Article de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, dans "Le Monde" du 29 avril 1997, sur l'euro comme principal enjeu de l'élection législative 1997, intitulé "L'Enjeu national".

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Dissoudre le débat sur l’euro, c’est-à-dire sur les grandes décisions qui ne manqueront pas d’intervenir à l’automne et au printemps prochains, tel était le but de la dissolution.

C’est pourtant le débat essentiel, car il contient tous les autres ; il les englobe, il les précède. Certes, l’enjeu libéral – la baisse des prélèvements – et l’enjeu moral – le rétablissement de l’honnêteté politique – constituent eux aussi des enjeux décisifs si nous voulons éloigner notre pays des récifs dangereux de la dérision et de l’extrémisme, au moment où tant de gens sont, hélas, tentés par un vote de vindicte.

Cependant, l’enjeu essentiel, aujourd’hui, c’est l’enjeu national : en effet, ou bien la France s’engage dans la voie irréversible de l’euro, c’est-à-dire de l’Europe intégrée, fédérale, dirigée depuis Francfort et Berlin ; ou bien la France décide de construire « une autre Europe » dans laquelle elle choisit de ne pas abdiquer sa souveraineté.

En d’autres termes, ou bien la France glisse vers le statut précaire et subalterne d’une province de RMIstes, où tout se décide ailleurs – sécurité, choix monétaires, fiscalité, normes nationales. Dans ce cas-là, rien ne changera vraiment, tout s’aggravera. Nous serons pris dans la spirale infernale des critères de convergence qui portent le chômage comme la nuée porte l’orage parce que ce paradigme européen conduit précisément, selon l’expression même de son concepteur, M. Tietmeyer, « à faire de l’emploi une variable d’ajustement ».

Ou bien la France se reprend et choisit de retrouver son statut de grande puissance pour faire avec l’Allemagne et tous les autres pays européens une véritable « Europe des nations ».

Alors, nous pourrons combattre le chômage, alors, nous pourrons sauver l’Europe, aujourd’hui menacée par un renversement de perspective et une véritable inversion des valeurs : la monnaie avant les hommes, la stabilité des prix avant la croissance, le libre-échange avant l’emploi, le commerce avant la production, les experts cooptés et les banquiers gestionnaires avant le peuple, tenu à bonne distance des intentions et des procédures de plus en plus secrètes.

Il n’y a pas de débat plus important que celui-là. C’est le seul qui compte pour M. Kohl et donc pour Jacques Chirac. On veut nous faire avaler la pilule de l’euro. Et pourtant, il ne faut pas être grand clerc pour apercevoir la formidable contradiction entre cette parodie de campagne – « faire l’euro » et la réalité quotidienne d’une société française guettée par l’implosion.

Au cœur de cette contradiction, il y a un virus idéologique : l’euro est une idéologie, une sorte de mixage de l’internationalisme qui veut la fin des nations et de l’ultralibéralisme qui ne croit ni aux racines, ni au travail, ni aux valeurs autres que le commerce spéculatif.

Choisir de sacrifier la nation à l’euro, c’est perdre la nation et récolter l’eurochômage

Et, c’est ainsi que la Bourse monte et danse de joie quand on annonce cinq mille licenciements à Vilvorde ; que l’excédent commercial de la France atteint un « record historique » (sic) quand le chômage explose dans un mouvement d’ensemble d’une synchronisation parfaite : que la « stabilité des prix » est le principe moteur exclusif de toute la politique économique de l’Europe alors qu’il n’y a plus du tout d’inflation. Et M. Juppé nous rassure avec la bonne conscience du brancardier qui choisit de faire une transfusion à un blessé victime d’une hémorragie : « Nos indices sont bons, nos fondamentaux sont sains » ; autrement dit, l’économie française est en bonne santé, nous allons mourir guéris.

Alors, que faire ? Abandonner la course aux critères de Maastricht, renverser la perspective, tourner l’Europe vers l’emploi et non plus vers la monnaie ; sauver « l’Europe des nations » en rejetant l’utopie de la monnaie unique et du fédéralisme ; faire de l’Europe une union douanière qui protège ses salariés, c’est-à-dire une véritable communauté de producteurs et de consommateurs.

Les eurofédéralistes voudraient nous faire croire qu’il faut faire le choix suivant : la nation souveraine ou l’emploi, l’emploi grâce à l’euro. Les citoyens français doivent savoir ceci : ceux qui choisiraient de sacrifier la nation à l’euro perdraient ce bien précieux, la nation, et récolteraient l’eurochômage. Je ne veux ni de la fin de la France, ni de la fin de l’Europe. La question nationale, la question européenne sont bien le cœur du cœur de l’élection à venir.

À quoi servirait-il d’élire, au printemps 1997, les représentants du peuple souverain pour accepter subrepticement, au printemps 1998, le transfert de ladite souveraineté ?