Interview de M. Ladislas Poniatowski, porte parole du PR, à RMC le 23 janvier 1997, sur la séquestration par les salariés du président du Crédit foncier, l'abaissement de l'âge minimum pour être juré et la réforme de la justice.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

P. Lapousterle : Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais il s’est passé quand même un événement assez nouveau, incroyable, et même extraordinaire en France : un président de banque et son état-major ont été séquestrés quatre jours et cinq nuits sur le lieu de travail avec… visite guidée à l’appui ! Votre opinion sur cette nouvelle forme d’expression directe ?

L. Poniatowski : Si vous m’avez invité, c’est parce que vous avez pu constater que j’ai été un des seuls, en tant que porte-parole d’une formation politique, le PR, à avoir fait une déclaration là-dessus. Mais je suis comme vous, totalement effaré ! Effaré que, pendant qu’un président de société était séquestré, enfermé, dans son bureau, un ancien ministre – un ancien président de l’Assemblée nationale –, M. Emmanuelli, est venu visiter les locaux, comme on visite une abbaye, que des chefs syndicalistes aient fait la même chose, pendant que des cadres étaient séquestrés à côté.

P. Lapousterle : Il y avait même quelqu’un de chez vous…

L. Poniatowski : C’est exact, un parlementaire de chez moi y est également allé, et je condamne de la même manière. Je suis aussi sévère sur le fait que l’on ait commencé à négocier, discuter, recevoir au ministère des Finances ces syndicalistes pendant que des dirigeants étaient séquestrés. Je pense que la première décision, la première démarche, aurait dû être de dire : libérez les dirigeants de cette banque et nous nous mettrons autour d’une table pour discuter, avant toute autre démarche. Il y a déjà eu des séquestrations, dans le passé, de patrons d’entreprise. Mais souvenez-vous par exemple, à Air France, qu’a fait la direction ? Elle a commencé par porter plainte et dire : libérez les cadres que vous êtes en train de séquestrer et nous nous mettrons autour d’une table et nous discuterons.

P. Lapousterle : On se rappelle que le 12 décembre et le 1er janvier, le président de la République avait appelé à un meilleur dialogue social. Est-ce que c’est un bon début d’année dans ce cadre-là ?

L. Poniatowski : C’est toujours la même chose. Mieux vaut, bien sûr, dialoguer et négocier avant qu’après.

P. Lapousterle : C’est l’erreur du Gouvernement ça ?

L. Poniatowski : C’est toujours cette insuffisance de dialogue, de négociations, de discussions. Vous avez tout à gagner en discutant plus avant qu’après. Dans ce plan Arthuis qui est rejeté et refusé en ce moment, il y a des bonnes choses, il y a d’autres choses qui inquiètent incontestablement. Ce qui me fait plaisir c’est que le conciliateur qui a été nommé – bonne décision – a commencé par dire – ce que j’ai apprécié – : écoutez, vous libérez le directeur du CFF et nous discuterons. Je dis chapeau ! C’est bien, il a réagi normalement, comme n’importe quelle personne. Mais on ne peut pas ne rien faire. Le CFF avait 11 milliards de déficit en 1995, on annonce 1 milliard de gains, d’accord, mais c’est trop facile ! On a mis 20 milliards dans la caisse, la Caisse des dépôts a mis 20 milliards dedans, alors n’importe quelle entreprise, si on lui met 20 milliards chaque année dedans, peut avoir, c’est la moindre des choses, un bénéfice. Ça représente quand même 20 milliards, moins 1,19 milliard de pertes. On ne peut pas ne rien faire ; on ne peut pas faire du CFF un Crédit Lyonnais bis. Il faut absolument mettre les choses à plat ; il faut voir ce qu’on peut faire, même si une partie de ce plan Arthuis est rejetée. C’est une ossature, une base de discussion.

P. Lapousterle : Faut-il que le Gouvernement recule sur ce projet, renonce ?

L. Poniatowski : Non, non. Je crois qu’il faut absolument faire quelque chose. On ne peut pas dire – c’est trop facile –, une fois de plus il y a l’État actionnaire qui est derrière, on peut s’amuser à perdre tout ce qu’on veut, l’État abondera soit directement par les impôts – les contribuables – soit, autrement, la CDC qui abonde. Non, ce n’est pas possible. On ne peut pas rester comme ça. On ne peut pas avoir une série d’entreprises qui… Je ne veux pas me lancer dans le débat des responsabilités, même si elles remontent à une époque, effectivement, qui ne date pas des gouvernements actuels mais des gouvernements précédents. Laissons cela de côté, pensons à l’avenir. Je crois qu’il faut absolument trouver une solution pour sortir le CFF de… On ne peut pas rester, en aucun cas, en l’état.

P. Lapousterle : Depuis hier, et par un vote de l’Assemblée nationale, on peut en France être juré à 18 ans. Vous soupirez…

L. Poniatowski : Oui, oui, je soupire, car ça été adopté effectivement hier. C’est une décision qui est grave et moi je suis très réticent à cette décision. Je considère – je ne porte pas un jugement sévère sur un jeune, ça n’a rien à voir – mais quand vous avez 18 ans, que vous n’avez aucune expérience de la vie, vous allez pouvoir, demain, porter un jugement qui ira jusqu’à la peine capitale. Vous vous rendez compte ! Je dis bien la peine capitale ; ça n’est plus la peine de mort, c’est 30 ans maintenant. Mais c’est un jugement grave, sévère. À 18 ans, vous sortez de l’adolescence, vous n’avez pas cette expérience, cette capacité d’apprécier et de juger.

P. Lapousterle : La réponse est : à 18 ans ils ont le droit de faire des entreprises, ils sont majeurs, ils ont le droit d’aller mourir pour la patrie.

L. Poniatowski : J’ai trois enfants, une fille de 21 ans et un fils qui a eu 18 ans il y a trois mois. Il a plein de qualités, il est vif, intelligent, mais je ne le vois pas demain assis à côté d’autres jurés, et étant capable de porter ce jugement-là. Et si jamais il est appelé comme ça – on est tiré au sort, c’est obligatoire –, je serais bien embêté.

P. Lapousterle : Les pères sont toujours surpris vous savez.

L. Poniatowski : Je sais bien.

P. Lapousterle : La réforme de la justice plus généralement : est-ce que vous pensez que c’est une bonne chose que le gouvernement n’ait plus d’ordre à donner aux procureurs, aux gens installés dans la société et qui, au nom de tous les Français, demandent qu’on poursuive Untel ou Untel ?

L. Poniatowski : La réforme qui est mise en chantier par le président de la République est certainement une bonne chose, car les Français trouvent que la justice est trop lente ; qu’elle n’est peut-être pas la même pour les grands et les petits de ce monde. Voyez ce que je veux dire, je pense à Tapie. Donc, il faut la réformer. Mais de là à aller vers une indépendance totale, je suis très réticent. Vous avez vu que notre formation a pris position là-dessus. La démocratie est une chose fragile, faite d’équilibres complexes. Le pouvoir politique peut être remis en cause par le peuple français.

P. Lapousterle : Par les élections.

L. Poniatowski : Par les élections. Jusqu’ici, la justice avait quand même des comptes à rendre. Chacun pouvant sanctionner, c’est une sanction à étages, c’est bon, c’est sain. Cet équilibre, avant de le bouleverser, il faudra faire très attention. On n’en est pas encore là. Une commission a été installée, elle va faire des propositions. Il y a notamment dans cette commission des avocats, des juges, des journalistes, et ensuite elle va faire des propositions au Gouvernement, et ça va venir enfin devant le Parlement sous forme de proposition de loi. Donc, il va y avoir pas mal de discussions sur le sujet avant que la réforme arrive sur la table. Je pense que ces différentes étapes vont amener un débat, une réflexion intelligente. Et je crois que nous serons surpris de voir qu’un peu à tous les niveaux politiques, et l’ensemble de ce milieu de la justice, aura, à mon avis, les mêmes réticences sur une indépendance totale. Je ne vois pas, demain, un procureur qui pourra instaurer une sorte de gouvernement des juges. Ça peut être dangereux. Il faut qu’il y ait partout contrôle et sanction quand on fait des erreurs.

P. Lapousterle : Une question politique : depuis plusieurs semaines, votre président, F. Léotard, dit : « Il faut plus d’UDF, plus d’UDF, plus d’UDF. » Et on entend peu de choses en retour…

L. Poniatowski : Non, ce n’est pas comme ça. La majorité s’appuie sur deux formations : RPR et UDF. C’est tout. Depuis la formation de ce gouvernement, c’est exact, nous avons toujours dit qu’il y avait un certain déséquilibre. Nous nous sommes quand même beaucoup mieux entendus qu’auparavant. Regardez les textes de loi importants qui ont été adoptés ces derniers temps. Que ce soit la loi Robien, les fonds de pension, ce sont des textes de loi de l’UDF qui sont des éléments de réformes importants dans notre pays, qui ont été examinés et adoptés au Parlement français. Mais quand on dit « plus d’UDF » ça veut dire que nous voulons avoir notre juste place, forcément une meilleure place qu’actuellement. Et nous souhaitons être entendus dans nos propositions. Ce n’est pas simplement un problème de place.