Interview de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, à RTL le 29 octobre 1999 sur la baisse du chômage en septembre, la loi sur la réduction du temps de travail, son financement et la position du MEDEF sur sa présence dans les organismes paritaires.

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RTL : Vous avez une fiche sous les yeux avec les chiffres du chômage du mois de septembre ! Quels sont-ils ?

Martine Aubry : Eh oui ! C'est un bon chiffre puisque c'est un record : 85 000 chômeurs en moins en septembre. Il y avait eu un niveau à peu près semblable en novembre 97 pour des raisons que j'avais expliquées à l'époque. Mais, cette fois-ci, c'est un vrai record. Surtout, ce qui est très frappant, c'est que la baisse du chômage est quasi continue depuis vingt-sept mois maintenant, mais que, là, elle s'accélère puisque, sur les trois derniers mois, nous avons autant baissé le chômage que sur toute l'année dernière qui était elle-même une année exceptionnelle. Bien que la croissance soit moins forte cette année – elle continue bien sûr à créer des emplois –, mais au-delà de la croissance, l'ensemble des politiques que nous menons – emplois-jeunes, nouvelles technologies…

RTL : Le taux de chômage est à combien ?

Martine Aubry : 11,1 %. C'est-à-dire qu'il a baissé de 0,2 point en un seul mois. Ce qui est vraiment très bien. Surtout, ce qui me réjouit, c'est que le chômage des jeunes baisse de manière très importante – on est maintenant à moins 25 % de chômage des jeunes depuis deux ans – et que les chômeurs de longue durée – vous savez que c'est vraiment essentiel pour moi, depuis le vote de la loi contre les exclusions, l'action que nous menons avec l'agence pour l'emploi – continue à baisser : 130 000 sur ces onze derniers mois.

RTL : Combien d'emplois sont-ils à durée indéterminée ?

Martine Aubry : Justement, là aussi c'est un bon indicateur : depuis quelques mois, on se rend compte que la précarité diminue parce que la croissance est bien installée et un grand nombre d'entreprises transforment des contrats à durée déterminée ou du travail temporaire en contrats à durée indéterminée. Bien sûr, il en reste. C'est normal dans une économie qui bouge, mais la réduction de l'emploi précaire continue à se faire sentir.

RTL : Jusqu'à présent, vous avez été très prudente sur les pronostics. Avez-vous le sentiment, maintenant, que la société de plein-emploi que recherche Lionel Jospin est pour bientôt ?

Martine Aubry : Je crois qu'il faut continuer à être totalement déterminé car la population active française continue à augmenter. C'est pour cela que c'est encore plus frappant que ces chiffres soient aussi bons. Il n'y a pas d'autres pays qui font aussi bien en dehors de l'Espagne. Mais, si nous poursuivons sur toutes les lignes que nous avons choisies – ces nouveaux emplois : nouvelles technologies, emploi de service ; la baisse de la durée du travail ; la baisse des charges pour les entreprises que nous sommes en train de voter au Parlement qui va aider ces entreprises de service, le commerce, l'artisanat, les secteur soumis à la concurrence internationale –, je crois que nous avons ouvert toutes les pistes qui doivent conforter définitivement cette baisse du chômage. Car cela devenait insupportable.

RTL : Quelles perspectives : c'est à hauteur de deux-trois-quatre ans ?

Martine Aubry : On ne peut pas dire à hauteur de deux ans, trois ans. Ce que je veux dire c'est que, pour la première fois, on reparle, sans sourire, du plein-emploi. C'est quoi le plein-emploi ? Ce sera 4 % ou 5 % de chômeurs. Cela ne veut pas dire qu'il y aura zéro chômeur, mais ce seront des gens qui passeront au chômage, qui resteront peu de temps. Parce qu'aujourd'hui, ce qui est dramatique depuis la crise pétrolière de 74, c'est que l'on est arrivé jusqu'à la moitié des chômeurs qui étaient au chômage depuis plus d'un an. Cela commence à baisser. C'est très important.

RTL : Vous pensez que le rythme, avec 83 000 chômeurs en moins, qui est un rythme record, peut devenir un rythme habituel ?

Martine Aubry : Non, pas un rythme habituel. Ce qu'il faut regarder, c'est une moyenne sur l'année. L'année dernière, le chômage a baissé de 130 000, c'était une très bonne année. Cette année, nous sommes à 130 000 sur ces trois derniers mois et à 220 000 depuis le début de l'année. Donc, on voit que le rythme s'accélère et que l'ensemble des politiques structurelles mises en place, accompagnant une croissance qui crée beaucoup d'emplois, cela donne enfin des résultats. Je dis « enfin » parce que cela fait vingt ans que l'on essayait et que l'on n'y arrivait pas.

RTL : Quel est le moteur de la baisse ? En août dernier, Dominique Strauss-Kahn a publié dans « Libération » un article expliquant que la croissance motivait à elle seule plus des trois-quarts des créations d'emplois depuis deux ans.

Martine Aubry : C'est possible sur la première année. Mais je crois qu'il a raison parce que la réduction de la durée du travail n'avait pas encore commencé à porter ses fruits, puisque les accords ont été signés depuis janvier, et qu'il faut environ trois mois avant d'embaucher. Aujourd'hui, vous savez qu'il y a plus de 130 000 emplois préservés et créés par ces contrats sur la durée du travail. Nous commençons à les voir rentrer dans les statistiques de manière très claire parce qu'aujourd'hui, avec une croissance inférieure à l'année dernière, nous sommes à un rythme plus de deux fois et demi supérieur à celui de l'année dernière.

RTL : Hier, le président de la République a critiqué votre loi. Il a dit : « Je suis d'accord pour la réduction du temps de travail, qui est une idée moderne, mais la réglementation générale, c'est totalement archaïque.

Martine Aubry : D'abord, ce qui me fait plaisir, c'est que, maintenant, tout le monde arrive à la réduction de la durée du travail. Il a dit : « C'est une idée moderne ». J'ai encore entendu certains de ses amis m'expliquer qu'elle était « archaïque », il y a quelques jours, au Parlement. Ce qui veut dire que le président de la République voit plus loin peut-être, et peut-être plus clair que beaucoup d'autres. La méthode : est-ce qu'elle est moderne ? Est-ce qu'elle ne l'est pas ? Vous savez, je regarde bêtement les choses, parce que c'est pour cela que les Français nous ont élus. Ils nous ont élus pour faire baisser le chômage. Or, aujourd'hui, tout le monde reconnaît que la réduction de la durée du travail contribue à cette baisse du chômage. La méthode : est-elle moderne ou ne l'est-elle pas ? Je ne le sais pas. En tout cas, elle donne des résultats, alors que la méthode expérimentale qui était celle de la loi Robien avait entraîné très peu de créations d'emplois.

RTL : Puisque la croissance est un moteur fondamental, est-ce que vous ne redoutez pas d'entraver la croissance par la réglementation ?

Martine Aubry : La réduction de la durée du travail, c'est l'occasion pour les entreprises… – et maintenant, celles qui y sont passées, je voudrais le redire, 84 % des entreprises, qui sont déjà aux 35 heures –, déclarent que leurs entreprises fonctionnent mieux après qu'avant. Pourquoi ? Parce qu'on a repensé son organisation du travail. Comment mieux articuler les hommes et les machines, mieux répondre aux besoins des clients, mieux répondre à la saisonnalité et, en même temps, mieux prendre en compte la qualification, valoriser les personnes, prendre en compte leur souci de mieux articuler leur vie professionnelle et leur vie personnelle. Eh bien, tout cela donne un fonctionnement de l'entreprise meilleure, des gains de compétitivité qui, demain, leur permettront aussi de gagner des parts de marché, et donc de continuer à créer des emplois.

RTL : À propos de la réglementation, l'opposition vous est tombée dessus, cette semaine au Parlement, en disant qu'il y a tellement de réglementations que vous ne saviez plus comment financer votre loi sur les 35 heures. Vous avez reculé parce qu'il ne fallait plus la faire financer par l'UNEDIC – les syndicats et le patronat étaient contre –. Et vous avez trouvez six sources de financement pour une loi. Cela fait beaucoup !

Martine Aubry : Tout d'abord, c'est deux lois : c'est la réduction de la durée du travail qui va entraîner une aide en termes de baisse des charges de 40 milliards, et c'est une baisse des charges sociales de 65 milliards. Le total, c'est 105 milliards sur cinq ans. Et je vous rassure, 85 % sont déjà financés sur cinq ans. Vous savez, ceux qui m'ont donné des leçons cette semaine, qui en ont donné au gouvernement, je leur rappellerai que, quand je suis arrivée en 97, il y avait eu cette ristourne dégressive. Cette baisse des charges voulue par M. Juppé, dès la première année, il manquait 7 milliards. Moi, sur l'année 2000, tout est financé, et sur cinq ans, j'ai 85 % du financement. Donc, c'est deux lois qui entraînent une baisse des charges pour les entreprises, entreprises de main-d'oeuvre, commerce, artisanat, entreprises de service, tous ceux qui, aujourd'hui, ont besoin de créer de l'emploi et pour lesquels les charges pesaient trop sur les salaires.

RTL : Est-ce que ce n'est pas paradoxal de financer une loi sociale par la consommation du tabac, de l'alcool et la pollution ?

Martine Aubry : Au contraire ! Chacun comprendra – et c'était déjà le cas pour le tabac qui finançait déjà l'assurance maladie et, pour l'alcool, qui finançait, c'est la droite qui l'avait mis en place, le fonds de solidarité vieillesse – que financer la baisse des charges pour les entreprises ou financer des indemnités pour des personnes âgées, c'est à peu près pareil. La vérité, c'est que nous avons fait une réforme qui était attendue par les entreprises depuis trente ans, qui n'était pas financée et, aujourd'hui, elle le sera. Évidemment, cela énerve un peu tout le monde. Nous avons changé la méthode de financement sur une partie parce que, les partenaires sociaux, certains étaient d'accord, il y a quelques mois, ne le sont plus aujourd'hui. Moi, je suis quelqu'un de pragmatique. Ce qui m'importe, c'est que les réformes aient lieu et c'est de trouver les financements, car je trouve anormal de faire voter des lois sans financement. Nous avons trouvé d'autres sources. La Sécurité sociale sera néanmoins en excédent l'année prochaine. Nous aurons plus de 20 milliards sur le fonds de réserve des retraites. Ce qui est très intéressant pour les Français qui s'inquiètent pour leurs retraites. Voilà ! On a donc changé le mode de financement et on avance.

RTL : Il y a encore un problème : le Medef n'a pas encore dit s'il allait ou pas quitter les organismes paritaires. Et il réclame l'application de tous les accords de branche, y compris dans la métallurgie.

Martine Aubry : Le Medef prendra ses responsabilités. Je l'ai toujours dit : on ne gouverne pas sous le chantage.

RTL : Il vous a fait reculer une fois déjà ?

Martine Aubry : Non, ce qui nous a fait changer le mode de financement, c'est parce que les organisations syndicales et patronale, qui gèrent la Sécurité sociale et l'UNEDIC, alors même qu'ils avaient utilisés eux-mêmes ce qu'ils appelaient cette « activation des dépenses passives » pour l'arme, pour des conventions de coopération avec les entreprises, ont finalement refusé de le faire sur la durée du travail. Ce sont les contributions du patronat et des syndicats. S'ils ont changé d'avis, pour certains, s'ils sont contre, pour d'autres, je ne pouvais que m'y rallier et changer. Et je ne regrette pas de l'avoir fait.

RTL : Les accords de branche ?

Martine Aubry : Sur les accords de branche, le Medef sait très bien que 112 accords signés, 73 sont déjà étendus et donc applicables, 31 vont l'être dans quelques jours. Les huit qui restent, soit ne l'ont pas demandé, soit – comme une grande branche à laquelle on pense – s'est elle-même…

RTL : La métallurgie !

Martine Aubry : … située en dehors du cadre de la loi. Donc, il ne faut pas s'étonner qu'elle ne soit pas reconnue. Ceci dit, si quelques aménagements sont faits, moi, je me réjouirai d'étendre cet accord et de le rendre applicable. Je dis simplement les choses : tous les accords, y compris le textile, la CFDT et la CGT l'ont confirmé, il y a quelques jours – je dis le textile parce que c'est l'exemple choisi par le Medef –, sont totalement applicables car la deuxième loi s'est appuyée sur les accords de branche ou d'entreprise pour réussir les 35 heures. C'est par la négociation que nous réussirons.