Texte intégral
La Croix - 20 décembre 1997
La Croix : Le Parlement prend des vacances à compter de dimanche. Quel bilan faites-vous de cette première session de la nouvelle législature ?
Daniel Vaillant : Depuis quatre mois, le travail législatif est considérable. Le gouvernement et les parlementaires ont beaucoup travaillé non pas pour le plaisir de légiférer mais pour agir concrètement sur la vie quotidienne des Français. Sur le projet de loi relatif à l'entrée et au séjour des immigrés en France, nous avons sous-estimé la capacité de la droite à nous faire perdre du temps. À part cette petite dérive, nous avons tenu le calendrier. C'était loin d'être évident en juillet. Or tout s'est passé dans les temps. Ce que Lionel Jospin avait annoncé le 19 juin lors de son discours de politique générale, nous l’avons respecté.
La Croix : Le contrat est-il rempli également avec le Sénat dont la majorité vous a créé quelques difficultés ?
Daniel Vaillant : Le gouvernement entend respecter le Parlement, l'Assemblée nationale comme le Sénat. Mais il ne laissera pas la majorité du Sénat freiner l'action gouvernementale alors qu'il y a urgence à agir la lutte contre le chômage n'attend pas, la lutte contre l'insécurité n'attend pas, la lutte contre l'exclusion n'attend pas... Les Français nous ont fait confiance pour agir conformément à nos engagements et non pour faire la politique de la droite qu'ils ont sanctionnée le 1er juin dernier.
La Croix : Comment avez-vous vécu ces états d'âme de la majorité plurielle ?
Daniel Vaillant : Je n'ai aucune inquiétude sur le devenir de la majorité plurielle. Chacun prend ses responsabilités. Personne ne méprise personne. Nous gouvernons ensemble, nous légiférons ensemble. Entre nous, il n'y a pas de donnant-donnant, ni de pêche aux voix.
La Croix : Le Parlement reprend ses travaux le 7 janvier. Quel projet va-t-il examiner ?
Daniel Vaillant : Lionel Jospin sera devant le groupe socialiste le 13 janvier prochain, afin de débattre du programme pour les mois à venir ; néanmoins, je peux vous indiquer que le premier trimestre 1998 sera dominé par le projet de loi sur la réduction du temps de travail à l'Assemblée à partir du 20 ou 27 janvier, puis par les textes nationalité et entrée et séjour des étrangers. À cela s'ajoute l'adoption d'un certain nombre de projets de loi : recrutement exceptionnel de magistrats, condition d'exercice de la profession des transports routiers, fonctionnement des conseils régionaux. En fin de second trimestre, le Parlement débattra notamment de la loi contre l'exclusion, de la loi d'orientation agricole et bien entendu du texte limitant le cumul qui pourrait être examiné en conseil des ministres au mois de janvier ou février.
Le Journal du Dimanche - 28 décembre 1997
Le Journal du Dimanche : Avez-vous été surpris de l’emporter le 1er juin ?
Daniel Vaillant : Oui. La victoire de la gauche a été une surprise, car la dissolution n'était pas programmée pour cela. La grande opinion a découvert un Lionel Jospin comme Premier ministre qu'elle ne connaissait pas vraiment. Après six mois, la confiance lui est accordée, elle n'est pas de même nature qu'au début. En juin, elle était due à l'effet de surprise, à la nouveauté, à l'espérance créée. Aujourd'hui, c'est une confiance plus réfléchie, plus raisonnée. Avec sa politique gouvernementale, sa méthode, son sens du dialogue, Lionel Jospin sécurise les Français.
Le Journal du Dimanche : La méthode est appréciée, mais aujourd'hui cela ne suffit plus, les Français attendent des résultats.
Daniel Vaillant : 1997 s'achève, 1998 va commencer : l'action gouvernementale continue ! Le rythme parlementaire sera moindre, car il fut très soutenu pendant quatre mois. Les engagements étaient pris, mais les projets de loi n’étaient pas écrits, il a fallu s’atteler à la mise en forme après un travail collectif. De surcroît, l'action du gouvernement ne se résume pas à passer des jours et des nuits au Parlement : le gouvernement gouverne jour après jour. Les problèmes surgissent, il les résout, comme on l'a vu pour le conflit des routiers. Légiférer, décider, arbitrer et agir : voilà ce que nous faisons depuis le 1er juin. Cela va continuer. Il n'y a pas eu les 100 jours, il n'y aura pas les 200 jours. Nous sommes au début d'une législature faite pour durer cinq ans.
Le Journal du Dimanche : Mettre la nationalité et l'immigration au cœur des débats de cette fin d'année, n'était-ce pas attiser le jeu ?
Daniel Vaillant : C'est un dossier délicat, il serait irresponsable de l'agiter sans le traiter. Je récuse la thèse selon laquelle nous avons légiféré pour mettre l'immigration au cœur de la vie politique. Il n'y a que Jean-Louis Debré pour inventer des choses pareilles. Les problèmes sont là, il faut les résoudre. Les sans-papiers ont surgi du temps de la droite. Ce n'est pas la gauche qui les créés, elle en a hérité. Jean-Pierre Chevènement a rédigé une circulaire et engagé une procédure de régularisation partielle au cas par cas. Il fallait bien légiférer pour mettre ces dispositions sous forme de loi. Nous l'avons fait de manière équilibrée.
Le Journal du Dimanche : Beaucoup vous reprochent de n'avoir pas mis complètement à plat l'ordonnance de 1945.
Daniel Vaillant : Si on l'avait fait, cela aurait pris un an, un an et demi, or, notre priorité c'est d'abord le chômage, l'économique et le social. Pour s'opposer, la droite a pris le risque de remettre cette question au cœur du débat politique en pratiquant l'obstruction et l'invective. Cela peut cacher certaines connivences avec le FN : le vote par le FN du budget de la région Haute-Normandie dirigée par M. Rufenacht, la campagne législative de M. Guillaume, les récentes déclarations de M. Mancel, prêt à tout pour garder le conseil général de l'Oise, le dîner de M. Pandraud avec le FN sont autant d'exemples qui l’attestent. Ils pensent, à tort, se refaire du muscle en courant derrière le FN mais je crains que ce ne soit du mauvais gras.
Le Journal du Dimanche : Lors des deux débats, on a assisté à un grand cafouillage du côté des députés du PS. Comment l'expliquer ?
Daniel Vaillant : C'est vrai que l'abstention des députés communistes et verts a fait passer deux amendements de la droite qui, pourtant, durcissaient le texte. C'était illogique, comme cela l'était de ne pas voter la loi proposée par Jean-Pierre Chevènement, au risque de garder les lois Pasqua-Debré. Quant aux socialistes à l'Assemblée nationale, ils n'ont pas la majorité absolue et représentent, en nombre, le RPR et l'UDF réunis. Il est donc normal que certains votes aient été serrés. Mais autant sur le code de la nationalité il y a eu des discussions de fond au sein du groupe socialiste, autant sur l'immigration les choses étaient parfaitement calées. D'ailleurs, quand les députés socialistes ont perçu ce que la droite voulait foire de ce débat et découvert la manœuvre du Sénat, il n'y a pas eu photo. Ils étaient près de cent cinquante en séance jusqu'à 3 heures du matin face à une trentaine de RPR-UDF pour déjouer cette manœuvre.
Le Journal du Dimanche : Vous attendiez-vous à l'offensive du Sénat sur le code de la nationalité avec l'idée d'un référendum ?
Daniel Vaillant : Non, car j'avais un engagement du président Monory : nous avions arrêté le calendrier des débats lors de la conférence des présidents. Nous nous étions mis, en outre, d'accord sur l’ordre du jour. Le gouvernement voulait passer le projet Ayrault (sur l'adoption des budgets régionaux par une majorité relative sans devenir l'otage d'un groupe infréquentable). En fait, la majorité sénatoriale ne souhaite pas l'adoption de ce texte, car il est trop contraignant pour des gens qui ont des idées derrière la tête. Ils n'ont donc pas respecté l'ordre du jour, fixé en vertu de l'article 48 de la Constitution, par le gouvernement, en votant une motion référendaire sur le code de la nationalité. Motion que j'ai aussitôt transmise à l'Assemblée nationale qui l'a rejetée la nuit même : le Sénat s’est piégé lui-même.
Le Journal du Dimanche : D'aucuns parlent de réformer le mode électoral des sénateurs. Après de tels incidents, n'y êtes-vous pas encore plus enclins ?
Daniel Vaillant : La majorité sénatoriale est dans l'opposition, c'est normal. Et si elle n'a pas vraiment accepté la victoire de, la gauche, elle doit tout de même respecter les règles. Au nom du gouvernement j’y veillerai. La réforme du mode de scrutin sénatorial n’est pas à l’ordre du jour, mais il est légitime de poser la question de la représentativité du Sénat. Pourquoi serait-ce tabou ?
Le Journal du Dimanche : Les régionales seront-elles une victoire pour la gauche plurielle ?
Daniel Vaillant : La victoire n'est pas assurée. Mais je pense qu'il serait raisonnable qu'il y ait une adéquation entre le nombre des suffrages et le nombre des régions dirigées. Il n'est pas normal, quand on connaît l'étiage de la gauche et de la droite, que la gauche plurielle ne dirige que deux régions sur vingt-deux ! La logique voudrait que l'on gagne un certain nombre de régions. Mais je ne veux pas faire de pronostic sauf à dire que je serais déçu si la gauche restait à deux régions et que ce ne serait pas une victoire de n’en gagner qu’une ou deux. Tout dépendra de la clarté de la droite vis-à-vis du FN. À gauche, il n'y aura pas de connivence avec l'extrême droite. Ça c'est sûr !
Le Journal du Dimanche : Au printemps, le Président de la République retrouvera l'arme de la dissolution, cela n'est-il pas un risque pour le gouvernement, une « épée de Damoclès », comme l’expliquait Bernard Pons la semaine dernière dans le JDD ?
Daniel Vaillant : Ce gouvernement n'est ni angoissé ni stressé, il gouverne avec sérénité et cohérence. La dissolution est une arme constitutionnelle entre les mains du président de la République, mais je ne vois guère les conditions réunies pour une dissolution. Le Président c'est le Président, le gouvernement c'est le gouvernement. Il n'y a pas d'épée de Damoclès, on gouverne sur la base d'une volonté populaire et d'une confiance dans l'action du Premier ministre et du gouvernement. Aujourd'hui, la légitimité du gouvernement et de sa majorité n'est pas en cause.