Texte intégral
Date : 2 mars 1997
Source : Jérusalem Post
Jérusalem Post : Monsieur le Ministre, vous venez de rencontrer, avant votre départ pour Israël, la Syrie et le Liban, le vice-président Khaddam et votre homologue syrien Farouk Al-Charaa. Suite aux discussions que vous avez eues avec les deux personnalités syriennes, êtes-vous optimiste concernant la possibilité d’une reprise proche des négociations de paix entre la Syrie et Israël ?
Hervé de Charette : Je réserverai naturellement le compte-rendu de mes entretiens avec le vice-président Khaddam et avec le ministre Al-Charaa à mes interlocuteurs Israéliens. Ce que je peux vous dire, c’est que je suis convaincu que les Syriens veulent la paix. Je le dis, parce que j’ai vu que certains exprimaient des doutes sur ce sujet dans l‘opinion publique et chez les dirigeants israéliens. Pensez-vous que la Syrie ne voudrait pas la paix aujourd’hui serait une erreur d’appréciation. Toutefois, il est vrai que les Syriens ne veulent pas négocier sans savoir à l’avance sur quelles bases démarre cette négociation et chacun sait, puisqu’ils l’ont exprimé publiquement qu’ils veulent se référer aux acquis des discussions qui ont eu lieu à Wye Plantation. À partir de là, ce sont mes conversations avec les dirigeants israéliens qui me permettraient de dire qu’il y a des voies de rapprochement possibles et s’il y a lieu d’être optimiste ou non. Mais, je suis de nature optimiste, je dirais d’un optimisme plutôt actif, et je pense en effet que même s’il y a aujourd’hui une situation difficile, nous devrons être capables de progresser.
Jérusalem Post : Vous parlez d’une situation difficile, mais croyez-vous que les obstacles émanent seulement du côté israélien ?
Hervé de Charette : Je n’ai pas dit cela Je ne pense pas du tout que l’on puisse dire que les obstacles ne viennent que d’un côté. D’ailleurs, d’une manière générale, la politique de la France n’est pas d’être les avocats des uns au dépens des autres. J’ai toujours dit que la France voulait avoir une politique du milieu de la route. Ce qui n’est pas une politique mièvre, mais bien au contraire une politique attentive aux préoccupations des uns et aux préoccupations des autres. Nous comprenons les préoccupations de sécurité d’Israël, qui sont d’autant plus légitimes que le territoire israélien est exigu et que l’expérience passée pèse dans les esprits du peuple israélien. Mais nous voulons mettre aussi dans la balance les aspirations à la paix et au développement de ses voisins. Paix et sécurité sont des sœurs jumelles. On ne peut pas avoir l’une sans l’autre.
Jérusalem Post : Mais est-ce que Khaddam et al-Charaa vous ont demandé de transmettre un message quelconque aux dirigeants israéliens ?
Hervé de Charette : Si le président syrien a demandé à son vice-président Khaddam et à son ministre des Affaires étrangères al-Charaa de venir à Paris tous les deux ensemble – ce qui est un fait inhabituel – montre bien que la France est un des partenaires importants du processus de paix.
Jérusalem Post : Cette visite fait partie des contacts intensifs que la France entretient depuis quelques semaines avec les autorités dans la région…
Hervé de Charette : En effet, nous avons eu des contacts avec les uns et avec les autres. J’ai reçu David Levy ici il y a quelques semaines, le président de la République s’est entretenu par téléphone avec MM. Netanyahou, Assad et Hariri comme avec le président Moubarak et le roi de Jordanie. Tout ceci témoigne d’une intense activité diplomatique française, et aussi du fait que les partenaires du processus de paix au Proche-Orient regardent avec plus de plus en plus d’intérêt du côté français.
Jérusalem Post : Et cette activité intense pourrait-elle indiquer l’existence d’une initiative diplomatique éventuelle et bien concrète de la part de la France ?
Hervé de Charette : Nous n’en sommes pas là. La France ne souhaite pas jouer cavalier seul. Nous travaillons en liaison avec nos partenaires européens. Nous avons d’ailleurs été à l’origine de la désignation d’un envoyé spécial de l’Union européenne pour le processus de paix au Proche-Orient, en la personne de M. Moratinos, qui a fait un travail tout à fait remarquable depuis qu’il a été désigné à Dublin au mois de décembre dernier. Et, naturellement nous travaillons et nous voulons travailler en étroite collaboration avec nos amis américains. Nous pensons que la France peut être un partenaire utile dans la recherche de la paix.
Jérusalem Post : Partagez-vous l’opinion de votre collègue syrien qui parle d’une paresse des co-sponsors du processus de paix, à savoir les Américains et les Russes ?
Hervé de Charette : Je ne suis pas responsable que des propos que je tiens moi-même. Mais il est vrai que dans le moment où nous sommes, qui est probablement un moment difficile pour le processus de paix, il faut se secouer un peu pour avancer.
Jérusalem Post : Croyez-vous qu’il existe une possibilité de mettre un terme à la violence qui règne depuis un certain temps au sud du Liban comme un prélude à un accord politique ?
Hervé de Charette : Ce que je peux dire, c’est qu’il n’y a pas de perspectives d’arrêter la violence autrement que par la paix. Et donc plus vite le processus de paix aura repris sa route dans la voie syrienne et libanaise, plus tôt la violence sera-t-elle arrêtée.
Jérusalem Post : Il n’y aura pas donc une séparation possible entre l’aspect militaire et l’aspect politique ? Pas de trêve qui précèdera un accord politique éventuel entre le Liban, la Syrie et Israël ?
Hervé de Charette : Il y a depuis longtemps l’idée selon laquelle on pourrait traiter la question libanaise de façon séparée. Ma conviction est que cette vie n’offre pas de perspectives.
Jérusalem Post : Estimez-vus que l’état de santé du président Assad l’amène à chercher à accélérer les négociations avec Israël ?
Hervé de Charette : D’après les nouvelles que j’ai eues (des entretiens avec Khaddam et al-Charaa), le président Assad va bien. Je vais le voir mercredi soir.
Jérusalem Post : Quelle est votre réaction à la décision israélienne de construire un nouveau quartier juif à Jérusalem-Est ?
Hervé de Charette : Vous avez observé comme moi que cette décision a été condamnée par les Américains, ainsi que par la plupart des pays de la communauté internationale. Je ne crois pas que ce soit une décision qui aille dans le bon sens. Elle provoquera certainement des difficultés. On voit déjà les protestations palestiniennes, qui sont fondées sur le fait que rien ne peut être fait à Jérusalem tant que la négociation sur le statut définitif de la ville n’a pas été finalisée. Mais cela provoquera aussi d’autres tensions dans la région, et beaucoup de protestations. Pour ces raisons, la France regrette cette décision.
Jérusalem Post : Quel jugement portez-vous sur la politique de paix du gouvernement Netanyahou ? Est-ce qu’elle s’inscrit dans une certaine continuité ou s’agit-il d’une rupture avec la politique du gouvernement ?
Hervé de Charette : Lorsque M. Netanyahou a été élu Premier ministre, le monde a été inquiet. Dans un premier temps s’est répandue l’idée que la politique qu’il allait suivre serait en rupture avec la politique de ses prédécesseurs. Parfois, il y a eu même l’idée que ce serait une rupture nette. Depuis lors, les choses ont évolué, et en particulier l’Accord d’Hébron est apparu comme un signe très positif sur la voie de la paix. Le Premier ministre israélien a maintenant des relations de travail régulières avec le président Arafat. Les deux parties travaillent, discutent, ont constitué un très grand nombre de groupes d’experts, de groupes de travail, d’enceintes de dialogue et de négociation de sorte que – Dieu merci – le processus de paix a progressé ; l’ambiance dans la région s’est amélioré. Il n’en demeure pas moins que subsistent d’importantes difficultés, notamment le fait que la voie syro-libanaise ne s’est pas ouverte. C’est donc là qu’il faut faire porter tous nos efforts. J’ajoute que les conditions dans lesquelles des arrangements entre le gouvernement israélien et l’Autorité palestinienne seront appliquées au cours des prochaines semaines auront évidemment une très grande importance, et ils contribuent à confirmer ou à infirmer les espoirs que nous fondons sur la reprise et le développement du processus de paix.
Jérusalem Post : Est-ce que la France est prête également à contribuer au renforcement de la confiance mutuelle entre Israël et les Palestiniens ?
Hervé de Charette : La France est complètement disponible à le faire, et nous sommes tout à fait décidés à nous impliquer fortement dans cette partie du monde. À la fois en raison des liens que nous avons avec les uns et avec les autres, des liens d’amitié avec Israël qui – j’espère, seront désormais mieux compris, et puis des liens très anciens, historiques, que nous avons avec ses voisins. La France est présente au Proche-Orient depuis le XIème siècle. Nous avons aussi une très grande sensibilité à ce qui se passe dans cette région du monde, car si chez vous il y a de la violence, il y a du terrorisme, nous savons qu’il y a eu aussi de la violence et du terrorisme à Paris. Nous ne vivions pas dans deux monde séparés. Nous vivons dans le même monde, c’est-à-dire ce bassin méditerranéen dont nous voulons faire maintenant un espace de paix, de sécurité et de développement.
Jérusalem Post : Puisque vous abordez la question générale de rapports avec la France et le Proche-Orient, le Moyen-Orient et la Méditerranée, certains israéliens accusent le Quai d’Orsay, que vous dirigez, d’avoir une tradition pro-arabe. Le pensez-vous, et puis est-ce que la France a, oui ou non, une politique arabe ?
Hervé de Charette : La politique étrangère n’est pas faite par les services du Quai d’Orsay, mais par le président de la République et le ministre des Affaires étrangères, naturellement, avec le concours de l’administration du ministère des Affaires étrangères. Il s’agit d’une administration très brillante, remarquable, sans doute l’une des meilleures du monde. Notre politique n’est pas une politique pour les uns contre les autres. C’est une politique pour les uns et pour les autres. J’ai appelé cela une politique « du milieu de la route ». Cela veut dire que nous souhaitons aider à la paix entre Israël et ses voisins et en essayant de les rapprocher. Je voudrais encore ajouter que la France est l’amie d’Israël. C’est vrai qu’elle est aussi l’amie des pays arabes. Il n’est pas contestable que nous avons avec les pays arabes mille ans d’histoire partagée. Mais nous avons aussi avec Israël une relation très profonde, j’allais dire très ardente, qui sans doute vient de ce qu’il y a, entre autres, en France une communauté juive très importante, qui a une grande influence dans la société française. Il y a aussi le fait que nous avons été les premiers à soutenir le jeune État d’Israël au moment de sa naissance si difficile, et que beaucoup de liens personnels attachent beaucoup de Français à Israël. Je crois qu’en Israël on a du mal à comprendre cela aujourd’hui, parc que la relation avec la France et Israël est une relation passionnelle. Et comme toutes les passions, cela ne supporte pas la médiocrité. Alors tantôt notre relation est positive, parfois elle est négative. Je voudrais essayer d’être mieux compris, non seulement par les autorités israéliennes avec lesquelles j’ai un dialogue très facile, mais par le peuple israélien. Parce que, j’ai souvent été touché, peut-être même blessé, de constater qu’il y avait une sorte d’incompréhension entre ce que faisait la France ou ce qu’elle voulait faire et ce qu’en pensait le peuple israélien. Il faut que nos donnons à cette relation franco-israélienne de la stabilité sans lui faire perdre sa force. C’est possible. Mais pour considérer cela, il faut admettre que l’on peut avoir deux amis, et que la France peut être l’amie d’Israël sans être l’ennemie de ses voisins. On peut avoir des opinions différentes que des sujets précis, sans que cela mette en cause l’amitié. Ces différences d’opinion ne sont pas des divergences ni d’opposition. Ce sont des différences d’appréciations sur lesquelles il faut travailler ensemble pour essayer de rapprocher nos points de vue et de trouver des points de vue communs.
Jérusalem Post : Dans le passé existait une très forte dépendance entre l’état des relations franco-israéliennes et l’état du processus de paix. Est-ce qu’aujourd’hui les deux pays ont dépassé ce stade de dépendance ?
Hervé de Charette : La France est maintenant participante à part entière à la recherche de la paix. Nous voulons la faire avec vous, naturellement avec nos amis européens, et nous voulons le faire en agissant de manière complémentaire à l’action des États-Unis. Mais les relations franco-israéliennes ne dépendent pas que du processus de pays. Il y a les liens économiques entre Israël et l’Union européenne, ce qui est paradoxal c’est que le niveau des relations politiques entre les deux ne sont pas au même niveau que les relations économiques. Nous essayons d’y porter remède. De même, sur le plan culturel, il y a beaucoup de liens entre la France et Israël : il y a 300 000 Israéliens dont la langue natale est le français, il y a aussi 50 000 israéliens qui ont la nationalité française. C’est tout cela qu’il faut essayer de renforcer, de dynamiser et de développer. Mais il ne faut pas oublier que si moi je travaille à l’amitié franco-israélienne, et je ne suis pas le seul – David Levy y travaille aussi -, je sais bien qu’il y a des forces qui y sont hostiles.
Jérusalem Post : Quel que soit l’état de processus de paix ?
Hervé de Charette : Oui, bien sûr. Le processus de paix concentre beaucoup de nos efforts, mais la relation bilatérale franco-israélienne n’est pas complètement dépendante de cela. C’est une autre chose, parce que même le jour où la paix sera arrivée, nous aurons encore beaucoup à faire ensemble. C’est même probablement à ce moment-là que l’on verra exploser les relations entre nous, entre Français et Israéliens, et je dirai entre Méditerranéens.
Jérusalem Post : L’un des aspects qui façonne l’image de la France en Israël est la montée en puissance de l’extrême-droite dans votre pays. Que peut-on faire pour combattre ce phénomène ?
Hervé de Charette : Chacun a ses extrémistes, et Israël n’y échappe pas. Je dirai que chacun s’occupe des siens. Ceci étant, je sais que la mode veut que l’on parle de la montée de l’extrême-droite, le Front national, en France, mais je crois qu’il faut regarder cela avec plus de prudence. Un récent sondage d’intention de vote, publié par Paris-Match, accrédite le Front national de 12% d’intention de vote ; c’est-à-dire exactement le même chiffre que celui que le Front a fait aux élections de mars 93. Ce sondage a marqué plutôt une très grande stabilité. Alors naturellement, je n’en tirerais pas plus de conséquences que cela, car les sondages doivent être regardés avec prudence. Une élection à Vitrolles ne doit pas non plus fixer ce cap de la politique française. En tant que dirigeant de l’un des partis politiques de la majorité, naturellement, je combats ardemment tous nos adversaires ; parmi lesquels il y a en effet le Front national, dont nous ne partageons pas ni les valeurs ni les objectifs.
Jérusalem Post : Vous avez parlé de liens personnels qui existent entre beaucoup de français et Israël. Peu d’israéliens savent que vous avez passé une certaine période de vie dans un kibboutz. Quel souvenir vous reste-t-il de ce séjour ?
Hervé de Charette : Cela me donne un grand avantage sur beaucoup d’Israéliens qui n’y ont jamais mis le pied. J’ai passé en 1959 trois mois dans un Kiboutz Hanita, à côté de la frontière avec le Liban, et à l’époque cette frontière n’était pas une frontière sûre. C’était une période de forte tension, et j’en ai gardé un souvenir très émouvant ; l’un des meilleurs souvenirs de ma jeunesse, parce que j’avais été plein d’admiration devant l’enthousiasme de ces jeunes qui venaient tous d’ailleurs. À Hanita, à l’époque, beaucoup venaient de France et avaient volontairement choisi ce destin de contribuer à la création d’une nouvelle nation, d’un jeune État. Et puis, cette idée de partage de la vie – non seulement de travail – m’avait beaucoup enthousiasmé. Cela m’avait donné d’Israël l’idée d’un pays qui était en avance sur son temps. Je souhaite qu’Israël soit toujours en avance sur son temps.
Jérusalem Post : Vous croyez qu’aujourd’hui ce n’est plus le cas ?
Hervé de Charette : Non, mais je souhaite que sur la route de la paix, Israël soit toujours en tête.
Date : 4 mars 1997
Entretien avec le quotidien israélien « Ha’Aretz », à Tel Aviv - Extraits
Ha’Aretz : Le régime Syrien est-il prêt à une normalisation avec Israël ?
Hervé de Charette : J’entends souvent du côté israélien des doutes sur ce sujet. Je ne crois pas qu’il y en ait. Je crois que la Syrie recherche vraiment le règlement du contentieux syro-israélien. Toutefois les Syriens expriment avec une grande préoccupation car ils ont le sentiment que les circonstances présentes sont particulièrement difficiles et que la perspective d’une reprise de processus de paix ne se représente pas, selon eux, sous les meilleurs auspices. Mais dans leur esprit, il s’agit de la reprise du processus au point où il a été suspendu au début de l’année 1996. C’est l’un des éléments de la difficulté.
Ha’Aretz : Justement en Israël, on se pose des questions sur la capacité du président Assad d’avoir une paix avec Israël parce qu’il s’agit d’une ouverture du régime de Damas qui est un peu fermé.
Hervé de Charette : Il est clair que de part et d’autre, il y a des luttes réciproques. Sinon, le processus de paix aurait déjà repris et sans doute d’ailleurs, la paix serait-elle déjà là. Il y a donc une certaine méfiance entre Syriens et Israéliens et tout le travail que nous avons à faire consiste à vaincre cette méfiance, à la surmonter et à la remplacer par la confiance, et sinon par la confiance, du moins par une volonté commune de percevoir à un accord et un règlement de paix.
Ha’Aretz : Allez-vous faire une proposition concrète aux Israéliens durant votre visite ?
Hervé de Charette : Je ne crois pas que nous soyons dans cette situation. Je viens en Israël avec beaucoup d’intentions : écouter, interroger, comprendre de façon à analyser dans quelle mesure on peut combler l’espace qu’il y a actuellement entre Syriens et Israéliens sur le processus de paix.
Ha’Aretz : Je sais que vous avez un parcours israélien assez spécial, qui n’est pas très connu en Israël. Pouvez-vous raconter votre expérience avec le Kibboutz ?
Hervé de Charette : Lorsque j’étais étudiant, j’ai passé rois mois dans un Kibboutz à la frontière israélo-libanaise. À l’époque ; il n’y avait pas de zone Sud, et pas de paix non plus. C’était un Kibboutz exposé militairement. Il avait un rôle non seulement économique mais aussi de défense. J’ai gardé un souvenir exceptionnel de ces trois mois car j’avais trouvé le mode de vie des kibboutzs très impressionnant et en somme très séduisant. J’étais jeune mais je trouvais que cette jeunesse israélienne de l’époque avait une façon de vivre ensemble, de travailler et de se défendre ensemble, de tout partager, que j’avais trouvé assez engageante.
Ha’Aretz : C’était en quelle année ?
Hervé de Charette : Vous m’obligez à de cruelles révélations ! C’était en 1959 ou 1960.
Ha’Aretz : Êtes-vous retourné là-bas ?
Hervé de Charette : Non, mais j’ai des liens anciens avec Israël car les sœurs de ma mère, religieuses au monastère d’Abougosh me sont très proches : l’une est ma marraine. Elle m’écrit très souvent. Je vais la voir presque chaque fois que je vais à Israël dans ce monastère magnifique. Elle est française et elle est là par les hasards de sa vie religieuse mais elle est passionnée par le pays où elle est. Elle l’aime beaucoup et elle en suit tous les mouvements, les évolutions et les drames, comme si elle était de là-bas.
Ha’Aretz : Ces liens ont-ils une influence sur votre regard vis-à-vis de ce pays ?
Hervé de Charette : Certainement j’ai toujours pensé qu’Israël était un pays très proche de nous.
L’histoire de ces trente dernières années a connu des hauts et des bas, et comme toujours lorsqu’il s’agit de deux peuples passionnés comme le sont les Israéliens et les Français, ce sont de hauts très hauts et parfois des bas très bas. Ce que nous avons à fait, c’est précisément d’essayer de donner cette relation franco-israélienne, un cours à la fois chaleureux, étroit et si possible, capable de résister aux circonstances du monde. C’est le plus difficile lorsque l’on a des amis : les différentes appréciations que l’on peut avoir à un moment ou à un autre sur les choses de la vie ne portent pas atteinte à l’amitié. Ce qui est vrai pour les individus est vrai pour les peuples aussi. Il n’y a rien d’extraordinaire au fait que deux pays soient des amis très sincères : on partage beaucoup de choses, de valeurs, parfois beaucoup d’intérêts et en même temps, on peut avoir, sur des sujets précis, des appréciations différentes. Je crois que c’est tout à fait normal. Ainsi est la vie. On n’a jamais vu deux amis avoir les mêmes idées sur tout. Entre Français et Israéliens, nous avons eu à passer des moments d’entente et des moments de désaccords très profonds et j’aimerai que nous puissions parvenir à une relation stable, fondée sur l’amitié. Il y a en France une communauté juive très nombreuse qui joue un rôle encore plus important. Tout cela contribue naturellement à créer des liens très forts entre la France et Israël. Les Français connaissent Israël. Beaucoup y vont, pour des raisons touristiques, mais aussi sentimentales.
Ha’Aretz : Pourquoi, à votre avis, y a-t-il une image parfois négative de la France ? Beaucoup d’Israéliens se sentent parfois trahis par la France, parfois gênés. Cela s’exprime dans la presse israélienne. Vous avez bien sûr pris connaissance de cela.
Hervé de Charette : Oui. J’ai même souvent été choqué par ce que je lisais dans la presse israélienne au sujet de la France et de ses choix politiques. Je crois que cela s’explique en ce que nous n’avons pas fait suffisamment attention les uns aux autres. Et, j’aimerais qu’en Israël, l’on comprenne que la France à des liens avec les voisins d’Israël. Nous n’avons pas l’intention de renoncer à ces liens qui sont très anciens, puisque la présence de la France au Proche-Orient date de 1906. Ces liens ne sont pas antinomiques de ceux que nous avons avec Israël. Cela ne nous empêche pas d’être un peuple ami d’Israël ; cela n’enlève rien aux liens que nous avons et cela ne nous rend pas insensibles, loin de là, aux préoccupations légitimes d’Israël dans ses relations avec ses voisins : c’est-à-dire, la recherche de la paix et la recherche de la sécurité. Si nous pouvons à un moment ou à un autre avoir une appréciation différente de la voie à suivre pour résoudre les problèmes de la paix et de la sécurité – ce n’est pas un cas général, souvent nous avons une appréciation très proche – ces différentes appréciations n’ont pas de raison de créer des antagonismes.
Ha’Aretz : C’est la France qui a donné à Israël dans les vingt premières années de son existence, les moyens de se défendre et de survivre. Y a-t-il une chance pour qu’une autre forme d’alliance entre la France et Israël se réalise maintenant ?
Hervé de Charette : Lorsque j’étais étudiant à Hanita, la France était extraordinairement populaire en Israël. Je suis allé à Jérusalem, j’ai traversé le désert, expérience inoubliable, et Eilat n’était pas le mur de béton d’aujourd’hui. C’était quelques baraques en bois, nous étions très populaires partout. En tant qu’étudiants, nous rencontrions des visages souriants et amis. Je ne vois pas pourquoi cela ne serait pas le cas aujourd’hui. Le monde a changé Israël, mais je ne vois pas pourquoi nous n’aurions pas des liens similaires à présent. Nous pouvons le faire si nous veillons à éliminer, à écarter les forces qui existent de part et d’autre et qui cherchent à nous séparer.
Ha’Aretz : Quelles sont ces forces ?
Hervé de Charette : Ce sont des forces qui voudraient faire de nous des ennemis. C’est absurde. Comme vous l’avez rappelé, nous avons contribué à la création de l’État d’Israël. Nous étions les premiers à soutenir l’effort de votre jeune pays, et il n’y a pas de raison de changer cela.
Ha’Aretz : Est-ce que l’on peut maintenant renouveler l’alliance militaire qui existait depuis des années ?
Hervé de Charette : La situation a changé. C’était, à l’époque, une situation de guerre, de confrontation parce que les pays arabes contestaient l’existence même d’un État israélien. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Personne aujourd’hui ne conteste, dans le monde arabe, l’existence d’Israël. Ce qui est maintenant l’enjeu du débat, c’est la meilleure façon d’aboutir à la paix. C’est un changement formidable. Vous êtes jeune, vous ne vous souvenez sans doute pas de cette époque où les voisins d’Israël contestaient l’existence de l’État et avaient affiché dans leurs discours et leurs programmes qu’ils voulaient chasser les israéliens, les jeter à la mer. Nous n’en sommes pas là. C’est terminé. Il faut maintenant s’appliquer à rechercher le chemin de la paix. Ce chemin est forcément difficile, semé d’embûches et en contradictions. Il n’est pas étonnant que les uns disent que la paix passe par ce chemin-ci et que d’autres disent que, non il faut passer par ce chemin-là.
Ha’Aretz : Il paraît que vous avez une conviction très forte là-dessus car, pendant l’opération « Raisins de la colère », vous insistiez pour donner un rôle à la France.
Hervé de Charette : Cette région est stratégique pour les Européens, et en particulier pour les Français. C’est un fait qui tient à notre proximité. Nous sommes prêts les uns des autres. S’il n’y a pas la paix au Proche-Orient, il y a du terrorisme. S’il y a de la violence au Proche-Orient, tôt ou tard, cela finit à Paris. C’est vous dire que nous sommes concernés par votre sort. Ce qui arrive chez vous, nous concerne à la fois au nom de l’amitié et aussi, au nom de nos propres intérêts. Je pense même qu’en réalité, l’Europe, durant près d’un demi-siècle, a concentré ses regards vers l’Est en pensant que ce serait de là que viendrait la grande menace. Demain, ce ne sera plus le cas. Et, nous allons davantage concentrer nos regards vers le Sud, l’Afrique du Nord, la Méditerranée et le Proche-Orient.
Ha’Aretz : Vous-même avez beaucoup impressionné les dirigeants israéliens de l’époque par votre insistance à rester là-bas et à avoir un règlement avec la France.
Hervé de Charette : A l’époque, ce n’était pas facile car les dirigeants israéliens ne comprenaient pas très bien ce que disait la France et au fond, considéraient que nous gênions, que nous étions un obstacle pour Israël. Je crois au contraire que la France peut beaucoup apporter à Israël et à ses voisins pour rechercher ce qu’il est convenu d’appeler une paix juste et globale, c’est-à-dire une paix dans laquelle chacun s’y retrouve, ayant à la fois la sécurité et le développement. Le fait est qu’avant l’élection du président Chirac, la France avait un comportement assez passif. Elle ne participait plus aux négociations, aux discussions. C’est cela qui a créé cette situation anormale. Nous avons décidé que cela ne continuerait pas comme cela parce qu’il y a de gros intérêts, parce qu’il nous semble aussi que nous pouvons être utiles. Ce n’est pas une attitude hostile à Israël. Bien au contraire, nous pensons que nous pouvons être très utiles à Israël. Ce n’est pas une attitude hostile aux Américains dont nous ne contestons pas le rôle éminent. Nous pensons que nous sommes complémentaires des Américains. Nous sommes évidemment déterminés à poursuivre dans cette voie et nous souhaitons le faire en pleine harmonie avec les autorités israéliennes, en coopération avec nos amis américains de façon à contribuer à la paix.
Ce que je dis là concerne la France et aussi l’Europe, car je peux exactement dire la même chose de l‘Europe toute entière. Ce n’est pas par hasard que la France a joué, de ce point de vue, une sorte de rôle de leader dans l’Union européenne parce que nous sommes, de toutes les nations européennes, la plus grande puissance méditerranéenne.
Ha’Aretz : Certaines personnes en Israël, voient votre visite comme une visite de compensation, après la visite du président de la République qui a embêté beaucoup d’Israéliens, à cause de l’incident à Jérusalem.
Hervé de Charette : L’incident de Jérusalem dont vous parlez n’est pas dû au président de la République. Il n’en a été ni l’auteur n le responsable. C’est vrai que le président de la République française a l’habitude de se faire respecter. C’est ce qu’il a fait. Il n’y a pas de lien, il ne faut pas faire ce genre de lien. Je viens, et je ne dirai que c’est un évènement naturel au nom de tout ce que je viens de dire précédemment. Ce n’est pas la première visite que je fais dans votre pays et ce ne sera pas la dernière. Il y a beaucoup d’occasions, en cette année 1997 qui vous permettront de travailler ensemble. David Levy est venu à Paris, au mois de janvier je crois, et nous n’avons pas considéré que c’était une visite de compensation après l’incident de Jérusalem. C’était une visite de travail et d’amitié. Pour la mienne, c’est la même chose.
Ha’Aretz : Hier, le gouvernement israélien a décidé de construire un nouveau quartier juif à Jérusalem-Est. Comment voyez-vous cette décision et plus généralement, comment voyez-vous la direction de Benjamin Netanyahou ? Quel est son but ?
Hervé de Charette : J’espère que c’est la paix. Je n’en doute pas d’ailleurs, je n’en doute pas. Cette décision, vous l’avez observé comme moi, a été déplorée par les Palestiniens, et jugée de façon négative par l’ensemble de la communauté internationale. La France pense que c’est une décision qui complique les choses car elle va provoquer des tensions dans la région, non seulement de la part des Palestiniens qui considèrent que rien ne doit être fait à Jérusalem qui puisse empêcher la négociation finale d’avoir lieu. Cela provoquera aussi des tensions pour d’autres pays de la région qui sont directement concernés par la ville de Jérusalem, dont le symbolisme, est comme vous le savez, considérable.
Date : 4 mars 1997
Source : Kol Israël
Kol Israël : Quel est le but de votre visite en Israël ?
Hervé de Charette : D’abord, c’est une visite que je rends à Israël, visite de travail qui avait été prévue depuis plusieurs semaines, lorsque j’ai reçu David Levy à Paris fin janvier. Nous étions convenus d’engager ensemble un programme destiné à développer et à renforcer les relations amicales entre la France et Israël. Donc, c’est pas l’objectif premier qui m’amène en Israël. Naturellement, nous aurons l’occasion de parler du processus de paix après les nombreuses rencontres et conversations que le président de la République française et moi-même avons eues au cours des dernières semaines.
Kol Israël : Le Conseil de sécurité se réunit ce soir, Monsieur le Ministre, pour débattre de ce que l’on appelle l’affaire de la construction à Har Homa. Les États-Unis, pour l’instant, réservent leur jugement, qu’en est-il de la France ?
Hervé de Charette : Nous allons voir comment se présente ce débat aux Nations unies. Nous sommes conscients du fait que c’est assez rare qu’il y ait un débat sur la situation dans la région aux Nations unies. C’est que sans doute les décisions qui ont été prises par le gouvernement israélien d’engager de nouvelles constructions à Jérusalem provoquent, vous le savez bien, une certaine émotion. Je voudrais d’abord dire, parce que je crois que c’est très important, que l’Accord sur Hébron constitue un résultat extrêmement positif. Il a été difficile. La négociation a été longue, elle a été ardue. Il y a même eu des moments de tensions. Mais enfin, ce qui compte, c’est le résultat, qui constitue une étape très importante dans la voie du processus de paix. Le monde entier s’en est réjoui, et la France en a été particulièrement heureuse. Pour le reste, naturellement, je dirais que la France a une position proche de celle des Américains. J’ai entendu le président Clinton qui a déclaré que cette décision à laquelle vous faites allusion ne facilitait pas les choses. Je le pense moi aussi. Mais nous voulons – c’est dans cet esprit que je viens ici – travailler à ouvrir le chemin de la paix, à aider, si cela est possible et si cela peut être utile, à faire en sorte que le chemin de la paix soit toujours possible.
Kol Israël : Le président Chirac l’a répété à maintes reprises, il entend que la France puisse effectivement aider le processus, en particulier en ce qui concerne le volet syro-libanais. Vous vous rendez également à Damas et à Beyrouth. Allez-vous œuvrer dans ce sens ?
Hervé de Charette : Oui, nous allons essayer de voir dans quelles mesures les discussions entre Israël d’un côté, la Syrie, le Liban de l’autre, pourraient être reprises. Comme vous le savez, s’il y a des difficultés, c’est parce que, aussi bien du côté syrien que du côté israélien, on n’a pas tout à fait la même analyse et le même point de vue sur la façon dont les discussions pourraient démarrer. Je crois qu’il y a un désir sincère de part et d’autre de reprendre la discussion. Mais il y a des discussions très compliquées sur la façon dont elles pourraient reprendre. Comme j’ai rencontré les dirigeant syriens récemment, je vais échanger des idées avec M. David Levy et M. Netanyahou sr ce sujet pour aider. Voyez-vous, il n’y a pas d’initiative française, il n’y a pas de solution française toute faite.
Kol Israël : Une dernière question, Monsieur le Ministre. Hier, avant votre départ pour la région, vous avez rencontré votre homologue allemand. Est-ce pour coordonner vos actions ?
Hervé de Charette : Oui, bien sûr, nous avons parlé ensemble de la visite que lui-même effectue et de celle que j’effectue chez vous. Cela a été pour nous l’occasion de constater que nous avions, comme toujours, entre Français et Allemands, des analyses extrêmement proches, pour ne pas dire franchement identiques. Je suis très content que Klaus Kinkel soi aussi dans la région et qu’il puisse rencontrer lui aussi les principaux dirigeants de la région. Cela nous permet de montrer à quel point l’Europe est importante. Vous savez, nous avons au Proche-Orient – je dis « nous » en pensant à l’ensemble des Européens – des intérêts très importants. Nous avons une attention très importante, parce que si la paix règne ici, cela a beaucoup d’importance pour nous. Si au contraire ici, il y a de la violence, il est à craindre qu’il y en ait aussi à Paris. Nous ne vivons pas dans deux mondes différents, nous vivons dans le même monde qui est en cette Méditerranée dont nous sommes riverains, nous les Français, vous les Israéliens et beaucoup d’autres peuples. Autour de cette Méditerranée, nous voulons construire un monde paix et un monde de développement. C’est ce qu’on appelle le Processus de Barcelone. Nous allons bientôt avoir une réunion de ministres des Affaires étrangères de tous les pays de la Méditerranée. Elle se tiendra à Malte. Ce sera, je crois, un évènement très significatif de cette Méditerranée qui est notre bien commun, et que nous voulons organiser ensemble pour la paix et le développement de tous.
Date : 5 mars 1997
Source : Kol Israël
Entre nos deux pays qui se connaissent depuis très longtemps, ont été très liés, mais c’est vrai, dont les relations ont connu des hauts et des bas, je crois très important que désormais nous placions les relations bilatérales à un haut niveau d’intensité, de chaleur même et aussi de stabilité, c’est-à-dire qu’on ne laisse pas des évènements ou des difficultés perturber la relation franco-israélienne. C’est vrai que nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais c’est normal entre deux amis. On peut avoir des différences d’opinions sur un sujet ou sur un autre. Cela n’empêche pas de rester amis, et je tiens beaucoup à la qualité de l’amitié franco-syrienne.
Kol Israël : Sur la Syrie ?
Hervé de Charette : Bien sûr, nous avons parlé ici du processus de paix, et nous avons regretté que le processus de paix soit aujourd’hui arrêté avec les Syriens et les Libanais depuis le printemps 1996. C’est une situation qui est assez dangereuse, et j’ai été frappé de constater que les interlocuteurs israéliens, aussi bien M. Netanyahou que M. David Levy, ont exprimé la même inquiétude et le souhait de reprendre le processus de paix. Je crois que, du côté syrien, il y a aussi de l’inquiétude et un souhait similaire de parvenir à la paix. Donc, je vais poursuivre ces rencontres, ces discussions, avec le souci de permettre à chacun de mieux comprendre les pensées de l’autre. De ce point de vue, j’aurai des choses à dire aux Syriens.
Kol Israël : Parlons donc du rôle de la France en Europe. Le rôle, le rôle de la France au sein de l’OTAN est beaucoup plus important pour le moment. Elle a voulu avoir un rôle plus important, mais après la visite de M. Chirac à Washington, tout s’est un peu calmé. Cela veut-il dire que la France est pour le moment d’accord avec l’hégémonie américaine ?
Hervé de Charette : Le problème ne se présente pas comme cela. Je sais que souvent on présente les relations entre la France et les États-Unis sous un jour conflictuel, alors qu’il n’y a pas de conflit entre la France et les États-Unis. Nous sommes les alliés des États-Unis depuis leur création. Nous devons beaucoup aux États-Unis. Ils sont venus deux fois, au XXème siècle, nous sortir d’une grande difficulté au moment de la Première guerre mondiale et de la Deuxième guerre mondiale. Il y a entre nos deux pays des relations qui sont évidemment des relations très denses et très fortes. Bien entendu, nous avons nos propres positions sur un certain nombre de sujets, mais pour l’essentiel, nous sommes d’accord avec les États-Unis. Nous partageons les mêmes valeurs, nous poursuivons des objectifs similaires. Nous travaillons très souvent la main dans la main. Il y a des sujets sur lesquels ou il y a des désaccords franco-américains, mais ce n’est pas l’essentiel de nos relations. Vous parlez d’hégémonie américaine ; je ne pense pas que les États-Unis aient l’intention d’imposer l’hégémonie au monde et d’ailleurs ce n’est pas comme cela que s’organise le monde qui vient, le monde nouveau qui est devant nous. C’est un monde dans lequel, au contraire, il y a des puissances nouvelles qui apparaissent : l’immense puissance chinoise par exemple, ou des pays dont on ignorait presque tout, il y a vingt ans, et qui, maintenant, produisent des voitures, des téléviseurs, qui sont présents sur le marché (la Corée, l’Indonésie, le Brésil, l’Argentine, l’Afrique du Sud, etc…). C’est plutôt un monde multipolaire dans lequel beaucoup de pays ont un rôle à jouer. Parmi eux, il y a la France, bien sûr, et l’Union européenne, qui jouera un rôle de plus en plus important dans la vie internationale.
Kol Israël : Et le rôle de la France en Afrique ? Est-ce qu’au nom de la culture et de la langue française ? La France est d’accord de participer, de coopérer avec tel personnage, tel régime comme celui de Mobutu au Zaïre ou, autrefois, Abiarimana au Rwanda ?
Hervé de Charette : Je ne vois pas pourquoi vous dites cela ! Nous avons, en Afrique, les uns et les autres, beaucoup de devoirs et peu d’intérêts, en tout cas beaucoup plus de devoirs que d’intérêts. C’est vrai que nous sommes présents en Afrique, parce que l’Histoire l’a voulu ainsi, mais aussi parce que nous avons une politique d’aide au développement des pays africains qui est la première du monde, devant tous les autres pays au monde. Nous essayons avec plus ou moins de succès d’entraîner les européens, parce que nous pensons qu’il y a une responsabilité de l’Europe vis-à-vis de l’Afrique toute entière, non seulement l’Afrique qui parle français, mais aussi l’Afrique qui parle anglais, tout simplement l’Afrique elle-même avec ce qu’elle est, ce qu’elle représente. Les Africains sont aussi estimables et dignes que tous les autres peuples du monde et ils ont plus de difficultés. Donc nous avons le devoir, les uns et les autres, de les aider.
Vous parlez du Zaïre. Mais nous, nous ne défendons pas untel contre tel autre. Nous défendons l’équilibre, la stabilité en Afrique centrale et en particulier, en effet, nous essayons, avec les Américains, avec qui nous travaillons en parfaite harmonie, avec nos partenaires européens, avec les pays africains concernés, avec l’Organisation de l’unité africaine et évidemment avec l’ONU, de résoudre les problèmes du Zaïre qui sont des problèmes très graves. Mais nous ne sommes pas les défenseurs des uns contre les autres. Quant au Rwanda, tous ceux qui ont approché les responsabilités dans ce pays ont une part de responsabilité dans la situation tragique de ce pays. Mais nous voulons aider ce pays.
Kol Israël : La France vient de signer un accord avec l’Allemagne sur la sécurité européenne. Sur cette base, quelle sorte d’Europe voyez-vous pour le prochain siècle ?
Hervé de Charette : C’est une question qui est très importante pour les Européens, mais aussi pour les Méditerranéens et en particulier pour Israël. Alors je vais vous dire quelle Europe nous avons à l’esprit pour la génération qui vient. Nous voulons faire la grande Europe, nous voulons donc rassembler dans l’Union européenne tous les pays européens, sans exception.
Kol Israël : La Russie également ?
Hervé de Charette : Non, pas la Russie. La Russie n’est pas seulement européenne, elle est aussi asiatique. Encore que nous voulons avoir des relations très étroites avec la Russie, mais nous voulons que tous les pays d’Europe centrale et orientale puissent se retrouver autour de la table de l’Union européenne. Bien naturellement, il y a des conditions à remplir : il faut que la démocratie y soit stabilisée, il faut que l’État de droit y soit organisé, et il faut que chaque pays ait réglé ses problèmes et ses différends avec ses voisins. En Europe centrale et orientale, tous ces problèmes sont encore à résoudre. Mais dans les dix ans qui viennent, vous allez voir se créer cette grande Europe, depuis l’Atlantique jusqu’à la Mer noire. C’est un évènement politique majeur. Dans cette Europe-là, nous voulons aussi que s’organisent non seulement le développement économique, mais aussi la puissance politique pour faire valoir et prévaloir la défense des intérêts européens dans le monde. Nous voulons essayer d’encourager les pays européens à organiser eux-mêmes leur défense dans le cadre de l’Alliance atlantique. C’est pourquoi nous proposons une réforme de l’Alliance atlantique et un meilleur partage des responsabilités entre Européens et Américains en matière de défense.
Kol Israël : Quelle sorte de France voyez-vous avec un Le Pen qui vient de gagner la quatrième ville ?
Hervé de Charette : Je sais que cela provoque de l’émotion dans le monde et en France d’ailleurs, où il y a beaucoup d’émotion aussi, mais je crois qu’il ne faudrait pas non plus en tirer des conséquences abusives. Et je ne crois pas qu’on puisse dire que la France soit un pays d’extrême-droite. La France – l’immense majorité des Français – continue, heureusement d’être résolument opposée à toute idée de racisme, de xénophobie et d’antisémitisme. Ce sont les valeurs sur lesquelles je me bats, sur lesquelles nous nous battons dans une majorité et aussi, il faut le reconnaître, dans l’opposition. Et je crois que ces valeurs resteront des valeurs majeures de notre vie.
Kol Israël : Est-ce que, sur le modèle de l’Union européenne, vous prévoyez aussi une Union méditerranéenne ?
Hervé de Charette : Nous avons un grand projet pour la Méditerranée, qui n’est pas simplement u projet français, mais qui est un projet pour une part née en France. C’est l’idée que la Méditerranée qui a connu, au cours des siècles et même des millénaires passés, beaucoup de conflits, beaucoup de guerres, beaucoup d’affrontements entre les religions, entre les peuples, devienne enfin une zone de paix, de stabilité et de développement.
Kol Israël : Le Proche-Orient également ?
Hervé de Charette : Cela concerne toute la Méditerranée. Nous sommes tous des Méditerranéens. Vous êtes, vous les Israéliens, un peuple de la Méditerranée, comme nous les Français, nous sommes de la Méditerranée. Et c’est même le berceau de notre culture et de notre civilisation, comme la vôtre. Et nous souhaitons vraiment que nous travaillons tous ensemble, et en particulier les Français et les Israéliens, à faire de cette Méditerranée une zone de paix et de développement. Ce n’est pas juste qu’il y ait des pays riches et des pays très pauvres autour de la Méditerranée, des pays ayant atteint un haut degré de développement de technologie et des pays très en retard, ou des pays où le degré de formation des hommes est très élevé et d’autres où il est très faible. Contre cela, il faut travailler ensemble et essayer de créer une situation nouvelle. Je crois que c’est un grand projet pour la jeunesse méditerranéenne, pour la jeunesse israélienne, la jeunesse française et celle d’autre pays.
Date : 5 mars 1997
Source : Télévision Publique Israélienne.
Question : On sait que n’avez pas rendu visite aux responsables palestiniens ici à la Maison d’Orient. N’avez-vous pas cédé aux pressions des responsables israéliens ?
Hervé de Charette : Non, comme vous le savez, nous avons, dans les pays de l’Union européenne, adopté il y a déjà longtemps, une doctrine sur cette question qui définit notre position. Nous considérons que, dès lors que les ministres des Affaires étrangères européens sont en visite officielle, ils doivent s’y rendre. Ici, il s’agit d’une visite de travail.
Question : Vous partez d’ici à Damas. Les responsables israéliens avec lesquels vous vous êtes entretenu ici à Jérusalem vous ont-ils chargé d’un message, d’une mission auprès des dirigeants syriens ?
Hervé de Charette : Non, je ne suis chargé d’une mission que par le président de la République française, mais il est vrai que je suis venu en Israël pour une raison principale : le renforcement des relations bilatérales entre la France et Israël. C’était l’objectif principal du voyage que j’ai effectué en Israël. Je voulais pour cela rencontrer bien sûr les dirigeants d’Israël, le Premier ministre, M. Netanyahou, le président, M. Ezer Weizman, le ministre des Affaires étrangères, M. David Levy, mais aussi des parlementaires (j’ai été reçu à la Knesset à la Commission des Affaires étrangères), mais aussi les dirigeants de l’opposition et des représentants de ce que l’on appelle la société civile. C’est donc pour cela que je suis venu, parce qu’il me paraît extrêmement important que les relations entre la France et Israël soient des relations chaleureuses, des relations denses, des relations intenses dans tous les domaines. Dans le domaine politique, bien sûr, parce que nous avons beaucoup de questions intéressantes à discuter ; mais aussi économique et dans le domaine de la coopération scientifique, les relations culturelles, de la défense de la langue française (il y a beaucoup d’Israéliens qui parlent français). Ce sont autant de raisons de développer ces relations entre deux pays. C’est donc à cela que j’ai surtout consacré mon voyage, et je dois dire que le résultat est positif. Je suis très heureux de tirer un bilan très encourageant de ces deux jours passés ici, où je crois nous avons fait du bon travail.
Question : Alors vous ne portez pas de message à Damas d’ici, de Jérusalem ?
Hervé de Charette : Vous parlez du processus de paix, et c’est vrai que le processus de paix a connu un signal positif avec l’Accord sur Hébron entre Israël et les Palestiniens, mais que la voie syrienne et libanaise est aujourd’hui en panne. Je crois que cette situation est à la fois dangereuse et nuisible pour tout le monde, à commencer, bien entendu pour Israël. Je ressens que, de tous côtés, on souhaiterait trouver le moyen de relancer ce processus. Si la France doit apporter une contribution positive dans cette voie, avec d’autres, naturellement, avec les Américains, nous sommes tous prêts à le faire. J’en ai parlé ici bien sûr, j’en avais parlé à Paris avec le vice-président Khaddam et le ministre Farouk Al-Charaa, qui sont venus me rendre visite à Paris il y a quelques jours. J’en parlerai à coup sûr avec le président Assad demain. Si je vos qu’il y a des possibilités, je ne manquerai pas, bien entendu, de pousser les feux, parce que je croix que la paix est globale. La paix n’est pas partielle, elle ne se fait pas par petits bouts. Il faut aller jusqu’au bout et aujourd‘hui la relance de ce processus de paix avec la Syrie et le Liban me paraît très nécessaire pour tout le monde.
Question : Vous êtes plutôt optimiste aujourd’hui qu’auparavant ?
Hervé de Charette : Le processus de paix avec la Syrie est arrêté depuis le printemps 1996 et je ressens qu’il y a de part et d’autre beaucoup de méfiance. C’est là que se trouve la difficulté. Je ne crois pas qu’on puisse dire aujourd’hui qu’il faut être optimiste, mais il faut être actif. Il faut toujours agir dès qu’on peut résoudre les problèmes.
Question : Est-ce que vous êtes d’accord avec le président Assad qu’Israël doit s’engager préalablement à la reprise des négociations dur un retrait du Golan ?
Hervé de Charette : Je n’ai pas à être d’accord avec l’un ou avec l’autre sur ce sujet. Le problème n’est pas français. Le problème est de faire en sorte que les deux parties soient dans la situation où ils estiment bon de reprendre les discussions. Pour l’instant, je vois des difficultés.
Question : Est-ce que vous envisagez une présence française militaire dans le sud du Liban afin de séparer le Hezbollah d’Israël ?
Hervé de Charette : Cela n’est pas une question actuelle. C’est vrai que nous avons dit, il y a un an, le président de la République l’a dit, que si l’on avait besoin de la France à un moment, une fois la paix signée, et pour contribuer à sa bonne application, la France serait évidemment disponible. Je le répète, on n’en est pas là. On est à regarder si on pourrait reprendre les discussions.
Question : Vous savez, Monsieur le Ministre, depuis les années 60, Israël considère que la France mène une politique pro-arabe…
Hervé de Charette : C’est cela que je voudrais corriger, parce que je crois que ce n’est pas conforme à la vérité. Si je suis venu cette fois-ci en Israël, en mettant l’accent sur l’amitié entre la France et Israël, c’est parce que je crois tout à fait nécessaire que chacun comprenne bien l’autre. Dans cette région, nous avons voulu, depuis un an, - je l’ai dit à plusieurs reprises mener ce que j’ai appelé une politique du « milieu de la route ». C’est-à-dire non pas une politique qui serait insensible aux uns et aux autres, mais au contraire une politique qui prenne en considération les préoccupations des uns et les préoccupations des autres, les préoccupations de sécurité qu’expriment ses partenaires et qui sont aussi légitimes. La paix, c’est lorsque l’on peut rapprocher les points de vues des uns et des autres. C’est à cela que nous voulons travailler, pour autant qu’on en ait besoin, que ce soit désiré. Je crois que nous pouvons apporter un concours utile. Je le répète, nous sommes des amis. En effet, il y a beaucoup de pays arabes qui sont des amis très anciens de la France. Nous sommes aussi un ami, et j’y tiens, un ami très intime d’Israël. Et c’est cette amitié pour les uns et pour les autres qui donne évidemment une capacité à comprendre et peut-être à aider. Cela vous est bien arrivé dans votre vie d’avoir deux amis, y compris deux amis qui ne partageaient pas les mêmes points de vue sur une question ou sur une autre, et d’essayer de les rapprocher, de les réunir pour leur dire : vous pouvez vous entendre ensemble. C’est une attitude tout à fait normale, humaine.
Question : Vous savez aussi, les Israéliens se posent la question, si je peux la poser de manière un peu brutale : « de quoi la France se mêle-t-elle » ? Parce que l’on a ici les négociations entre les parties, il y a les États-Unis qui jouent le rôle de médiateur. En quoi la France peut-elle aider dans ce domaine ?
Hervé de Charette : D’abord, premier point. Vis-à-vis des Américains, nous ne sommes pas des concurrents. Nous ne cherchons pas à remplacer les Américains dans le processus de paix. Nous sommes tout à fait conscients du rôle très important et utile que jouent les Américains. Ce rôle a été extraordinairement positif depuis un certain nombre d’années. Nous pensons que nous pouvons jouer un rôle complémentaire, parce que nous avons, notamment avec le Liban, des liens très anciens. C’est dans cette partie-là du processus de paix, c’est-à-dire les relations avec la Syrie et le Liban, que nous pensons que la France peut apporter quelque chose. Naturellement, on ne veut forcer personne. Si les parties concernées nous disent : « nous savons discuter directement entre nous », c’est excellent. C’est encore mieux. Voilà, donc il faut avoir vis-à-vis de la France une attitude sereine en Israël.
Il faut encore ajouter quelque chose. Nous sommes, vous comme nous, des pays riverains de la Méditerranée. La France est la première puissance méditerranéenne. Mais Israël est un pays très important en Méditerranée. Dans quelques semaines, nous allons tous nous retrouver, tous les pays de la Méditerranée et l’Union européenne, à Malte, pour une conférence qui est la deuxième, qui réunit tous les pays partenaires de ma Méditerranée. Ensemble, nous devons avoir un grand projet, un projet pour la génération qui vient. C’est de faire de la Méditerranée et des pays qui l’entourent, une zone de stabilité, une zone de paix et de sécurité et une zone de développement. Il n’est pas normal qu’il y ait de grandes inégalités de développement entre le Nord et le Sud. Il n’est pas normal qu’il y ait, dans un certain nombre de pays riverains de la Méditerranée, un haut degré d’éducation et de prospérité, et dans d’autres, au contraire, un haut degré de pauvreté et une faiblesse au niveau de l’éducation. Il n’est pas normal que nos religions, les trois grandes religions du Livre qui sont autour de la Méditerranée, se regardent en chien de faïence. Au contraire, nous devons travailler ensemble, parce que la Méditerranée, depuis des millénaires, c’est notre patrimoine commun. Pendant ces millénaires, il y a eu beaucoup de guerres, beaucoup de combats, beaucoup de confrontations. Pourquoi n’offrons-nous pas aux jeunes générations un grand projet qui consiste à faire de cette Méditerranée enfin un modèle de paix et de développement ? C’est à cela que je voudrais travailler.
Question : Justement, si l’on parle de la Méditerranée, votre véritable zone d’influence, c’est le Maghreb.
Hervé de Charette : Pourquoi dites-vous cela ? Nous avons eu beaucoup d’influence dans le Maghreb, mais maintenant ce sont trois pays indépendants. Nous avons des relations avec eux, mais nous avons aussi d’excellentes relations avec vous, avec l’Égypte, avec le Liban, avec la Syrie. Je crois que, dans toute la région de la Méditerranée, nous nous sentons très concernés, pour une raison très simple, c’est que s’il n’y a pas de paix chez vous, s’il y a du terrorisme chez vous, il y en a chez nous, parc que chez nous, c’est chez vous, c’est la même zone, c’est la même région. La paix chez vous, elle sera contagieuse. Nous en bénéficierons. La guerre chez vous, elle a malheureusement des conséquences chez nous. Donc, nous sommes embarqués sur le même navire et nous sommes directement intéressés à la solution du problème du Proche-Orient.
Question : Serait-ce juste de dire que la lutte contre l’intégrisme islamique, c’est un point commun entre Israël et la France ?
Hervé de Charette : Parmi beaucoup d’autres, évidemment. La lutte contre le terrorisme et la lutte contre l’extrémiste religieux quel qu’il soit. C’est évidemment un objectif fondamental. La lutte contre le terrorisme, c’est une grande cause mondiale. Pour nous, c’est une grande cause méditerranéenne, mais c’est surtout une grande cause mondiale. Il faut que tous les pays du monde s’associent, travaillent ensemble pour écarter, terrasser le terrorisme qui a causé beaucoup de malheurs dans le monde.
Question : La politique française ici, n’est-ce pas une fuite face aux problèmes de l’Algérie, l’arrière-cour de la France ?
Hervé de Charette : Non, l’Algérie n’est pas l’arrière-cour de la France. L’Algérie est une nation indépendante que nous respectons. Elle a de graves problèmes, vous le savez et nous souhaitons qu’elle puisse les régler. Vraiment, nous le souhaitons, pour les Algériens d’abord, parce que c’est une tragédie que vit l’Algérie, et nous le souhaitons aussi pour toute la Méditerranée, parce que, dans la Méditerranée, nous sommes si près des uns et des autres, que lorsque l’un ne va pas bien, les autres en subissent les conséquences. Lorsque l’un est malade, les autres peuvent être atteints aussi.
Question : Vous craignez toujours que le conflit en Algérie ne déborde sur le territoire français ?
Hervé de Charette : Il y a des liens forcément entre les pays de la Méditerranée, et il y a toujours des risques que le terrorisme, en effet, qui frappe les uns et aille s’exporter chez les autres. Nous sommes très prudents très attentifs. Croyez-le.
Question : La montée du Front national en France vos inquiète-t-elle ?
Hervé de Charette : Franchement, je condamne profondément – et je ne suis pas le seul, l’immense majorité en France le fait – l’extrémisme, de quelque nature que ce soit, et a fortiori le racisme et l’antisémitisme. Vous devez être convaincu, et ceux qui nous écoutent doivent le savoir, il y a un très large consensus en France pour rejeter ces idée-là. Il y a l’extrême-droite en France, c’est vrai ; elle existe dans d’autres pays. Il n’y a pas que la France qui connait la montée de certains extrémismes. Nous luttons pour la voie du combat politique et de la démocratie mais je vous dirai que je suis moins inquiet que certains. Je suis sûr qu’aux élections de 1998, on verra que les Français sont un peu plus sages.
Question : Mais l’image de la France, si considérablement ternie, c’est à cause de cette politique xénophobe, par la pression du Front national en France ?
Hervé de Charette : Il y a des gens qui expriment des idées xénophobes, oui. Ce sont des minorités. Elles sont là, il faut les combattre et la politique du gouvernement français est au contraire, je le redirai à chaque fois, une politique d’ouverture, parce que la France ne peut gagner dans le monde d’aujourd’hui que si elle est ouverte sur le monde. Vous savez, nous sommes la quatrième puissance exportatrice mondiale. Nous sommes le deuxième pays du monde en matière d’exportation par tête d’habitant. Nous sommes un pays qui a fait d’énormes progrès, qui a beaucoup changé, et nous avons tout à fait intérêt à participer à ce monde nouveau qui est en train d’apparaître, qui est un monde où les échanges se multiplient tous azimuts. Échanges économiques, échanges humains, échanges intellectuels, qui sont un formidable apport pour la jeunesse qui vient. Alors, nous voulons être ouverts sur ce monde-là. Naturellement, nous voulons aussi maîtriser nos problèmes, ne pas être soumis à n’importe quelle concurrence venant de n’importe où. Nous ne voulons pas qu’on puisse entrer sur le territoire français sans appliquer les règles de contrôle et maîtrise des flux. Donc, nous sommes pour l’ouverture maîtrisée.
Question : Allez-vous soulever, au cours de votre visite à Damas, le problème des prisonniers israéliens, des soldats disparus ? C’est ici, en Israël, une question très délicate.
Hervé de Charette : Je sais, elle est très sensible. J’ai parlé avec la famille de ces soldats, et, naturellement, c’est une question que je soulève chaque fois que je le peux, de façon utile. Je le ferai, bien sûr.
Date : 5 mars 1997
Source : Télévision Publique Israélienne
Bien lire :
Question : La montée du Front national en France vous inquiète-t-elle ?
Hervé de Charette : Franchement, je condamne profondément... Je suis sûr qu’aux élections de 1998, on verra que les Français « sont un peuple sage » au lieu de « sont un peu plus sages ».
Date : 06 mars 1997.
Source : Ouest-France
Ouest-France : Pourquoi être venu, en ce moment, en Israël ?
Hervé de Charrette : Il me semblait que les relations franco-israéliennes souffraient d’un certain déficit. Or, nous avons beaucoup de raisons de travailler ensemble. Sur les plans politique, économique, de la coopération scientifique ou culturelle, il se fait déjà beaucoup de choses. On doit aller plus loin, il faut placer nos relations à un niveau élevé d’entente, afin qu’elles échappent aux aléas de la conjoncture.
Ouest-France : Faut-il tenir ce discours au moment où les Israéliens viennent de décider la construction d’un nouveau quartier juif à Jérusalem-Est ?
Hervé de Charrette : La France n’approuve pas cette décision. Elle la juge contraire au droit international et à l’esprit des accords d’Oslo. Je l’ai dit à mes partenaires israéliens avec lesquels je veux un dialogue aussi amical que sincère. Mais n’oublions pas que les relations israélo-palestiniennes ont franchi un pas très important grâce à l’accord d’Hébron. Après les incertitudes liées à l’arrivée au pouvoir de la majorité conservatrice de Benjamin Netanyahu, la communauté internationale a apprécié cet accord, qui marque le redémarrage du processus de paix israélo-palestinien.
Ouest-France : Les Israéliens vous ont-ils donné des indications sur l’ampleur de leur redéploiement en Cisjordanie ?
Hervé de Charrette : Les troupes israéliennes doivent se retirer en trois phases, en mars, septembre et l’année prochaine. J’ai insisté pour que le premier redéploiement soit le plus important possible. Mais ce sont les deux autres qui seront décisifs.
Ouest-France : Pourquoi passer par Damas, puisque les Israéliens et les Syriens n’ont rien à se dire ?
Hervé de Charrette : C’est justement parce que le processus est au point mort que j’ai voulu aller en Syrie. La semaine dernière à Paris, nous avons parlé longuement de l’éventualité d’une reprise de la négociation israélo-syrienne avec le vice-président Syrien, Abdul Halim Khaddam, et le ministre des Affaires étrangères, Farouk Chara. J’en ai parlé également à Jérusalem avec MM. Netanyahu et Lévy, ministre israélien des Affaires étrangères. Je crois qu’il y a des deux côtés une réelle volonté de reprendre le dialogue. Mais les points de départ syrien et israélien sont encore très éloignés. Sans être fermée, la voie israélo-syrienne est soumise à tant de conditions de part et d’autre qu’elle est très difficile. Les liens de la France avec le Liban et la Syrie lui donnent une réelle capacité de compréhension et d’influence. Nous en usons pour tenter de voir sur quelles bases la négociation pourrait repartir.
Ouest-France : Quelle liberté d’action les Américains vous laissent-ils ?
Hervé de Charrette : Observez le changement. Il y a un an, la France était presque absente du processus de paix. Elle se heurtait à un refus clair aussi bien d’Israël que des États-Unis. Les évènements tragiques survenus au Liban Sud lors de l’opération israélienne « Raisins de la colère » ont marqué un tournant. La navette que j’ai effectuée alors dans cette partie du monde et le rôle joué par la France pour parvenir à un cessez-le-feu et à un arrangement durable ont été considérés comme un grand succès français. Lorsque je venais ici pendant la crise du Liban, je n’étais pas le bienvenu. Du moins quand je voulais parler du processus de paix. Aujourd’hui, mes partenaires m’en parlent volontiers. Ils s’intéressent à ce que nous pouvons faire. De même, du côté américain, on comprend mieux aujourd’hui que la France et l’Europe puissent jouer un rôle complémentaire de celui des États-Unis.
Ouest-France : Compte tenu de la progression des forces rebelles au Zaïre, le régime de Mobutu n’est-il pas maintenant menacé ?
Hervé de Charrette : Notre politique est claire. Nous réclamons le respect de l’intégrité territoriale du Zaïre. Il faut que cessent les interventions de ses voisins, en particulier de l’Ouganda, dont l’activité en territoire Zaïrois est établie. Nous souhaitons aussi que le dialogue s’instaure au Zaïre pour contribuer à la stabilité du pays. Nous insistons pour que les élections aient lieu en 1997, selon le calendrier prévu par la communauté internationale. Elles sont indispensables pour que se dégage au Zaïre un pouvoir stable, légitime et reconnu. Enfin, nous croyons nécessaire que se réunisse une conférence internationale pour les Grands Lacs, sous l’égide de l’ONU, avec le concours de l’Organisation de l’Unité africaine. Nous pensons que ces problèmes doivent se régler d’abord entre Africains.
Ouest-France : Le drame humanitaire ne risque-t-il pas d’être consommé avant que ne se constitue la force internationale dont il est à nouveau question ?
Hervé de Charrette : Il reste au moins 200 000 réfugiés rwandais au Zaïre, sans compter les villageois de Kivu chassés de chez eux par la guerre. Il est donc indispensable que des conditions soient créées pour permettre aux organisations humanitaires de venir à leur secours. Je constate que personne n’est prêt à s’engager. Sauf la France. Mais, compte tenu du contexte local, une intervention de la France seule aurait plus d’effets négatifs que positifs. Je voudrais néanmoins saluer le nouveau secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, qui a pris à bras-le-corps ce problème du Zaïre et dont le représentant, Mohamed Sahnoun, fait dans la région du très bon travail. Grâce à eux, il reste, dans cette partie de l’Afrique, une lueur d’espoir.