Texte intégral
Entretien avec « RFI » et « l’AFP » - 23 mars 1998
Q. Vous êtes en Afrique au moment où le président américain est aussi en Afrique. Est-ce une façon de marquer la présence française ?
R. Non, c’est une pure coïncidence. Il s’agit à Ouagadougou d’une réunion ministérielle qui s’occupe du suivi de ce que décident les conférences des chefs d’État et de gouvernement de France et d’Afrique. Elles se tiennent régulièrement. La dernière fois c’était la 19e, ce qui montre à quel point c’est une pratique enracinée du côté français. C’est une date fixée depuis longtemps. Il se trouve par coïncidence, et c’est une coïncidence heureuse, que ça coïncide avec un voyage que Bill Clinton entreprend en Afrique.
Q. Il fût un temps où les ministres français avaient des mots assez vifs contre une certaine diplomatie américaine en Afrique. Qu’est-ce que vous pensez de cette visite de Bill Clinton aujourd’hui ?
R. On ne peut que se réjouir de voir d’autres pays importants s’intéresser à l’Afrique. Si il y avait quelque chose à regretter dans la politique américaine, c’était le fait que, pendant longtemps, l’Afrique n’a pas été considérée comme quelque chose de véritablement important ou prioritaire, sauf quand il fallait y contenir des offensives réelles ou supposées d’Union soviétique. Il n’y a pas eu tellement d’engagements, pas tellement d’actions. C’est bien de voir le président des États-Unis sur le continent africain pour la première fois - je parle de ce président - pour faire passer des messages qui sont d’ailleurs pour l’essentiel les nôtres : le soutien à la bonne gouvernance dans ses différents aspects, le soutien au développement politique des pays d’Afrique, des encouragements également à la bonne gestion des ressources économiques, la consolidation de l’État de droit.
Ce sont nos thèmes, ce sont nos principes. Nous nous y employons, toutes nos actions précises en matière de coopération et développement portent également sur des choses de ce type. Tout cela est très bien dès lors que c’est durable. Le seul souhait que j’ajoute à ce commentaire, c’est que nous pensons que l’aide au développement doit demeurer une composante significative de toutes les politiques envers l’Afrique. Nous ne pensons pas que tout puisse se régler uniquement par une approche purement libérale ou des facilités commerciales - dont je ne conteste pas le principe puisque l’économie africaine aujourd’hui est assez développée pour qu’il y ait des morceaux d’économie africaine déjà tout à fait intégrée dans le marché mondial. Il y a cependant d’autres domaines qui continuent manifestement à relever de l’aide au développement. Vous savez à quel point la France est un pays qui fait soit directement, soit par l’intermédiaire des efforts européens des accords de Lomé, un effort tout à fait considérable. Donc si en plus cet intérêt nouveau manifesté par les dirigeants américains pouvait les amener à faire un effort supplémentaire en matière d’accord au développement, je crois que tout le monde y gagnerait.
Q. Donc, cette visite c’est bien, à condition qu’elle ne soit pas sans suite ?
R. C’est bien de toute façon. C’est une très bonne chose que d’autres pays d’Europe ou occidentaux s’intéressent à l’Afrique. Il y a de quoi faire des choses utiles de la part de tout le monde.
Q. Quel sera le sujet principal de cette réunion ?
R. La tradition des réunions de suivi - qui ont lieu à mi-chemin entre deux réunions de Sommet -, est de revenir sur le thème du Sommet précédent pour voir ce qui a pu être fait sur ce plan et de commencer à préparer le sujet suivant. La réunion ministérielle de demain, à laquelle Charles Josselin et moi-même participerons, portera à la fois sur la bonne gouvernance, sous ses différents aspects, sur ce qui peut être fait dans les programmes de coopération sur ce plan, sur l’engagement et la détermination de chacun des gouvernements concernés, et, d’autre part, une réflexion préparatoire sur la question de la sécurité. Voilà le programme de demain.
Q. Le sujet de la sécurité n’est-il pas un sujet très rebattu depuis 5-6 ans. Rien ne vient, et les guerres civiles continuent ?
R. Non, vous ne pouvez pas dire que rien ne vient. Regardez l’action reconnue de façon générale comme positive, par exemple, en République centrafricaine et les discussions au sein du Conseil de sécurité, je crois qu’il y a un progrès sur ce plan.
D’autre part, on voit depuis quelques temps, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, coopérer dans des programmes de formation au maintien de la paix. Les actions de maintien de la paix sont des choses extraordinairement compliquées, pas seulement en Afrique. On voit bien par exemple que c’est très compliqué dans l’ex-Yougoslavie. Il faut, n’importe où, une formation militaire de très haut niveau, très pointue et très particulière. On voit de plus en plus de gouvernements africains demander ce type de formation, qui, encore une fois, n’a rien voir avec la formation militaire classique. Ils sont très heureux de voir trois pays occidentaux parmi les plus importants, se proposer de mener des actions de ce type ensemble. Voilà une autre façon de répondre à votre question sur la visite du président Clinton sur le continent africain.
Q. Il n’y a pas de compétition ?
R. Il y a complémentarité. Il y a recherche de coopération. Je ne vois pas, d’ailleurs, sur quoi porterait la compétition, sur quels points, sur quels enjeux. Il y a de plus en plus de gouvernements africains, soit pays par pays, soit à l’intérieur d’ensembles régionaux ou subrégionaux, qui réfléchissent à la façon dont les Africains eux-mêmes pourraient mettre sur pied, non seulement des systèmes de formation, mais des systèmes d’intervention pour le maintien de la paix, dans le cadre de l’OUA et avec un mandat du Conseil de sécurité ou de l’OUA. Les choses bougent bien, sans vouloir dire pour autant que vont disparaître comme cela par avance et comme par miracle, tous les problèmes, tous les affrontements, toutes les guerres civiles. Bien sûr que non. Je trouve qu’on est dans un moment tout à fait encourageant sur ce plan et qu’on peut avoir des discussions sérieuses là-dessus. Je suis convaincu que notre réunion va le montrer.
Q. On parle beaucoup du prochain Sommet France/Afrique de novembre à Paris, mais y aura-t-il un jour un Sommet Europe/Afrique au moment où l’Europe se fait ?
R. Certainement. C’est un complément naturel ou logique de l’engagement de l’Europe qui est déjà tout à fait important en matière financière, en matière d’aide au développement. Il a été convenu que ce Sommet aura lieu sous la présidence portugaise en l’an 2000.
Q. Et de ce point de vue, est-ce que la Convention de Lomé aura une suite ou disparaîtra dans l’Organisation mondiale du Commerce ?
R. Je peux vous dire que la France, en particulier, fera tout pour que la Convention de Lomé ait une suite, et une suite substantielle et que l’Europe puisse, par cet instrument, continuer une aide extrêmement appréciée et indispensable aux pays africains. Naturellement, il faut tenir compte des nouvelles règles en matière de commerce international qui se discutent au sein de l’OMC mais il est prévu, dans les textes organisant l’OMC, qu’il puisse y avoir de régimes particuliers ou transitoires. À nous, les Français, les autres Européens, les Africains, de faire valoir que c’est un mode d’organisation qui continue à se justifier. D’après moi, il faut le négocier énergiquement. C’est justifié a tout point de vue et pour la France, c’est un objectif très important.
Discours d’ouverture du ministre (Ouagadougou, 24 mars 1998)
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les ministres et chefs de délégation,
Permettez-moi tout d’abord de remercier chaleureusement, en votre nom à tous, M. Ablasse Ouedraogo pour l’excellence de l’accueil que l’État et le peuple burkinabé réservent à cette réunion ministérielle de suivi de la XIXe Conférence des chefs d’État et de gouvernement d’Afrique et de France, qui avait eu lieu dans cette capitale dans les premiers jours de décembre 1996.
Ceux d’entre vous qui y ont pris part le savent, ce Sommet n’avait en aucune façon été une de ces réunions formelles où les monologues se suivent sans se répondre. Comme c’est la règle dans nos rencontres, les problèmes les plus brûlants du moment y avaient été abordés sans détour ; je pense aussi bien au thème de la bonne gouvernance et du développement, qui était en quelque sorte le point de départ des travaux, qu’aux difficiles questions liées aux crises qui secouaient alors le continent africain : en République centrafricaine et dans l’ex-Zaïre, avec ses prolongements pour l’ensemble des pays de la région des Grands lacs.
Sur la crise des Grands lacs, les participants ont conservé le souvenir d’une réunion riche, où tous avaient trouvé une rare occasion d’écoute mutuelle attentive. S’agissant de la RCA, les débats étaient allés au-delà, puisque, faut-il le rappeler, c’est à l’issue de la réunion qu’un groupe de chefs d’État présents au Sommet s’étaient engagés sous la présidence de son excellence M. Omar Bongo dans une médiation couronnée de succès et avaient décidé de la création de la mission de surveillance des accords de Bangui, la MISAB. Comment ne pas se féliciter du bilan jugé unanimement positif de l’action de cette force inter africaine, dû pour partie aux qualités véritablement remarquables du président du Comité de suivi, le général Amadou Toumani Touré, ancien président de la République du Mali. Vous le savez, cette initiative qui a permis la stabilisation de la situation dans ce pays a été ensuite approuvée et soutenue par le Conseil de sécurité. Une opération de maintien de la paix des Nations unies va très prochainement prendre le relais de la MISAB. Nous n’avons pas ménagé nos efforts pour que cela soit le cas, et je peux que telle sera bien la décision du Conseil de sécurité, qui se réunira dans trois jours, le 27 mars sur cette question.
Si j’évoque le souvenir et les résultats tout à fait tangibles et opérationnels de ce dernier Sommet, c’est qu’ils illustrent parfaitement les raisons pour lesquelles la France est attachée à ces réunions régulières, au niveau des chefs d’État et de gouvernement et, à mi-parcours, comme aujourd’hui à Ouagadougou au niveau des ministres. Il s’agit, dans notre esprit, de manifester avec constance, avec régularité, au fil du temps et des décennies - sans jamais relâcher notre attention, sans détourner notre regard lorsque la conjoncture africaine est plus difficile - notre disposition au dialogue avec l’Afrique, notre souci de l’aider lorsqu’elle l’estime nécessaire, notre volonté de créer un lieu partagé d’écoute et de solidarité, visant à la construction d’un avenir commun. Vous savez que notre politique africaine est inspirée par la fidélité, par un effort constant d’adaptation et une volonté d’ouverture.
Ces réunions ministérielles entre deux Sommets sont des moments privilégiés dans notre dialogue politique et je me félicite pour ma part de constater que nous sommes de plus en plus nombreux à y participer sans considération de clivages géographiques ou linguistiques. C’est une application de l’esprit d’ouverture dont je viens de parler.
Pour organiser nos travaux, je comprends que nous traiterons plutôt ce matin des questions concernant la sécurité du continent, qui a été retenu comme thème du prochain Sommet des chefs d’État et de gouvernement d’Afrique et de France qui se tiendra à Paris du 26 au 28 novembre prochain et puis, cet après-midi, des questions liées à la bonne gouvernance et au développement.
Dans les deux cas, ces sujets ont des incidences très concrètes, et très fortes, sur l’avenir des relations entre l’Afrique et la France, mais aussi, de ce fait, entre votre continent et l’Union européenne dans son ensemble.
Je vous invite donc - mais est-ce bien nécessaire - à la plus grande franchise, afin que nos débats nous mettent tous en mesure de nourrir nos réflexions respectives et de préparer les travaux du prochain Sommet auquel je tiens à vous le dire ici le Président de la République, M. Jacques Chirac, et le Premier ministre, M. Lionel Jospin, attachent la plus grande importance.
Je vous remercie.