Déclaration de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur la réforme du Consortium de Réalisation chargé de la gestion et de la cession des actifs du Crédit Lyonnais, Paris le 16 décembre 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Le dossier du Crédit Lyonnais a défrayé la chronique des dernières années, et ces dernières semaines. Je vous présente aujourd’hui la réforme du cantonnement d’actifs du Crédit Lyonnais que le Gouvernement compte mettre en œuvre.


I. – Quatre ambitions guident mon action dans ce dossier :

a) Le respect de la représentation nationale et des électeurs. La déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen nous dit que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Me voilà devant vous.

b) La vérité. Certains, pour se construire un fonds de commerce politique, voudraient rejouer le scandale du Crédit Lyonnais. Ils voudraient faire croire que la gauche va cacher les faits : c’est faux. Il faut au contraire, au-delà des querelles partisanes, regarder le passé avec lucidité et honnêteté. Le Gouvernement n’a rien à cacher. Toute la lumière sera faite.

c) La justice. Elle doit passer. Le Gouvernement est totalement déterminé. Les mesures préparées avec Élisabeth Guigou sont dictées par cette volonté. Que valent les grands discours quand on ne met pas les moyens ? Parce qu’il est respectueux de la présomption d’innocence, le Gouvernement ne fait pas de grands discours. Parce qu’il est vraiment soucieux de justice, il lui donne les moyens de son indépendance.

d) L’ambition pour l’avenir. Il n’y a pas de « bons » et de « mauvais » dossiers, selon qu’ils sont médiatiques ou pas. J’exerce mes responsabilités dans toute leur étendue. Tout doit être dit sur le passé. Tout doit être fait pour l’avenir. Le Gouvernement préfère avoir de l’ambition plutôt que des slogans. La privatisation à tout prix, c’est-à-dire à n’importe quel prix, n’est pas une stratégie. Il faut inscrire l’avenir de nos entreprises dans une vraie stratégie, réaliste et ambitieuse, avec une seule exigence : l’intérêt public.

Je sais qu’Henri Emmanuelli et toute la majorité partagent ces ambitions.


II. – Un sinistre d’une ampleur incontestable, inacceptable

Une commission d’enquête parlementaire a examiné les causes de ce désastre. Le Crédit Lyonnais a entamé en 1986 une stratégie d’expansion agressive, non maîtrisée et amplifiée par des défaillances injustifiables dans le contrôle, notamment de certaines filiales, une crise violente du marché immobilier, des investissements hasardeux et de graves malversations financières dont la justice tente aujourd’hui de démêler l’écheveau. Les pertes sur les actifs qui ont été cantonnés en 1995 au sein du consortium de réalisation sont évaluées à 100,2 Mds de francs hors coût de portage : je les ai rendues publiques dès que j’en ai eu connaissance. Je continuerai à agir dans la transparence.

D’où viennent ces pertes ?

La folie immobilière et spéculative, visible dans tous les pays : qu’on se souvienne de la faillite des caisses d’épargne américaines à la fin des années 1980, de la déconfiture de grandes institutions financières en Europe, de la situation actuelle des banques ou des compagnies d’assurance asiatiques. C’est un constat, pas une excuse. Autre constat : le secteur public n’est pas seul en cause. Faut-il rappeler les pertes enregistrées par Suez, Paribas, Pallas-Stern… et beaucoup d’autres ? D’ailleurs, ceux qui vouent le secteur public aux gémonies oublient que la qualité de la gestion s’est également vue dans les recettes des privatisations qu’ils appellent de leurs vœux.

Des fautes, parfois inexcusables, ont été commises. La justice en a été saisie. Elle continuera de l’être.

Les solutions retenues depuis quatre ans ont contribué à aggraver les pertes. Il est vrai que tous les experts, au sein de l’entreprise comme à l’extérieur, ont mis très longtemps à mesurer l’ampleur des sinistres.

Mais il y a également eu des erreurs de conception. Pour des raisons parfois idéologiques (punir le Crédit Lyonnais plutôt que le redresser), pour ne pas faire apparaître les pertes, des schémas trop compliqués ont été élaborés. Deux exemples : la séparation totale entre le CDR et le Crédit Lyonnais a fait perdre un temps précieux – et donc de l’argent – aux nouveaux gestionnaires des dossiers ; les mécanismes de cantonnement des actifs ont été bâtis à la hâte, sur le postulat que la garantie de l’État pouvait être donnée pour solde de tout compte, mais sans impact immédiat sur les finances publiques. La charge financière a été repoussée dans l’avenir, au risque de l’aggraver.

C’est cette complication qu’il nous faut gérer aujourd’hui, avec la volonté de redresser les entreprises concernées, dans le souci de l’intérêt public.


III. – Où en est-on aujourd’hui ?

Le redressement du « nouveau » Crédit Lyonnais, totalement séparé des actifs transférés en 1995 au consortium de réalisation, se poursuit. Je mène avec la Commission européenne des négociations sur une malfaçon du plan de 1995 (la pénalisation du prêt du Crédit Lyonnais consenti pour financer les actifs transférés), dont le précédent gouvernement avait demandé la correction en 1996, sans conclure avec la commission.

En ce qui concerne le consortium de réalisation, j’ai souhaité analyser la situation sur la base de travaux variés. L’établissement public de financement et de réalisation (EPFR), chargé par la loi de 1995 de gérer le soutien de l’État au Crédit Lyonnais, m’a remis son rapport d’activité début juillet. Parallèlement, mes services et les dirigeants de l’EPFR et du CDR m’ont fait part de leurs remarques et propositions. Enfin, mon prédécesseur avait lancé une mission de l’inspection des finances sur le fonctionnement du CDR. J’ai demandé à Mme Hespel, inspecteur général, de me faire part, à l’issue d’un travail remarquable, de ses suggestions pour simplifier le dispositif, améliorer son efficacité et gérer sérieusement les finances publiques.

Outre les causes que j’ai évoquées, les défauts du dispositif sont désormais connus :

L’objectif exclusivement liquidatif et le calendrier impératif : l’État a demandé au CDR de céder 80 % des actifs en cinq ans et 50 % en trois ans. Comment valoriser des actifs quand tous vos acheteurs savent que l’objectif qui vous est fixé est de vendre à tout prix ? Comment négocier dans l’urgence ? Comment, dans ces conditions, gérer les actifs avant de les céder ? Comment développer une véritable stratégie de cession quand le principal indicateur de gestion est la décroissance du bilan ?

Dans un tel contexte, CDR n’est pas suffisamment responsabilisé : il n’est pas assez incité à diversifier les méthodes de gestion et de cession et à les adapter à chaque cas. Les gestionnaires, qui travaillent dans un contexte difficile, ne disposent pas d’orientations claires et le contrôle interne n’est pas suffisamment valorisé.

La multiplication des contrôles : au sein de CDR, les cinq pôles opérationnels sont placés sous l’autorité de la société de tête. Les dossiers de cession les plus importants sont ensuite soumis à un comité consultatif de contrôle puis, s’il y a lieu, à autorisation du gouvernement, avec ou sans passage devant la commission de la privatisation. En outre, le contrôle exercé par l’État s’exprime par l’intermédiaire de l’EPFR et de la mission de contrôle économique et financier. Enfin, la Commission européenne s’intéresse directement à la gestion de certains dossiers du CDR.

Les interférences politiques : implicites ou explicites, elles sont venues perturber certains dossiers emblématiques, venant jeter la suspicion sur tout le processus.

Les incertitudes sur le traitement judiciaire des dossiers : les modalités de saisine de la justice par le CDR, lorsqu’il observe un fait troublant, doivent être clarifiées. Ensuite, la justice doit pouvoir se prononcer rapidement, en toute indépendance : c’est aussi l’intérêt patrimonial du CDR.

Tout ceci, ajouté aux erreurs de conception d’un dispositif mis en place dans l’urgence, à l’évolution des marchés sur lesquels CDR opère, l’appréciation plus exhaustive des risques et aux différences comptables, explique la dérive des prévisions de pertes depuis 1995, passées de 50 à 100 Mds de francs. Une réforme est donc indispensable et urgente. Il faut changer d’objectif, clarifier un dispositif trop émietté et adopter une approche tournée vers l’avenir et la valorisation des actifs.


IV. – D’où trois principes dans la réforme : une gestion indépendante et responsable, un contrôle rigoureux et efficace et un État impérial et soucieux de justice.

a) Une gestion indépendante et responsable :

- Un impératif : sortir d’une logique exclusivement liquidative. La lettre de mission qui sera adressée aux responsables de CDR ne souffrira pas d’ambiguïté : ils devront déterminer la stratégie de cession des actifs de CDR dans le seul souci de les valoriser au mieux et d’optimiser le résultat financier pour l’État. CDR devra donc fixer son calendrier en fonction des coûts de gestion, des coûts de portage des actifs et des prix de réalisation possibles ou raisonnablement prévisibles. Les normes brutales sur la quantité de cession à réaliser disparaissent au profit d’une stratégie annuelle de cession.

- Une diversification des méthodes de gestion et de cession : CDR pourra recourir à toutes les techniques de gestion et de cession. Il n’y a pas de tabou, qu’il s’agisse de céder des blocs d’actifs, de confier des mandats de gestion à des partenaires extérieurs, de constituer des « bouquets » de participations minoritaires, de constituer des sociétés foncières immobilières ou de faire appel à des spécialistes du recouvrement de créances. Ces évolutions devront être conduites en prenant en considération les intérêts des salaires de CDR.

- Un responsable et un seul : CDR. Éclater les centres de décision et de responsabilité, c’est favoriser les pertes. Il appartiendra donc aux responsables de CDR d’établir une stratégie, de la proposer à l’approbation de l’EPFR, puise de la mettre en œuvre. Des dispositifs d’intéressement sur les résultats seront recherchés pour que tous les intervenants dans les cessions soient effectivement mobilisés pour valoriser les actifs.

- Raymond Lévy et François Lemasson, chargés de cette responsabilité. Michel Rouger, président du conseil d’administration de CDR, m’a indiqué qu’il souhaitait quitter ses fonctions d’ici l’été. Compte tenu de la réforme mise en œuvre, il nous a paru souhaitable que ce départ soit légèrement anticipé. Je profite de cette occasion pour le remercier pour son action dans un contexte difficile. Pour prendre la tête du nouveau conseil de surveillance, j’ai souhaité faire appel à Raymond Lévy, ancien président de Renault, qui a démontré à cette occasion comme dans d’autres, ses remarquables qualités de chef d’entreprise, de meneur d’hommes et de sens de l’intérêt général. À ses côtés, François Lemasson, directeur général de CDR, qui a beaucoup œuvré pour que CDR soit géré avec rigueur, sera nommé président du directoire.

b) Un contrôle rigoureux et efficace :

- Un contrôle interne renforcé :

- CDR sera transformé en société à directoire et à conseil de surveillance, composé de professionnels reconnus et du président de l’EPFR ;
- ce nouveau conseil de surveillance intégrera notamment les fonctions aujourd’hui exercées par le comité consultatif de contrôle et, outre ses attributions traditionnelles, contrôlera toutes les opérations de cession en pouvant fait appel aux services de CDR ;
- une direction des risques sera constituée ;
- le dispositif comptable interne sera simplifié et les structures sociales intermédiaires (par exemple, les filiales en cascade au sein du pôle « Entreprises » de CDR) seront allégées, pour permettre de faire apparaître plus clairement les résultats de CDR. La perspective de fusion de pôles opérationnels n’est pas écartée ;
- un effort tout particulier de maîtrise des frais généraux sera effectué.

- L’EPFR, présidé par Francis Lorentz, exercera vis-à-vis du CDR, pour le compte de la puissance publique et dans le cadre de la mission générale qui lui est confiée par la loi, les prérogatives qui sont normalement celles de l’actionnaire. À cette fin, la mission de contrôle sera mise à sa disposition dans le cadre d’une convention entre l’EPFR et l’État et elle pourra éventuellement faire appel à des experts extérieurs. Comme je l’ai indiqué, CDR propose la stratégie, l’EPFR l’examine et l’approuve, CDR la met en œuvre. Le conseil d’administration de l’EPFR restera composé de deux parlementaires – MM. Malvy et Gaillard – et de deux représentants de l’État.

- Une meilleure association du Parlement. La présence de deux parlementaires au conseil d’administration de l’EPFR est un atout important. Compte tenu de la réforme que je propose, il me semble souhaitable de compléter ce dispositif en proposant que les commissions des finances puissent entendre les responsables de CDR tous les ans.
 
c) Un État impartial et soucieux de justice :

- Mettre fin aux interférences politiques. Dès mon arrivée, j’ai annoncé que je n’interviendrai pas dans les affaires de CDR autrement que pour défendre les intérêts de l’État. Je m’y suis tenu et continuerai de m’y tenir : l’État n’interviendra pas, à quelque niveau que ce soit, dans la conduite opérationnelle des dossiers. Il sera naturellement informé mais son intervention ne pourra se faire qu’en vertu de la loi (par exemple, les autorisations prévues par les lois de respiration et de privatisation du secteur public) ou pour préserver en toutes circonstances les deniers de l’État.

- Une saisine systématique de la justice. Les instructions que j’ai donnée dès mon arrivée, la lettre de mission qui sera envoyée au président de CDR sont simples : il ne doit y avoir aucune faiblesse, aucune connivence, aucun doute sur l’attitude de CDR à l’égard de la justice. Lorsqu’une infraction pénale apparaît, une plainte doit être déposée. Lorsqu’un doute existe, le parquet doit être saisi, à charge pour lui de qualifier les faits. Lorsque la justice demande des précisions, tous les éléments d’information dont dispose CDR sont mis à sa disposition.

- Une justice disposant des moyens de son indépendance, notamment pour lutter contre la grande délinquance financière. Avec Élisabeth Guigou, nous avons proposé plusieurs mesures importantes. D’un point de vue général, un recrutement exceptionnel de 200 magistrats a été adopté par le conseil des ministres et sera prochainement examiné par le Parlement. En ce qui concerne CDR, les services du parquet et de l’instruction chargés des affaires économiques et financières seront regroupés dans de nouveaux locaux adaptés. En ce qui me concerne, je veillerai à ce que du personnel du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie vienne soutenir les services de la justice et de la Cour des comptes.

Le préjudice pécuniaire subi par CDR du fait d’infractions pénales n’est pas admissible et je partage la colère de l’opinion. Mais, au-delà de cette première réaction, il faut que la justice passe, sereinement, efficacement. C’est pourquoi le Premier ministre a souhaité, avec Élisabeth Guigou et moi-même, lui donner les moyens de son indépendance.

Je souhaite très vivement que cette réforme, dictée par des principes simples – des gestionnaires indépendants et responsables, des contrôles rigoureux et efficaces, un État impartial et soucieux de justice –, permettra au consortium de réalisation d’avancer sans polémiques inutiles, dans l’intérêt des finances publiques. J’ai confiance dans le CDR, ses dirigeants et son personnel qui sont désormais chargés de cette mission difficile. La réforme sera mise en œuvre d’ici la fin du mois de janvier.