Article de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, dans "La Revue politique et parlementaire" de novembre 1997, sur le projet gouvernemental sur la limitation du cumul des mandats intitulé "Le non-cumul, une nouvelle étape de la démocratie".

Prononcé le 1er novembre 1997

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Média : Revue politique et parlementaire

Texte intégral

Il est de bon ton de dénoncer aujourd'hui l'immobilisme et l'archaïsme du monde politique. Bien des facteurs alimentent cette opinion, et nul ne saurait contester que les formes traditionnelles de la représentation politique connaissent d'importantes contestations : montée de l'abstention, développement d'un vote protestataire, apparition de nouveaux clivages.

Du reste, le thème n'est pas nouveau. Il est même presque aussi ancien que la démocratie représentative. L'affrontement du « peuple et des gros », selon l'expression de Pierre Birnbaum, rythme toute l'histoire de la République. Dès la fin du XIXe siècle, les parlementaires ont cherché à compenser cette méfiance. Ce fut par exemple le sens de la loi de 1884 qui donna aux élus municipaux le droit de choisir leur maire qui, jusque-là, étaient nommés par les préfets.

Cependant, la nouveauté réside dans le fait qu'elle s'inscrit dans un contexte particulier, où la société n'est plus portée par un phénomène de croissance économique et où, avec l'impact de la télévision et des sondages, les Français se disent qu'ils n'ont plus autant besoin que par le passé de représentants. Aussi, il n'y aura pas de clarification de l'espace politique tant qu'il n'y aura pas de réponse claire à la question « Qui décide pour quoi faire » ?

Reste que, malgré ces excès, la critique n'est pas sans fondement, et la conviction d'un éloignement des élus vis-à-vis des citoyens ne doit pas être pris à la légère. D'autant que la fonction politique n'a jamais été aussi importante qu'aujourd'hui. Au moment où les structures classiques de la représentation évoluent, où la mondialisation donne aux organisations financières des pouvoirs jamais atteints jusqu'alors, il est essentiel que la fonction politique retrouve une entière crédibilité. Cela passe d'abord par la nature des politiques menées par les gouvernements. Mais il est également nécessaire de donner un nouveau dynamisme à notre vie démocratique et parlementaire. Parmi les éléments de réponse, la limitation du cumul des mandats est un aspect important, qui, ainsi que le rappelait Lionel Jospin, doit concourir à la modernisation de notre démocratie.

L'enjeu d'un tel débat est de rapprocher nos institutions et nos élus des citoyens et d'en finir avec ce particularisme français.

Est-il normal, dans une grande démocratie comme la nôtre, qu'un Premier ministre ait pu être dans le même temps maire d'une grande ville, président d'une communauté urbaine et leader d'une des principales formations politiques françaises ? N'y a-t-il pas quelque chose qui frappe le bon sens. Croit-on vraiment que chacune de ces fonctions ait pu être remplie correctement !

La limitation du cumul des mandats relève tout d'abord du respect des électeurs et des fonctions exercées. Elle apportera, par ailleurs, l'oxygène nécessaire à la vie politique française en permettant un renouvellement plus fréquent de nos responsables. Croit-on vraiment que les Français aient été dupes d'une telle situation ? Peut-on dire que chaque mandat est essentiel, et ne pas se consacrer pleinement à la tâche pour laquelle on a été élu ? Les Français supportent mal cette confusion des pouvoirs.

En outre l'accumulation des responsabilités est source, par endroit, d'importants conflits d'intérêts. La décentralisation impose de séparer plus nettement encore les responsabilités nationales et locales devenues particulièrement importantes. Montesquieu, dans L'Esprit des Lois, l'avait déjà noté, les pouvoirs sont d'autant plus solides qu'ils sont séparés. Enfin, le Parlement ressemble parfois à un théâtre d'ombres. Or, il constitue la tribune de notre démocratie, il est le cœur de notre système représentatif et délibératif. Il incarne les vertus du suffrage universel, l'élaboration collective de la loi, le contrôle de l'exercice du pouvoir. Elément central de notre modèle républicain, l'Assemblée nationale doit voir son travail revalorisé à travers le rôle des commissions, des groupes, de la discussion, de la participation au débat public. Or, comment assumer aujourd'hui une telle tâche en étant également responsable de l'exécutif d'une grande collectivité locale.

À l'occasion d'une convention nationale sur les « Acteurs de la démocratie », les socialistes ont formulé un certain nombre de propositions allant dans le sens d'une limitation du cumul des mandats et des fonctions. Trois grands principes peuvent d'ores et déjà être posés. Tout d'abord l'interdiction du cumul de deux mandats parlementaires (national et européen). Ensuite, la non compatibilité d'un mandat parlementaire et celui d'une fonction exécutive locale, c'est-à-dire maire, président de structure intercommunale, président de conseils régionaux ou de conseils généraux. Enfin, l'impossibilité d'exercer deux fonctions exécutives, telles que président de conseil général, président de conseil régional, maire d'une grande ville.

Certains envisagent la définition d'un seuil, pour la fonction de maire, en deçà duquel l'interdiction du cumul des mandats ne jouerait pas. Cette référence que l'on peut comprendre, risque néanmoins d'introduire une coupure entre la France urbaine et semi-urbaine. En revanche, tant que les responsabilités intercommunales n'émaneront pas du suffrage universel, la question peut rester ouverte.

Les opposants à une telle réforme font reposer leur argumentation sur un indispensable enracinement des hommes politiques et sur le contact avec le local. Mais le système français est sans équivalent Dans le reste de l'Europe, le cumul des mandats est pratiquement inexistant. Qui pourrait croire pour autant que les citoyens des autres États européens soient moins bien représentés que les Français ? En outre, un parlementaire pourra dans le système proposé rester conseiller municipal, général ou régional et même occuper des fonctions dans les bureaux des assemblées délibérantes. Où est le risque de la déterritorialisation de nos parlementaires.

La réforme du cumul des mandats ne constitue cependant pas une fin en soi. Elle doit s'inscrire dans une perspective plus large, comprenant la réforme de l'État, les prolongements de la décentralisation, la question des modes de scrutin pour les élections régionales, sénatoriales voire cantonales, l'harmonisation de la durée des mandats à cinq ans, et surtout une redéfinition du statut de l'élu. En effet, ouvrir le chantier de l'exercice des mandats impose dans le même temps de s'interroger sur les moyens de l'élu. Marcel Debarge, dès le début des années quatre-vingt, avait rédigé un rapport sur ce thème dont il n'y a rien à retrancher et qu'il nous suffirait enfin d'appliquer. Ce statut de l'élu doit notamment permettre l'accès du plus grand nombre aux fonctions électives. Dans cette perspective, il serait souhaitable d'examiner la possibilité de sortir du système actuel des indemnités des élus locaux et d'opter, à l'image d'autres démocraties européennes, pour la mise en place d'une fonction élective territoriale à laquelle seraient appliquées les mêmes règles que celles qui régissent les statuts de la fonction territoriale en matière de rémunération, de cotisations sociales et de retraite, de non cumul d'emploi et de revenus, et de statut fiscal. En outre, ce statut devrait également permettre aux salariés du secteur privé de bénéficier d'un "congé de l'élu" qui leur permette de retrouver leur activité à la fin de leur mandat.

La démocratie peut toujours mieux faire. Sans doute le percevons-nous mieux dans les moments de doute et de profondes transformations.

Encore faut-il faire le bon diagnostic. La solution relève d'abord de choix politiques concernant le chômage et la solidarité. Mais rien n'interdit d'améliorer les mécanismes mêmes de nos institutions. La réforme du cumul des mandats en constitue une étape.