Texte intégral
P. Lapousterle : Un mot peut être sur le contrat de vente de locomotives à l'Iran que Gec-Alsthom a signé pour à peu près un milliard de francs. Fallait-il le faire alors que les Américains nous demandaient de ne pas le faire ?
H. de Charrette : Bien entendu. Il faut être présent en Iran, C'est un très grand pays qui occupe une position stratégique, qui a une histoire, qui a forcément un très grand avenir. Nous devons être présents, nous les Français, évidemment sans écouter les conseils des autres. J'ajoute que nous ne sommes pas les seuls. Les Allemands commercent avec l'Iran beaucoup plus que nous et les Américains, qui prétendent ne pas le faire, le font en douce sous diverses couvertures par l'intermédiaire du port du Dubaï. Il ne faut écouter aucun conseil. Il faut vendre. Bravo à Gec-Alsthom !
P. Lapousterle : Approuvez-vous ce qu'a dit L. Jospin à Bamako, au Mali, à savoir que la France n'utiliserait plus de charters pour reconduire les irréguliers à la frontière ?
H. de Charrette : Franchement, c'est très grave ce que vient de faire L. Jospin. D'abord, disons les choses tout net, il n'y aura donc plus de retour chez eux d'immigrés africains.
P. Lapousterle : Il n’y en avait pas beaucoup déjà.
H. de Charrette : Vous avez raison de le dire et il n'y en aura désormais plus du tout ! Et croyez-moi les Maliens vont très bien le comprendre. Savez-vous qu'il y a, d'après les estimations du ministère de l'intérieur, 100 000 Maliens en France dont 50 000 en situation irrégulière pour un tout petit pays parce qu'il y a une habitude qui s'est prise, une tradition qui s'est créée pour beaucoup de familles maliennes d'envoyer leurs jeunes fils en France. Est-ce que vous croyez que ce n'est pas coupable vis-à-vis de la France et des Français que de renoncer à toutes formes de retour chez eux ? Donc, on dit que c'est contraire aux droits de l'homme, à la dignité...
P. Lapousterle : Ce n'est pas exactement ce qu'il a dit ! Il a renoncé à la façon de le faire.
H. de Charrette : Mais comment va-t-on faire ? A-t-il trouvé une solution ? On va les envoyer en bateau peut-être au Mali ? Il a trouvé une formule nouvelle pour les renvoyer chez eux ? Vous voyez bien que par les lignes aériennes ordinaires, c'est quelques dizaines par an maximum ! D'abord, il y a peu de lignes ordinaires. Ensuite, les pilotes peuvent refuser d'embarquer des récalcitrants. Et puis, vous savez c'est quand même difficile de faire comprendre à beaucoup de Français qui n'ont jamais pris l'avion que le retour en avion, certes encadré par des policiers, c'est un mode inhumain d'application de la loi !
P. Lapousterle : Vous savez bien que parfois ils étaient enchaînés au siège...
H. de Charrette : Parfois, ils ne voulaient pas, c'est vrai. Vous avez affaire à des gens qui sont en situation irrégulière en France, volontairement, qui ne veulent en aucun cas revenir chez eux et qui prennent tous les moyens pour cela. On ne peut pas s'étonner que la police soit, de temps en temps, obligée d'utiliser des moyens de force. Oui, ça, je le vois bien !
P. Lapousterle : Vous pensez que c'est une modification majeure dans la politique de la France ?
H. de Charrette : Franchement, on a discuté beaucoup des textes depuis deux mois. On a discuté de la nationalité. Désormais, on peut avoir la nationalité à l'œil ! Sans avoir exprimé le moindre désir, la moindre volonté, on passera de la situation d'étranger à la situation de Français tout simplement parce que cela vous arrange. Ensuite, on a passé des semaines à parler des règles d'immigration. On a vu que le gouvernement et la majorité socialistes prêchaient pour des règles, désormais, moins strictes, moins rigoureuses. Et maintenant, c'est la cerise sur le gâteau : on dit que de toute façon, ceux qui sont entrés irrégulièrement ne rentreront pas de force chez eux, par la voie policière. Je crois que c'est d'une extrême gravité et que là, vraiment, L. Jospin vient de prendre une très grande responsabilité.
P. Lapousterle : Cela dit, H. de Charette vous le savez, les charters n'avaient pas réglé le problème.
H. de Charrette : Rien ne règle totalement le problème. Je comprends tout à fait tout cela. Je sais aussi parce que j'ai été ministre des affaires étrangères que les pays concernés ont beaucoup de mal à comprendre tout cela. À nous de nous expliquer, de nous faire comprendre. J'ai eu, comme ministre des affaires étrangères, à parler de ces choses parfois en termes difficiles avec les Tunisiens, avec les Maliens, avec d'autres pays africains. Que ce soit difficile à faire admettre par nos partenaires qui ont tout de même leurs propres problèmes avec leur opinion publique locale – je le comprends bien et je le sais bien – mais il n'empêche que l'intérêt supérieur de la France, notre devoir est que nous contrôlions l'immigration de façon rigoureuse ! Et ce qui se passe aujourd'hui dans certains quartiers de nos villes démontre que les questions de sécurité et les questions d'immigration sont des questions centrales.
P. Lapousterle : Est-ce que le Premier ministre était dans son rôle institutionnel de dire cela à Bamako ?
H. de Charrette : Je suis frappé de ce qu'il y a eu, au cours des dernières semaines, des derniers mois, une attitude – comment dire ? – envahissante du Premier ministre à l'égard du Président de la République alors que l'équilibre subtil doit constituer la cohabitation. Je veux croire que, naturellement, cette question a été délibérée au préalable.
P. Lapousterle : C'est ce que le Premier ministre a dit en tout cas.
H. de Charrette : Tant mieux, tant mieux. Dans cette affaire, je suis moins attentif à cette question de procédure et de forme, quoi qu'elle soit importante, qu'à la question de fonds que je crois, elle, vraiment très inquiétante pour nos concitoyens.
P. Lapousterle : Six mois de gouvernement Jospin, vous dressez quel bilan ? Pour l'instant, les Français semblent apprécier.
H. de Charrette : Ils semblent apprécier mais pour l'instant, le bilan, il se manifeste dans certains quartiers de Lyon et de la région parisienne. Nous avons aujourd'hui une grave crise de la sécurité qui témoigne que c'est là un sujet majeur de la société française. Vous voyez, il y a quelques semaines, quelques jours à peine d'ailleurs, on avait un débat sur les polices municipales. Faut-il les armer ? Vous connaissez le sujet. Vous savez qui a désarmé les polices municipales et qui a nationalisé la police ? Qui a décidé qu'il fallait une police nationale qui prenne en charge tous les problèmes de sécurité dans toutes les villes de France ? On croit que c'est un sujet de la gauche mais c'est Pétain ! C’est Vichy ! Décision de 1942. Eh bien, je crois que c'est une mauvaise décision. Je crois qu'il est temps de rendre aux polices locales leur fonction, leur rôle. Il faut revoir la loi et l'organisation de ces polices locales parce que, naturellement, si leur mission s'élargit, alors effectivement il faut réformer, former les personnels, il faut fixer un certain nombre de règles. Il faut y travailler sérieusement. Mais on voit bien que ce n'est parce qu'il s'agit d'une police d'État qu'elle est parfaite puisque dans un commissariat, on peut avoir un accident – employons ce mot-là s'il le faut – qui est quand même dramatique. Ensuite, on voit bien aussi qu'on ne peut pas laisser des quartiers en déshérence. Ce qui se passe dans ces quartiers témoigne que la police ne peut plus y entrer. Donc, progressivement, il y renonce.
P. Lapousterle : Ce n'est pas nouveau non plus !
H. de Charrette : Je n'ai pas dit que c'était nouveau, je dis que c'est urgent de s'en occuper. Les questions de sécurité sont désormais si fortes qu'évidemment la police nationale ne peut pas, à elle seule, régler les problèmes. D'où la nécessité d'une série de grandes réformes dont la plus importante concerne, en effet, les pouvoirs que l'on doit donner à la police municipale. Le Parti populaire va prendre, au mois de janvier, un certain nombre d'initiatives. Je vais proposer à nos partenaires de l'opposition une action commune de toute l'opposition sur ce sujet qui me paraît le sujet majeur de la rentrée.
P. Lapousterle : Nous sommes à quelques semaines des élections régionales, est-ce que l'opposition peut prétendre conserver un nombre important des régions qu'elle contrôle malgré le fait que le Front national lui déclare politiquement la guerre ?
H. de Charrette : D'abord, elle va perdre un certain nombre de régions probablement car les dernières élections datent de 1992, une année qui nous a été extrêmement favorable. Nous avons la majorité dans vingt régions sur vingt-deux. Naturellement, on va en perdre, j'allais dire, arithmétiquement. Il y aura donc un équilibre un peu différent. Est-ce que ce sera un large recul ou au contraire un recul modéré, c’est cela le débat et je n'en sais rien aujourd'hui. Je pense que l'opposition ira unie à cette compétition électorale. Je crois que c'est très important que nous ayons partout des listes d'union. Je pense que nous serions bien avisés de ne pas annoncer à l’avance, à grands sons de trompe, quels sont nos candidats à la présidence de ces régions parce que nous sommes toute, ce serait peut-être plus raisonnable d’attendre ce que les électeurs ont décidé eux-mêmes. Voilà, unissons-nous et puis il sera toujours temps, une fois la victoire acquise, de s’en partager les fruits.
P. Lapousterle : Le Front national. Quelle attitude il faut adopter dans ces élections difficiles ?
H. de Charrette : Le Front national fera ses listes, fera campagne. Nous aurons les nôtres et nous ferons campagne.