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Libération : Chaque année, près de 6 000 jeunes réapprennent à lire et écrire pendant leur service national. La fin de la conscription ne va-t-elle pas les laisser sur le carreau ?
Charles Millon : Bien au contraire. Nous allons non seulement continuer ce que nous faisons, mais nous espérons toucher un plus grand nombre de jeunes grâce au rendez-vous citoyen ? Durant ces cinq jours, un bilan scolaire sera effectué. Il permettra de mesurer l’ampleur du phénomène qui touche à des degrés très divers 60 000 des jeunes passant dans les centres de sélection, c’est-à-dire 16,6 % d’une classe d’âge. Une fois le bilan effectué, les jeunes qui en ont besoin se verront proposer une formation. C’est ce que nous appelons la « seconde chance ».
Libération : Mais qui s’en occupera, si ce ne sont plus les militaires et notamment les « tuteurs » du contingent ?
Charles Millon : Principalement, les associations qui œuvrent contre l’illettrisme. Elles seront associées au déroulement du rendez-vous citoyen, puis prendront en charge les jeunes. Les ministères partenaires de la Défense devront également prévoir une contribution pour la formation des personnels et l’encadrement des tests.
Libération : Ne va-t-on pas accuser l’État de se décharger de ses responsabilités sur les associations ?
Charles Millon : C’est évidemment la fin de la méthode jacobine et centralisatrice de régler les problèmes. Les pédagogues le savent : il y a autant de formes d’illettrisme que d’illettrés. Pour être efficaces, il est donc indispensable d’avoir un système à la fois organisé et diversifié. Organisé pour garantir l’égalité – c’est le rôle du rendez-vous citoyen obligatoire – et diversifié dans les approches éducatives. La lutte contre l’illettrisme est l’un des domaines où l’on pourra voir si notre nouvelle méthode fonctionne.
Libération : C’est de l’expérimentation in vivo ?
Charles Millon : Ce sera progressif et innovateur. Cette année, les trois premiers centres du rendez-vous citoyen, Mâcon, Nîmes et Compiègne, accueilleront environ 30 000 jeunes. C’est une montée en puissance douce. À Mâcon, qui ouvrira en juin, nous travaillerons avec les associations locales, jusqu’à Lyon et Dijon.
Libération : Après les cinq jours obligatoires, tout se fera donc sur la base du volontariat ?
Charles Millon : C’est déjà le cas aujourd’hui. Les jeunes qui sont pris en charge par les armées dans le cadre du groupe permanent de lutte contre l’illettrisme ne sont pas contraints de le faire. Mais de nombreux illettrés ne sont jamais appelés sous les drapeaux : cumulant des handicaps, ils sont souvent exemptés. D’autant que les armées n’ont pas les moyens de prendre en charge plus de jeunes qu’aujourd’hui. Cela prouve d’ailleurs que le service national ne remplissait plus pleinement son rôle d’intégration. Avec le nouveau système, nous proposerons une aide à tous les jeunes. Non seulement, l’action pourra concerner une population plus nombreuse, mais elle durera plus longtemps et pourrait s’effectuer par petits groupe de cinq à six personnes.
Libération : Les associations en ont-elles les moyens ?
Charles Millon : C’est ici qu’intervient le deuxième volet de la réforme du service national. Les associations agréées pourront faire appel à des volontaires de 18 à 30 ans, qui leur coûteront 2 000 francs par mois.
Libération : Que fait votre ministère en matière de promotion de la lecture ?
Charles Millon : En coopération avec le ministère de la Culture, les armées ont créé dix « sites lectures » depuis 1994 (1). Il s’agit de diffuser le livre auprès des militaires du rang, appelés mais aussi engagés. Le bilan est encourageant : en 1996, le nombre de lecteurs a doublé, voire triplé. À l’occasion du Salon du livre, le ministère de la Culture a offert 2 000 entrées gratuites aux appelés dans la région Ile de France. Le ministère de la Défense a, lui, financé l’achat de 2000 « chèque-lire ». D’une valeur de 50 francs, ils peuvent être échangés sur les stands du Salon ou dans les librairies. Cette idée s’inspire du chèque-culture que le Conseil régional Rhône-Alpes (présidé par Charles Millon) a mis en place au profit des lycéens.
(1) Toul, Caen, Fréjus, Istres, Solenzara, Salon, Metz, Cognac et Cayenne.