Texte intégral
Q - Le ministère français de la Santé est resté discret sur ce dossier, la défense de la santé publique étant assumée par le ministère de l'Agriculture. Est-ce bien logique ?
- « Le ministre de l'Agriculture est, dans cette affaire, le porte-parole du Gouvernement. C'est l'habitude : les problèmes de sécurité alimentaire sont portés, au niveau européen, par les ministres de l'Agriculture. Cependant, en France, le ministère de la Santé a été associé à toutes les discussions interministérielles sur la levée de l'embargo. Et, pour bien montrer que les préoccupations de la France étaient des préoccupations de santé publique. Lionel Jospin a souhaité que j'accompagne le ministre de l'Agriculture à Bruxelles le 2 novembre. »
Q - C'était une nouveauté ?
- « En effet. J'étais la seule responsable de la santé présente à Bruxelles. J'estime que quand on travaille, comme la France, à augmenter le niveau de sécurité sanitaire en Europe, c'est bien que le ministre de la Santé soit visiblement associé aux travaux. »
Q - Le refus français, un an et demi après la décision de la Commission, évoque une réaction « traumatique » issue de l'expérience du sang contaminé…
- « Le drame du sang contaminé a amené la France à créer des agences d'expertise indépendante, notamment l'Afssa, et à développer une culture d'appréciation des risques. Aussi, face au dossier du boeuf britannique, il n'y a pas eu de raidissement irrationnel, mais une volonté d'évaluer le risque supplémentaire que ferait peser la levée de l'embargo. La réflexion a été linéaire. En novembre 1998, lors d'une réunion interministérielle sur ce sujet, le ministère de la Santé a émis un avis défavorable. Cette opposition a conduit, le même mois, à un vote d'abstention de la France au Comité vétérinaire européen. Ensuite, en août, avant de traduire la décision européenne de lever l'embargo, on a saisi l'Afssa nouvellement créée. Logique. Depuis le drame du sang contaminé, on a conscience que la responsabilité du politique c'est de mettre en place un dispositif de sécurité sanitaire révisable en fonction de l'évolution des connaissances scientifiques. Or, avec les maladies à prion, les incertitudes sont nombreuses, ce qui rend cette affaire exceptionnelle. »
Q - Il y a eu discordance troublante entre experts français et européens. La France ne devait-elle pas s'incliner ?
- « Le problème, c'est que le Comité scientifique directeur européen ne comprend aucun expert des maladies à prion. Alors que les trente scientifiques réunis par l'Afssa sont des spécialistes de ces maladies. Mon espoir, c'est que l'Afssa serve de modèle pour la création de l'agence européenne de sécurité sanitaire envisagée par Bruxelles. Celle-ci ne remplacera pas, toutefois, les agences nationales. La souveraineté, l'autonomie de pensée ne sont pas interdites. On n'a pas à obéir le doigt sur la couture du pantalon. Il faut sauvegarder cette marge de manoeuvre. Sinon, on n'est pas en démocratie. »
Q - La France a obtenu que des tests de dépistage soient mis en oeuvre, afin de préciser l'ampleur de l'épidémie. Mais les résultats seront connus longtemps après la levée de l'embargo.
- « La question s'est posée d'attendre les résultats des tests. Mais les Anglais ne voulaient pas de délai. Cependant, si les tests révèlent que la viande présente des risques plus élevés que prévu, il faudra réviser les dispositions. »
Q - C'est un compromis sur la santé publique.
- « Non, car on a utilisé toute notre capacité de dialogue pour obtenir des garanties sur la viande qui sera exportée. Il reste que, vu le temps d'incubation de la maladie humaine, on ne saura que dans vingt ans avec certitude les effets d'une levée de l'embargo. »