Déclaration de M. Philippe Séguin, président du RPR, sur le vote du groupe RPR de l'Assemblée contre le projet de loi sur l'immigration, à l'Assemblée nationale le 17 décembre 1997.

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Circonstance : Adoption en première lecture du projet de loi sur l'immigration à l'Assemblée nationale le 17 décembre 1997

Texte intégral

Monsieur le président,

Monsieur le ministre,

Mes chers collègues,

Il y aura donc fallu, qu’une fois de plus, nous légiférions sur l’immigration. Comme, il y a quelques jours à peine, nous devions légiférer à nouveau sur la nationalité…

Nul ne peut s’en réjouir…

Car ces exercices législatifs répétés, qui placent les immigrés au cœur du débat politique, accréditent l’idée, reprise et amplifiée par des tribuns habiles, que la France et ceux qui la dirigent ont été, jusqu’à ce jour, incapables de régler courageusement, clairement, sereinement, un problème auquel la plupart des grandes démocraties ont su apporter des solutions, admises et reconnues par tous.

De tels psychodrames ne peuvent que nuire à l’intégration de ceux qui ont fait le choix de partager notre destin.

Ils ne peuvent que mettre à l’épreuve notre cohésion nationale.

Cette 27e édition aurait donc dû, elle aurait pu être évitée.

Car rien, sinon des arrière-pensées, ne pouvait la justifier. Il est vrai que l’encre qui servit à écrire la loi du 24 avril 1997 était à peine sèche que déjà vos amis la dénonçaient sans même avoir pu en apprécier les effets.

C’est pour cela d’abord, que nous nous opposons à votre projet. Et parce que de surcroît, nous avons la conviction qu’il constitue un encouragement à l’immigration clandestine, en même temps qu’il rompt des équilibres nécessaires.

Et qu’on ne vienne pas nous dire qu’il fallait légiférer pour résoudre tel ou tel cas particulier, aujourd’hui inextricable. C’est le propre de toutes les lois d’être générales et impersonnelles, et de susciter des problèmes d’application. Or, l’une des vocations premières de l’exécutif n’est-elle pas, précisément, de les régler ?

Mais non, il fallait à ce gouvernement de manière absolue, précipitée, impérative, défaire ce qui avait été fait. Et tronquer le débat en nous imposant la procédure d’urgence…

Nos orateurs ont, pendant plusieurs jours, démonté et dénoncé le compromis bancal, le compromis programmé, le compromis forcé, auquel votre majorité devait finalement aboutir. Compromis entre le prétendu réalisme du gouvernement – dont nul mieux que vous, monsieur le ministre, ne pouvait s’essayer à lui donner une image crédible – et les surenchères idéologiques de plusieurs composantes de sa majorité.

Ce compromis ne peut évidemment nous satisfaire. Cette loi inutile est de surcroît mauvaise.

Car il faut maîtriser les flux migratoires. L’intérêt public l’exige. Les Français l’attendent.

Oh, certes, le chômage n’est pas né de l’immigration. Ceux qui le prétendent se moquent des Français. Il reste qu’une immigration non maîtrisée, fût-elle légalisée, ne peut qu’aggraver le chômage et les tensions de notre société. En même temps qu’elle tue le développement des pays d’origine.

Il est d’autant plus nécessaire que tous les candidats à l’immigration clandestine sachent et comprennent que la France, en liaison avec ses partenaires européens, a la ferme volonté de l’empêcher et s’en donne réellement les moyens.

Mais comment ne continueraient-ils pas à tenter l’aventure quand ils voient que vous desserrez les mailles du filet, quand ils sont presque assurés que l’on procédera, de toute façon, à un moment ou à un autre à des régularisations massives ?

Et nos compatriotes les plus exposés aux risques d’exclusion, qu’ils soient Français depuis peu ou qu’ils le soient de longue date, comment, dans ces conditions, ne pas comprendre leur amertume ?
C’est là, à n’en pas douter, oui, c’est dans ce sentiment que le succès du Front national prend, pour une part au moins, sa source.

Et, combien nous aimerions n’avoir jamais eu à suspecter le gouvernement de ne voir dans ce phénomène, que matière à affaiblir l’opposition républicaine.

Oui, comme nous aimerions nous convaincre qu’avec cette loi, vous n’avez pas choisi, délibérément, de jouer les apprentis sorciers.

Et, comme nous aurions préféré que vous vous attaquiez plutôt aux défaillances du modèle français d’assimilation.

En ces temps où le lien national et citoyen est soumis à rude épreuve, il y avait décidément mieux à faire que de lui porter de nouveaux coups après avoir supprimé le rendez-vous citoyen, changé les modalités d’acquisition de la nationalité, pire : en faisant, toujours et encore, le lit de la logique communautariste.

Car dès lors, que représente aujourd’hui, réellement, la condition de Français, de citoyen français ? Que veut la France, que veut-elle être, que veut-elle incarner dans l’Europe, que veut-elle incarner dans le monde ?

Ce débat-là, monsieur le ministre, qui dépasse mais qui éclaire celui du contrôle de l’immigration, ce grand débat, nous l’avons manqué, parce que les textes qui nous auront successivement été présentés n’étaient décidément pas à sa hauteur. Nous avons tenté de vous le dire. Vous ne nous avez pas écoutés. Et les conditions dans lesquelles ce débat aura été imposé à notre assemblée ajoute à l’impression déplorable qu’il laissera.

Députés écologistes qui quittent l’hémicycle parce que, nous disent-ils, on les instrumentalise, députés communistes qui protestent parce que la discussion, à leurs yeux, n’en est pas une, députés socialistes, dont on ne savait plus s’ils choisissaient le silence ou si on le leur imposait, opposition prise à partie, dans des conditions si souvent extravagantes. Quel spectacle vous nous aurez organisé !

Nous le regrettons. Nous le regrettons d’autant plus profondément que ce gâchis, hélas, ne sera pas perdu pour tout le monde.

Nous rejetons donc votre texte. Parce qu’il ne règle rien. Parce qu’il va rendre plus difficile encore la réalisation de l’intégration. Parce qu’il va fournir de nouvelles armes pour tous les extrémismes.

Mais que nos compatriotes ne perdent pas confiance. Cette réflexion majeure sur la nationalité, sur la citoyenneté, sur l’intégration, sur l’immigration, que vous avez esquivée avec des textes de circonstance, nous allons pour notre part la conduire, sans tabou, sans complexe, dans la clarté et la détermination, et sans nous soucier des manipulations politiques d’où qu’elles viennent.

Ils peuvent compter sur nous.