Interview de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF à Europe 1 le 4 octobre 1999, sur le second projet de loi sur les 35 heures et la préparation de la manifestation du 16 octobre et la stratégie du PCF au sein de la gauche plurielle.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Jean-Pierre Elkabbach : Vous rentrez du Vietnam. En votre absence, il s’en est beaucoup passé. Comment étiez-vous renseigné là-bas ?

Robert Hue : J'étais en permanence renseigné. Cela a coûté très cher en note de téléphone. Minute par minute, j'avais les éléments, notamment sur la préparation de la grande manifestation du 16 octobre.

Jean-Pierre Elkabbach : Pour la presse, la gauche est redevenue la gauche.

Robert Hue : Dès que j'ai entendu les premières dispositions annoncées par L. Jospin, j'ai tout de suite pensé que ce n'était pas un discours du Premier ministre qui était de nature à mettre en œuvre une politique de gauche. Ce sont les actes qui attestent d’une politique.

Jean-Pierre Elkabbach : Après trois semaines de silence, dans quel état d'esprit êtes-vous ce matin ?

Robert Hue : Très offensif pour dire qu'il faut que la gauche réussisse. Et, pour réussir, il faut qu'elle prenne des mesures bien plus radicales contre le chômage que celles qui sont annoncées, y compris à Strasbourg.

Jean-Pierre Elkabbach : Aujourd'hui, la CGT manifeste pour améliorer la loi sur les 35 heures dont le Medef ne veut pas entendre parler. La CGT a choisi la rue, est-ce que vous y serez ?

Robert Hue : Bien sûr ! Depuis le début et en toutes circonstances, il faut appuyer le mouvement syndical. La CGT a raison de vouloir, par ses moyens, par la manifestation, obtenir que la loi soit améliorée. Cette loi, actuellement, n’est pas bonne. Il faut vraiment l'améliorer.

Jean-Pierre Elkabbach : A cause de la mobilisation du Medef, ne faut-il pas au contraire resserrer les rangs autour de L. Jospin ?

Robert Hue : Il faut être clair. La position du Medef est une immense hypocrisie. Le Medef n'a qu'une chose en tête : que la loi, telle qu'elle est présentée, ne soit pas modifiée. Au contraire, cette loi, il faut la modifier.

Jean-Pierre Elkabbach : Donc, ce sont 20 000 comédiens qui vont se réunir ?

Robert Hue : Le Medef a une attitude de fuite en avant. Il veut avoir la liberté totale d'un capitalisme que l'on a vu, ces dernières semaines, se mettre en œuvre. J'entendais qu’il soutenait Michelin. Ils soutiennent cette insolence de Michelin qui licencie alors que les profits sont énormes. C'est absolument inacceptable.

Jean-Pierre Elkabbach : Alors, soutenez M. Aubry, au Parlement, qui acceptera peut-être quelques amendements ! Est-ce que vous pourriez faire voter .contre la loi ?

Robert Hue : Il est bien clair que la loi, telle qu'elle est aujourd’hui, a besoin d'être sensiblement amendée, sinon elle ne petit pas être votée. Il faut être très clair.

Jean-Pierre Elkabbach : Mais, vous ne pouvez pas aller jusqu'au vote négatif, vous, le PC allie ?

Robert Hue : Cette loi doit être bonne, sinon la gauche ne réussira pas sa bataille de l'emploi. Je vois, exemple, que par rapport à la première loi, il n'y a plus la garantie de création d'emplois pour l'obtention par les patrons d'aides publiques. Cela veut dire qu'il y a 105 milliards qui vont être proposés en allégements pour les entreprises, sans garantie. On ne peut pas accepter cela.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous pouvez vous abstenir, mais vous ne pouvez pas aller jusqu'au vote négatif !

Robert Hue : Je ne vais, aujourd'hui, vous dire ce que sera l’attitude du groupe communiste à l'issue du débat. Je fais tout pour que la gauche réussisse, je fais tout pour que Mme Aubry, le Gouvernement, entendent qu’il faut modifier cette loi. Nous prendrons nos responsabilités.

Jean-Pierre Elkabbach : Le plus important pour vous, c'est la manifestation que vous organisez le 16 octobre. Après. Michelin, vous vouliez rassembler toute la gauche contre les licenciements. F. Hollande vous a répondu : le PS ne viendra pas.

Robert Hue : Francois Hollande prend ses responsabilités. La décision que j'ai annoncée à la Fête de l'Humanité d'une grande manifestation sera la première grande manifestation politique et sociale – parce qu'il faut que les politiques se bougent – pour faire reculer le chômage. Si le Parti socialiste ne veut pas être partie prenante de cette affaire, il prend ses responsabilités. Il y aura des dizaines de milliers de personnes.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous risquez l'échec ! Même les syndicats ne veulent pas y aller, la CFTC, la CFDT.

Robert Hue : Qui vous dit ça ? Actuellement, les enquêtes d'opinions indiquent qu'entre 60 % et plus de 80 % des syndiqués de la CGT, de la CFDT de FO, trouvent que cette initiative du 16 octobre est bonne. Vous verrez, ils seront dans la rue. Ils peuvent y être individuellement, ils peuvent y être collectivement. Ils seront dans la rue.

Jean-Pierre Elkabbach : Et si vous vous trompez ?

Robert Hue : Je suis vraiment sûr. Il y a vraiment, profondément, dans le pays, un sentiment d'injustice par rapport à l'insolence de ce nouveau capitalisme : Jaffre qui après avoir échoué à Elf, part avec 300 millions dans les poches. Mais, c'est inacceptable ! C'est une société qu'il faut changer.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous risquez d'être coincé avec l'extrême gauche.

Robert Hue : Quand A. Laguiller n'est pas avec moi dans une manifestation, on dit qu'elle me talonne et qu'elle veut prendre ma place ; quand elle est avec moi, qu'elle apporte son soutien, je ne vais pas rejeter ! La manifestation, elle est anticapitaliste, elle est pour faire reculer ce nouveau capitalisme, ce patronat insolent.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous imaginez F. Hollande et le Parti socialiste manifester contre un gouvernement qui lutte contre le chômage ?

Robert Hue : François Hollande, cet après-midi, va faire comme moi : il va aller saluer le départ de la CGT. Sauf, qu'à l'Assemblée nationale, à la Commission sociale, les députés socialistes ont refusé de prendre en compte ce que demande la CGT, ce que préconisent les députés communistes.

Jean-Pierre Elkabbach : En fait, vous incarnez, ce matin, une nouvelle stratégie du PC ?

Robert Hue : Je crois, en effet, que se perfectionne la stratégie du Parti communiste. Il y a, là, aujourd'hui, la volonté pour nous d'être constructifs dans le Gouvernement et dans la majorité. Mais, en même temps, être porteur d'une dialectique entre le mouvement social et la construction…

Jean-Pierre Elkabbach : Ce matin, je, sens comme un changement.

Robert Hue : Il y a, effectivement, un certain changement dans notre démarche, visant à perfectionner notre stratégie de construction et, en même temps, de ne pas céder devant la protestation nécessaire.

Jean-Pierre Elkabbach : Ce changement est un durcissement ?

Robert Hue : Ce n'est pas un durcissement. C'est rendre un grand service à la gauche que de ne pas être un parti godillot dans la majorité.

Jean-Pierre Elkabbach : Le parquet de. Paris a demandé votre renvoi en correctionnelle pour recel de trafic d'influence. R. Hue et le PC en procès.

Robert Hue : Les rapports d'expertise ordonnés par le juge d'instruction ont démontré qu’il n'y a pas un centime qui soit passé par les caisses du Parti communiste. Si certains imaginent que ces réquisitions vont faire taire le Parti communiste dans sa volonté d'agir, ils se trompent lourdement. A travers ces réquisitions, c'est l'ensemble des militants du Parti qui est touché.

Jean-Pierre Elkabbach : Pourquoi la justice remonte-t-elle au niveau du numéro un du. PC, c’est-c’est-à-dire vous, et pas le trésorier, comme dans d'autres partis ?

Robert Hue : C’est vrai qu'il y a une différence avec ce qui s'est passé avec d'autres formations. Si cette décision, me concernant comme premier dirigeant d'un parti politique,• consiste à faire une sorte de jurisprudence, je le dis tout de suite : ce sont des personnalités au plus haut niveau de I'Etat, qui .ont été dans la même fonction que moi à la direction d'un parti, qui vont être concernés. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ! Pourquoi ce traitement au Parti communiste, alors que les expertises ont démontré l'éclatante honnêteté des élus communistes ? C'est une démarche politique, et je crois qu’il faut la prendre avec sérieux.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous allez citer des pièces qui sont convaincantes ?

Robert Hue : Nous avons décidé de publier, dans les jours qui viennent, toutes les pièces du dossier dans l'Humanité. Et je souhaiterais que tout le monde puisse en faire autant.

Jean-Pierre Elkabbach : Le voyage au Vietnam vous a dopé. II suffira que L. Jospin vous reçoive bientôt, vous fasse un numéro de charme, et puis vous vous calmerez, comme cela vous est arrivé quelquefois ?

Robert Hue : Non, cela ne m'est jamais arrivé. Et ce n'est pas une assiette de soupe qui va me permettre d'être moins revendicatif.

Jean-Pierre Elkabbach : On ne sert pas seulement une assiette de soupe a Matignon.

Robert Hue : Non, je suis toujours bien reçu !