Déclaration de M. Philippe Séguin, président du RPR, sur la rénovation du RPR et la politique gouvernementale, Paris le 15 janvier 1998.

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Circonstance : Voeux à la presse

Texte intégral

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

Je voudrais vous remercier d’avoir bien voulu répondre à mon invitation. Je me réjouis de vous recevoir, pour la première fois, s’agissant de cette cérémonie, au siège de notre rassemblement.

En son nom, au nom de ses élus, de ses cadres, de ses adhérents, en mon nom personnel, je forme à votre intention des souhaits très sincères de bonne année 1998.

Comme vous vous l’entendez dire depuis des années – et redire depuis quelques jours – le rituel des vœux est l’occasion de jeter un bref regard sur l’année écoulée, avant d’envisager, avec le plus de confiance possible, celle qui s’annonce.

L’exercice auquel je dois me livrer est rendu délicat du fait qu’il intervient quelques jours à peine à peine après qu’ait été donnée une certaine publicité aux divers avant-projets, politiques et statutaires, que nous avons eu à élaborer dans la perspective de nos assises nationales et quarante-huit heures à peine avant un important conseil national au cours duquel je dois m’exprimer longuement. Je ne souhaite ni me répéter, ni anticiper, je tâcherai néanmoins de ne pas trop déroger aux règles du genre.


Nous avons connu une année politiquement mouvementée. Les élections anticipées ont provoqué une nouvelle alternance, en même temps qu’elles ont confirmé l’ampleur du divorce entre les Français et ce que j’appellerais pudiquement la chose politique… Je ne reviendrai ni sur les symptômes, ni sur les causes de ce divorce. Je rappelle simplement, pour mémoire, qu’il n’a pas disparu, même si l’on fait semblant de l’oublier.

C’est le contrat de ce divorce, si inquiétant pour l’avenir immédiat de notre démocratie, qui m’a conduit à souhaiter m’impliquer totalement dans notre rassemblement. Il me semblait, en effet, que le mouvement gaulliste avait un rôle particulier à jouer dans le combat qui s’annonçait, combat qui n’est rien d’autre que la recherche d’une nouvelle adhésion des Français à leur politique, dont dépend sa capacité d’agir réellement sur les choses.

C’est dire quelle fut l’importance, à mes yeux, des derniers mois écoulés.

C’est dire, surtout, l’importance de l’année qui s’ouvre.


Importance, tout d’abord, pour le mouvement que je préside. Le RPR a décidé, lors de ses assises de juillet 1997, de se rénover, de se rénover profondément. De rénover ses méthodes, son organisation, message. Le processus a été aussitôt engagé. L’étape des six mois qui s’achèvent aura été sans doute la plus délicate. Je ne pense pas tant à certaines plaies qu’il a fallu refermer, je pense surtout à cette nécessité qui nous était faite de débattre sur nos valeurs, sur notre projet, sur notre avenir. Or, il n’est jamais facile de débattre quand le premier choc passé, on brûle à nouveau d’agir. Le scepticisme menace sans cesse, de même que l’esprit de routine. Pourtant, ce débat était indispensable. Et je suis convaincu que sans lui, nous n’aurions pas franchi la première étape de notre rénovation.

Or, nous sommes, j’en ai la conviction, sur le point d’aboutir. Nous allons, dans quelques jours, nous doter de nouveaux statuts. S’ils sont adoptés, ils devraient faire de notre mouvement une organisation plus démocratique, mais aussi plus efficace, plus en prise sur le pays, qu’elle ne l’a été dans le passé. Ils devraient nous permettre, surtout, de mettre en œuvre, très concrètement, cette volonté de rassemblement qui a toujours été l’inspiration majeure du gaullisme.

Nous allons disposer aussi d’un projet, d’un projet pour la France, qui sera, déjà, bien plus que l’énoncé de principe. Il formera la base de l’alternative politique que nous allons proposer aux Français, et qu’il nous appartiendra, désormais, de développer et d’expliquer.

Son contenu et sa forme actuels sont connus de vous. Il nous revient maintenant de discuter, amender puis voter ces divers textes qui ont été établis au terme d’un long débat interne auquel chacune et chacun de nos militants aura été appelé à participer.

Tout au long de 1998, dès lors que notre conseil national et nos assises en auraient ainsi décidé, nous mettrons en place notre nouvelle organisation et nous nous efforcerons de lui donner le plein effet escompté.

Quant aux nouveaux éléments de notre projet, nous aurons à les porter et à les défendre au lendemain même de nos assises.


Sans être devin en effet, on peut prédire que 1998 sera une année électorale assez intense… Avec des élections cantonales, des élections régionales et des élections sénatoriales…

Ce sont, ai-je cru comprendre, les élections régionales qui retiennent surtout votre attention.

Il est vrai que tant par leur caractère général – elles concernent tout le territoire – que par leur mode de scrutin, elles font s’affronter à visage découvert les forces politiques nationales et sont l’occasion d’un message politique fort.

À l’occasion de ces élections, notre rassemblement s’efforcera de promouvoir de nouvelles méthodes. Nous nous sommes ainsi donné pour objectif de rajeunir, renouveler et – j’allais dire : surtout – féminiser nos listes. Non parce que c’est la mode… Mais parce que cela nous semble être la responsabilité première des partis politiques, qui concourent, comme le dit notre constitution, « à l’expression du suffrage ». Et la bonne expression du suffrage suppose que les femmes soient présentes, de la manière la plus représentative possible, dans toutes les instances élues. Il ne s’agit donc pas de produire un effet d’affichage « ponctuel », ni d’aller chercher, pour les besoins immédiats de la cause, telle ou telle candidate que l’on s’empresserait d’oublier par la suite. Il ne s’agit pas non plus de jouer avec les mots ou avec la langue française, et de se contenter que le ministre, ou le député, se fassent appeler « la » ministre, ou « la député ». Nous laissons ces gamineries à d’autres. Non, il s’agit, plus sérieusement, de faire en sorte que les femmes investissent en profondeur notre vie politique. C’est donc une tâche de longue haleine, que l’on pourra juger sur la durée, et seulement sur la durée, dans la vie même, dans le fonctionnement de notre mouvement.

Quant au résultat des élections, que l’on commente déjà, ça ou là, je ne me livrerai, bien entendu, pour ma part, à aucun pronostic. Mais là encore, il n’est nul besoin de consulter les astres pour savoir que ce seront des élections délicates pour tout le monde.

Délicates, elles le seront pour l’opposition, qui commence tout juste à se mettre en ordre de bataille. Le malaise de notre démocratie demeure, les motifs qui ont conduit les Français à voter comme ils l’on fait en 1997 sont, je le répète, loin d’avoir disparu. La forme proportionnelle du scrutin peut les inciter à renouveler leurs investissements, et l’expression de leur inquiétude. Nous ne nous faisons, à cet égard, aucune illusion : il nous reste à accomplir un immense effort pour convaincre, et restaurer la confiance.

Mais en même temps, nous n’allons ménager aucun effort pour montrer à nos concitoyens que les choses, chez nous, ont commencé de changer, et que nous avons de vraies perspectives à leur proposer.

Délicates, ces élections le seront aussi pour le Gouvernement et sa majorité. Car l’année qui s’ouvre annonce le grand retour… de la politique !

La politique, nous l’avions en effet un peu oubliée, au fil de l’eau, grâce à cet état un peu irréel dans lequel la « méthode Jospin », la fameuse méthode Jospin, nous avait plongés. On nageait dans les bons sentiments.

Seulement, voilà : chassez le naturel, il revient au galop. Et au-delà des mots, sont les faits. En politique, les réalités finissent toujours par rappeler leur dure loi.

Pour le Gouvernement de M. Jospin, ces réalités sont de trois ordres. Elles sont d’abord, si j’ose dire, d’ordre strictement politicien. Elles sont ensuite d’ordre, à proprement parler, politique. Elles sont enfin d’ordre institutionnel.

Il y a, en effet, les réalités strictement politiciennes : ce que j’appellerais le destin de la majorité « plurielle ». Celle-ci n’a pas tardé à trahir ses contradictions. Le phénomène serait plaisant s’il n’était lourd de conséquences pour la bonne conduite du pays. Étant donné les difficultés actuelles, nous ne pouvons-nous offrir le luxe de telles divisions au sein même du gouvernement. Car il ne s’agit pas seulement de discordances entre des membres de la majorité parlementaire et l’équipe Jospin. Dans ce domaine, les surenchères ont toujours existé. Il s’agit bien de conflits patents, ouverts, entre les ministres eux-mêmes.

Nous venons de le voir avec les mouvements de chômeurs et les occupations de locaux d’Assedic. Madame Aubry, déjà battue au poteau par M. Gayssot, s’est trouvée en conflit direct avec sa collègue Madame Voynet. Tandis que le ministre de la solidarité et de l’emploi jugeait illégales ces occupations et appelait à l’arrêt du mouvement, sa collègue de l’environnement approuvait ouvertement les initiatives des chômeurs.

Madame Voynet a même développé, à cette occasion, une étrange théorie institutionnelle : celle des « mouvements sociaux forts », qui doivent être des « contre-pouvoirs » pour, je cite, « bien faire notre travail et ne pas oublier les engagements que nous avons pris devant les Français. » Autrement dit, c’est bien la rue, et non plus les mécanismes prévus par notre constitution démocratique, qui doivent dicter au gouvernement sa conduite. On savait que ce type de situation – le Gouvernement à la remorque des « manifs » # se produisait de plus en plus souvent, mais c’est bien la première fois qu’un ministre en exercice en tire un principe institutionnel…

Mais là n’est pas l’essentiel.

Il serait évidemment inéquitable de prétendre que le mouvement des chômeurs sanctionne l’échec qui serait d’ores et déjà patent de la politique économique et sociale du gouvernement. Nous n’en sommes pas encore là. Et je dis hélas, parce que hélas, le pire est à venir, parce que nous avons la conviction que les effets de cette politique, quand ils seront perceptibles, iront à l’encontre même des objectifs poursuivis : cette politique sera pire qu’inefficace : elle aggravera la situation.

Pour nous, il est clair que le Gouvernement s’est employé à casser les reins à toute reprise de la croissance, en matraquant les forces les plus productives du pays, les plus créatrices d’emplois : les entreprises, les familles… Vieille histoire, toujours recommencée. Il s’est employé à relancer de faux espoirs, propres à détruire la crédibilité de notre machine économique : je pense à l’usine à gaz des 35 heures, que Madame Aubry nous a resservie à l’assemblée, si opportunément, dans la foulée de ses remords à l’endroit des chômeurs, et dont chacun voit qu’elle ne produira, en définitive et au mieux dans les entreprises qui pourront lui résister, qu’un surcroît de productivité, donc de chômage… et beaucoup de désillusions : je pense aux prétendus emplois-jeunes, qui ne sont en réalité que des emplois publics déguisés, créés sans rigueur et sans garanties, et générateurs, à terme, des plus grandes frustrations.

Mais tout cela, je le répète, ne se mesurera que dans quelques mois.

Dans l’immédiat, la faute commise par le Gouvernement tient au calendrier qu’il a choisi et qui nous semble expliquer et justifier les mouvements de chômeurs.

Plutôt que de se lancer dans des textes comme les projets nationalité ou immigration, il fallait évidemment remettre en chantier la loi exclusion qu’avait préparée l’ancien gouvernement, quitte – nous aurions pu l’admettre – à en changer profondément les modalités.

Il y avait là une vraie priorité. Ne serait-ce que parce qu’un des objets de la loi était de coordonner les divers intervenants actuels, afin que ne puissent plus rester sans réponse, les situations dramatiques dont les occupations d’Assedic ont rappelé l’existence.

Mais Monsieur Jospin n’a sans doute pas voulu paraître valider la démarche de Messieurs Juppé, Barrot et Emmanuelli. Et, entre l’attente des exclus et le paiement comptant en terme de nationalité et d’immigration de certaines composantes de sa majorité, il a fait un choix qui était un mauvais choix.

Il était juste qu’il en subisse le contrecoup.

Et c’est ainsi que les réalités politiques ont rejoint, impitoyablement, le Gouvernement de M. Jospin… Il est symptomatique que le problème de chômage – le problème des sans-emplois, comme l’on dit avec une pudeur étudiée – en ait été le révélateur le plus éclatant.

La majorité va donc devoir affronter cette réalité, et autrement que par des phrases.

Les problèmes, en effet, se multiplient. On affecte de les découvrir soudain. Comme si l’on s’éveillait douloureusement d’un songe.

Plusieurs banlieues flambent. Littéralement, on découvre ou on redécouvre subitement l’insécurité. On découvre la délinquance des mineurs. Il y avait eu pourtant, voici quelques semaines, un important « colloque » à Villepinte. Des ministres s’y étaient produits en fanfare. On allait voir ce qu’on allait voir. Et puis, on a vu : la seule suite concrète en aura été des embardées magistrales contre les polices municipales. On s’est empressé de nommer commission d’experts sur commission d’experts. Mais il faudra bien pourtant, un jour, prendre des décisions. Et appliquer des solutions claires et fermes au problème des mineurs multirécidivistes. Sur ce point, Madame Guigou n’a pas encore l’air très au point. Elle parle, pêle-mêle, de « resocialiser » les jeunes et de leur fournir un « encadrement de type militaire ». Entre les clubs de vacances et les maisons de correction, le garde des sceaux n’a visiblement pas encore tranché…

Derrière cet embrasement des quartiers, chacun voit bien, mais personne n’ose dire que se profilent des échecs plus profonds qui sont ceux, reconnaissons-le, de notre société toute entière : méfaits d’une urbanisation qui a tourné à la ghettoïsation, affirmation de logiques communautaristes au détriment d’un État républicain qui a peu à peu déserté la ville – la suppression par M. Jospin de toute structure ministérielle en étant la dernière illustration en date – impuissance de notre corps social à intégrer les nouvelles générations issues de l’immigration.

L’intégration : voilà encore un dossier capital où les contradictions, les erreurs, les manœuvres dilatoires du gouvernement ne tarderont pas à apparaître crûment. Après le vote désastreux des nouveaux textes sur la nationalité et l’immigration, la majorité va bien devoir mettre en œuvre sa politique vis-à-vis de l’immigration clandestine. Ainsi, une fois que les dossiers de régularisation auront tous été instruits, qu’adviendra-t-il de ceux qui auront été rejetés ? Le Gouvernement aura-t-il le courage de procéder à des expulsions ?

Nous savons simplement qu’elles n’auront pas lieu par charter, puisque le Premier ministre, allant voluptueusement à Canossa, a déclaré, devant l’Assemblée nationale d’un État étranger, que de telles pratiques étaient contraires à la dignité de l’homme… Et pourtant, pourtant, si l’on veut effectivement enrayer l’immigration clandestine, qui est bien un obstacle majeur à l’intégration, il faudra bien se décider à expulser. Sinon, ce sera un veste appel d’air, générateur des plus vives tensions sociales… et une voie royale ouverte à M. Le Pen.

Enfin, il y a les grands chantiers ouverts par le Gouvernement, dont on attend avec impatience des nouvelles.

L’épisode des occupations d’Assedic aura eu le mérite de faire resurgir l’éventualité d’une grande loi sur l’exclusion. Nous verrons.

Il y a toujours, en suspens, la question du cumul des mandats, dont le Premier ministre, sans doute, avec raison, veut faire un élément fort de la modernisation de la vie politique. Nous verrons aussi, nous verrons notamment s’il s’agit d’une vraie réforme, et non d’un énième texte d’affichage.

Et puis, nous aurons très bientôt l’occasion d’examiner la grande réforme annoncée de la justice. J’ai déjà eu l’occasion de dire quelles réserves sérieuses elle m’inspirait, et notamment la masse impressionnante de dangereux contre-sens que charriait, pour notre démocratie, cette étrange et paradoxale notion d’indépendance – si évidente quand elle s’applique au siège, c’est-à-dire à ceux qui jugent, mais si contestable quand elle s’applique au parquet, c’est-à-dire à ceux qui défendent la société et doivent donc dépendre de ses légitimes représentants. Je devrais être rassuré, et au-delà, par le formidable retour de balancier opéré par Madame Guigou à propos de l’affaire » de Strasbourg… La manière dont le procureur a été brutalement convoqué à Paris, et dont le parquet a été assimilé, par son chef, à un « service de l’État », trace cruellement les limites de certaines volontés émancipatrices… Là encore, nous verrons.

Il est enfin une dernière série de réalités dont il serait bien temps que M. Jospin prenne conscience. Ces réalités sont institutionnelles.

Cette année, à l’automne, la Ve République fêtera ses quarante ans. C’est le seul anniversaire que n’évoque pas M. Jospin. On dit que quarante ans, c’est l’âge de la vérité d’un homme. Je ne dirai pas, car ce faisant, je mentirais, que notre régime soit dans une forme merveilleuse. Je ne nierai pas qu’il ait été affaibli, au fil des ans, par des pratiques institutionnelles malencontreuses. Il reste que c’est notre régime, et qu’il a, en plusieurs circonstances, fait la preuve de sa solidité et de sa capacité d’adaptation. Il faut donc le préserver, et surtout ménager son avenir. Le Premier ministre a, en ce domaine, une lourde responsabilité. Je forme le vœu qu’il en prenne toute la mesure.


Le bon fonctionnement de la cohabitation est en effet essentiel si l’on veut affronter, en bon ordre, les réalités internationales.

Et d’abord les réalités européennes.

C’est un domaine où la capacité de prévision et d’anticipation, où l’esprit de décision – toutes qualités cardinales de l’homme d’État – prennent tout leur prix. Il faut connaître l’Histoire, éprouver ses convictions pour être apte à bien identifier les réalités, à bien intégrer les contraintes.

Pour la France, le défi représenté par les nouvelles perspectives européennes est capital.

Ces perspectives, il me semble que le Gouvernement tard quelque peu à les évoquer avec franchise.

En réalité, nous sommes en train d’entrer dans une configuration exactement symétrique de celle que nous avons connue au moment de Maastricht. Les choses se font et se décident – ou ne se décident pas, ou se décident mal – à l’insu des peuples et de leurs représentants. Et aucun débat clair ne s’engage.

Aucun débat, en tout cas, sur les vrais sujets…

Certes, un débat s’était bel et bien engagé, depuis quelques jours : celui du recours au référendum pour la révision de la Constitution, nécessaire à la ratification du traité d’Amsterdam… Débat, non sur le fond, donc, mais sur la procédure. Et faux débat par essence, puisque la procédure de droit commun, prévue par la Constitution est, précisément… le référendum, et que l’éventuelle décision d’emprunter une autre voie – la réunion du congrès – relève de la seule décision du Président de la République.

Bien des gens, y compris au sein du gouvernement, n’avaient pas manqué pourtant de lui prodiguer des conseils… On l’avait compris : c’était un nuage de fumée. Car la question de fond, la seule vraie question, restait en suspens : quel projet de révision constitutionnelle le Premier ministre allait-il soumettre au Président de la République ?

Eh bien, nous ne savons pas… Et désormais, nous savons que nous ne sommes pas près de savoir…

Nous savons ainsi que la cohabitation vient de prendre, avec M. Jospin, un virage prodigieux.

C’est à ce sujet que je souhaitais questionner, hier, M. Jospin, avant qu’il ne se lance dans les digressions pseudo historique que l’on sait.

Je n’ai pourtant aucun regret car il avait visiblement, à l’entendre, préparé une réponse à une autre question que celle que j’entendais lui poser. Il croyait que j’allais l’interroger sur la politique économique et sociale. Or, malheureusement, il y a longtemps que je ne me pose plus de questions sur sa politique économique et sociale. Non, je comptais lui faire part de la stupéfaction suscitée chez beaucoup par ses récents propos relatifs à la révision constitutionnelle. Plutôt que d’attendre la semaine prochaine, je vais donc lui poser ma question, si vous le voulez bien, par votre intermédiaire.

Mon propos devrait être celui-ci :

« Monsieur le Premier ministre, il avait été rapporté, en son temps, que peu après le 14 juillet 1997, vous aviez procédé à une lecture commentée de la Constitution en conseil des ministres. C’est-à-dire, devant M. le Président de la République.

« Au cas où cette lecture ne serait pas allée jusqu’à l’article 89, je prends la liberté de rappeler qu’il dispose en particulier ceci :
"L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République, sur proposition du Premier ministre et aux ministres du Parlement".

« Or, hier (avant-hier), en fin de matinée, à l’occasion de la présentation de vos vœux aux journalistes, évoquant le traité d’Amsterdam et la réforme constitutionnelle qui conditionne sa ratification, vous avez fait la déclaration suivante : (je me réfère au texte diffusé par votre propre service de presse) :
"Chacun comprendra que je ne provoque pas, moi-même, l’initiative qui revient au Président de la République".

Cette déclaration n’a pas manqué d’étonner, tant en France que chez nos partenaires.

Il semble en effet évidant que l’initiative du président ne peut s’appuyer que sur une proposition du Premier ministre. En l’absence de cette proposition, en effet, le président ne peut pas enclencher la procédure de révision.

« Monsieur le Premier ministre,

Ma question est simple, en prenant ainsi vos distances et en adoptant un comportement visiblement inspiré de celui de Pierre Mendès-France à l’occasion de la ratification du traité instituant la Communauté européenne de défense, ne craignez-vous pas de méconnaître que ce précédent se situait dans un contexte constitutionnel et politique très différent ?

En d’autres termes : pourriez-vous nous confirmer, Monsieur le Premier ministre, que dans le cas d’espèce, vous êtes bien résolu à renoncer à exercer vos prérogatives constitutionnelles ? ».

Cette question, je la pose donc par votre intermédiaire. Car, il est temps d’éclaircir une situation ubuesque.

Depuis des mois, le Premier ministre, jaloux de ses prérogatives, dispense avec hauteur des leçons de droit constitutionnel au chef de l’État. Aujourd’hui, il se défait, benoîtement, du pouvoir de proposition que lui confère l’article 89 de la Constitution en matière de révision. Ce pouvoir, pourtant décisif, puisque le Président de la République est lié par le contenu de la proposition du Premier ministre et ne peut s’en écarter, M. Jospin, purement et simplement, s’en dessaisit, il s’en dessaisit à la lettre. En matière de transfert de compétences, et pour rester dans le sujet, il faut reconnaître qu’il se tient un peu là…

Nous savons ainsi, et du même coup, que M. Jospin n’a rien à dire sur le traité d’Amsterdam.

« Rien ne presse », nous dit-il, espérant sans doute, que les problèmes finiront toujours par se régler d’eux-mêmes. À l’usure.

Il est vrai qu’il ne s’agit plus de chasser des hommes, ni d’attribuer des places.

Il ne s’agit, comme toute, que de l’avenir de l’Europe, de l’avenir de la France en Europe. De l’avenir de la France tout court…

Ce n’est pas, je le conçois, un sujet facile pour la majorité « plurielle » … Cette fois, le morceau est un peu gros, même pour la « méthode » Jospin…

Alors, on ne choisit pas. Et faute de choisir, on accuse les autres, notamment le gouvernement de M. Juppé, coupable, paraît-il, d’avoir mal négocié Amsterdam. On attend avec impatience le moment où M. Jospin reprochera à M. Mitterrand d’avoir mal négocié Maastricht… et aux Français de l’avoir ratifié.

Ajouterais-je que M. Jospin n’avait qu’à refuser ce qu’on lui proposait d’avaliser ? Lorsqu’ils ont accédé aux responsabilités, Édouard Balladur et Alain Juppé avaient su rejeter, d’une même voix, les accords de Blair House.

Confronté à une décision difficile, le Premier ministre a décidé de ne rien décider.

Je craignais la dilution du débat d’Amsterdam dans un magma de questions informes – c’était le désir, semble-t-il, de M. Hollande – mais en fin de compte, nous sommes confrontés au néant. À l’inconnu total. Le Gouvernement ne veut pas gouverner. Il joue les abonnés absents.

Il faudra bien, pourtant, que le débat de fond ait lieu.

Ce que je peux vous dire, à ce stade, c’est que nous aurons, nous, un débat, un vrai débat, avant de définir notre position.

Un débat que nous ouvrirons quand nous aurons de quoi il y à débattre.

Et ce débat, pour l’essentiel, un débat d’opportunité tactique et non un débat stratégique entre des conceptions irréductiblement opposées de l’Europe.

J’ai la conviction en effet, que tant notre conseil national que nos assises dégageront un large consensus sur deux principes simples :

- nous sommes attachés au principe de notre souveraineté nationale, car il nous semble le fondement essentiel de la démocratie et le gage de la plus forte solidarité ;
- nous acceptons d’exercer cette souveraineté collectivement, par voie de délégation, dans les matières où il peut en résulter une réelle valeur ajoutée pour le citoyen. Car là est, à nos yeux, le sens de la subsidiarité. Et dans le même esprit, il va de soi que le passage à la majorité qualifiée suppose de nouvelles règles de pondération des votes et la confirmation des principes édictés par le compromis de Luxembourg.

Pour nous, en effet, les nations demeurent une réalité. L’Europe a perdu trop de temps à vouloir les ignorer. Mais l’Europe peut apporter beaucoup aux nations : c’est cette plus-value qu’il s’agit de promouvoir, à condition qu’elle se démocratise réellement. Et c’est ainsi que se développera un véritable sentiment européen, seul véritable gage de solidité et de durée pour un édifice qui aspire, par ailleurs, à s’étendre.

Sans aller plus loin sur le fond, je vous garantis que notre mouvement œuvrera résolument pour la franchise du débat et la clarté du choix.

C’est l’intérêt vital de la France, la France qui, plutôt que de ressasser inlassablement son passé, doit se projeter dans l’avenir avec énergie. La France pour laquelle je forme les vœux les plus ardents, sans oublier de vous souhaiter à nouveau, bien sûr, à toutes et à tous, une excellente année, une année qui vous apporte, ainsi qu’à vos proches, bonheur et réussite.