Articles de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, dans "Lutte Ouvrière" des 4, 11 et 25 avril 1997, sur le congrès du Front national à Strasbourg, les écoutes téléphoniques et les élections législatives de mai juin 1997.

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Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

Lutte Ouvrière : 4 avril 1997
Strasbourg, et après,

Pour faire échec au Front national il faut fait payer la crise au patronat

On pourrait se réjouir que plus de 50 000 femmes et hommes aient voulu crier leur indignation contre le Front national à Strasbourg. Mais la manifestation finie, le Front national est toujours là et son influence n’est en rien diminuée par l’ampleur relative d’un défilé mobilisé à l’appel de la quasi-totalité de la gauche.

Oui, on pourrait se réjouir du nombre de manifestants si les participants avaient eu conscience des limites de ce genre d’action. Mais personne parmi les dirigeants de la gauche, qui ont exprimé leur autosatisfaction au lendemain de Strasbourg, n’a cherché à les en éclairer, ni avant, ni pendant, ni après. Au contraire : pour les dirigeants du Parti Socialiste, mais aussi, du Parti Communiste et leurs compagnons de routes divers, la manifestation a été destinée surtout à masquer leurs responsabilités pour le passé et à semer des illusions pour le présent et pour le futur.

La raison fondamentale de la montée du Front National, même dans une partie des classes populaires, réside dans l’incapacité des partis qui se sont succédé au gouvernement à arrêter le chômage et l’extension de la pauvreté.

La droite parlementaire n’a fait que jouer son propre rôle en menant une politique destinée à permettre au patronat d’accroître ses profits, malgré la crise, en facilitant les licenciements, en sacrifiant les protections sociales et les services publics, en vidant les caisses de l’Etat et de la Sécurité sociale pour donner plus d’argent aux patrons. Une politique qui, pour favoriser outrageusement les riches, pousse une fraction croissante du monde du travail vers la misère.

Mais le Parti Socialiste au gouvernement, flanqué ou non du Parti Communiste, a mené exactement la même politique. Et les partis de gauche assument la responsabilité particulière d’avoir discrédité aux yeux des travailleurs l’idée même qu’une politique déplaçant les sacrifices de la crise vers le patronat était possible.

Alors, on pourrait se dire que le passé est le passé et qu’il vaut mieux que les grands partis s’opposent au Front National plutôt qu’ils en reprennent ouvertement ou honteusement les thèses ; comme ils ont si souvent repris à leur compte la démagogie imbécile du Front National contre les travailleurs immigrés.

Mais leur prétendu combat contre le Front National est encore un alibi pour le passé, un argument électoral pour les législatives à venir et une escroquerie pour occulter les véritables combats à mener. « Déferlante citoyenne », titrait L’Humanité avec presque les mêmes mots que Libération qui parlait de « Vague citoyenne ». A les en croire, il n’y a plus que des citoyens, même plus de gauche ou de droite. De Hue à Juppé, même combat pour les « valeurs républicaines » et contre Le Pen. A plus forte raison, pas de différences entre les victimes de la crise et ses responsables et profiteurs. L’apolitisme de la manifestation, tant vanté, ne sert qu’à cacher l’absence de politique contre le chômage.

Les hommes politiques qui ne disent pas que la crise appauvrit uniquement les travailleurs et les classes populaires mais enrichit le patronat et les financiers, et que cette crise n’est pas due aux travailleurs mais au fonctionnement chaotique du système capitaliste et à la rapacité de la bourgeoisie, sont des hommes politiques qui mentent et qui trahissent les classes populaires, qu’ils soient communistes, socialistes, UDF ou RPR. Tout homme politique qui ne dit pas que, pour résorber le chômage, il faut puiser dans les caisses du patronat, ne combat le Front National qu’en paroles et le renforce dans les faits.

Oui, le Front national représente une menace particulière contre les travailleurs, car il prépare un régime qui ligoterait la classe ouvrière afin de laisser les mains encore plus libres au patronat. Mais pour combattre cet ennemi qu’est le Front National, il faut se méfier des faux amis qui aujourd’hui nous promènent dans les rues mais qui, demain au pouvoir, prendront le relais de la droite pour mener la politique du patronat, aggraveront le chômage, pousseront vers la misère de nouveaux contingents de travailleurs et, ce faisant, dérouleront le tapis rouge devant le démagogue milliardaire Le Pen et son parti.

Combattre le chômage et l’appauvrissement des classes populaires, en s’en prenant au droit du patronat de gérer l’économie en fonction de ses seuls profits, est la condition nécessaire pour combattre le Front National. Tout le reste est inconscience ou tromperie volontaire.


Lutte Ouvrière : 11 avril 1997
Ecoutes téléphoniques

Non au « secret-défense » mais surtout au secret des affaires capitalistes

Si l’on en croit les informations sur les écoutes téléphoniques organisées à l’Elysée à l’époque de Mitterrand, celui-ci aurait donc eu recours à ces procédés de basse police pour espionner, entre autres, ceux qui auraient menacé de révéler l’existence de la fille qu’il avait eue hors mariage. Car si le défunt président faisait mine d’afficher son mépris pour le conformisme sur la fin de son mandat, en revendiquant sa double vie conjugale comme ses amitiés vichystes, il n’en était pas de même à l’époque où trop de publicité sur ce genre de choses auraient pu lui coûter des voix, et son élection.

De toute manière, tout cela relève plus du vaudeville que d’autre chose, même si ceux qui ont organisé ces écoutes s’abritent derrière le « secret-défense » pour ne pas en dire plus. Comme, il n’y a pas si longtemps, un ministre de l’Intérieur, RPR celui-là, Pasqua, s’abritait derrière ce même « secret-défense » pour camoufler une sombre affaire de faux-vrai passeport.

Mais il n’y a pas que les gouvernants qui usent et abusent du « secret », en invoquant de prétendues hautes nécessités, pour dissimuler ce qu’ils n’osent pas rendre public. Toute la vie économique est elle aussi marquée du sceau du secret : secret bancaire, secret commerciale, secret industriel. Parce que c’est nécessaire à la bonne marche de l’économie ? Non. Parce que c’est nécessaire pour dissimuler aux yeux de la plus grande partie de la population, celle qui vit de son travail, comment et à quel rythme s’enrichit la petite minorité de privilégiés qui contrôle la vie économique.

De temps en temps, un scandale éclate au grand jour et nous permet d’apprendre comment de grandes sociétés ont acheté des politiciens, à quel prix, et comment ceux-ci leur ont procuré en échange des marchés fructueux. Mais ce n’est là que la partie émergée de l’iceberg. La plus grande partie du processus qui permet à une petite minorité d’accumuler d’immenses richesses, pendant que cinq millions de travailleurs réduits au chômage ou à de petits boulots, et pendant que le niveau de vie de toute la classe ouvrière régresse, est dissimulé à la vue de la population laborieuse.

A l’abri derrière le mur du secret économique, les possédants et les politiciens à leur service nous disent que c’est la crise et qu’il faut donc que ceux qui ont un emploi acceptent de faire des sacrifices en pensant à ceux qui n’en ont pas ; que ceux qui sont menacés de le perdre s’y résignent puisque c’est nécessaire à la vie de leur entreprise ; que ceux qui l’ont perdu sont des victimes de la fatalité économique. Mais quels sacrifices font-ils, les gros actionnaires ? Aucun. Depuis des années, ils engrangent profits sur profits.

Alors le vrai scandale, ce n’est pas ce prétendu « secret-défense » derrière lequel se retranchent ceux qui étaient chargés de protéger les frasques de l’ex-président. C’est ce voile qui recouvre toute la vie économique et qui empêche ceux qui produisent toutes les richesses de la société de voir à quoi elles sont employées.

Chaque travailleur, dans son secteur d’activité, a bien souvent accès à une petite partie de la vérité, mais pas à la totalité, loin de là. En revanche si tous les travailleurs, ouvriers, employés, techniciens, mettaient en commun ce que chacun peut apprendre et contrôler, la classe ouvrière aurait les moyens de savoir comment fonctionne vraiment l’économie, quelles sont les fortunes de ceux qui nous appellent aux sacrifices, quels sont les revenus de ceux qui décident d’un trait de plume de fermer une usine, de supprimer des milliers d’emplois.

Passer ainsi par-dessus le « secret » commercial, bancaire, ou industriel serait illégal ? Eh bien, c’est aussi la loi que nous devrons contraindre les gouvernements à modifier, si nous voulons que s’achève le drame qui réduit chaque jour de nouveaux travailleurs à la misère.

Car c’est en se donnant ainsi les moyens de contrôler l’économie que les travailleurs pourront faire en sorte qu’elle soit enfin au service des hommes au lieu de ne fonctionner qu’au profit d’une petite minorité.


Lutte Ouvrière : 25 avril 1997
Des candidats de Lutte Ouvrière pour faire entendre notre voix

Les raisons qui ont amené Chirac à dissoudre la Chambre des députés sont parfaitement claires, quel que soit le filet de camouflage utilisé pour masquer la réalité des faits. Les hommes de l’actuelle majorité, sous prétexte de préparer le pays à entrer dans l’Europe de la monnaie unique, se préparent à engager une nouvelle offensive contre les travailleurs.

Et ils préfèrent se présenter devant les électeurs avant plutôt qu’après. Non seulement parce qu’ils savent que leur politique ne pourra que mécontenter l’électorat populaire. Mais aussi parce que les nouveaux trains de licenciements dans le privé, les nouvelles suppressions d’emplois dans la fonction publique, les nouvelles atteintes au système de protection sociale, évoqués ces jours derniers par tous les commentateurs économiques, pourraient bien finir par atteindre aussi, par voie de conséquences, les couches petites-bourgeoises parmi lesquelles la droite recrute la plus grande partie de son électorat.

Ce nouveau plan d’austérité qui se prépare presque ouvertement, la droite va essayer de le justifier, en affirmant qu’il faut réduire les déficits publics.

Mais pourquoi serait-ce aux travailleurs de payer une fois de plus pour réduire les déficits ? Pourquoi ne pourrait-on pas faire des économies sur tous les cadeaux régulièrement faits aux patrons depuis des années, sous prétexte de les inciter à embaucher, et qui n’ont pas amené la création d’un seul emploi ? Pourquoi ne pourrait-on pas imposer plus les revenus du capital, alors que ce sont ceux du travail qui fournissent de plus en plus l’essentiel des revenus de l’Etat ?

Les critères de Maastricht et la monnaie unique, c’est du pipeau. La vraie préoccupation des hommes qui nous gouvernent, c’est d’augmenter la part des richesses produites qui revient à la bourgeoisie, au détriment de la classe ouvrière.

Quant aux dirigeants des partis parlementaires qui se disent de gauche, à entendre Jospin évoquer à la télévision la nécessité de rediscuter éventuellement les « critères de Maastricht » et rester dans le vague pour tout le reste, il était clair qu’eux aussi aillent, dans les semaines qui viennent, beaucoup nous parler de l’Europe pour ne pas aborder le vrai problème, à savoir que c’est aux riches et aux possédants qu’il faut faire payer la crise de leur système économique dément, et pas aux travailleurs.

Depuis vingt ans, la preuve est largement faite qu’aucune politique économique qui prétende concilier les intérêts des salariés et ceux des patrons, ne peut faire quoi que ce soit contre le chômage.

Les facilités données aux patrons pour rendre la main-d’œuvre plus « flexible », sous prétexte de favoriser la création d’emplois, n’ont abouti qu’à multiplier les « plans sociaux », le travail précaire et à détériorer les conditions de travail. Face à la situation économique actuelle, il faut au contraire des mesures qui s’opposent à la cupidité des patrons. Il faut réquisitionner les entreprises qui licencient, en particulier celles qui font des bénéfices et qui licencient tout de même.

Il faut cesser de supprimer des emplois dans la fonction publique, arrêter immédiatement tous les cadeaux de l’Etat au patronat et employer l’argent de l’Etat à créer des emplois utiles à la population.

Il faut la plus grande transparence possible dans la vie politique et économique, afin que chaque travailleur puisse savoir quels sont les revenus des patrons, en particulier des licencieurs, et des hommes politiques à leur service.

Il ne suffira évidemment pas de « bien voter » pour qu’un tel programme soit appliqué. Il faudra faire entendre notre volonté autrement, dans les entreprises et dans la rue.

Tout cela, les candidats de Lutte Ouvrière seront là pour le dire dans cette campagne électorale. Et le 25 mai nous pourrons au moins montrer aux politiciens de droite, comme à ceux qui se prétendent les amis des travailleurs et qui ne tiennent pas un tel langage, que nous ne sommes pas dupes de leurs mensonges et que nous le leur ferons payer.