Interview de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, à France 2 le 24 septembre 1999, sur la gauche libérale, la baisse des impôts, le financement des retraites et la situation au Timor.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Q - Quel est votre sentiment sur le débat qui anime le pays aujourd'hui, débat que sans le vouloir d'ailleurs, le Premier ministre L. Jospin a un peu lancé ? Tout le monde s'interroge sur la gauche libérale. L'économie s'administre-t-elle ou pas ? Qu'en pensez-vous ?

- “La marque de la gauche continue d'être la justice sociale. Cela ne change pas, et ça ne doit pas changer. Mais c'est vrai que les marges de manoeuvre par rapport à l'économie sont moins importantes qu'avant. Cela ne veut pas dire qu'on ne puisse rien faire. On fait des choses et les résultats dans l'ensemble sont satisfaisants, mais c'est vrai que les manettes sont moins maniables qu'avant.”

Q - À propos des impôts, vous avez dit à plusieurs reprises que vous souhaitiez une baisse.

- “Et il faut continuer. Continuer à alléger les impôts, c'est-à-dire à la fois la TVA et les cotisations sociales sur les bas salaires, l'impôt sur le revenu, la taxe d'habitation. C'est absolument indispensable parce que c'est une question de compétition vis-à-vis des autres, de créativité. Or ces impôts sont trop lourds. Pour arriver à les baisser un peu, il faut aussi s'occuper des dépenses, être plus efficace. Il y a un nouveau rapport qui montre que l'État n'est pas bien géré, cela depuis très longtemps, ce qui est assez vrai. Il faut donc que les dépenses soient mieux contrôlées et plus transparentes.”

Q - Pourtant, il y a assez peu de Français finalement qui paient l'impôt sur le revenu.

- “Si l'on s'occupe de l'impôt sur le revenu, il faut à la fois un allègement pour ceux qui le paient mais aussi examiner – je ne voudrais pas rentrer dans les détails techniques – ce qu'on appelle les crédits d'impôt. Ainsi, de nombreuses personnes qui par exemple bénéficient d'assistance sociale sont pénalisées au moment où elles retrouvent du travail. Ce système n'est pas bon. Il faut réfléchir en termes de crédits d'impôt, ce que je crois que nous allons faire l'année prochaine.”

Q - Le Président de la République a critiqué à plusieurs reprises le Gouvernement sur les retraites, considérant que l'on ne s'en préoccupait pas assez. Pour l'instant, il y a 10 milliards qui ont été débloqués.

- “Indépendamment de ce que dit le Président de la République, il est certain qu'il y a le problème de financement des retraites, de sécurité des retraites internes. Donc, il faut s'en occuper, c'est certain. Sur le financement des retraites, on a commencé, mais faut aller plus loin.”

Q - Parce que 10 milliards, c'est très insuffisant pour faire face au besoin.

- “Bien sûr. Aller plus loin en maintenant le système de répartition, en revoyant un certain nombre de choses. Personnellement, je suis partisan de ce qu'on pourrait appeler les fonds partenariaux de retraite, en plus et optionnels. Ils pourraient avoir un intérêt puisqu'il y a beaucoup d'entreprises françaises qui actuellement sont "ramassées" par les entreprises étrangères. Si nous avions ces fonds partenariaux de retraite et qu'il y avait obligation d'investir au moins la moitié de leurs avoirs en actions françaises, cela donnerait quand même une solidité beaucoup plus forte à notre économie. Nous n'avons pas ces prises de contrôle des entreprises en Angleterre ou en Allemagne.”

Q - Aux Etats-Unis, avec la croissance économique, les entreprises font tout pour essayer de fidéliser leurs salariés. C'est la démarche absolument inverse de ce qui se passe en France.

- “Au Japon par exemple, il y avait, avant, l'emploi à vie auquel les Japonais renoncent aujourd'hui. En Amérique, c'était avant très précaire, maintenant dans certaines entreprises, on rétablit l'emploi à vie. En France, il y a une position intermédiaire. Il ne faut pas développer le travail précaire, mais essayer de développer massivement l'emploi. Ce qui est fait en France va dans ce sens et l'on a quand même une croissance qui va être la plus forte d'Europe.”

Q - Quand L. Jospin parle de deuxième étape, c'est pour, préparer l'opinion publique aux règles incontournables de la mondialisation ?

- “Je ne pense pas. C'est parce qu'on a déjà fait toute une série de choses. On ne va pas refaire ce que l'on a déjà fait. Il y a des réformes qu'on a engagées et qu'il faut mener à terme, et puis il y a de nouvelles réformes à mettre en place en matière fiscale, d'éducation, pour la politique de la ville, pour la transparence de l'Etat. C'est cette deuxième étape qu'il faut maintenant mettre en place.”

Q - Le parti communiste appelle à manifester le 16 octobre pour l'emploi. On dit que certains députés socialistes militent pour taxer les capitaux ; d'autres parlent de limiter la possibilité de licencier pour les entreprises qui font des profits, ce qu'on appelle déjà l'amendement Michelin. Qu'en pensez-vous ?

- “Par rapport à la manifestation, si c'est pour défendre l'emploi, évidemment tout le monde ne peut qu'y être favorable. Si c'est contre le Gouvernement, cela poserait évidemment des problèmes aux socialistes, le cas échéant aux communistes.”

Q - Il pourrait y avoir des députés socialistes qui iraient dans cette manifestation ?

- “Il faudrait voir comment cela s'organise.”

Q - Revenons au Timor. Vous étiez donc au Japon, puis en Australie. On le voit, la situation est extrêmement tendue puisque dans la capitale Jakarta les étudiants manifestent.

- “Le Timor est une tragédie doublée d'un immense piège. Une tragédie parce qu'il y a déjà eu sûrement des milliers de morts. Un piège parce que la communauté internationale a une responsabilité énorme. On a dit à ces gens de voter. J'ai vu des affiches qu'on m'a données quand j'étais en Australie et qui ont été collées pendant la campagne électorale au Timor où l'Onu disait : "voter, et après on fera respecter votre vote." Les gens ont voté à 80 % pour l'indépendance. Le lendemain, massacres. Des milices actionnées par l'armée indonésienne tuent les gens. Il y a donc eu un piège terrible, et qui continue. D'abord parce qu'il y a beaucoup de réfugiés timorais qui sont toujours aux mains des Timorais. En plus, c'est un piège pour la démocratisation en Indonésie. Hier, les forces indonésiennes ont tiré sur les étudiants. Il y avait un début de démocratisation, lequel est bien stoppé. On va voir les élections présidentielles d'ici quelques jours. Monsieur Habibie sera sûrement laminé mais les militaires vont prendre sûrement encore davantage le pouvoir. Pour nous, qui avons un contingent là-bas, mais surtout pour les Australiens, c'est un grand piège. Que va-t-on faire à terme ? L'Indonésie est très fragile, le Timor est déchiré en deux. On n'a aucun contrôle sur l'ouest et il va y avoir un problème de conservation de frontière. Il faut être là-bas, il faut essayer de pacifier les choses, arrêter les exactions, poursuivre les criminels qui ont organisé tout cela, mais à terme, c'est le problème de l'organisation de cette région qui est posé.”

Q - Et la crédibilité de l'Onu qui est en cause.

- “Exactement.”