Interview de M. Charles Millon, ministre de la défense, à France-Inter le 18 avril 1997, sur l'envoi de la force d'intervention "Alba" en Albanie, la volonté de créer la monnaie unique et l'hypothèse d'une dissolution de l'Assemblée nationale.

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Média : France Inter

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P. Le Marc : Le contingent français de l’opération Alba sera complet aujourd’hui en Albanie, il sera opérationnel le 5 mai, quel bilan faites-vous de l’opération à ce stade et du climat dans lequel elle se déroule ?

C. Millon : Tout d'abord, je me félicite qu'un certain nombre de pays européens aient accepté de participer à une opération européenne à la demande d'une nation pilote qui est l'Italie. Car je crois qu'il est actuellement indispensable que l'Europe veille à la sécurité, à la stabilité du continent. La France a pris ses responsabilités et envoie mille hommes. Il n'est pas question de s'immiscer dans les affaires intérieures de l'Albanie, il est question de créer les conditions favorables à l’acheminement de l'aide humanitaire et à la sécurisation d'un certain nombre de points de circulation. Mais il est bien évident que la présence d’une force multinationale en Albanie va sécuriser le pays, elle va permettre aux forces de police et aux forces de l'ordre albanaises de remettre un ordre nécessaire à un redressement du pays.

P. Le Marc : Est-ce que l'accueil vous satisfait ?

C. Millon : Je crois que l'accueil est conforme à ce que nous avions prévu. Il y a un certain nombre de personnes, dont les trafics vont être remis en cause, qui sont un peu réticents à la force multinationale mais je crois que c'est naturel et que l'immense majorité de la population va être soulagée.

P. Le Marc : Mais quelle est la part de risque, tout de même dans cette mission pour le contingent français ? Est-ce que vous ne craignez pas les provocations dans une Albanie dont les dépôts d'armes ont été pillés et qui est localement sous la coupe de bandes mafieuses ?

C. Millon : Mais il n'y a pas d'opération sans risque, c'est bien évident. Mais est-ce qu'on a le droit de laisser un territoire européen dans l'anarchie la plus grande avec des jacqueries qui se développent, des révoltes incontrôlées. Je crois que ce n'était pas possible d'abord parce qu'il peut y avoir effet de contagion et d'autre part parce qu'il y a une solidarité européenne minimale à avoir. Je crois que l'Europe est une démarche, est une ambition qui ne concerne pas simplement les pays qui ont atteint un équilibre, une stabilité. C'est aussi une ambition pour les pays qui recherchent une sécurité, une stabilité, une croissance que l’on ne peut pas laisser l'Albanie au bord du chemin.

P. Le Marc : Pour débattre justement de l'Europe, vous réunissez demain la convention libérale européenne et sociale que vous présidez, qui a été fondée par B. Barre. Le problème de la France, comme celui de l'Allemagne, c'est celui du déficit et de la dérive des dépenses publiques. Il y a deux scenarios : celui du report de la monnaie unique ou celui d'un nouvel effort de rigueur. Quel est-votre scenario ?

C. Millon : Ce que je souhaite, c’est qu’il n'y ait pas de report de la monnaie unique et il n'y aura de report. Mais l'Europe, ce n'est pas la monnaie unique, la monnaie unique est un moyen pour construire l'Europe. L'Europe, c'est un ensemble politique, économique, social qui permettra à tous les jeunes Européens de s'épanouir, d'avoir une activité économique et sociale correspondant à leurs ambitions, de porter les valeurs qui sont les valeurs européennes concernant la personne humaine, la culture au-delà de leurs frontières. L'euro est un moyen. Pour pouvoir poursuivre ce moyen, c'est évident qu'il va falloir maintenir une volonté politique encore plus affirmée. Et c'est pourquoi je crois qu'il faut expliquer à nos concitoyens que, lorsqu'on leur demande un certain nombre d'efforts – ce ne sont pas des efforts pour l'euro mais pour avoir une France solide, qui est bien sur ses jambes – pour qu'ils puissent participer au concert européen.

P. Le Marc : Justement, est-ce qu'à votre avis la préparation, de la France à la monnaie unique est une priorité telle qu'elle justifie que le Président en saisisse le corps électoral, qu'il organise des législatives anticipées pour obtenir le feu vert de la nation et une majorité pour mettre en œuvre cette politique ?

C. Millon : Je n'ai pas de commentaire à faire sur les rumeurs...

P. Le Marc : Non, je ne vous demande pas des commentaires sur les rumeurs mais votre avis.

C. Millon : Je dis simplement qu'actuellement, il y est bien évident que le redressement et la réforme de la France sont une priorité. C'est une priorité que de redresser les finances publiques, que de réformer des secteurs entiers qui avaient été laissés à l'abandon et je parle de ce que je connais lorsque je vois tout le travail que mène actuellement la communauté militaire pour pouvoir réformer les armées. Je pense qu’il y a une priorité de remettre en cause des structures sclérosées, de redresser des entreprises qui avaient été laissées dans une situation tout à fait préoccupante, que c’est cela en fait l'objectif. Donc le Gouvernement depuis deux ans a déjà engagé des réformes de fond, il faut en fait les poursuivre. Ce sont des réformes qui touchent aussi bien à la vie économique, à l'assainissement financier qu'à la diffusion des responsabilités, qu'au système éducatif pour donner à la France les armes bien sûr pour aborder la construction européenne mais aussi la compétition mondiale.

P. Le Marc : Est-ce que cette priorité justifié l'emploi de grands moyens institutionnels comme par exemple les législatives anticipées ou une dissolution ?

C. Millon : Seul le Président est juge.

P. Le Marc : Vous avez été consulté par le Président ? Parce que vous êtes très proche de lui, vous êtes aussi un ministre très politique ?

C. Millon : J'avais dit que je ne ferai aucun commentaire.

P. Le Marc : La dissolution serait un pari risque pour lui ?

C. Millon : Pas de commentaire.

P. Le Marc : Est-ce que vous souhaites l'entrée rapide au Gouvernement de F. Léotard et d’A. Madelin et quel plus-value cela apporterait l'action du Gouvernement ?

C. Millon : C'est la responsabilité du Président de la République.

P. Le Marc : Ça ne vous concerne pas, ça n'attire aucun commentaire de votre part ?

C. Millon : Je ne suis pas chargé de constituer le Gouvernement, je suis ici pour pouvoir accomplir une mission qui m'a été confiée dans le cadré présidentielle. En tant que parlementaires éminents, s'ils doivent demain assumer des mandats gouvernementaux, ce sera en fait de la décision du Président de la République.

P. Le Marc Et en cas de victoire de la majorité, s'il y a dissolution est-ce qu'A. Juppé serait le mieux qualifié, selon vous, pour diriger une nouvelle phase à Matignon ?

C. Millon : Non mais vous êtes têtu, je ne pense pas que nos auditeurs s'intéressent beaucoup à cela.

P. Le Marc : Ce sont des questions qui se posent.

C. Millon : Mais non, ce sont des questions de politique politicienne. Les électeurs, ce qu'ils aimeraient savoir, c'est comment la France va poursuivre son redressement.

P. Le Marc : Ce sont des questions que vous ne vous poser pas ?

C. Millon : Très franchement, je ne me pose pas ces questions tous les matins. La question fondamentale, c'est de savoir comment la France va continuer à poursuivre son redressement, comment la France va tenir son rang en Europe, comment la France peut être présente en Albanie, comment la France en Bosnie continue à tenir, à assumer ses missions, comment .la France vis-à-vis de l'Afrique doit en fait assumer des responsabilités, comment la France est capable de lutter quand cette fracture sociale menace notre société. Voilà en réalité les problèmes qui nous préoccupent et en fait tout mon engagement politique, que ce soit en tant que ministre de la défense ou en tant que président du conseil régional Rhône-Alpes, va dans ce sens-là. Ensuite, les babillages, les papouillages, tout ce qui se passe actuellement dans les fins fonds...

P. Le Marc : Cela ne va pas plus loin à votre avis. Une question sur la Chine. Vous revenez de Chine où vous avez été particulièrement bien reçu. On reproche à la France d'avoir sacrifié le combat pour les droits de l'homme sur l’autel des relations commerciales et diplomatiques avec la Chine. Alors ?

C. Millon : Pas du tout. La France a simplement constaté que depuis un certain nombre d'années, d'une manière très hypocrite, la communauté internationale donnait des leçons à la Chine sans pouvoir, en réalité, faire bouger la question des droits de l'homme en Chine. Il y avait des réunions périodiques où il y avait admonestations qui étaient faites à la Chine et aucune suite ne suivait. Le Président Chirac, il y a un an, a décidé de changer de méthode, d'engager un dialogue exigeant avec les dirigeants chinois, une dialogue constructif en leur disant "voilà, il y a des avancées qu'il convient de faire dans le domaine des droits de l'homme." J'ai été très heureux, lors du voyage que je fais pour préparer le voyage du Président de la République, de constater que le Président de la République chinoise m'a annoncé qu'il signerait avant la fin de 1997 le pacte des Nations unies sur les droits économiques, sociaux et culturels et qu'il mettait en étude positive le pacte des Nations unies sur les droits civils et politiques. Ce sont des affirmations. Ce sont des intentions et j'espère qu'elles se transformeront en acte juridique très bientôt et qu'ensuite elles se transformeront en acte politique. Je crois que c'est un volet très important.