Texte intégral
G. Leclerc : La sécheresse sans doute demain et dès aujourd'hui les dégâts du gel : 15 % de la production de fruits aurait été détruite par le gel, principalement dans les régions de la vallée du Rhône et de Provence. Alors, après deux années déjà assez difficiles avec des trésoreries souvent à plat, la profession demande des mesures d'urgence exceptionnelles. Qu'allez-vous faire ?
P. Vasseur : Écoutez, avant la fin de la semaine, nous allons réunir deux cellules de crise, deux cellules d'alerte et de suivi. Une au niveau national pour la sécheresse et une dans chacun des départements touchés par le gel pour les fruits et légumes, c'est-à-dire les Bouches-du-Rhône, le Var, le Vaucluse, la Drôme et le Gard. Ces cellules d'alerte et de suivi vont faire un bilan, évaluer les dommages - dommages déjà constatés ou dommages qui peuvent encore survenir -, ils vont fixer les priorités d'intervention avec les agriculteurs. Ce seront des cellules qui réuniront des agriculteurs, des professionnels et des membres de l'administration et ils vont déterminer les conditions de mise en œuvre rapide des aides.
G. Leclerc : C'est-à-dire que l'on n'attendra pas 18 mois les fonds de solidarité agricole ?
P. Vasseur : Non, les aides que nous prévoyons pour le moment - je dis pour le moment, sous réserve bien entendu d'inventaire et d'aides supplémentaires - nous prévoyons d'accélérer les procédures de calamité agricole, nous prévoyons des prises en charge et des reports de cotisations sociales, nous prévoyons des interventions sur la dette bancaire avec des prises en charge d'intérêts, des restructurations de prêts. Et puis nous prévoyons d'autres mesures : par exemple, en ce qui concerne les vignobles gelés, les revenus des agriculteurs seront touchés l'année prochaine puisque, pour le moment, ils commercialisent la récolte passée, nous avons mis en place un système de provision qui doit permettre aux agriculteurs de ne pas payer d'impôts sur une partie des revenus, cette année, de manière à étaler sur l'année prochaine ; et puis, pour la sécheresse, nous envisageons, entre autres mesures, des dispositions pour approvisionner en fourrage les régions déficitaires. Voilà, je cite quelques exemples des mesures que nous pouvons prendre mais c'est pour vous montrer que le dispositif est prêt et que nous allons donc, maintenant, mettre ces cellules avant la fin de la semaine en action.
G. Leclerc : À propos de la sécheresse, on évoque le précédent de 1976 : il y avait eu un impôt sécheresse.
P. Vasseur : Le précédent de 1976 a laissé suffisamment de mauvais souvenirs. On est en train, aujourd'hui, de parler, au contraire, d'alléger les charges et d'alléger les impôts des Français, ce n'est certainement pas pour penser à un impôt supplémentaire. Donc pas d'impôt sécheresse. Il est complètement exclu.
G. Leclerc : Les pêcheurs de soles bloquent actuellement, en ce moment-même, les ports de Boulogne et de Dunkerque. Ils protestent contre une réglementation européenne sur le maillage des filets.
P. Vasseur : Oui, c'est un problème qui est un problème très technique, dont on avait déjà parlé avec eux l'année dernière. Il y a des difficultés d'application pour ce dispositif. Je dis tout de suite aux pêcheurs : je suis prêt à les recevoir aujourd'hui, demain, ou vendredi, quand ils voudront, pour régler cette affaire avec eux.
G. Leclerc : Il y a une inquiétude des agriculteurs sur la jachère. On sait qu'au niveau européen, un certain nombre de pays demandent le relèvement du taux de jachère - 5 % actuellement -, à 10 voire 15 %. Vous êtes contre ? Vous pensez pouvoir...
P. Vasseur : La jachère, c'est des terres que l'on laisse sans produire. Alors, au moment où nous avons des difficultés sur le marché mondial du blé, ça me paraît complètement aberrant. C'est vrai qu'il y a un certain nombre de pays qui veulent un taux de jachère très élevé. Pourquoi ? Parce que moins on produit et plus les prix sont hauts. Moi je pense que nous devons avoir une attitude radicalement différente, qu'on doit produire, qu'on doit exporter, qu'on doit être présents sur le marché mondial. Et je demande, je n'hésite pas à demander, un taux zéro pour la jachère. Mais je ne suis pas sûr de l'obtenir. J'ai de bons arguments, car le marché du blé est en train aujourd'hui de flamber, comme on dit. Les cours reprennent et ça pose des difficultés considérables en France, et notamment dans les pays en développement.
G. Leclerc : D'un mot, la loi d'orientation agricole : les syndicats y tiennent beaucoup. Elle a été, pour l'instant, retardée.
P. Vasseur : Calendrier législatif oblige. C'est-à-dire que nous serons probablement obligés de différer la présentation de la loi. Elle n'est pas amendée. Je dirais même, vous savez, « à quelque chose malheur est bon. » Cela va nous donner un volet supplémentaire pour peaufiner la loi et peut-être pour obtenir de nouvelles avancées.
G. Leclerc : Les législatives : si l'on en croit l'opinion publique, notamment les sondages et la presse, beaucoup de gens s'interrogent. Après tout, c'est toujours pareil : cette dissolution pourquoi faire ? Est-ce que cela n'est pas une simple manœuvre politique ?
P. Vasseur : Je ne le pense pas ; de toute façon, vous savez, quand il y a eu des dissolutions, précédemment, même dans des circonstances différentes, la question ne s'est pas posée comme cela. Ce que je pense, c'est que dans la situation dans laquelle nous vivons aujourd'hui, que nous connaissons, avoir un an supplémentaire de campagne électorale - on voit déjà le ton que prend la campagne électorale -, avoir un an supplémentaire de campagne électorale, c'était un an de perdu pour le pays, un an d'attentisme pour les investissements. Et qu'il était, de mon point de vue, urgent de franchir cette première étape pour passer à la seconde, comme cela a été dit par le Président de la République.
G. Leclerc : A. Madelin, qui est de la même famille politique que vous, demande un tournant libéral. Or A. Juppé a dit, hier : « Il n’y aura pas de changement de cap. » Libération parle ce matin d'un « libéralisme honteux ». Alors qui croire ? Libéralisme ou non ?
P. Vasseur : Non, il n'y a pas de « libéralisme honteux ». Cela dépend de ce que vous entendez par libéralisme. Oui ou non, les entreprises françaises, globalement, et les Français eux-mêmes, paient-ils trop d'impôts et de charges ? Moi je pense que la réponse est oui et que donc, nous devons aller vers un allégement des charges qui pèsent sur les Français.
G. Leclerc : Donc il y aura une inflexion ?
P. Vasseur : Une inflexion, si vous voulez. De là à dire que nous allons tomber dans un libéralisme débridé, certainement pas. Ce que je viens de vous dire tout à l'heure sur le dispositif que nous mettons en œuvre, ce n'est pas du libéralisme à la Thatcher. Je pense que nous devrons avoir une politique de responsabilisation, de relance de l'initiative privée, mais il y a un modèle à la française, il y a une exception française. Et ce modèle-là nous entendons bien le conserver.
G. Leclerc : En tout cas, les Français, eux, s'attendent à un tour de vis - 68 % selon un dernier sondage. Est-ce que franchement, là, ils n'ont pas raison ?
P. Vasseur : Je crois que les Français jouent à se faire peur ; le pire n'est jamais certain.
G. Leclerc : Le fait d'avoir avancé les élections ce n'est pas tout simplement parce que derrière il y a des mesures désagréables à prendre, pour tenir les critères de Maastricht ?
P. Vasseur : Non, non, sincèrement non. De toute façon des mesures désagréables, s'il fallait les prendre, élections ou pas élections, il faut les prendre.
G. Leclerc : Alors il vaut mieux les prendre après les élections qu'avant ?
P. Vasseur : Sincèrement, je ne le crois pas. Qu’il y ait, et cela c'est vrai, des efforts à accomplir, depuis des années d'ailleurs, c'est parfaitement exact et personne ne le nie. Que ces efforts se traduisent par je ne sais quel coup, je ne sais quelle catastrophe, et je ne sais quel plan de rigueur, sincèrement, là, les Français jouent à se faire peur. Le Premier ministre l'a dit, le Président de la République aussi. L'effort oui, la rigueur non.
G. Leclerc : Et vous allez gagner les élections ?
P. Vasseur : Je le pense, très sincèrement oui.