Texte intégral
Source : L’Express
Date : 29 janvier 1998
L’EXPRESS : Les 35 heures peuvent-elles créer des emplois ?
Alain MADELIN : L’aménagement négocié du temps de travail peut, pour certaines entreprises et dans certaines conditions, créer des emplois. En revanche, la réduction autoritaire du temps de travail sera créatrice d’un chômage aggravé. Car elle va briser la confiance et la croissance. Elle signifie aussi l’arrêt des heures supplémentaires – si précieuses pour boucler le budget de nombreuses familles – et le gel des salaires, voire leur réduction. Le travail se transforme et change de nature. Ce qui compte, aujourd’hui, c’est la durée annuelle, et même la durée de vie, du travail.
Q. : Que pensez-vous des études démontrant l’effet bénéfique des 35 heures ?
R. : Ces trois études, opportunément sortie au même moment, ont été utilisées par le gouvernement dans une opération de falsification et de désinformation. En ce qui concerne la première étude, le Premier ministre a parlé d’une étude de la Banque de France (BDF) : faux ! Il s’agit d’une étude faite par les services de la BDF à la demande du ministère de l’emploi, sur la base des hypothèses de ce dernier et sous sa responsabilité. Une étude dans laquelle il était clairement dit qu’elle n’engageait en aucune façon la BDF.
Q. : Mais, sur le fond, que pensez-vous de ces études ?
R. : Le deuxième rapport émane d’un groupe d’économistes de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) qui, en 1993, pronostiquaient 2 millions d’emplois grâce aux 35 heures, et qui, aujourd’hui, à partir du projet du gouvernement et sous des conditions que Lionel Jospin s’est bien gardé de rappeler – à savoir aucune dégradation de la croissance, pas d’impact de la crise asiatique, réduction des salaires – tablent sur la création de 450 000 emplois en trois ans. Ces économistes prévoient même, dans l’hypothèse la plus pessimiste, une destruction de 100 000 emplois. Enfin, concernant l’étude que Dominique Strauss-Kahn a commandée au service de la direction de la prévision de son propre ministère, je crois savoir que tous les scénarios envisagés s’accompagnent d’une baisse de la croissance. Il est difficile d’imaginer que l’on puisse, dans ces conditions, créer des emplois.
Q. : Et le pari sur la croissance ?
R. : Nous allons droit dans le mur. Notre croissance est essentiellement tirée par nos exportations, qui, d’une part, compte tenu de la crise asiatique, vont se heurter à une concurrence accrue des pays du Sud-Est asiatique, et, d’autre part, vont subir le ralentissement de pays comme le Royaume-Uni et les États-Unis. Au surplus, cette crise asiatique ajoutera aux pressions déflationnistes, qui s’exercent depuis longtemps en France. Quant au moteur de la croissance interne…
Q. : Va-t-il prendre le relais ?
R. : Ce qui compte, dans une économie de l’offre, ce n’est pas la consommation, mais l’investissement ; or celui-ci est en panne depuis longtemps. Et ce n’est pas la confiance brisée des entrepreneurs qui le fera repartir. La conclusion est claire : la croissance ne sera pas au rendez-vous des pronostics du gouvernement pour 1998 (3 %). 1998 sera plus mauvais que 1997 (2,4 % environ) et se terminera sans doute avec une très faible croissance.
Q. : Que proposez-vous ?
R. : Il faut remettre la France en mouvement et prendre des mesures fortes et ciblées susceptibles de relancer durablement l’activité et la création d’emplois. Dire aux Français, par exemple, que, si dans les prochaines années ils travaillent plus, gagnent plus, ils ne paieront pas plus d’impôts qu’aujourd’hui. Voilà un levier très fort. Permettons aussi, par exemple, à ceux qui paient l’ISF – impôt plus idéologique qu’efficace – de pouvoir verser librement cette somme à des créateurs d’entreprise ou à des associations caritatives. Autre exemple, je propose depuis longtemps la mise en place d’une formule simplifiée d’embauche au moyen d’un chéquier-service – un contrat de travail simplifié avec un chèque unique de charges sociales forfaitaires. Si vous offres cette possibilité aux très petites entreprises, je suis convaincu qu’il y a des centaines de milliers de créations d’emplois à la clef.
Q. : L’orientation libérale récente du RPR n’empiète-t-elle pas sur votre espace vital ?
R. : Je ne suis pas un boutiquier qui a peur de la concurrence. Je suis un entraîneur.
[fin du discours illisible]