Interviews de M. Michel Deschamps, secrétaire général de la FSU, à Europe 1, dans "L'Humanité" et dans "Libération" le 8 décembre 1997, sur la politique de l'enseignement et la FSU.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Congrès de la FSU du 8 au 12 décembre 1997 à Toulouse

Média : Emission Forum RMC Libération - Europe 1 - L'Humanité - Libération

Texte intégral

Europe 1 - lundi 8 décembre 1997

M. Deschamps : J'ai été très surpris par les déclarations qu'on prête à S. Royal. Si je la comprends bien, tous les syndicats auraient été contre la circulaire sur les violences contre mineurs, notamment les violences sexuelles. C'est une contre-vérité. Nous avons travaillé avec ses services et avec elle-même sur une question qui est essentielle pour les jeunes ; comme nous avons travaillé sur la question des emplois-Jeunes. Alors pourquoi dire des choses qui sont contraire à la vérité ?

Europe 1 : Vous demandez qu'on enterre la hache de guerre ?

M. Deschamps : Je souhaite effectivement que chacun revienne au calme. Nous avons fait la proposition au gouvernement : négocier un plan global de changement de l'école. Qu'est-ce que le gouvernement attend pour donner une réponse favorable ? Ça vaudrait mieux, je vous assure que les guéguerres entre les ministres et les profs, ça ne nous mènera nulle part.

Europe 1 : Les parents d'élèves, quand on les interroge par sondages, disent qu'ils sont plutôt d'accord avec C. Allègre.

M. Deschamps : Ce serait quand même le comble si les populistes n'étaient pas populaires, franchement ! Mais en réalité, les parents, lorsque nous les interrogeons, ils nous disent deux choses : on est plutôt satisfait de l'école, on est plutôt satisfait du boulot des enseignants, parce qu'ils se rendent bien compte qu'il est de plus en plus difficile. Mais ils ajoutent - ce qui n'est pas contradictoire - pour autant, l’école doit changer parce que les jeunes ne sont plus les mêmes et parce que nous sommes confrontés à des problèmes de société complètement nouveaux. Nous sommes à l'aube du XXIe siècle, ben oui, on ne fera pas la même école ! Il faut en construire, en inventer, en imposer une autre. Comment je peux imaginer que cette autre école se ferait sans les profs ? Franchement.

Europe 1 : Ce n'est pas une question idéologique entre vous et le gouvernement ?

M. Deschamps : La FSU est la première fédération. Vous devinez qu'elle regroupe des enseignants qui sont très divers sur le plan politique ! Et vous savez, beaucoup d'entre eux ont voté pour le gouvernement, mais ça ne les empêche pas - ou peut-être même à cause de... Ils ne sont pas là pour se faire engueuler quoi ! Ils n'en reviennent pas de voir que le premier geste du gouvernement, c'est d'accuser leurs syndicats et de les mettre en cause eux en tant que professionnels.

Europe 1 : N'oublie pas qui t'a fait Roi, c'est ça ?

M. Deschamps : C'est un peu ça. N'oublie pas qui t'a fait Roi. Mais surtout, au fond, le royaume, on ne le fera qu'ensemble.

 

L’Humanité - 8 décembre 1997

L’Humanité : En 1993, au moment de l'éclatement de la FEN, vous avez participé à la création de la FSU. Quatre ans après, considérez-vous toujours que vous avez fait le bon choix ?

Michel Deschamps : Je pensais en 1993 que la scission du syndicalisme enseignant n'était pas une bonne chose. Si j'avais pu l'éviter, je l'aurais fait. Mais nous avons été obligés de faire la FSU. Nous avons donc travaillé à la construction d'un syndicalisme nouveau. Au travers de batailles difficiles (loi Falloux, CIP, luttes universitaires, action pour la programmation, mouvement de novembre et décembre 1995), je crois que nous avons redonné vie, dynamisme, force sociale au syndicalisme de l'enseignement. Sur la base de ce bilan, nos collègues ont fait de la FSU la première fédération de la fonction publique d'État. On a vu en novembre et décembre 1995 que la FSU jouait même un rôle au-delà de l'école. Tout cela conforte notre choix de 1993. II s'agit aujourd'hui de lui donner un second souffle.

L’Humanité : Vous dites second souffle certains disent virage, ayant' l'impression que votre fédération sort de sa fonction revendicative.

Michel Deschamps : ... C’est toute la difficulté de la mutation nécessaire du syndicalisme français. Tout se passe comme s'il y avait un partage des tâches. À certains syndicats la proposition, à d'autres forces syndicales la contestation. Ce clivage, c'est l'impasse. On ne peut pas séparer la création d'un rapport des forces et l'interrogation sur ce qu’il doit faire avancer. Aussi refusons-nous la logique des deux camps. Nous cherchons autre chose. Mais lorsque la FSU fait des propositions, lorsqu'elle s'aventure sur des questions comme la place des jeunes dans la société, l'exclusion, l'emploi, les sans-papiers, est-ce qu’elle est encore tout à fait sur le créneau syndical ? Je comprends que certains craignent qu'il y ait là un virage. Mais je crois au choix de la solidarité. Les éducateurs ne peuvent se soucier uniquement de ce qui passe dans l'école, sans tenir compte de ce que leurs élèves y apportent par leurs problèmes, par leurs drames, par leurs craintes. Cela doit être pris en compte par notre fédération. Mais il faut faire attention que cela soit compris par tous les adhérents et tous les syndicats de la FSU, car on sort du syndicalisme traditionnel. Il y a donc un effort à effectuer pour favoriser la compréhension de toute la profession.

L’Humanité : Situez-vous à ce niveau les tensions entre la direction de la fédération et celle du SNETAA, son syndicat de l'enseignement professionnel ?

Michel Deschamps : Il y a de cela... La FSU a fait le choix de la diversité et du pluralisme. Le SNETAA avait accepté ce choix. Il doit continuer à l'accepter. Mais si, à un moment, la tentation de durcir la crise, et peut-être même de quitter la FSU a pu exister, je crois que cette difficulté est derrière nous. Les adhérents du SNETAA sont attachés à leur syndicat qu'ils considèrent comme un bon syndicat, et ils sont attachés à la FSU qu'ils considèrent comme une bonne fédération. Ils veulent les deux. Ils ont fait passer ce message-là, et je pense que l’on va retrouver un terrain pour dialoguer.

L’Humanité : Souhaitez-vous aussi retrouver un tel terrain avec le ministre Claude Allègre, et cela vous paraît-il possible ?

Michel Deschamps : Depuis le début, la FSU s’est placée sur le terrain de la transformation de l'école. On a cru, avec l'arrivée du nouveau ministre, compte tenu de son discours, de ses premières décisions, qu'il y avait un terrain de dialogue possible. Personnellement, je l'ai cru. Je me suis trompé. Le ministre a choisi de se situer sur le terrain du dénigrement de l'école, de son délabrement. Comme si c'était un champ de ruines. C'est erroné. Autant il est juste de dire qu'il y a des choses qui ne vont pas à l'école, autant il est utopique et inquiétant de faire croire que l'on va faire table rase. C'est parce que dans notre pays, au long des décennies, avec des efforts de tout le monde, on a construit une étole qui tient la route, que l'on peut espérer aujourd'hui aller de l'avant. Le ministre commet une deuxième erreur : les transformations de l'école ne se feront pas en cherchant à dresser l'opinion contre les enseignants qui ont le sentiment de faire un métier de plus en plus difficile. Le ministre devrait être à leurs côtés, les aider à travailler, à trouver de bonnes réponses. II n'y a pas de solution dans l'attitude du Père fouettard. Ou juge un ministre sur sa capacité à mobiliser, à convaincre, à animer. Ce n'est pas la voie qu'il choisit, et cela m'inquiète profondément parce que cela ne peut que compliquer les évolutions et les changements nécessaires. Cela peut séduire l'opinion. Il y a toujours la tentation de compter les coups mais il n'y a pas besoin de coups.

L’Humanité : Alors quelle issue selon vous ?

Michel Deschamps : Il faut retrouver le dialogue entre les parents, les personnels - enseignants ou non - et la société. C'est ce dialogue à trois qu'il faut nourrir et enrichir. C'est le débat public. Je veux que le congrès de Toulouse soit un congrès pour l'école, un congrès où l'on continue à creuser le sillon de la transformation de tout ce qui dans l'école doit être transformé. Il n'y aurait rien de pire pour la FSU que de tomber dans le piège de se replier, de se refermer, d'arrêter de vouloir bouger dans l'enseignement.

 

Libération - 8 décembre 1997

Libération : Quel est le bilan de six mois du ministre Allègre ?

Michel Deschamps : Il est inquiétant. J'ai apprécié les premières mesures du gouvernement. Il donnait l'impression de vouloir prendre à bras-le-corps les questions d’éducation. Six mois plus tard, la politique d’Allègre me paraît confuse, contradictoire et même dangereuse. Il fait des coups. Mais quelles sont ses lignes directrices ? Personne n’en sait rien. Mettre bout à bout les sorties scolaires, les emplois-jeunes, l’absentéisme ou la citoyenneté, se réclamer de l’école de la République, de l’école de la réussite pour tous, comme il le fait, cela ne suffit pas. Par ailleurs, la tentation du populisme, en essayant de dresser l’opinion contre les enseignants, ne mènera qu’à des impasses et des conflits.

Libération : Il a une ligne directrice : dégraisser le « mammouth » qu’est, selon lui, l’éducation nationale…

Michel Deschamps : En quoi est-ce un grand axe ? Ce n’est pas la déconcentration de la gestion de la carrière des certifiés qui va régler le problème de l’échec scolaire ou de la violence. Je conteste au fond de cette idée parce que la déconcentration présente le risque de placer demain les profs sous la dépendance directe du chef d’établissement et plus encore sous la dépendance des notables locaux. C’est contraire à l’esprit de l’école républicaine.

Libération : Vous contestez l’idée de promotion au mérite ?

Michel Deschamps : La question de l’autorité, autour de laquelle tourne Allègre quand il parle de revoir la notation des profs, quand il veut faire des chefs d’établissement des patrons sur le modèle de l’entreprise, est un contresens. Je ne plaide pas pour autant l’absence de contrôle. Mais la notion de mérite est arbitraire. Comment fonctionne un patron ? En récompensant plus facilement la docilité que l’inventivité. Je reconnais qu’il existe un gisement de productivité dans l’éducation nationale. Mais on ne le valorisera qu’en donnant plus de responsabilités aux enseignants. Or, je ne vois chez Allègre que la tentation du renforcement hiérarchique, de l’autoritarisme.

Libération : Deux de vos syndicats ont déposé des préavis de grève. Vous êtes prêts à aller au clash avec Allègre ?

Michel Deschamps : Je ne veux pas faire de la FSU une officine anti-Allègre. C’est en fait la profession tout entière qui se sent agressée, pas la FSU. Quel que soit le ministre, quand il faut faire grève, on y va. Quand le ministre, par exemple, me titille sur la « cogestion », je lui rappelle la loi Falloux, le CIP (le « Smic jeune » de Balladur, ndlr), la bagarre universitaire de 1995 et le mouvement de novembre-décembre 1995. Pour autant, la FSU est prête à discuter d’un plan global de transformation du système scolaire. Nous sommes suspendus à la réponse du gouvernement. Mais nous ne le resterons pas longtemps. Je n’ai pas de vocation de trapéziste.

Libération : Un de vos syndicats, le SNETAA, refuse de participer à votre congrès. La FSU traverse-t-elle juste une crise de croissance ? Est-elle menacée d’implosion ?

Michel Deschamps : Crise de croissance est une bonne formule. Nous avons connu depuis quatre ans un développement à marche forcée. Cette crise interne appelle une modification des règles de vie de l’ensemble de la fédération. Il faut, lors du congrès, retrouver un climat de confiance. Je crois d’ailleurs que le risque de crise ouverte est écarté. Je propose la paix des braves au SNETAA. Mais nos difficultés n’ont rien à voir avec la crise d’existence du syndicalisme français.

Libération : Est-ce pour cela que vous êtes parmi les partisans d’une recomposition syndicale, ce que vous reproche le SNETAA ?

Michel Deschamps : Nous sommes partisans d’une mutation syndicale. Aujourd’hui, seuls 1,6 million de salariés déclarent aux impôts une cotisation syndicale. Si ce mouvement à la baisse continue, le syndicalisme va disparaître. Ou va subsister sous la forme institutionnelle des sommets sociaux dont tout le monde sait qu’ils sont des théâtres. Avec, à la tête des confédérations, des personnages qui feront des phrases, souvent peu heureuses, comme les propos machistes tenus par exemple à l’encontre de Nicole Notat. Il y a d’autres signes de crise : la bureaucratisation des appareils syndicaux, le fait que l’on y soit dirigeant à vie, qu’ils aient des trains de vie… Il faut une mutation, une transformation profonde. Personne n’a le monopole de cette transformation. À la CGT, à FO, à la CFDT, il y a des gens qui s’interrogent. À SUD ou dans le Groupe des dix aussi. Comme à la FSU. Il y a une course de vitesse actuellement entre ces forces et le désintérêt que portent les salariés pour le syndicalisme. Il n’est pas impossible que les prud’homales accélèrent le mouvement.

Libération : Le SNETAA reproche aussi à la FSU de vouloir surfer sur le mouvement social…

Michel Deschamps : Nous sommes en train de vivre un moment fou : les bus ne peuvent plus sortir, le métro n’est plus sûr, les quartiers brûlent. Comme le plus souvent, les fauteurs de troubles sont des mineurs, la réponse qu’apporte le gouvernement est de voir comment on peut, dans une logique sécuritaire, les mettre à l’écart. Comme s’il y avait émergence d’une nouvelle classe dangereuse : les jeunes mineurs des banlieues. N’est-il pas légitime que la première fédération d’éducateurs de ce pays se sente concernée ? Lutter contre l’exclusion ne concernerait pas les enseignants ? Alors que c’est dans leur métier que cela brûle ! Et je ne vous parle pas du quotidien sans lendemain, de l’emploi que l’on ne trouve pas, des jeunes, souvent diplômés, qui se sont rués sur des CDD à cinq ans payés au SMIC. Nous allons nous engager de plus en plus sur les questions d’insertion professionnelle et d’emploi, parce que, si nous ne trouvons pas de solution à l’emploi des jeunes, nous sommes cuits. La FSU doit s’occuper des questions de société. On ne peut pas les évacuer.