Interviews de M. Edouard Balladur, député RPR et tête de liste de l'opposition en Ile-de-France pour les élections régionales, dans "Le Parisien", "L'Evénement du jeudi" du 19 février 1998 et à France-Info le 27, sur la campagne des régionales en Ile-de-France, la cohabitation et les différences idéologiques distinguant la droite de la gauche.

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Média : France Info - L'évènement du jeudi - Le Parisien

Texte intégral

Le Parisien : 19 février 1998

Q. L’enquête CSA vous accorde 38 % des intentions de vote et vous place devant la gauche. Qu’en pensez-vous ?

Edouard Balladur. – Ça fait plaisir, même si j’ai appris à me méfier des sondages… Les résultats montrent les progrès enregistrés depuis quelques semaines. Je crois que j’ai maintenant remonté mon handicap. Je suis en campagne depuis le mois de septembre. Désormais, il me reste trois semaines pour gagner.

Q. L’emploi est la première motivation des électeurs. Viennent ensuite la sécurité et l’environnement…

R. Cela ne me surprend pas. L’emploi est la première préoccupation des Franciliens, est c’est normal, même si l’Île-de-France est plutôt moins touchée que le reste du pays. Quant à la sécurité et à l’environnement, ce sont des préoccupations majeures.

Q. Les affaires politico-financières qui ont secoué le conseil régional n’intéressent que 16 % des sondés.

R. Cela prouve que mes adversaires feraient mieux de parler des vrais problèmes des habitants de cette région plutôt que m’attaquer par des polémiques ! En ce qui me concerne, j’ai eu le souci de présenter des listes profondément renouvelée, rajeunies et féminisées.

Q. Le PS a désigné Jean-Paul Huchon comme candidat à la présidence de région. Que pensez-vous de ce choix ?

R. Le PS pratique depuis un moment en Île-de-France la circulation alternée. Un jour, c’est M. Strauss-Kahn, le lendemain, c’est un autre. Alors je demande, dans un souci de clarté, que le PS et la gauche plurielle accordent enfin une pastille verte à un candidat une bonne fois pour toutes !


L’Événement du Jeudi : 19 février 1998

Edj : Vous donnez l’impression de prendre un réel plaisir à revenir sur les estrades électorales. Avez-vous changé, ou s’est-on trompé lorsqu’on a dit : « Balladur préfère être nommé qu’élu » ?

Edouard Balladur : Laissons de côté ces appréciations. Y répondre serait trop long… À l’origine, cette campagne des régionales s’est présentée dans des conditions difficiles ; les augures nous étaient défavorables, très défavorables même. Mais quand on fait les choses, il faut s’efforcer de les faire convenablement. C’est pourquoi, dès ma décision, je me suis impliqué complètement. Quant à mes sentiments personnels, je les réserve à moi-même. Comme d’habitude.

Edj : Cette campagne intéresse les électeurs ?

E.B. : Pas encore beaucoup. Ce qui les intéresse, en fait, c’est la politique nationale. La région, ils ne savent pas très bien à quoi elle sert. À nous de leur démontrer que son action est importante pour eux.

Edj : Quand vous dites que la politique les intéresse…

E.B. : Par exemple, la sécurité, les 35 heures, les charges sur les salaires, les impôts, le chômage des jeunes : là sont vraiment leurs préoccupations. En Seine-et-Marne, je suis allée dans un IUT, le jour de la grève ; les jeunes m’ont beaucoup parlé de formation, de sa relation avec le chômage. C’est l’inquiétude majeure.

Edj : C’est un mauvais souvenir, pour vous, les IUT ? (NDLR : début 1994, les grèves des étudiants des IUT l’ont obligé à renoncer à créer le contrat d’insertion professionnelle pour l’embauche de jeunes dotés d’un diplôme Bac + 2 au niveau du Smic).

E.B. : C’est le souvenir d’une incompréhension dont je suis sans doute en partie responsable. Dommage ! Si on avait fait le CIP, aujourd’hui il y aurait beaucoup moins de jeunes au chômage.

Edj : Les problèmes de l’Île-de-France, et surtout de ses banlieues, sont en grande partie la conséquence de la politique menée par Paris. La mairie de Paris, n’est-ce pas le lieu stratégique pur faire évoluer les choses ?

E.B. : Ah oui ? [Rires] Je pourrais moi aussi être à la fois maire et président de région ? Vous me donnez là enfin un objectif ! [Rires] Allons, soyons sérieux ! Selon moi, ce n’est pas compatible : être un élu parisien peut conduire à se trouver en porte-à-faux par rapport à ses collègues élus d’Île-de-France. Les intérêts de la ville et de la région ne sont pas toujours les mêmes. Si je suis élu à la présidence de la région, je démissionnerai de mon mandat de conseiller de Paris.

Edj : Vu l’état de votre parti, vous êtes l’homme providentiel pour l’Île-de-France et pour d’autres régions encore…

E.B. : N’exagérons rien. Il se trouve qu’étant simplement conseiller de Paris j’étais disponible.

Edj : Que vous a dit jacques Chirac lorsqu’il a appris votre désignation pour les régionales en Île-de-France ?

E.B. : Je lui ai téléphoné pour le prévenir. Il m’a dit que c’était une bonne nouvelle.

Edj : Les rancunes sont jetées à la rivière ?

E.B. : Mais qui a de la rancune ?

Edj : Pourquoi Claude-Annick Tissot, la conseillère régionale RPR qui a mis en cause le système de financement du RPR en Île-de-France, n’est-elle pas candidate sur votre liste ?

E.B. : J’ai reçu Mme Tissot deux fois. Je n’ai absolument rien contre elle. Simplement, il y a un procès entre M. Michel Giraud et elle, qui ont porté plaine l’un comme l’autre. Je ne veux pas savoir qui a raison, qui a tort. Cette affaire n’est pas jugée. Après tout, ces histoires ne me regardent pas. Je serai responsable de ce que je ferai si je suis élu président ;

Edj : Ces jours-ci, votre nom est de nouveau cité dans les journaux à propos d’une commission de 16 millions de francs, versée en 1988 par le Crédit Lyonnais, et dont la justice a retrouvé la trace sur un compte suisse qui servait au financement occulte de l’ex-Parti républicain. Vous étiez ministre des finances, à l’époque, et c’est votre signature qui a autorisé la banque publique à débloquer ces fonds.

E.B. : C’est une vieille histoire dont, curieusement, on reparle aujourd’hui. Un ministre des finances signe 1 500 décisions de ce gendre par an sur proposition du directeur des douanes. J’ai signé cette décision parce que le directeur des douanes me l’a proposée, en ignorant, comme il est d’usage, le bénéficiaire de la commission. On pourrait prendre la liste des 15 000 décisions signées depuis dix ans et ouvrir 15 000 enquêtes. S’il y a eu un manquement à la loi dans l’usage qui a été fait d’une autorisation qui est de pratique courante, qu’on le mette au jour et qu’on le sanctionne.

Edj : Le gouvernement Jospin connaît ses premières baisses dans les sondages. Gouverner, pour un Premier ministre sous la Ve République, est-ce vraiment possible ?

E.B. : Le problème, c’est la rapidité avec laquelle les cotes de popularité des Premiers ministres en place se déprécient. C’est la preuve que les institutions de la Ve République n’ont sans doute pas autant de mérites qu’on le dit. Depuis 1981, chaque fois qu’il y a eu une des élections générales, le détenteur du pouvoir les a perdues : Giscard en 1981, Mitterrand en 1986, Chirac en 1988, Mitterrand en 1993, moi en 1995, et Chirac en 1997. Cela fait six fois en seize ans, c’est assez fascinant. Est-ce dû au fait que les citoyens ont le sentiment d’une égale inaptitude des gouvernants à régler le problème du chômage ?

Edj : La fameuse stabilité des institutions de la Ve, c’est un mythe ?

E.B. : Nos institutions sont stables, c’est la situation politique qui ne l’est pas, ce qui conduit à une application différente des institutions selon que le président dispose ou non d’une majorité. Peut-être faudrait-il un quinquennat présidentiel qui permettrait la concomitance des élections législatives et de l’élection présidentielle. On peut imaginer que les électeurs ne voteraient pas différemment aux deux scrutins. Je m’interroge. De toute manière, on ne peut envisager aucune réforme de nos institutions en période de cohabitation. Ce serait le conflit assuré. Mais, désormais, le problème est posé.

Edj : La cohabitation dont vous avez été théoricien n’a-t-elle pas perverti les institutions ?

E.B. : La cohabitation devait être un système provisoire évitant une crise de régime. Après tout, personne n’est obligé de cohabiter. L’alternative à la cohabitation, c’est le refus de la nouvelle majorité de soutenir tout gouvernement, ou la démission du président. Des cohabitations à répétition changent l’équilibre de nos institutions. D’où le problème.

Edj : Donc, quand Jacques Chirac dit, en 1993 : « Il faut que Mitterrand parte », il a raison ?

E.B. : Vous imaginez qu’il aurait pu faire campagne en disant : « Surtout, que Mitterrand ne parte pas ! »…

Edj : En revanche, personne à gauche n’a dit en 1997 : « Il faut que Chirac s’en aille. »

E.B. : Parce que tout le monde savait qu’il ne partirait pas. [Rire]

Edj : Sur le plan théorique, quelles leçons tirez-vous de l’expérience de la cohabitation ?

E.B. : C’est un système incommode mais qui fonctionne. Même si, en matière diplomatique et militaire, rien n’est très précis dans la Constitution. Imaginez qu’aujourd’hui il y ait un désaccord sur l’Irak entre les deux têtes de l’exécutif, que se passerait-il ? Par exemple, j’étais pour ma part déterminé, lorsque j’étais à Matignon, à ne pas accepter l’accord du Gatt tel que je l’ai trouvé. Nul n’aurait pu m’y forcer.

Edj : Vous dites : « La cohabitation est un système provisoire. » Dans la tête de Mitterrand, c’était une conquête institutionnelle ?

E.B. : Ça, c’était son jeu, une conquête institutionnelle dans son esprit parce qu’il est resté au pouvoir. Non. En revanche, c’est une conquête de l’esprit démocratique. Lorsque j’ai « théorisé la cohabitation », comme vous dites, je voulais que l’on fasse la démonstration, à travers ce système, que les Français étaient eux aussi capables d’être tolérants, que tout désaccord politique n’était pas motif de guerre civile.

Edj : A priori, le gouvernement Jospin est là pour encore quatre ans. Le souhaitez-vous ?

E.B. : Mon souhaite importe peu. Je pense qu’il faudrait vraiment qu’il subisse des échecs graves pour que la cohabitation connaisse un terme plus rapproché.

Edj : Quelle est la meilleure nouvelle que vous ayez entendue dans une décision ou un discours de Jacques Chirac ?

E.B. : La meilleures nouvelle ? Oh ! [Rires] Voyons. Eh bien, c’est celle du 26 octobre 1995… Vous voyez ce dont je veux parler ! C’est la meilleure pour la France, en tout cas. [NDLR : ce jour-là, Jacques Chirac annonce le tournant de la rigueur et donne indirectement raison à Edouard Balladur, dont il fustigeait pendant la campagne présidentielle le ralliement à la « pensée unique »]

Edj : Vos idées ont donc triomphé en octobre 1995, dites-vous. Cela vous satisfait-il ?

E.B. : Triomphé, triomphé… Nous sommes encore loin du compte. Il y a beaucoup de réformes à faire pour adapter notre société aux temps nouveaux.

Edj : Vous et vos amis répétez souvent, en particulier aux dernières assises du RPR, que vous n’êtes pas ultralibéraux. Alors qui sont les ultralibéraux ?

E.B. : Il y en a quelques-uns. Naguère, je développais la thèse qu’il fallait que le libéralisme fût ordonné et fût partagé. Si notre libéralisme avait été ordonné, on n’aurait peut-être pas subi la crise asiatique. L’effondrement asiatique, c’est l’effondrement du capitalisme sauvage. Si le reste du monde a tenu, c’est parce qu’il a su à temps mette les coupe-feu nécessaires. Donc, je suis partisan d’un libéralisme ordonné, avec des règles. Je ne suis pas un ultralibéral car, pour moi, la loi du marché ne doit pas être la loi de la jungle.

Edj : L’alternative pour vous est-elle entre ce libéralisme-là et la social-démocratie ?

E.B. : Vous savez, j’ai écrit, dans mon dernier livre, que « la vraie pensée unique, c’est la social-démocratie depuis 1936 » (1). On ne peut pas continuer avec tant de chômeurs, d’exclus, de charges, d’impôts et de contraintes. Il faut réformer la société française. Et, pour cela, sortir de la pensée unique sociale-démocrate. Depuis cinquante ans, nous avons recours aux mêmes méthodes : dès qu’il y a un problème, on réglemente, on contrôle, on réparti, on assujettit à des impositions diverses. Et on fait moins bien que les autres. Nous avons eu des débuts de politiques libérales, j’en ai été l’artisan deux fois, interrompues au bout de deux ans et peut-être pas assez ambitieuses. La première fois, nous avons fait beaucoup : libérer tous les prix, privatiser, abaisser les impôts. La seconde fois, c’était plus difficile parce que j’ai trouvé la récession, la première depuis la guerre, et 500 milliard de déficits publics. Nous avons dû parer au plus pressé. Mais les deux fois, la croissance et l’emploi sont revenus.

Edj : Vous voulez dire que les socialistes sont des ringards et que le moderne, c’est vous ?

E.B. : Oui ! Ce sont des conservateurs. Ils ont des idées tout à fait dépassées. Êtres plus moderne qu’eux n’est pas une performance.

Edj : Vous reprochez aux socialistes leur idéologie. Vous ne faites jamais de critiques idéologiques au Front national… Pourquoi ?

E.B. : Je ne crois pas à la vertu des imprécations. À l’égard du Front national, elles n’ont abouti à aucun résultat. Ayant dit que je refuserai tout accord implicite ou explicite avec cette formation pour les élections régionales, je suis totalement libre de dire ce que je pense, sans être suspecté de vouloir organiser des ralliements plus ou moins secrets.

Edj : Tout de même, cela ne vous gêne-t-il pas que la droite reprenne certaines propositions du Front national ?

E.B. : Si je vous suivais, cela voudrait dire qu’on n’aurait plus le droit de parler ni de patrie, ni de sécurité, ni d’ordre sans se voir reprocher d’être membre du Front national. De la même façon, j’ai le droit de parler de justice et de droits de l’homme sans me voir reprocher d’être socialiste.

Edj : Mais ne trouvez-vous pas que la droite parle trop des questions de sécurité et d’immigration ? E pas assez des questions économiques ?

E.B. : C’est certain. Et je vais vous dire pourquoi : la droite est complexée. Elle a peur d’afficher ses propres idées en matière économique et sociale, de ne pas paraître suffisamment sociale alors que seule la liberté nous garantira le progrès, et donc un meilleur emploi pour tous. Un de mes objectifs est de synthétiser ce que doit être une politique sociale de droite. J’en ferai un des thèmes de mes futures interventions.

Edj : Vous croyez donc possible de proposer une politique qui ne soit pas seulement redistributrice mais aussi créatrice de richesses ?

E.B. : Il faut les deux. C’est une question de proportion. Nous avons un régime social plus coûteux que les autres. Il a des vertus. Aux États-Unis, quand un garçon français de 20 ans est accueilli dans un hôpital à la suite d’un accident de voiture, on lui demande s’il a de l’argent. S’il n’en a pas, on ne le soigne pas. Je le sais, c’est arrivé à l’un des miens. Chez nous, cela ne se passe pas ainsi, et c’est tant mieux. Mais notre système social trop lourd et coûteux nous handicape dans la course à la productivité. Il risque donc de nous faire fabriquer du chômage en permanence à mesure que l’économie du monde progressera. L’opposition a le besoin impératif de se mettre au clair sur l’économie et sur la société : nous devons progresser plus vite, répartir mieux, créer plus d’emplois, dépenser et prélever moins. Pour y parvenir, il faut avoir le courage d’imaginer les réformes nécessaires.

Edj : On a appris récemment que vous regardiez souvent la télévision : les Feux de l’amour, Columbo…

E.B. : Oui. [Rires.] Pas seulement cela. Ce n’est pas mal Columbo. Les Feux de l’amour… Quand je rentre déjeuner chez moi, ce qui m’arrive de temps à autre, j’aime bien les regarder. Ce qu’il y a de bien, c’est que vous pouvez ne pas le faire pendant six mois, vous n’avez rien perdu. Et rien appris d’ailleurs. [Rires.]

Rdj : Est-ce qu’il vous arrive de rêver que vous serez de nouveau candidat à la présidence de la République ?

E.B. : [Rires.] Oh non, non. Je n’en rêve pas. Je n’en ai d’ailleurs jamais rêvé ! Ce n’est pas un objet de rêve.

Edj : Ce n’était donc pas vous, le candidat Balladur en 1995 ?

E.B. : Si c’était moi. Mais quand on rêve, on n’est pas soi. Ou alors je ne comprends rien aux rêves.


France Info : Vendredi 27 février 1998

Q. La croissance semble au rendez-vous, mais L. Jospin dit : pour distribuer, il faut produire. Et Le Figaro salue ce matin son social-libéralisme. Vous aussi ?

R. D’abord, pour distribuer il faut produire, ce n’est pas d’une nouveauté fracassante. C’est le bon sens élémentaire et je me réjouis que Monsieur Jospin le partage, bien entendu. Avant de parler de social-libéralisme, je voudrais quand même rappeler quelque chose : c’est que la France mène depuis quelques mois une politique qui surprend un peu l’ensemble de nos partenaires européens. Parce qu’elle a recours, pour tenter de diminuer le chômage, a des méthodes qui n’ont plus cours nulle part ailleurs, et qui ne me paraissent pas efficaces, qu’il s’agisse de la création d’emplois administratifs, dits emplois-jeunes, ou qu’il s’agisse de la réduction autoritaire – si elle était libre, et souple, et consentie, ce serait différent – de la durée du travail. Donc, je crois que tout cela n’est pas caractéristique du libéralisme. Je pense que notre pays, si l’embellie économique devait se confirmer, et j’approuve la prudence du Gouvernement qui dit que rien n’est encore sûr, car après tous les chiffres du dernier trimestre 97, qu’il s’agisse de la consommation ou de l’investissement, ne sont pas extraordinairement positifs. Espérons que notre pays va aller mieux, je le souhaite de tout cœur. Si tel est le cas, le débat s’ouvre : que va-t-on faire de ce mieux ?

Q. Alors, on redistribue, ou on est très vertueux ?

R. Je voudrais qu’on soit bien clair. Quand on dit on est très vertueux, cela veut dire : est-ce qu’on est très rigoureux, est-ce qu’on est très féroce ? Et quand on dit on redistribue, cela veut dire : est-ce qu’on est très généreux, est-ce qu’on est très gentil ? Le problème n’est pas celui-là. Notre pays, la France, connaît un chômage plus important que la plupart des grands pays comparables. Et en même temps, notre pays a des structures sociales et économiques plus étatisées, plus collectivisées, avec davantage d’impôts, davantage de charges que les autres. Donc l’objectif, c’est de poursuivre la réduction des charges, et des impôts, et des dépenses publiques, par exemple en allégeant le coût social de travail peu qualifié qui est un facteur de chômage. Donc il faut faire des réformes dans la société française. Et l’alternative, ce n’est pas économiser ou redistribuer. L’alternative, c’est réformer ou conserver le statu quo, qui risque de nous fragiliser.

Q. Alors le Président Chirac a salué ce matin l’embellie, en disant qu’elle était surtout le fruit des efforts de redressement. Curieusement, il les fait partir, ces efforts, de 1995 ?

R. C’est sans doute parce que c’est la date de sa prise de pouvoir. Mais ces efforts ont commencé en 1993.

Q. Vous y étiez !

R. Je voudrais vous le rappeler, car en 1993, nous avons trouvé 500 milliards de déficits publics, et 40 000 chômeurs de plus tous les mois, et la récession en plus. On a commencé à travailler, cela a d’ailleurs été difficile. Chaque gouvernement y a apporté sa pierre ensuite.

Donc le Président a oublié deux ans d’efforts, à vous entendre ?

R. Non, il a acté les choses à partir du moment où il a pris les responsabilités du pouvoir. Il n’a sûrement pas oublié.

Q. Est-ce que sur vos chemins de campagne en Île-de-France, Monsieur Balladur, vous avez rencontré la pauvreté ?

R. Oui.

Q. L’exclusion ?

R. Oui.

Q. Que faire ?

R. C’est tout le problème, et je pense que ce qu’il faut faire, j’approuve que l’on se pose la question, que faut-il faire pour les minima sociaux, pour mettre des gens qui sont dans des situations qui sont très difficiles, à l’abri des besoins les plus élémentaires. Bien entendu. Mais, le point prioritaire, c’est d’offrir de l’emploi à tous. C’est cela l’effort. La meilleure des justices, et Monsieur Blondel, le secrétaire de Force ouvrière, le disait ce matin, c’est d’offrir un emploi. Alors, offrir un emploi, qu’est-ce que cela veut dire, et là on retrouve les problèmes de l’Île-de-France et de la région Île-de-France ? Cela veut dire d’abord que l’économie doit être active, je souhaite qu’elle le devienne grâce à la baisse des déficits plus encore, et cela veut dire en second lieu qu’il faut faire toutes les réformes nécessaires pour que les entreprises aient intérêt à offrir du travail, et que les chômeurs aient intérêt à prendre ce travail. Intérêt à offrir du travail, cela veut dire réduire le coût social du travail, c’est pourquoi je regrette, et c’est pourquoi l’expression social-libéralisme ne me convient pas, s’agissant de l’action du Gouvernement, je regrette qu’on ait arrêté la baisse sur les charges des salariés peu qualifiés.

Q. D’un mot rapide sur la région, vous assumez le bilan de la présidence de M. Giraud ?

R. Bien entendu, j’assume le bilan de la présidence de l’administration de la région depuis douze ans. Il y a des aspects très positifs.

Q. Dans le négatif, on s’est beaucoup interrogé y compris au sein de la majorité régionale, sur les conditions d’attribution des marchés du BTP. La gauche veut remettre à plat le système, si elle remporte la région. Et vous ?

R. Oh ! Écoutez, ma réponse est parfaitement simple : on s’est interrogé ; mais jusqu’à présent, la base de tout ça, c’est un rapport de la Cour des comptes qui a relevé des erreurs de procédure, c’est vrai, mais qui n’a conclu à aucune malversation, qui n’a pas donné, dans l’état actuel des choses, suite à enquête ou à poursuites judiciaires. Pour faire justice de toutes ces supputations et ces soupçons, je propose qu’on aille plus loin dans la transparence pour les marchés publics, c’est-à-dire que d’abord il y ait un magistrat de la Cour des cours des comptes qui soit étroitement associé à la commission des marchés, et en second lieu, que les procédures de passation des marchés et des sociétés d’économie qui dépendent de la région soient soumises aux mêmes contrôles que les marchés passés par la région elle-même.

Q. Il y a une conseillère RPR sortante qui avait plaidé justement pour plus de transparence et de régularité, c’est Mme Tissot. Pourquoi vous ne l’avez pas reprise sur vos listes ? Elle est complètement en phase, là, avec ce que vous dites. Elle avait même été la première à le dire ?

R. Écoutez, moi je n’ai pas suivi cette affaire de près. Je ne sais pas si elle a été la première à le dire ou pas. Mon souci était de tourner la page. Je ne veux pas entrer dans des querelles qui sont les querelles du passe. De surcroît, il y a. des litiges pendants devant les tribunaux, des procès en diffamation. Je ne veux pas interférer dans tout cela. Donc, j’ai souhaité tourner la page, sans porter de jugement si peu que ce soit sur les mérites ou les qualités des uns et des autres.

Q. Votre adversaire dans cette élection, c’est la gauche, le Front national ?

R. C’est l’abstention. C’est l’abstention, parce que les habitants de l’Île-de-France et de ceux de Paris plus particulièrement ne sont pas toujours conscients de tout ce qu’ils doivent à la région, enfin de tout ce que la région peut faire pour eux, s’agisse de l’apprentissage, des transports publics, de la lutte contre la pollution, de la lutte pour la sécurité. Et il faut les rendre sensibles à tout ça. Combien de lycées, combien d’IUT ont été construits par la région, à Paris, en Île-de-France ? Combien ont échappé au chômage grâce à l’apprentissage qu’ils ont reçu grâce à la région ? Je pourrais continuer. Donc, le vrai problème, d’abord c’est l’abstention et deuxièmement, c’est de bien faire comprendre qu’on vote le dimanche 15 et le dimanche 15 seulement, qu’on vote une seule fois, qu’il n’y a pas un rattrapage le dimanche suivant, et que donc toute voix qui ne se porte pas sur la liste de la majorité sortante RPR-UDF-Divers droite que je conduits, favorise nécessairement la liste de gauche. Il n’y a pas de troisième solution.

Q. Alors, s’il n’y a pas de troisième solution, est-ce que le Front national est un adversaire ou non, dans la campagne ?

R. Moi je ne pose pas le problème des adversaires. Je ne choisis pas mes adversaires. Je propose, et nous proposons un certain nombre de thèmes à nos concitoyens de l’Île-de-France et, grosso modo, une meilleure qualité de vie et une plus grande liberté pour que la région gère ses propres affaires, et c’est toute la question que je me pose.

Q. Les sondages ne sont pas fameux pour l’opposition dans les régions à quinze fours du scrutin. Une recomposition de la droite est-elle à envisager en cas de lourdes pertes ?

R. Qu’est-ce que vous voulez dire par recomposition de la droite ? Oh ! Écoutez, s’il y a de lourdes pertes, il est évident que nous devrons nous interroger pour savoir si nous avons suffisamment tiré les leçons de l’échec des élections législatives de l’année dernière. Ça veut dire : est-ce que notre organisation est la bonne ? Soyons clair est-ce qu’on est allé assez loin dans la voie de la coordination ? Est-ce que l’union, c’est suffisant, des partis d’opposition ? Est-ce qu’il faut aller plus loin, et deuxièmement, est-ce que notre projet, si nous en avons eu, correspond à l’attente des Français et peut constituer une espérance pour eux ?