Article de M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture, dans "Le Figaro" du 29 mars 1997, sur la place du français dans les instances internationales, intitulé "Le Français, langue du troisième millénaire".

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Circonstance : Semaine de la langue française du 19 au 26 mars 1997

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Aujourd’hui s’achève la semaine de la langue française que, pour la deuxième année consécutive, j’ai organisée avec Margie Sudre, autour de le Journée mondiale de la francophonie. Cette semaine a donné lieu à de très nombreuses manifestations, en France mais aussi à l’étranger. La presse écrite et la presse audiovisuelle lui ont largement fait écho. Son succès a montré l’attachement à le langue française de tous nos concitoyens et, au-delà d’une communauté francophone riche de 49 pays et de 450 millions d’habitants.

Comme Je l’avais annoncé, il y a un an, au moment du rattachement de la délégation générale à la langue française eu ministère de la culture, j’ai fait da la politique de la langue française une dimension à part entière de la politique culturelle menée par le Gouvernement. C’est ainsi que, dans chaque direction régionale des affaires culturelles, a été nommé un conseiller pour la langue française, avec deux missions essentielles : sensibiliser tous les publics à la richesse de la langue française, comme élément majeur de notre patrimoine culturel ; favoriser une meilleure maitrise de la langue française comme condition indispensable d’expression et d’épanouissement personnels, d’insertion sociale, d’accès à l’emploi et de promotion professionnelle.

Cette politique de la langue française que nous voulons mener, je lui assigne deux priorités. La première, c’est d’assurer la promotion du français, face aux risques d’uniformisation linguistique que présente la mondialisation des échanges. La se­conde, c’est d’assurer la présence du français sur les réseaux mondiaux de l’information.

Contre l’uniformisation

Comment atteindre la première de ces priorités ? L’internationalisation des échangea impose à l’État de veiller à la présence du français dans des circonstances où l’ouverture des frontières, comme le jeu des lois économiques, risquerait de le faire reculer, essentiellement au profil de l’anglais. La loi du 4 août 1994, conçue et adoptée à l’initiative de Jacques Toubon, est l’instrument essentiel de cette politique. Elle remplit efficacement son grand objectif, qui est d’assurer à nos concitoyens la garantie d’une information en français, notamment pour tout ce qui concerne la protection du consommateur. Je veille très attentivement au respect de cette loi. Le rapport remis chaque année par mon ministère au Parlement montre que, malgré quelques difficultés, son application est bonne et son esprit bien compris.

L’autre Instrument dont dispose l’État, c’est l’ensemble de l’administration. Les agents publics ont en effet un rôle essentiel à jouer pour le respect de l’emploi du français. Ils doivent en la matière se montrer exemplaires, qu’ils se trouvent en poste en France, à l’étranger, ou dans une organisation internationale. Le premier ministre, qui a tenu à installer lui-même, le 11 février, la commission générale de terminologie, présidée par M. Gabriel de Broglie, vient de le rappeler à l’ensemble des ministres, de même qu’il a demandé à l’ensemble des services et établissements de l’État de veiller, dans tous les marchés informatiques, à ne commander que du matériel respectant et permettant l’usage du français.

Notre place dans le monde

En accompagnement de la « loi Toubon », pour renforcer la présence du français dans les colloques internationaux tenus sur notre territoire, j’ai en outre mis en place un dispositif d’aide à l’interprétation simultanée. Répondant à une très forte demande, il vise en priorité les secteurs où le français est trop souvent absent ou maltraité : science de la vie, économie.

Renforcer le français, face à la mondialisation, c’est aussi lutter, en général, pour le respect de la diversité culturelle et linguistique. En Europe particulièrement, mais aussi partout dans le monde, comme l’a rappelé le Président de la République à chaque étape de son voyage en Amérique du Sud.

En Europe, la promotion du plurilinguisme passe par l’apprentissage d’au moins deux langues étrangères. En effet, si une seule langue est proposée, ce sera presque toujours l’anglais. La France est en pointe dans ce domaine. Elle entend mener auprès de ses partenaires un permanent travail de conviction. Avec mes collègues Hervé de Charette, Michel Bernier et Margie Sudre, nous venons de demander au Premier ministre que cette question soit évoquée systématiquement, au plus haut niveau, dans les réunions bilatérales que nous avons avec des différents États de l’Union européenne.

Enfin, il faut préserver et renforcer la place et le rôle du français dans les instances européennes et dans les organisations internationales. Historiquement, avec l’anglais et l’allemand, le français joue, au sein de l’Union européenne, un rôle prépondérant comme langue de travail de la commission et de la Coreper, réunion des ambassadeurs de chacun des États membres. Nous devons veiller à ce que ce rôle ne recule pas, face à celui de l’anglais, à l’occasion des élargissements de l’union.

En ce qui concerne les organisations internationales, mon ministère propose d’ores et déjà à leurs traducteurs une assistance terminologique sur le réseau internet, afin qu’ils puissent disposer des mots nouveaux que se donne notre langue, en particulier dans les secteurs scientifiques et économiques. Car, la terminologie, pour laquelle chaque ministère est appelé à travailler sous l’égide de la commission générale de terminologie et de l’Académie française, responsable en dernier recours du choix des termes, est une des conditions essentielles de la présence du français sur les réseaux mondiaux de l’information, qui constitue ma seconde priorité.

Pour l’atteindre, il nous faut en effet, avec les universités, avec les secteurs de recherche des entreprises, avec nos partenaires francophones, nous doter des « ressources linguistiques » dont l’insuffisance est un obstacle majeur à la présence de notre langue.

Il s’agit des grammaires et surtout des lexiques, des dictionnaires spécialisés et des corpus de textes informatisés, dont les industriels ont besoin pour réaliser des outils de traitement linguistique tels des logiciels de tri, de classement, de synthèse, d’aide à la traduction. L’Union européenne vient d’adopter, pour les développer, le programme « multilinguisme et société de l’informatisation ». Je soutiendrai les entreprises et les organismes de recherche qui y participeront, notamment pour constituer des ressources terminologiques informatisées.

Internet

Il faut aussi soutenir l’adoption par les fabricants de logiciels de normes permettant une circulation correcte du français et des autres langues européennes, notamment en respectant leur accentuation.

Il convient enfin, et je m’y emploie, d’encourager la fabrication de logiciels de navigation sur internet, orientant facilement l’usager vers les serveurs français et francophones, déjà très nombreux, qui lui sont proposés. Car, tout montre que ces serveurs rencontrent un grand succès. Je ne prendrai qu’un seul exemple, le serveur internet du ministère de la culture, passé depuis sa création de 200 000 connexions par an à cinq millions aujourd’hui.

Derrière ces points techniques, il y a l’enjeu politique et culturel des contenus. Pour répondre à cet enjeu, j’ai souhaité que le ministère de la culture renforce son aide à la création et à la diffusion de contenus en français attractifs, grâce à des mécanismes de soutien aux entreprises œuvrant dans ce secteur : fonds d’aide à l’édition multimédia géré par le Centre national du cinéma et création d’un fonds multimédia auprès de l’Institut de financement du cinéma et des industries culturelles.

Enfin, ouvrant lundi dernier la Première journée nationale du réseau des bibliothèques associées à la Bibliothèque nationale de France, j’ai demandé au président de la BNF, Jean-Pierre Angrémy, de faire de la numérisation de notre patrimoine documentaire sur tout le territoire le nouvel axe fort de la politique nationale de réseau de son établissement. En outre, la Bibliothèque nationale de France contribuera à la réalisation d’une bibliographie mondiale de la francophonie numérisée et régulièrement actualisée. D’ici à l’an 2000, la BNF et les bibliothèques de France apporteront à la présence du français sur les réseaux mondiaux de l’information une part essentielle.

Le français, langue du troisième millénaire ? Nous en avons les ressources culturelles. Nous devons tous en partager l’ambition politique.