Texte intégral
D'importants progrès ont déjà été réalisés limitant la pluralité des mandats au cumul de deux mandats sur une liste établie par le législateur et malgré tout, depuis plusieurs années, à chaque veille d'élection resurgit la question du cumul des mandats. Pourquoi ? Parce qu'il s'agit d'une question délicate et fondamentale autour de laquelle s'articule l'exercice même de notre démocratie représentative. Doit-on passer de deux mandat., à un seul mandat ? Et ce passage doit-il se faire sous l'égide d'une loi ? Telle est la question qui est posée aujourd'hui. Encore faut-il le faire sans démagogie.
Au cumul des mandats électoraux s'ajoute en France celui des mandats et des fonctions que l'on évoque souvent comme une « exception » française. Chez nos voisins allemands, il est impossible d'être à la fois ministre d'un Land et membre du Bundestag. Aux États-Unis, on ne peut être gouverneur d'un État et membre de la chambre des représentants. Alors que chez nous, il est en effet tout à fait admis d'être à la fois président de région ou de département, maire d'une commune moyenne (moins de 20 000 habitants) et ministre du gouvernement. Il y a donc bien là une particularité française que nos voisins européens regardent avec étonnement et qui choque nos compatriotes.
Or, si cette particularité bien française demeure, c'est parce que le problème est plus délicat qu'on ne le croit. Et éviter de le poser dans ses vrais termes risque fort de nous arrêter du mauvais côté de la frontière, où s'assemblent débat et démagogie. Aujourd'hui les hommes politiques ne sont pas populaires, alors on prétend limiter l'exercice de leur pouvoir en remettant sur le tapis le problème du cumul des mandats. On part du principe que la réduction du cumul permettra d'atténuer les tentations et donc la corruption, elle permettra aussi de libérer du temps pour un meilleur exercice... certes, mais n’est-ce pas là céder un peu vite à la démagogie ?
Car l'exception française n'est peut-être pas tout à fait là où on le pense. Plus que dans le cumul des mandats ou celui des mandats et des fonctions, la véritable exception française se trouve dans l'excessive centralisation du pouvoir. Pourquoi un maire ou un président de région ou de département a-t-il intérêt à cumuler son mandat avec la fonction d'un ministre, ou le mandat d'un député ? Tout simplement parce que 80 % de l'argent public se trouve placé entre les mains de l'État. Le cumul des mandats n'est que la conséquence de notre excessive centralisation qui fait aujourd'hui de la France un des régimes démocratiques les plus centralisés du monde. Vouloir aujourd'hui réduire le cumul des mandats sans entamer une réelle réforme en faveur de la décentralisation serait une illusion pour les Français et une grave erreur pour l'exercice de la démocratie française.
Il est donc temps d'agir mais en tenant compte de toute l'ampleur du problème. Je propose une action en deux temps. D'abord, il convient de mettre de l'ordre dans le système actuel : le cumul d'un siège de député européen et celui de député national est tout à fait choquant. Ce type de pratique doit être supprimé. Je propose en outre d'adopter le principe de la limitation au cumul d'un mandat représentatif et d'une fonction exécutive. Enfin, il conviendrait d'inclure dans le calcul des normes sur le cumul la présidence des communautés de communes ou des syndicats intercommunaux qui échappent à la loi actuelle.
La seconde étape est celle qui caractérise un pays moderne : la décentralisation. Cette étape fondamentale permet de partager enfin les différents niveaux de responsabilités politiques. C'est seulement après l'organisation d'une meilleure répartition des pouvoirs que l'on pourra adopter le principe idéal « d'un homme, un mandat ».
C'est au prix de la limitation à un seul mandat dans un contexte de réel partage du pouvoir entre le sommet et le terrain que pourra enfin voir le jour le profond changement de la vie politique française qu'attendent les Français. Aujourd'hui la France étouffe, sclérosée entre l'État tout puissant et le poids des appareils politiques. Nous devons donner du souffle à notre pays en instaurant les conditions d'un véritable renouvellement politique afin que de nouveaux espoirs, de nouvelles énergies prennent les rênes. Je pense aux jeunes, bien entendu, mais aussi aux femmes auxquelles il est indispensable d'ouvrir les portes du pouvoir politique pour que la France soit une démocratie digne de ce nom.
Ce séisme politique sera bienfaisant dès lors qu'il s'accompagne d'une vraie loi de décentralisation. Faute de quoi, les élus locaux, les députés et les sénateurs, limités à un seul mandat, seront plus que jamais soumis aux oukases de leurs appareils politiques. Privés de leur assise locale, les mandats législatifs seront prisonniers de leur parti ; privés de leur aura nationale, les élus locaux ne parviendront jamais à donner à leur ville l'ampleur qu'elle mérite. C'est pourquoi la limitation au mandat unique doit nécessairement être compensée par une véritable répartition des pouvoirs politiques et donc des budgets.
Notre société a évolué sans que la pratique politique prenne en compte la profondeur de ces changements. Nous devons offrir aux Français les conditions d'une plus grande participation à la vie politique locale, aux décisions dans leur département et leur région. Un nouveau partage des responsabilités publiques est indispensable afin de rapprocher l'exercice politique au plus près des citoyens eux-mêmes. Voilà le vrai grand projet d'une démocratie moderne.