Texte intégral
C. Millon : Vous êtes le premier, ministre français de la Défense, à vous rendre ainsi en visite officielle en Chine depuis l'instauration des relations diplomatiques des deux pays en 1964 ?
J.-M. Lefebvre : Exactement, je suis venu à Pékin sur l'invitation du gouvernement chinois, mais en particulier pour préparer le voyage du président de la République, et affirmer la nécessité d'une coopération entre la Chine et la France dans le cadre d'une construction multipolaire du monde.
C. Millon : Concrètement, derrière cette belle formule, dans le domaine militaire, qu'est-ce qu'on peut faire, doit faire, ou ne pas faire ?
J.-M. Lefebvre : Il y a trois orientations qui ont été explorées. La première, c'est celle du dialogue en matière de sécurité, de stratégie avec nos homologues chinois, c'est-à-dire étudier les problèmes sous l'angle de la défense, sous l'angle de la sécurité de la région, sous l'angle des rapports de force dans le monde. Deuxième orientation, elle concerne les échanges en matière de formation et d'information entre les forces armées. Et là, nous avons envisagé des échanges de cadres militaires qui viendraient suivre des cours dans les écoles respectives, les Chinois dans les écoles françaises et les Français dans les écoles chinoises. Et puis, enfin, il y a la coopération technique, économique, dans le domaine de la sécurité et dans le domaine de la sécurité et dans le domaine de l’électronique, et de certaines compétences techniques.
C. Millon : Vous avez été reçu non seulement par le Premier ministre Li Peng, mais par le Président. Dans quel état d'esprit avez-vous trouvé cette équipe qui a un peu changé après la mort de Deng Xiaoping ?
J.-M. Lefebvre : J'ai été très frappé par le fait que d'abord, le président de la République, le Premier ministre et le ministre de la Défense me reçoivent. C'était donner une dimension tout à fait particulière à la visite que j'effectuais. Cela démontre l'intérêt que les Chinois apportent à la venue du président de la République, Jacques Chirac. Deuxièmement, j'ai pu observer leur souhait de voir l'ouverture de la Chine vers le monde confirmé, et ce à travers la prise en compte des droits de l'homme. Le point le plus important sans doute de ce voyage, c'est l'annonce faite par le président de la République de la signature du pacte des Nations unies sur les droits culturels, sociaux et économiques, et l'annonce de l'étude de la signature du pacte des Nations unies sur les droits civils et politiques, qu'ils soient en conformité avec la réglementation et la législation chinoises.
C. Millon : Mais pensez-vous que c'est un vrai pas ou une déclaration d'intention ?
J.-M. Lefebvre : Je crois qu'il est important qu'aujourd'hui les Chinois répondent au dialogue constructif qu'a voulu le Président Chirac. Le fait de donner des leçons ou de faire des injonctions paraît aujourd'hui totalement inefficace, alors que le dialogue constructif engagé par le Président Chirac amène les dirigeants chinois à prendre en compte la question des droits de l'homme et à mettre en œuvre deux conventions, l'une allant jusqu'à la signature, l'autre allant jusqu'à l'étude positive de la convention sur les droits civils et politiques.
C. Millon : Vous dites dialogue constructif. C'est vrai que la France pour la première fois a refusé de signer une résolution de l'Union européenne condamnant la Chine. Mais est-ce que ce n'est pas une contrepartie pour que le Président Chirac puisse vendre des Airbus le mois prochain ?
J.-M. Lefebvre : Je crois que ça n'a rien à voir avec les relations économiques ou les relations mercantiles. Simplement, la France pense qu'il vaut mieux démontrer, convaincre, plutôt que de faire des injonctions. Là, je crois que le Président Chirac a démontré que les droits de l'homme se démontraient, s'expliquaient, qu'il fallait utiliser des modes de conviction plutôt que des modes d'injonction.
C. Millon : Vous envisagiez une coopération militaire. Justement dans les interdits faisant suite à l'écrasement de la place Tienanmen, il y a un embargo de l'Union européenne sur les ventes de matériel militaire à la Chine. Pensez-vous qu'il pourra être maintenu longtemps, et seriez-vous en faveur de sa modification ?
J.-M. Lefebvre : Il n'est pas question pour la France de remettre en cause l'embargo qui a été institué par les Quinze européens. Les Européens ont décidé d'interdire tout le commerce des armes. Et, aujourd'hui, la coopération technique et la coopération économique dont j'ai débattues avec les homologues chinois concernent tout sauf le commerce des armes.
C. Millon : Au cours de vos entretiens avec le Premier ministre et le Président, vous avez eu le sentiment d'une équipe qui avait le pouvoir bien en mains ?
J.-M. Lefebvre : J'ai senti une équipe décidée à jouer l'ouverture sur le monde, en particulier sur le monde occidental, et en particulier vers la France. Je crois qu'il serait tout à fait maladroit de ne pas répondre à cette ouverture, bien sûr, pour pouvoir faciliter le développement économique et le développement social de la Chine ; mais aussi pour leur permettre de s'ouvrir dans le domaine des droits de l'homme, comme je l'ai indiqué il y a quelques instants.