Interview de M. Alain Juppé, Premier ministre et président du RPR, dans "La Montagne" du 12 mai 1997, sur les engagements de la majorité de procéder à la modernisation de l'Etat, notamment par la décentralisation, dans le cadre des élections législatives de mai-juin 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Campagne des élections législatives des 25 mai et 1er juin 1997

Média : La Montagne - Presse régionale

Texte intégral

La Montagne : Vous êtes, dans cette campagne, la cible principale de la gauche, mais certains membres de la majorité ne vous épargnent pas non plus. Comment le vivez-vous ?

Alain Juppé : Ne ramenons pas ces élections à des questions de personnes et à des petites phrases. La campagne doit permettre aux candidats d’expliquer aux Français devant quels choix ils se trouvent. D’un côté il y a l’union RPR-UDF, de l’autre la coalition PS-PC et leurs alliés. Il faut répondre de façon simple, claire et précise aux questions que se posent les Français.

La Montagne : Depuis sa « tribune libre » dans la presse régionale, Jacques Chirac n’est-il pas, de fait, devenu le chef de la majorité ?

Alain Juppé : Tous les présidents de la République ont pris la parole pendant les campagnes législatives. Il est normal que Jacques Chirac montre la direction qui lui parait la meilleure pour la France.

La Montagne : Lionel Jospin affirme que l’enjeu de ce scrutin, c’est un « choix de civilisation ». Est-ce votre opinion ?

Alain Juppé : Parler d’enjeu de civilisation me parait exagéré. La civilisation d’aujourd’hui, c’est l’internet, ce sont les nouvelles technologies, c’est l’ouverture au monde avec les échanges de personnes et de biens. Tout cela constitue des données que les socialistes comme nous-mêmes devons prendre en compte. Je parlerai donc plutôt de choix de société.

La Montagne : Et, selon vous, quel est l’enjeu principal de ce scrutin ?

Alain Juppé : Il est simple. Le projet RPR-UDF privilégie l’initiative et le partage. Nous voulons donner plus de libertés aux créateurs de richesses, à ceux qui entreprennent et qui créent des emplois tout en renforçant la solidarité vis-à-vis de ceux qui en ont besoin. Nous refusons de régler les problèmes de la France par des solutions qui entraîneraient plus de déficits et donc plus d’impôts et qui aboutiront à toujours plus de bureaucratie.

La Montagne : Une divergence importante entre la droite et la gauche concerne la place de l’État. Quelles mesures envisagez-vous à ce sujet ?

Alain Juppé : Il faut lancer, très vite, avec tous ceux qui sont concernés (élus, organisations professionnelles, associations) une concertation sur le rôle de l’État dans notre société. Cette concertation devra aboutir dans les six mois. Il appartient à l’État de répondre à un besoin d’autorité dans les dossiers où aucun autre pouvoir ne peut exister à sa place : la paix publique, la sécurité extérieure et intérieure, notamment. Mais, l’État doit aussi être efficace dans ses interventions. C’est pourquoi il faut moins de ministères à Paris et plus d’État sur le terrain, c’est-à-dire, une meilleure répartition des services publics au plus près des citoyens.

La Montagne : Cela ne suppose-t-il pas de nouvelles étapes dans la décentralisation ?

Alain Juppé : Cela passe, en effet, par la décentralisation qui consiste à donner plus de compétences aux régions. Pourquoi ne pas leur confier la totalité de la formation professionnelle, qui touche directement à l’emploi, la gestion de notre patrimoine culturel et le tourisme dont la promotion serait certainement mieux assurée localement ? Bien entendu, ce renforcement des compétences nécessite une réforme rapide du scrutin régional afin de permettre aux régions de disposer de majorités stables.

Pourquoi ne pas déconcentrer aussi plus de pouvoirs vers les départements ? Je pense à l’action sociale, aux actions en faveur des handicapés ainsi qu’à la gestion de l’aide au logement. Il n’est pas normal que dans ces domaines, les décisions « remontent à Paris » alors qu’elles sont prises localement en connaissance de cause. Enfin, restreindre le cumul des fonctions permettra aux élus de consacrer tout le temps nécessaire à ceux qui leur ont confié un mandat.

La Montagne : C’est donc bien une nouvelle conception de l’État ?

Alain Juppé : Il s’agit d’installer un État moderne qui affirme son autorité là où elle est nécessaire, mais qui rende aux citoyens le pouvoir que la bureaucratie leur a souvent confisqué. Quand nous disons que l’État doit occuper toute sa place, cela signifie aussi qu’il doit cesser de s’occuper de tout. Le contribuable en est encore à payer la manière de gestion de l’économie mixte socialiste, en soldant les ardoises du Crédit Lyonnais, du GAN, du Comptoir des Entrepreneurs, etc. La majorité entend remettre sur le marché les entreprises publiques du secteur concurrentiel en s’efforçant, chaque fois que cela est possible, de favoriser la constitution d’ensembles compétitifs sur le plan international. C’est le meilleur moyen de consolider l’entreprise et d’assurer l’emploi des salariés. Cela étant, nous restons attachés au service public à la française. L’exemple de France Télécom montre que l’on peut à la fois garantir le service public à l’usager, baisser les tarifs et rester compétitif.