des pays qui réussissent en Europe et dans le monde, sont ceux qui choisissent la voie libérale et la voie sociale. Voilà la raison pour laquelle nous devons avoir confiance en nous-mêmes.

 

Jacques Barrot

« Nous avons deux ennemis : le dirigisme, pour l’entreprise plongée dans la concurrence mondiale et, le malthusianisme qui guerre la société française et les société européennes ».

Je serais tenté de vous dire d’abord que dans la mondialisation qui s’accélère, on ne fera rien sans une économie forte, concurrentielle et sans goût d’entreprendre. (…) Et nous avons deux ennemis. Le premier, c’est le dirigisme (…) qui n’a aucun sens, pour l’entreprise plongée dans la concurrence mondiale (…). Le second, c’est celui qui guette la société française et les sociétés européennes : (…) Le malthusianisme qui est lié à la démographie (…). Nous comptons 160 000 nouveaux venus chaque année sur le marché du travail. C’est évidemment une situation tout à fait particulière, que nous ne retrouverons pas, car à partir de 2005 et déjà à partir de 2001, il y aura une décélération et nous aurons autant d’arrivants sur le marché du travail que de départs à la retraite ce qui modifiera formidablement les choses, mais il ne faut pas que dans cette période très difficile, avec une croissance faible d’un côté et une très forte arrivée sur le marché du travail de nombreux Français, nus nous réfugions dans une sorte de peur de l’avenir et d’un malthusianisme qui doit être notre ennemi numéro un.

(…) Il faut une économie plus créative et une économie plus réactive. Je m’explique. Plus réactive. Quels sont les facteurs principaux de compétitivité ? C’est d’abord l’innovation d’investissement et c’est ensuite, qu’on le veuille ou non, le coût et – j’y ajoute – la qualité du travail. (…) Le premier facteur, c’est l’innovation et l’investissement. (…) Sil les États-Unis n’avaient pas pris le taureau par les cornes dans les années 1980, et avait provoqué une sorte de « boom » sur l’investissement, sur les nouvelles technologies, aujourd’hui ils ne seraient pas dans leur position actuelle. Je suis tout à fait d’accord pour reconnaître les défauts du modèle sociétal américain mais on ne peut pas non plus ne pas reconnaître que les Américains ont connu un rebond formidable parce que qu’à un moment donné ils ont investi. (…) Le deuxième point, c’est le coût du travail. Il faut (…) prioritairement baisser les charges sur le travail : et pour être très clair, les cotisations de l’entreprise sur le travail. (…) Hier j’étais à Bruxelles pour essayer de sauver notre plan textile français. Nous avons là une démonstration grandeur nature. Le plan textile a relancé les investissements, parce qu’il est fondé sur des baisses de cotisations de l’entreprise. Je ne dis pas, comme vous le voyez, cotisations patronales. (…) J’y ajoute tout de même, et là en accord avec nos amis de la CDU, et notamment des sociaux de la CDU (…), il n’y a pas que le coût du travail, il y a aussi la qualité du travail. Et la qualité du travail, cela veut dire qu’on exclut les méthodes anglaises où les gens sont embauchés, je dirai presque, à la journée. On ne peut pas exiger une qualité du travail. (…) Mais il faut aussi que cette économie soit réactive. La réactivité d’une économie se mesure à deux paramètres. D’abord, la souplesse horaire. (…) Il faut qu’il y ait des accords d’entreprises qui permettent une souplesse horaire convenue entre salariés et dirigeants d’entreprises. La deuxième capacité de réactivité tient à la mobilité. Et pour que la mobilité ne soit pas une mobilité sauvage, mais une mobilité qui soit assumée sans peur, il faut un droit de tirage de chaque salarié à la formation continue toute la vie (…) Il me semble que si nous arrivions à tenir cela, nous aurions une économie plus réactive (…). Mais il me semble que si nous devons, et pour nous c’est un tryptique, amarrer la France et l’Europe sur une économie conquérante, sinon nous serons un continent en déclin (…) et si vous êtes sur un continent en déclin, vous ne pouvez pas bâtir cette communauté. Mon deuxième point, c’est justement cette communauté. La communauté, c’est vraiment dans notre personnalisme, qu’il soit d’inspiration chrétienne ou d’inspiration laïque. (…) La communauté veut dire que tout le monde vite ensemble, à l’abri de quelques grands risques et c’est ce qui fonde l’appartenance à la communauté. (…) Je distinguerai trois grandes familles de risques. Premièrement, les risques liés à la maladie, à la vieillesse. (…) Même s’il y a des améliorations qui donneront lieu à la loi sur l’assurance-maladie universelle : nous avons là un bon système. Mais il faut le gérer, il faut le mettre à l’abri des déficits chroniques pour pouvoir lui permettre de continuer. La deuxième famille de risques, ce sont tous ceux qui touchent à l’inactivité. (…) Il faut absolument arriver à intégrer ces gens qui n’ont pas d’activité dans les circuits actifs. Veillons à ne pas avoir des minorités qui vivent dans la passivité, parce que ce n’est pas à la mesure de la dignité des personnes et que c’est grave dans une société parce que ce syndrome qu’est la passivité d’un sort que l’on subit, de l’impossibilité de construire un projet de vie personnel ou familial (…) est un virus qui tue les ressorts de la société.

La troisième famille de risques, c’est l’ignorance. (…) En premier lieu, le combat contre l’illettrisme et tout ce souci, François, (…) de la formation continue. Parce que le risque d’ignorance sera peut-être le risque le plus grave dans un monde où ne possédant aucune langue étrangère, aucun accès au langage informatique, verra alors des exclus du savoir, des exclus de la communication. Il faut nous engager très fort sur ce sujet.

 

Jean Arthuis

« La France s’est abandonnée à l’économie mixte, à l’économie administrée, où tous les genres se mélangent et ou, à la sortie, on ne sait plus qui est responsable, entre la haute administration et le pouvoir politique. Convenons que le responsable, c’est le politique. »

Je crois qu’il faut cesser de traiter distinctement l’économie et le social. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une économie, c’est de finances qui soient au service des hommes et au service d’une société solidaire. (…) La France, pendant trop longtemps, s’est abandonnée à l’économie mixte, à l’économie administrée, où tous les genres se mélangent et où, à la sortie, on ne sait plus qui est responsable, entre la haute administration et le pouvoir politique. Convenons que le responsable, c’est le politique. C’est parce que, à un moment donné, nous avons manqué de courage, de lucidité, que nous avons ainsi joué les prolongations. Les contribuables français sont à la limite de la révolte aujourd’hui. Alors, recherchons les responsabilités, faisons la vérité sur ces opérations et, ainsi, nous pourrons regarder devant nous. (…) Nous savons bien aussi qu’aujourd’hui l’économie est devenue de moins en moins nationale, de plus en plus européenne, de plus en plus mondiale. Et la difficulté pour le politique, c’est de préserver les liens de solidarité d’une communauté comme la nôtre. Nous sommes engagés les uns par rapport aux autres, à faire respecter une solidarité, à gager nos retraites dans dix ans, dans vingt ans. Mais nous n’avons plus prise sur l’économie nationale comme hier, pouvaient l’avoir nos aînés.

(…) Anne-Marie Idrac a eu raison d’insister sur la nécessité d’alléger les charges sociales. Parce que, dans cette économie mondialisée, la tentation est permanente pour les acteurs économiques, confrontés aux exigences de compétition, d’aller rassembler les facteurs de production là où les conditions sont les plus favorables. Autrement dit, tout ce qui pèse sur le coût du travail est un facteur de délocalisation et, donc, de perte d’emplois. Ayons ce courage de remettre en cause globalement nos prélèvements obligatoires et de définir une réforme de l’impôt sur le revenu, pour rendre du pouvoir d’achat à ceux qui travaillent, à ceux qui investissent, à ceux qui vont de l’avant. C’est le sens de cette réforme. (…)

(…) Nous avons besoin de mettre de l’ordre dans nos finances publiques. Est-ce que le déficit public est conforme à l’idée que nous nous faisons de la démocratie ? Est-ce que ce n’est pas une caricature de démocratie que d’accepter le déficit ? Pouvons-nous offrir à nos enfants d’autres perspectives que celle d’avoir à rembourser les dettes que nous avons accumulées, parce que, à un moment donné, nous avons voulu être généreux, mais que nous n’avons pas eu le courage de mettre en recouvrement les ressources pour équilibrer les recettes et les dépenses. (…) Une démocratie qui se respecte est une démocratie qui prohibe le déficit de fonctionnement. Et je voudrais bien que nous allions dans cette voie. (…) Les épargnants pourront aller vers l’économie productive, celle qui va créer des emplois, celle qui va nous permettre d’atteindre nos objectifs de cohésion sociale au travers de l’initiative et de la responsabilité. J’ai donc besoin de toute votre aide pour définir des règles de gestion des finances publiques. Et je voudrais que la première règle soit la transparence. Pendant trop d’année, la gestion publique a été une culture d’opacité. C’est tellement commode, quand on ne sait pas combien ça coûte, de permettre à certaines régulations claniques de se perpétuer. (…) La République, c’est la transparence. La démocratie, c’est le courage et c’est la prohibition du déficit de fonctionnement. Ce sont ces règles simples, me semble-t-il, qui vont permettre à nos concitoyens de retrouver confiance dans leurs institutions. Pendant trop longtemps, on a reporté les échéances, reporté les réformes. (…) Je m’emploie à préparer la France pour le passage à l’euro. Quelque fois, on nous dit : l’euro, ce n’est pas possible, parce que cela altère notre souveraineté nationale. Mais qui peut dire que nous avions encore une souveraineté monétaire ? On sait bien quelles sont les grandes monnaies dans ce monde. On voit bien aussi le poids de marchés. Or si nous voulons retrouver une vraie souveraineté en matière monétaire, nous devons partager avec nos partenaires européens. C’est parce que nous aurons une monnaie unique au plan européen que cette monnaie sera l’une des grandes monnaies mondiales, l’une des grandes monnaies de réserve, et que nous aurons enfin les conditions de la stabilité monétaire. C’est l’instabilité qui a mis en péril notre économie. (…) Il faut y aller résolument et sans se poser de questions. Les seules questions qui valent aujourd’hui, c’est de savoir comment on y va, et donc de nous préparer à maîtriser ce passage à la monnaie unique et à faire en sorte que personne ne reste sur le bord du chemin de l’euro. (…) Si nous nous battons ainsi pour l’euro, c’est parce que notre conviction est qu’il nous donne confiance, et donc les moyens de l’investissement, de la croissance et de l’emploi. (…) Mais n’allons pas croire que l’euro va régler tous les problèmes. Il faut que nous réglions nos problèmes. Il faut que nous réglions nos problèmes structurels. Il faut que nous allions de l’avant dans les réformes pour nous préparer au changement. C’est ainsi que nous réussirons. L’euro, la monnaie, les finances, l’économie, nous les mettrons au service des hommes.

 

Bernard Stasi

« L’Europe doit apparaître comme une chance pour le monde »

L’incident qui opposé récemment la France au Parlement européen à propos du vote d’une motion demandant au gouvernement français de retirer le projet de loi Debré, je dis tout de suite que cette motion était scandaleuse. Mais j’ajoute que les réactions françaises ont été consternantes, alors qu’il aurait fallu que ceux qui se sont exprimés, en particulier notre ministre des affaires étrangères, dénoncent l’horrible manœuvre politicienne des socialistes français qui ont voulu utiliser le Parlement européen pour condamner la France. (…) Il y a de la part de la France une incohérence, qui n’est pas nouvelle entre la volonté que nous manifestons de démocratiser les institutions européennes, – et c’est vrai qu’il y a beaucoup à faire dans ce domaine – et en même temps empêcher que le Parlement européen devienne un parlement digne de ce nom. Je crois que nous devrions dire très clairement dans ce projet que si la CIG ne réussite pas, si nous ne réformons pas les institutions européennes, il faut retarder l’élargissement car accueillir dans les années qui viennent une dizaine de nouveaux pays sans avoir changé les institutions sera la fin de l’Europe et n’aura rien à voir avec ce que nous sommes en train de construire. Je crois qu’il faut aussi que l’Europe apparaisse comme une chance pour le monde. C’est aussi pour le monde que nous voulons construire l’Europe. L’Europe doit être exemplaire en ce qui concerne un certain nombre de valeurs, ainsi que dans la coopération avec les pays en voie de développement. Et nous le sommes, même si la France est plus à l’avant-garde que d’autres pays membres sur ce point. Nous devons aussi être exemplaires en ce qui concerne l’action en faveur de la paix. (…) Et si l’on considère la façon dont nous nous sommes comportés au cours de ces dernières années, on peut dire sans mal que le bilan est catastrophique. (…) Le problème n’est pas de savoir qui sera la voie de l’Europe, c’est de savoir si l’Europe a quelque chose à dire. L’Europe ne sera écoutée que si elle ne se contente pas elle-même d’écouter la voix de l’Amérique, mais aussi celle de son histoire, celle de sa culture, celle de sa vocation. Il est évident que l’Europe ne saura se faire entendre et comprendre du monde que si elle est capable d’entendre les appels et les attentes de la communauté internationale.

 

André Santini

« Être plus que jamais à l’écoute des gens ».

Merci, à Anne-Marie, de tout ce travail qu’elle a accompli, en respectant, en plus, les options de chacun, je puis en attester. Je voulais intervenir à la charnière de la proximité et de la participation. Car, finalement, c’est ce qui nous sépare, nous Force démocrate, des autres formations. Nous devons être capables d’être plus que jamais à l’écoute des gens. Depuis le dernier conseil national, j’ai été chargé par l’Association des maires de France, avec Michel Delebarre (lui rapporteur et moi président), de présider le groupe des maires pour l’emploi. Jacques Barrot a mis son cabinet à notre disposition, immédiatement.

On ne le dit pas assez, les maires ont un rôle considérable, aussi, à jouer en terme d’emplois. Personne ne va demander un emploi au président du Conseil général. Personne ne va demander un emploi au ministre du travail. Mais nous avons dans notre antichambre des queues régulières. Le ministre a les crédits, le maire a les chômeurs, la répartition est bien opérée. Nous avons donc voulu recenser tout ce qu’on fait les maires en France et c’est formidable. À enveloppe constante, il n’est pas question que l’État nous transfère des responsabilités, puisque nous n’avons pas la compétence sur le plan juridique. (…)

 

Jacques Richir

« Nous pourrons faire vivre un modèle social à la française ».

La réforme qui est en route est une réforme difficile, souvent bien comprise par nos concitoyens et par les assurés sociaux. Il est clair que, dans le droit fil de cette réforme et, en particulier, de la réforme de l’assurance maladie, il nous faudra aller beaucoup plus loin dans la mise en place d’une véritable et grande politique de santé et, tout particulièrement, de santé publique. (…) Nous aurons à prendre en charge les fléaux de notre société d’aujourd’hui. (…) L’État-providence repose sur le fait que chaque génération, successivement, contribue au système, puis en bénéficie dans une mesure à peu près comparable.

La mise en commun et la redistribution des ressources assumaient sa pérennité en se fondant sur la stabilité des données démographiques et socio-économiques. Au terme de trente-cinq à quarante ans de contribution, chaque cohorte de cotisants se transformait en cohorte de bénéficiaire, à jeu égal.

L’évolution des trente ou quarante dernières années fait voler en éclats ce système. (…) Faut-il, pour autant, baisser les bras face à cette situation ? J’ai le sentiment que, plus que jamais, c’est le rôle du politique d’aller au-devant de la population et de lui expliquer ces enjeux. (…) Je crois que si nous ne savons pas relever ce défi des charges sur les générations futures, alors, nous irons vers une véritable implosion de l’idéal républicain. Si, à l’inverse, nous prenons notre bâton de pèlerin, si, au cours de campagnes, celles de 98, les suivantes et sur le terrain, nous expliquons ces réalités à nos concitoyens, nous pourrons faire vivre un modèle social à la française, nous l’aurons rénové dans un souci de cohésion sociale et d’idéal républicain qui est le nôtre.

 

Français Bayrou

« La grande formation politique de l’espace démocrate »

Ce projet, il faut le nommer par son nom. Ce que nous faisons ici c’est d’essayer – de commencer plus exactement – de donner à la France la grande formation politique qui manque depuis des décennies au centre, sur l’espace démocrate, pour que l’équilibre des forces politiques en soit changé et que le destin de notre pays prenne un autre visage. Nous voulons donner à la France la grande formation politique de l’espace démocrate. (…) Il importe à l’avenir de la France que la majorité soit équilibrée entre ses républicains et ses démocrates. (…) On a tout essayé : à l’Est, l’économie dirigée. La preuve est désormais apportée que pour ce qui est de la créativité d’une société, c’est bien l’économie de marché qui est, sans aucune comparaison possible, la réponse la plus adaptée. Encore faut-il que l’on soit capable d’assigner à cette économie de liberté, un but ! Encore faut-il que l’on soit capable de dire quelque société, plus généreuse qu’aujourd’hui, mieux ordonnée qu’aujourd’hui, plus fraternelle qu’aujourd’hui, plus solidaire qu’aujourd’hui, on peut construire grâce à l’énergie que permet l’économie de liberté. C’est notre projet. Certains ont dit : « économie sociale de marché ». Je dirais volontiers économie de marché au service d’un projet généreux, au servie d’un projet fraternel.

(…) De la même manière, j’ai été frappé par la demande que la démocratie de terrain fait désormais apparaître. Cette demande, on aurait pu croire pendant longtemps qu’elle serait une demande de communication. Les nouvelles technologies de la communication permettent désormais l’échange d’informations lointaines, l’accession à des sources documentaires, la connaissance instantanée d’événements ou de documents qui, hier, étaient interdits. Je ne sais pas si vous vous êtes fait la même réflexion que moi, mais on aurait pu s’attendre à ce que cette chance de communication lointaine et facile permette désormais de gouverner de plus loin. Eh bien c’est exactement le contraire qui se produit. Plus nos compatriotes disposent d’outils de communication, plus ils expriment le besoin du pouvoir proche, de la proximité, de la présence, de la chaleur humaine. Je suis certain que nous devons répondre à cette attente. Et réfléchir, notamment, sur l’organisation de la démocratie de proximité. Pendant tout un temps on n’a eu qu’une idée, c’était celle de supprimer un certain nombre de dizaines de milliers de communes en France, pour ressembler au modèle administratif de nos voisins. Or, ceux qui prônent ce modèle se heurtent à une exigence, celle du droit à la chaleur humaine, y compris dans l’exercice de la démocratie. Il y a là une nouveauté dont personne n’avait pris véritablement la mesure. En réalité, la technocratie se contentait de déduire de la facilité accrue des échanges que le pouvoir serait plus efficace si le champ en était plus étendu.

« Les nouvelles attentes qui s’expriment sont des attentes morales ».

Les nouvelles attentes qui s’expriment sont des attentes morales. Et je pourrais multiplier les exemples de cette nature. (…) Je voudrais faire une réflexion à partir de cette constatation. Pendant des décennies, on a donné aux électeurs, téléspectateurs, le sentiment que c’étaient les « sunlights » et la capacité de mobiliser l’attention médiatique la plus superficielle, qui faisaient la différence en politique. Je voudrais dire ceci : la différence en politique, elle se fera désormais sur le fond. (…) Il y a un profond scepticisme sur la démocratie et son fonctionnement. (…) En démocratie, ma traduction est simple. Le temps des chèques en blanc est fini.

(…) Les citoyens n’acceptent plus que leur sort ne dépende pas d’eux dans l’intervalle entre deux élections. (…) Ce nouveau rapport ne pourra pas s’établir sans que les institutions, aujourd’hui affaiblies, se trouvent renouvelées et prennent toute leur fore. Je pense en particulier – pardonnez-moi de m’en faire le défenseur à cette tribune – je pense en particulier à l’institution syndicale. Nous avons besoin de médiation entre les citoyens et les pouvoirs. Les organisations syndicales ont vocation à exprimer d’autres attentes que les attentes purement politiques.

« Il me semble que le seul moyen de combattre efficacement le Front national, c’est de présenter des projets plus cohérents plus courageux, plus solides et plus attrayants que les siens ».

Des attentes qui touchent à la vie des gens, qui touchent à leur travail, qui touchent à leur entreprise, qui touchent aux relations sociales ; les syndicats, mais aussi les associations, mais aussi le tissu de la démocratie locale. Mais ces institutions ne suffisent plus, il faudra en inventer d’autres. Nous voulons inscrire la participation non comme un prétexte, non comme un habillage ; nous voulons inscrire la participation comme la priorité de la nouvelle construction de la société démocratique et que nous sommes en train d’inventer et que nous souhaitons voir naître. (…) Un mot, dans cette attitude politique, du combat qu’il convient de mener contre le Front national. Il y a des moments où il faut savoir identifier ce qui est en train de jouer et la catégorie de risques à laquelle appartiennent un certain nombre de discours. (…) Il ne me semble pas utile d’aller rechercher constamment les thèmes de l’extrême-droite pour en faire des thèmes de notre discours. (…) Il faut d’une part, intransigeance absolue sur le fond et, d’autre part, refus d’assurer, jour après jour, soirée après soirée, la publicité du Front national en faisant référence unique de nos débats. Il me semble que le seul moyen de combattre efficacement le Front national, c’est de présenter des projets plus cohérents, plus courageux, plus solides et plus attrayants que les siens. Il me semble que le seul moyen de faire reprendre au Front national l’étiage qu’il n’aurait jamais dû quitter, c’est d’être plus fort que lui. C’est-à-dire plus présent, plus entreprenant et plus généreux.