Texte intégral
Le Journal du Dimanche : L’an dernier, vous aviez parlé de rentrée zéro défaut pour cette année ; n’était-ce pas présomptueux ?
Claude Allègre : Je n’ai jamais dit que j’allais faire une rentrée zéro défaut. J’ai dit : je veux travailler avec l’objectif zéro défaut, et on a entendu : rentrée zéro défaut. Il n’en demeure pas moins que, cette rentrée, et pour la première fois, tous les postes sont pourvus. Malheureusement, des enseignants n’ont pas pris leur poste. Il faut donc les remplacer. Il y a bien sûr des gens malades, mais surtout des femmes enceintes – ah ! Le bébé de l’an 2000 – qui ont envoyé le jour de la rentrée leur certificat. Dans les lycées professionnels, c’est autre chose : du fait de la reprise économique, on ne trouve pas assez de professeurs dans le domaine du bâtiment ou de la réparation automobile. Les recteurs, les chefs d’établissement, tout le monde pourvoit les postes au cas par cas.
Le Journal du Dimanche : Reprenons tout de même point par point les revendications : le retard pris en matière de démocratie lycéenne ?
Claude Allègre : Mais ils n’ont pas encore voté ! Je ne peux pas être plus royaliste que le roi. Les organisations lycéennes m’avaient demandé de ne pas faire coter trop tôt pour avoir le temps de faire campagne. Je les ai écoutées et, aujourd’hui, on dit : la démocratie ne va pas assez vite ! Moi, j’étais prêt à faire voter dès la rentrée. Je viens donc de donner comme instruction aux recteurs d’accélérer le processus électoral dans les lycées et académies. D’ores-et-déjà, les choses ont bougé : trois fois, l’année dernière le conseil national de la vie lycéenne s’est réuni. C’est unique dans l’histoire ! Les conseils académiques de la vie lycéenne se réunissent également. Ils jouent un rôle positif pour résoudre des problèmes concrets. Cela avance dans la bonne direction.
Le Journal du Dimanche : Autre point, la rénovation des établissements…
Claude Allègre : Cela dépend des régions, mais 4 milliards de francs ont été débloqués. Peut-être qu’ici ou là les travaux ont pris du retard, mais c’est l’exception.
Le Journal du Dimanche : D’un côté, pas assez de professeurs ou de surveillants, de l’autre, trop d’élèves…
Claude Allègre : Nous avons nommé, comme promis, 3 000 surveillants et 5 000 enseignants titulaires en plus. Il y a 65 000 emplois-jeunes. C’est vrai qu’il y a des domaines – espagnol, sciences de la vie et de la terre, sciences physiques, et musique – où on manque de professeurs. Je ne peux pas fabriquer les profs ! Je ne peux pas prendre une flûte et aller enseigner la musique ! Quant au nombre d’élèves par classe, aucune terminale n’a plus de 35 élèves alors que, en 1997, quand je suis arrivé, il y en avait 1 100 à plus de 35 élèves ! Mais il ne faut pas se focaliser sur la baisse des effectifs ; l’année prochaine ou dans deux ans, ils seront 200 par amphithéâtre à l’université !
Le Journal du Dimanche : Les lycées professionnels ne sont-ils pas les grands oubliés ?
Claude Allègre : Les lycées professionnels sont notre priorité, mais c’est plus difficile que pour les lycées généraux, car nous voulons tout faire en partenariat avec les entreprises pour que les gamins trouvent du travail à la sortie. À Lille, nous avons organisé un colloque où nous avons réussi à faire se parler deux mondes entre lesquels un énorme fossé s’était creusé : l’enseignement et l’entreprise. C’est un changement profond des mentalités. Il fallait du temps. La réforme est maintenant en route. Des négociations lycée par lycée, région par région, branche par branche sont engagées pour le partenariat avec les entreprises. Il y a quelques retards à l’allumage, c’est vrai, on y travaille.
Le Journal du Dimanche : Bayrou, Madelin, Juppé vous critiquent, mais font aussi des propositions. Y prêtez-vous attention ?
Claude Allègre : C’est un grand mérite de ce gouvernement d’avoir remis l’éducation nationale au centre du débat politique. Dans les propositions d’Alain Madelin, je n’en ai aucune, si ce n’est qu’il veut casser le service public. J’attends celles d’Alain Juppé qui, maintenant qu’il n’a plus François Bayrou sur le dos, en a peut-être davantage. Je les regarderai avec intérêt. Je suis à l’affût de toutes les bonnes idées. Ce qui est amusant, ici comme ailleurs, c’est que l’opposition prétende avoir des idées quand elle n’a plus les moyens politiques de les mettre en œuvre ! Il est vrai que François Bayrou fait exception. Il n’avait pas d’idées quand il était ici. Il n’en a toujours pas depuis qu’il est dans l’opposition. Le débat sur l’éducation est intéressant : il y a les nostalgiques du passé, les impatients de l’avenir et ceux qui veulent casser le système. La position du gouvernement est raisonnée : renforcement et modernisation du service public, clarté dans les objectifs et fermeté dans une action réformatrice qui résout les problèmes paraît-il insolubles comme la déconcentration et ne ralentit pas son action.
Le Journal du Dimanche : Aux lycéens qui étaient jeudi dans la rue, qu’avez-vous envie de dire ?
Claude Allègre : Si je dois affronter une mauvaise humeur ou une impatience, c’est le prix à payer de la réforme. Je le sais depuis le début, sinon je n’avais qu’à gérer comme Bayrou ! C’était simple. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le président de la République ou l’ancien Premier ministre. Le gouvernement fait beaucoup pour la jeunesse : il veut l’aider. Il lui fait confiance et c’est nouveau. Bernanos dit : « C’est la fièvre de la jeunesse qui maintient le reste du monde à la température normale ; quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents. » Je souhaite que cette énergie ne se dissipe pas dans la rue, mais qu’elle se concentre désormais dans les études et la réussite. Je dis aux lycéens, dont je connais la formidable impatience : on vous entend, dialoguez avec vos proviseurs, avec vos professeurs, avec vos recteurs, mais rentrez dans les lycées et au travail !