Texte intégral
RTL - jeudi 3 avril 1997
Olivier Mazerolle : Les mouvements sociaux se poursuivent – Air France, les internes, demain les banques –, quel regard jetez-vous sur tout ça ?
Alain Madelin : Nous serons, samedi – qui sera le jour du congrès de mon mouvement Idées-Action – à 1 000 jours de l’an 2000. Dans 1 000 jours, nous allons entrer dans un nouveau millénaire. Je crois que cette entrée dans ce nouveau millénaire s’accompagne d’une transformation sans précédent de notre société. Je crois qu’après la révolution agricole, puis la révolution industrielle, nous sommes en train de passer dans une nouvelle civilisation – on appelle ça la civilisation du savoir –, une civilisation sans doute plus humaine, que je regarde pour ma part avec optimisme mais la France ne sait pas digérer cette transformation parce que nous sommes enfermés dans un corset réglementaire, étatique, centralisé et ce sont des crispations, des réformes que nous ne savons pas toujours très bien conduire.
Olivier Mazerolle : Ultimes soubresauts, pour vous ?
Alain Madelin : Non, pas ultimes soubresauts, il y en aura bien d’autres. Les problèmes ne sont pas derrière nous, ils sont devant nous. La période qui s’ouvre est une période de changements fondamentaux pour la France. Si je regarde le mouvement des internes…
Olivier Mazerolle : Précisément : ce sont de futurs médecins libéraux, et on les voit se marier à la CGT du secteur hospitalier. C’est un curieux mariage ?
Alain Madelin : Ce n’est pas un mariage évident mais ce qui est derrière ce mouvement, c’est une inquiétude sur l’avenir : le risque d’une médecine administrée, soit un quota de soins par médecin, ce qui serait absurde ; soit des sanctions collectives de l’ensemble des médecins parce que quelques-uns auraient tiré un peu trop sur la ficelle, ce qui serait tout aussi absurde. Le problème viendra d’une deuxième étape de la réforme engagée, car je suis convaincu que le meilleur contrôle de dépenses de santé n’est pas le contrôle bureaucratique mais c’est celui qui organise au mieux la responsabilité des acteurs – des caisses, des assurés, des professionnels de santé.
Olivier Mazerolle : Précisément, ce sont bien les assurés qui paient et les médecins sont très satisfaits de savoir qu’à chaque fois qu’ils obtiennent leur diplôme, ils pourraient être conventionnés par la Sécurité sociale, même s’ils sont trop nombreux.
Alain Madelin : Dans tous les domaines centralisés, bureaucratiques il y a besoin de profondes réformes et ce ne sont pas les médecins, les malades ou les gestionnaires des caisses qui sont coupables ; c’est un système où, justement, personne n’est responsable. Une réforme a été engagée et il faut vraiment, d’urgence, diffuser les outils de la responsabilité. Dans ce domaine comme dans d’autres, ce qui est à l’ordre du jour en France, c’est de passer d’un système où les choses sont dirigées depuis de lointains bureaux administratifs, pour un système de proximité et de responsabilité.
Olivier Mazerolle : Pour relancer la croissance, le gouvernement – le ministre de l’Économie et des Finances – compte sur une reprise des investissements par les entreprises françaises. Est-ce que les conditions sont réunies pour cela ?
Alain Madelin : Je défends pour ma part l’idée d’une nouvelle croissance. À une nouvelle civilisation, à un nouveau millénaire, correspond sûrement une nouvelle croissance. Le problème, c’est que l’on regarde trop souvent la croissance avec Ies yeux du passé, avec les solutions et les idées du passé. La nouvelle croissance sera très différente de la croissance que nous avons connue, par exemple pendant les Trente glorieuses. Cette nouvelle croissance dépend, bien évidemment aussi, des investissements. Les investissements d’aujourd’hui sont nos emplois de demain et pour investir, il faut que les entrepreneurs puissent disposer des capitaux et des crédits nécessaires. Les taux d’intérêt ont bien baissé ; c’est un bon résultat de la politique menée.
Olivier Mazerolle : Ça devrait encore baisser ?
Alain Madelin : Ce serait encore un peu mieux ; mais d’ores et déjà, je crois que les conditions sont réunies pour un redémarrage de l’investissement. Encore faudrait-il que des sommes considérables ne soient plus gaspillées dans des dépenses publiques improductives – je pense à la facture de tout grand sinistre dû à l’économie mixte ; le Crédit Lyonnais et bien d’autres.
Olivier Mazerolle : Dans l’année qui vient, le gouvernement a un parcours extrêmement complexe puisqu’il lui faut également tenir le pari des critères de Maastricht – 3 % de déficit du budget au maximum –, la relance de l’emploi, avec finalement, comme objectif, le gain des élections législatives de 1998. C’est possible tout ça ?
Alain Madelin : Je crois que ce sera difficile à faire dans le même calendrier : l’euro, le budget 1998 et le calendrier électoral. Mais cela, c’est une autre question. Toujours est-il que, pour ma part, à 1 000 jours de l’an 2000, je pars en campagne, en campagne de mobilisation sur les propositions, les solutions pour que la France aborde gagnante ce nouveau millénaire. La période qui va s’ouvrir est en quelque sorte la deuxième partie du septennat de Jacques Chirac. Le Président est élu pour sept ans ; je me reconnais pour ma part totalement dans les propositions, les engagements qui ont été les siens et j’essaie, en ce moment, de réfléchir et de préparer cette deuxième mi-temps.
Olivier Mazerolle : Votre mouvement, Idées-Action, tient sa convention samedi. Vous dites que vous partez en campagne. Vous allez présenter des candidats à vous ?
Alain Madelin : Non. Idées-Action n’est pas un mouvement politique. Idées-Action, c’est un lieu où se rassemblent les libéraux de la majorité, du RPR, de l’UDF, et surtout beaucoup de gens qui n’ont pas d’engagement politique et qui sont des libéraux de la société civile, mais qui ont envie quand même d’être utiles à la vie politique. Chacun défend ensuite ses idées dans la formation qui est la sienne. Moi, par exemple, je défends mes idées libérales à l’intérieur de l’UDF, bien sûr. Mais nous avons beaucoup de parlementaires qui travaillent avec nous, qui se présenteront sous les couleurs de leur formation politique, mais qui se réclameront de nos idées et du contrat avec les Français que je présenterai, samedi, à notre première convention nationale.
Olivier Mazerolle : Quels sont les ingrédients de politique libérale qui pourraient être mis en œuvre maintenant ou dans l’année qui vient ?
Alain Madelin : La France a besoin d’une politique libérale. J’entendais, il y a un instant, la réforme fiscale que l’on allait faire pour les joueurs de football – qui sont effectivement défavorisés par la fiscalité française par rapport à ce qu’elle est en Europe –, bien ! Mais il n’y a pas que les joueurs de football, il y a aussi tous les créateurs de richesses et d’emplois. Je crois que l’on n’a pas besoin d’une politique libérale par bribes, mais qu’on a vraiment besoin d’une politique libérale dans ce pays.
Olivier Mazerolle : Quelles sont les mesures centrales auxquelles vous pensez ?
Alain Madelin : Je pense à toute une série de mesures destinées à une nouvelle croissance et je pense à la réforme de l’État. La réforme de l’État, c’est pour nous un point tout à fait essentiel. C’est ce qui devra sûrement être engagé pour franchir gagnant ce nouveau millénaire, pour créer une société qui donne à chacun sa place et sa chance ; il faut une redistribution des responsabilités pour créer une France moderne. Il y a bien des problèmes qu’on ne peut plus régler depuis les bureaux parisiens mais qui pourraient être réglés par la liberté contractuelle entre les salariés et les entreprises, par l’autonomie des universités, par l’autonomie des établissements scolaires, par les collectivités locales. La redistribution des responsabilités d’une société trop centralisée est vraiment le défi de la prochaine décennie.
Olivier Mazerolle : Vous croyez que ce discours est approprié pour un pays qui semble avoir peur ? Pour beaucoup de Français, on voit bien que le libéralisme, c’est-à-dire le règne des marchés, c’est la loi de la jungle. Est-ce que votre discours n’est pas provocateur ?
Alain Madelin : Non, non. Une société libérale, c’est une société qui ne multiplie pas les initiatives de l’État mais qui libère les initiatives de la société. C’est une société qui donne à chacun sa liberté et sa chance, c’est une société qui recrée la mobilité sociale et c’est une société qui crée des emplois. Quand je regarde les sondages, et notamment chez les jeunes, le libéralisme est beaucoup plus populaire que la droite, que la gauche et que le socialisme. Pourquoi ? Parce que ça correspond à une sorte d’élan tonique, d’élan vital de notre société. Et quand je regarde autour de nous : regardez l’Angleterre, le leader travailliste, socialiste, Tony Blair, se présente avec un programme. Entre ce qu’il se propose de garder de l’héritage conservateur et ce qu’il se propose de faire, il aura une politique encore beaucoup plus libérale que la mienne.
Olivier Mazerolle : Oui, mais Charles Pasqua, avec qui vous avez fait un bout de chemin, dit, ce matin, dans « l’Événement du jeudi », que s’en remettre au marché, en comptant sur le chômage comme rôle régulateur de l’économie, ce n’est pas du tout conforme à l’esprit de la République ?
Alain Madelin : Je crois qu’il ne faut pas que le marché représente tout. Il y a besoin d’une autorité de l’État, notamment pour assurer la justice et la sécurité. Trop souvent, la loi n’est pas la même pour tous : les Français ont le sentiment qu’il y a deux poids et deux mesures dans ce pays. Mais faisons confiance dans la liberté de ceux qui entreprennent, confiance dans l’initiative, je crois que c’est la meilleure façon de créer des emplois. Il faut laisser faire les entrepreneurs, laisser agir les collectivités locales, laisser innover les associations, bref, donner de l’air à l’initiative pour libérer les forces vives de notre pays et pour créer une société qui redonne à chacun sa place et toute sa chance.
Le Point - 5 avril 1997
Le Point : L’ensemble des sondages montre une embellie de la droite. Les législatives de 1998 sont bien engagées. N’est-ce pas l’occasion pour la majorité de clarifier à la fois son projet et son organisation ?
Alain Madelin : Si, en politique, rien n’est jamais définitivement perdu, rien n’est jamais définitivement acquis non plus. La prochaine majorité est celle qui aura la charge de faire entrer la France dans le nouveau millénaire. Elle ne doit pas seulement être une majorité qui gagnerait par défaut, devant des socialistes en panne de projet, pour assurer l’alternance. Elle doit être aussi, à mes yeux, une majorité libérale, c’est-à-dire une majorité regardant l’avenir avec confiance et optimisme, porteuse de solutions qui nous permettent de moderniser la France, de lui faire épouser son époque et de retrouver le chemin de la prospérité et de l’emploi.
Le Point : Où sont les obstacles à la constitution de cette majorité libérale ?
Alain Madelin : La majorité est encore trop timide face aux solutions libérales. Elle reste trop liée à un système d’idées, de pouvoir et de décisions aujourd’hui usé. Le problème aujourd’hui n’est plus de multiplier les initiatives de l’État, mais de savoir libérer les initiatives de la société et de mieux utiliser le formidable potentiel d’énergie et de créativité des Français. Pour cela, il faut accepter de profondes remises en question.
Le Point : Vaste programme !
Alain Madelin : Partout dans le monde, les idées libérales constituent les idées dominantes. Même le très travailliste Tony Blair, en Grande-Bretagne, inscrit son programme dans ce courant d’idées. À vouloir trop jouer les prolongations des idées et des solutions d’hier, notre pays risque de gâcher ses chances, de maintenir de coûteuses structures inadaptées au monde moderne et de conserver son record de chômage.
Le Point : Le plan de réforme de la Sécurité sociale, contesté par les internes, est-il un exemple de ces remises en question ?
Alain Madelin : Il est absolument nécessaire de réformer notre Sécurité sociale pour mettre nos dépenses sociales sous contrôle et lutter contre les gaspillages du système. Ce qui est contesté aujourd’hui, ce sont les modalités d’un contrôle comptable et bureaucratique, avec le risque soit d’un quota de soins par médecin, soit d’une sanction collective. Je suis, pour ma part, convaincu que le meilleur contrôle n’est pas le contrôle bureaucratique, mais celui qui organise la responsabilité, celle des caisses, des assurés et des professionnels de la santé.
Le Point : Cette critique du difficile passage d’une logique comptable à une logique libérale ne peut-elle pas être élargie à d’autres secteurs ?
Alain Madelin : Je ne pense pas qu’il soit bon de réduire l’homme à l’économie et l’économie à une stricte approche comptable. L’économie, ce sont des femmes et des hommes plus ou moins incités par les règles du jeu à faire preuve de comportements responsables dans tous les domaines, plus ou moins motivés à créer des richesses, à innover, travailler ou embaucher. Réduire les dépenses publiques, c’est bien. Mais ce qui compte, c’est la part des dépenses publiques dans la richesse nationale. Chercher à accroître en priorité la richesse nationale, c’est mieux.
Le Point : Qu’est-ce qui, dans la situation actuelle, vous permet de peser pour faire avancer vos idées ?
Alain Madelin : Si vous observez le mouvement sur plusieurs années, nul doute que ces idées avancent. À la fois dans l’opinion et dans la politique suivie. Les libéraux doivent bien y être pour quelque chose. Mais des réformes libérales sectorielles, souvent engagées à contretemps et parfois à contrecœur, ne forment pas encore vraiment une politique libérale.
Le Point : Quelles sont ces réformes sectorielles ?
Alain Madelin : Quand on veut créer des activités dans des banlieues en difficulté, on crée des zones franches. Quand on cherche à réparer les dégâts d’une mauvaise formation initiale, on propose le chèque-formation. Quand on entend développer les nouvelles technologies, on parle d’abaisser la TVA sur le CD-ROM. Quand on veut garder des footballeurs professionnels en France, on aménage leur fiscalité personnelle. N’est-il pas temps de passer du particulier au général, afin par exemple d’attirer ou de retenir entrepreneurs, cadres dirigeants et chercheurs en réformant plus hardiment la fiscalité du travail et du patrimoine ?
Le Point : Cette sectorisation ne se retrouve-t-elle pas aussi dans l’offre politique ? Après tout, les libéraux sont à la fois partout… et nulle part.
Alain Madelin : Vous avez raison. En France, par rapport aux autres grandes démocraties, les libéraux sont une famille dispersée. C’est la raison pour laquelle j’ai créé le mouvement Idées-Action, qui regroupe les libéraux, qu’ils appartiennent à la société civile ou qu’ils exercent des responsabilités politiques.
Le Point : Estimez-vous vraiment qu’un tel mouvement soit en mesure de peser au moment des législatives ?
Alain Madelin : Que ce soit en 1986, en 1993 ou en 1995, la majorité a toujours gagné les élections sur des idées et des propositions libérales. D’ailleurs, j’observe aujourd’hui que les discours politiques redeviennent de plus en plus libéraux. C’est signe que les élections approchent. J’entends plus que jamais peser au sein de ma formation, l’UDF, et au sein de la majorité, avec Idées-Action, pour construire une majorité libérale, c’est-à-dire une majorité gagnante.
Le Point : Un des meilleurs moyens de peser n’est-il pas de présenter ses propres candidats ?
Alain Madelin : Seule une échéance électorale à la proportionnelle peut permettre un jour aux libéraux de peser de leur vrai poids. Pour les prochaines élections législatives, Idées-Action, qui, je le rappelle, n’est pas un parti politique, veut être pour la majorité une valeur ajoutée et un trait d’union.
Le Point : À défaut de présenter des candidats aux législatives, comptez-vous accorder le label Idées-Action à certains candidats RPR et UDF ?
Alain Madelin : Notre mouvement doit adopter ce week-end, lors de sa convention nationale, un projet qui constituera en quelque sorte le « contrat avec les Français » dont se réclameront les élus et les candidats qui nous font confiance. Je pense que ce contrat constituera un plus vis-à-vis de beaucoup d’électeurs déçus par la politique.
Le Point : Les régionales ont lieu à la proportionnelle. N’est-ce pas l’occasion de quelques galops d’essai de la part de vos amis ?
Alain Madelin : Idées-Action a vocation à assurer des idées, mais aussi la relève des hommes et des femmes dans la vie politique. Nous sommes d’ores et déjà une pépinière de talents nouveaux de la société civile, qui ont vocation à s’exprimer lors des élections locales. Certains d’entre eux participeront donc aux listes sortantes. Certains même ont le projet d’initier des listes nouvelles. Et il est sûr que, dans certains cas, de telles listes peuvent renforcer une majorité régionale.
Le Point : On ne vous entend guère dans le débat sur le Front national.
Alain Madelin : Le Front national joue les peurs des Français. Et ce que vous appelez « le débat sur le Front national » joue la peur du Front national. Pour ma part, je n’entends pas faire commerce politique avec les peurs ; je cherche plus volontiers à entraîner la confiance. Je ne veux pas que le débat autour du Front national esquive le débat sur les questions de fond et les réponses concrètes à apporter aux préoccupations des Français.
Le Point : Quel est le fondement de vos excellentes relations avec Charles Pasqua, qui ne passe pourtant pas pour un libéral ?
Alain Madelin : Ni lui ni moi ne sommes énarques, ça crée des liens !
Le Point : Le retour d’Alain Madelin aux affaires, c’est pour quand ?
Alain Madelin : Ce que je cherche aujourd’hui avant tout, c’est à éclairer le chemin d’une politique gouvernementale qui donne le maximum de chances à notre pays. Je le fais au travers de propositions d’actions immédiates pour le gouvernement, mais aussi dans la définition de réformes plus profondes pour la seconde partie du septennat de Jacques Chirac, qui s’ouvrira au lendemain des élections législatives. Mais, pour construire une majorité d’idées et d’action solide, il faut lui ajouter le chaînon libéral manquant. C’est ce à quoi je m’emploie.