Article de M. Philippe Séguin, président de l'Assemblée nationale, dans "La Libre Belgique" du 5 mars 1997 sur la fermeture de l'usine Renault de Vilvorde et les relations entre l'Etat et l'entreprise dont il est actionnaire, intitulé "Pour une réflexion salutaire".

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Circonstance : Annonce le 27 février 1997 par Renault de la prochaine fermeture de l'usine de Vilvorde (Belgique).

Média : La Libre Belgique

Texte intégral

Pour une réflexion salutaire

Il serait regrettable, détestable, que les maladresses des dirigeants de Renault viennent perturber les relations d’amitié, spontanées, vraies et nécessaires, de la Belgique et de la France. D’autant qu’une grande majorité de Français partagent à l’évidence les sentiments présents de leurs voisins d’outre-Quiévrain et que leur sympathie est acquise aux salariés concernés. Efforçons-nous donc de raison garder en dissipant trois malentendus et en partageant une réflexion salutaire.

Premier malentendu : l’État actionnaire aurait inspiré la décision de Renault.

Les exemples abondent, hélas ! pour démontrer qu’en France, l’État actionnaire, même lorsqu’il est majoritaire, ne dicte ni n’empêche rien : Crédit lyonnais, Crédit foncier, GAN – la liste de ses impuissances n’est pas limitative. On imagine ce qu’il en est lorsqu’il est minoritaire, comme dans le cas d’espèce.

Deuxième malentendu : la décision de Renault serait inspirée par des motifs d’ordre patriotique. C’est faire beaucoup d’honneur à ses dirigeants qui, dans le passé, ont délocalisé, comme les autres. Et qui ont annoncé hier trois mille suppressions sèches d’emplois en France même. À titre de hors-d’œuvre.

Troisième malentendu : on aurait pu s’y prendre autrement. C’est vrai. Et on se perd en conjectures sur un tel pas de clerc dont on espère qu’il sera réparé, d’une manière ou d’une autre.

Encore que nous ayons en mémoire les uns et les autres d’autres exemples de fermeture (ou de départ) décidés sans même que nul ne se soit enquis au préalable des possibilités de conversion de la région concernée.

Mais si Renault est coupable, ne le sommes-nous pas tous aussi ?...

La mondialisation est un fait incontournable. Soit. Mais si nous faisons l’Europe, n’est-ce pas pour qu’elle soit régulée, pour qu’elle soit à l’origine de développements synergiques et solidaires, pour qu’elle soit positive pour tous, au lieu d’être ravageuse pour un trop grand nombre ?

Où sont les régulations ?

En vérité, nous avons tous laissé faire. Et nous continuons à laisser faire.

L’automobile européenne est de plus en plus exposée à tous vents. On vend moins, donc on doit fabriquer moins.

Et à l’inverse, on doit mobiliser toutes les capacités de productivité (8 PC par an !) pour que ce qui survit tienne le choc. La victime c’est évidemment l’emploi.

Et il n’y a pas que l’automobile…

Combien de Vilvorde avons-nous ainsi déjà toléré dans tant de secteurs, depuis tant d’années, dans l’indifférence générale ?

De passage à Paris, le Premier ministre portugais a eu cette belle phrase : « il faut en finir avec le fondamentalisme du libre-échange ! »

Celui-là, comme d’autres.

En d’autres termes, il faut nous demander, enfin, qu’elle Europe nous voulons, et dès lors nous décider à la bâtir comme l’un des acteurs majeurs d’un monde dont l’homme serait redevenu le centre.

Et pour conduire cette réflexion, ne seront pas de trop.

Dans l’amitié.