Interview de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front National, à TF1 le 8 février 1998, sur le meurtre du préfet Erignac en Corse, les relations entre MM. Le Pen et Mégret et l'invalidation de l'élection de M. Jean-Marie Le Chevallier comme député.

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Média : Emission Public - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

M. FIELD : Dans un instant, c'est Jean-Marie Le Pen, le Président du Front National, qui est l'invité de "Public". Nous évoquerons avec lui l'actualité de la semaine marquée évidemment par l'assassinat du Préfet de Corse, par l'invalidation de Jean-Marie Le Chevallier de son poste de député de Toulon. Et puis nous évoquerons aussi la stratégie du Front National pour les futures régionales.
Dans un instant, Jean-Marie Le Pen, invité de "Public".

M. FIELD : Bonsoir à toutes, bonsoir à tous. Merci de rejoindre "Public".
Jean-Marie Le Pen, bonsoir.

M. LE PEN : Bonsoir.

M. FIELD : Merci d'être avec nous pour une heure dans laquelle nous allons d'abord commenter une actualité évidemment fertile en événements sur lesquels nous attendons beaucoup de vos réactions. Ensuite, pour parler du Front National, de sa stratégie pendant les élections régionales qui approchent. Et puis pour dialoguer avec d'autres invités que vous, notamment le journaliste américain, Mark Hunter, qui sort chez Stock un livre qui s'appelle "Enquête au sein du Front National". C'est une enquête d'un an auprès de vos militants, avec un regard critique américain. Donc, c'est peut-être intéressant de vous confronter avec lui.

M. LE PEN : Cela m'étonnerait qu'il ait rencontré quelqu'un qui ait cette tête-là au Front National !

M. FIELD : Oui... eh bien, il s'expliquera de la couverture. Vous savez, on fait dire ce qu'on veut aux photos.
Et puis deux syndicalistes policiers qui parleront avec vous des problèmes de sécurité et de la manière dont quelquefois vous mettez en cause la Police nationale.

M. LE PEN : L'actualité y porte, avec ce qui s'est passé à Ajaccio et ailleurs.

M. On va en parler dans un instant. Voilà un programme chargé. Donc, on expédie une première page de pub et on se retrouve juste après.

M. FIELD : Retour sur le plateau de "Public". Jean-Marie Le Pen, Président du Front National, est mon invité. Et tout de suite L'EDITO préparé par Julie Cléo.

(...)

M. FIELD : Jean-Marie Le Pen, nous allons prendre ces thèmes dans l'ordre contraire de celui de L'EDITO. Nous allons évidemment commencer par cet assassinat du Préfet Erignac, avec cette sorte d'unanimité de toute la classe politique pour, à la fois, évidemment condamner cet attentat, réclamer peut-être désormais que ce terrorisme en Corse cesse. Votre réaction, à vous ?

M. LE PEN : Mais préalablement, si vous le permettez, Monsieur Field, je voudrais - comme c'est la première fois que je viens chez vous et la première fois que je viens dans ce style d'émission....

M. FIELD : ... il n'y a pas très longtemps que je l'ai.

M. LE PEN : Mais avant, depuis 10 ans. Je voudrais vous faire un petit cadeau qui est un cadeau médiatique d'ailleurs puisque c'est la première chanson de la chanteuse qui se trouve derrière moi, Isabella, qui est à la fois talentueuse, belle et qui chante des chansons patriotiques.

M. FIELD : "Fier d'être Français", c'est le titre. Nous écouterons cela avec grand plaisir.

M. LE PEN : Merci.

M. FIELD : Vous avez d'autres messages persos à faire comme ça...

M. LE PEN : Non, c'est tout.

M. FIELD : parce que ne vous gênez pas.

M. LE PEN : Non, c'est le premier. Mais vous savez comme je ne suis jamais venu depuis 10 ans ; " eh bien j'ai l'occasion de passer mon petit message.

M. FIELD : Vous êtes venu depuis 10 ans, je vous avais vu avec Gérard Carreyrou à cette heure-là...

M. LE PEN : ... sur l'ordre du CSA, c'est vrai. Mais autrement non, jamais ! Maintenant c'est fait et je vous en remercie.

M. FIELD : Vous n'auriez pas mis en cause la jeune dame qui me précédait à cette heure dans un vos meetings, elle vous aurait peut-être reçue.

M. LE PEN : Pas du tout, c'est inexact : Ce n'est pas moi, c'est quelqu'un d'autre. Mais elle a fait une espèce de responsabilité collective. Ce n'est pas grave.

M. FIELD : Vous répondez à mes questions ou pas du tout ? Parce que sinon je vous laisse parler de vos amis, de vos camarades chanteuses, et puis je m'en vais.

M. LE PEN : Il faut bien de temps en temps parler de Culture.

M. FIELD : Je vous parle là de l'assassinat d'un préfet de la République, c'est plus sérieux quand même.

M. LE PEN : Cet assassinat interpelle le gouvernement. Il n'interpelle pas l'Opposition, la véritable Opposition que je représente. Et j'ai eu l'occasion de dire que je déplorais cet assassinat – celui du préfet comme celui d'un gendarme, comme celui d'un simple citoyen d'ailleurs - car la partie outrageante de cet attentat vise la République, elle vise le gouvernement, elle vise l'Etat. Mais je dis que c'est le fruit amer des compromissions, des conjonctions trop longtemps maintenues entre les différents gouvernements et le terrorisme corse. À force de jouer à ce jeu-là, tôt ou tard, on finit évidemment par avoir un accident.

M. FIELD : Quand vous parlez du terrorisme corse, c'est que vous inclinez à penser que l'attentat relève plutôt d'une mouvance nationaliste, puisqu'il y a plusieurs pistes possibles ? Cela peut être aussi un règlement de comptes mafieux.

M. LE PEN : Cela peut être aussi une affaire privée, bien évidemment ! Mais enfin jusqu'à présent la Police semble s'orienter -- et comme il est vraisemblable – vers une activité d'ordre terroriste puisque cet île, ce département, ces départements français sont la proie du terrorisme depuis plus de 10 ans, sans que celui-ci n'est jamais été éradiqué, si tant est qu'on n'ait jamais voulu l'éradiquer.

M. FIELD : Que proposeriez-vous pour la Corse ?

M. LE PEN : Je proposerais qu'on y maintienne ou qu'on y rétablisse l'ordre de la République.

M. FIELD : Comment ?

M. LE PEN : En appliquant la loi, en faisant ce qu'il faut pour cela. Ce n'est pas une chose qui est si extraordinaire d'avoir affaire à la délinquance ou à la criminalité.

M. FIELD : Pourquoi les gouvernements ne l'ont-ils pas fait d'après vous ?

M. LE PEN : Parce que je crois que, très généralement, ils ont une pratique de faiblesse à l'égard de la délinquance et de la criminalité, et plus encore du terrorisme. Qu'il n'y a pas eu de véritable volonté et que l'on croit pouvoir acheter avec de l'argent, avec des avantages, aussi bien la tranquillité dans les banlieues que la tranquillité en Corse ou en pays basque.

M. FIELD : Vous mettez les choses sur le même plan ?...

M. LE PEN : Oui, c'est le maintien de l'ordre. L'ordre, c'est le premier devoir de l'Etat et la sécurité est la première des libertés des citoyens. Or, je constate que nous sommes dans un pays où ni l'un, ni l'autre ne sont maintenus.

M. FIELD : On va y revenir évidemment puisque l'insécurité sera un des thèmes de cette émission.
Deuxième aspect de l'actualité, c'est évidemment l'invalidation comme député par le Conseil Constitutionnel du maire de Toulon, Jean Marie Le Chevallier.

M. LE PEN : Oui, c'est une décision scandaleuse...

M. FIELD : ... vous avez parlé d'ignominie.

M. LE PEN : Ignominie, oui. C'est ignoble parce qu'il faut savoir que le Conseil Constitutionnel est une assemblée essentiellement politicienne puisque les neuf gnomes, certains disent les neuf Sages, sont désignés, trois par le président de la République, trois par le Président de l'Assemblée et trois par le Sénat. On ne peut pas faire mieux ! Or, ils ont traité un dossier qui, en première Instance, avait obtenu l'accord de la Commission de contrôle des comptes ainsi que le jugement du Tribunal de Toulon.

M. FIELD : Cela dit, il y a des opposants qui font appel devant le Conseil Constitutionnel.

M. LE PEN : Et c'est au mépris de ces décisions que le Conseil Constitutionnel va sans doute d'ailleurs valider collectivement tous les membres de la bande des quatre". On s'est en quelque sorte réparti, "je te donne mon Tiberi et toi, tu me prends mon Guigou"...

M. FIELD : ... ce n'est pas le premier député invalidé. Il y a eu un député RPR en Moselle, Monsieur Masson. Il y a eu Jack Lang qui avait été invalidé à Blois alors que Monsieur Badinter était... Vous ne pouvez pas dire que c'est dirigé...

M. LE PEN : ... c'est vrai !

M. FIELD : Ah ! C’est vrai ! Ce n'est pas donc dirigé exclusivement contre le FN.

M. LE PEN : Celui-là est un peu particulier. D'abord, il est jugé au bout de plusieurs mois. Et, ensuite, il est le seul député du Front National, celui qui, symboliquement, représente près de 4 millions d'électeurs qui sont privés de représentation dans notre République prétendument démocratique.

M. FIELD : Même s'il a trois fois bafoué la loi électorale et le financement de la campagne...

M. LE PEN : ... Ce n'est pas vrai ! Il n'a pas bafoué la loi. J'ai là un document de Monsieur Le Chevallier qui est une demande de rétraction réintroduite devant le Conseil Constitutionnel pour erreur matérielle. || ne suffit pas de dire que Monsieur Le Chevallier a fait des infractions. Cela, c'est ce que disent les neuf politiciens du Conseil Constitutionnel, mais ce n'est pas la vérité.

M. FIELD : Il y a invalidation pour trois motifs dont chacun, seul, aurait suffi pour invalider l'élection : dépenses qui ne sont pas passées par son mandataire, problème de facturation avec votre parti et usage de la presse municipale.

M. LE PEN : Je veux bien vous expliquer la chose : c'est que le Front National qui n'a pas derrière lui le Crédit Lyonnais, ni les banques gouvernementales, est obligé de trouver du crédit. Alors, il en trouve auprès de ses fournisseurs et, pour cela, il signe une traite. Cette traite ne peut pas être signée par le délégué financier parce que l'avis légal de ce délégué financier se termine trois mois après l'élection, et nous avons un crédit de neuf mois. C'est donc le candidat lui-même qui l'a signée.

M. FIELD : Pour une somme importante, plus de 160.000 francs.

M. LE PEN : Le Président de la Commission nous a expressément, par lettre, autorisés à le faire. Cette jurisprudence est donc contraire et prend à contre-pied le Président de la Commission de contrôle.

M. FIELD : Le Conseil constitutionnel est quand même...

M. LE PEN : ... souverain.

M. FIELD : Oui, une Instance souveraine.

M. LE PEN : Et malheureusement il n'y a pas d'instance d'appel. Et c'est en cela que ses décisions sont particulièrement lourdes et particulièrement, en l'occurrence, irresponsables.

M. FIELD : Vous y voyez donc un complot ? Une nouvelle preuve du complot politique contre le Front National ?

M. LE PEN : Je vois tellement la volonté de "la bande des quatre", qu'elle soit Opposition ou Majorité, d'étrangler la voix du Front National... j'ai pu citer des chiffres, sur 1.080 émissions politiques de radio, en un an, nous avons été invités 10 fois. Et la moyenne de nos invitations sur les médias est de moins 1 % alors que nous représentons 15 % du corps électoral, 15 % des contribuables et 15 % des gens qui paient les annonceurs comme clients en quelque sorte.

M. FIELD : Cela veut dire quoi ? Qu'on aurait intérêt à vous inviter plus souvent pour faire marcher les boîtes ?

M. LE PEN : Ecoutez, je vous prends un pari, que votre émission fera le meilleur audimat que vous n'ayez jamais fait.

M. FIELD : Je prends le pari avec vous...

M. LE PEN : ... d'accord !

M. FIELD : Je ne sais pas si je le souhaite ! Mais en tout cas nous verrons bien le pari.

M. LE PEN : Cela est autre chose.

M. FIELD : Je voudrais revenir sur Jean-Marie Le Chevallier qui a annoncé que ce serait sa femme qui, quasiment lui succéderait. Cela devient quand même un petit peu systématique du côté du Front National. On connaissait votre slogan "préférence nationale", maintenant, c'est "préférence familiale" tous azimuts ?

M. LE PEN : Je croyais que les milieux politiques souhaitaient l'arrivée de plus en plus de femmes dans la vie publique...

M. FIELD : ... enfin, pas forcément quand leur mec a triché et qu'on les rameute comme ça...

M. LE PEN : ... non, vous n'avez pas le droit de dire que le mec a triché. Ce n'est pas exactement cela !

M. FIELD : Je ne crois pas exactement que les femmes aient envie de s'engager en politique uniquement comme les marionnettes de leur mari, Monsieur Le Pen.

M. LE PEN : Elle est élue...

M. FIELD : ... oui, elle est militante.

M. LE PEN : Elle est adjointe, elle est militante. En l'occurrence, d'ailleurs, Monsieur Le Chevallier a fait une boutade en montrant la couverture d'un hebdomadaire et en disant : "Eh bien, là, vous pouvez regarder l'ancien député et puis, à côté, le futur". En l'occurrence, au Front National, c'est la Commission nationale d'investiture qui décidera quel sera le candidat. Mais en toute hypothèse la campagne électorale n'est pas ouverte. Nous sommes actuellement dans une campagne électorale cantonale et régionale. C'est de cela qu'il s'agit. Quand il s'agira de l'élection législative, à ce moment-là nous prendrons nos dispositions. Ce sera peut-être Sandrine Le Chevallier ! Ce sera peut-être quelqu'un d'autre !

M. FIELD : Vous n'êtes pas complètement enthousiaste. On dit qu'il y a du bisbille un peu à Toulon et que vous n'êtes forcément toujours du côté de Madame Le Chevallier.

M. LE PEN : Ne croyez pas cela ! Mais je respecte...

M. FIELD : Je le crois ! Je le crois ! Je vous dis que quand on le dit, c'est que je le sais.

M. LE PEN : ... je respecte les statuts de mon Mouvement. Je suis le Président de la Commission d'investiture, c'est bien le moins que je respecte les décisions de la Commission d'investiture.

M. FIELD : Mais ce n'est pas une sorte de mépris de la loi, du suffrage universel ? Un homme est invalidé, on met sa femme. Et on sait très bien qu'à Vitrolles, par exemple, c'est Bruno Mégret qui continue à diriger...

M. LE PEN : ... non, mais dites-moi, ça, c'est peut-être le jugement des médias…

M. FIELD : ... mais c'est le mien. Je ne parle pas au nom des médias, je parle en mon nom, Monsieur Le Pen.

M. LE PEN : Quand il y a une élection, c'est le peuple lui-même qui est juge. Et je trouve que bien souvent on ne tient pas assez compte de ce que veut le peuple at que les politiciens préjugent ce que le peuple va dire, tirent leur plan sur la comète sans attendre que l'élection ait montré ce que désirait le peuple. Et le peuple désigne qui il veut. Je ne sais pas quel sera le candidat du Front National, mais je suis à peu près convaincu qu'après une injustice de cette taille-là, il sera certainement réélu ou élu.

M. FIELD : Autre aspect de l'actualité, cette affaire de flics ripoux dans laquelle on trouve - excusez-moi de vous le dire – un des responsables du Front National Police.

M. LE PEN : Ah! Non...

M. FIELD : Ah ! Non ! Du tout.

M. LE PEN : ... on trouve surtout un flic. On ne trouve pas un flic du Front National. Je remarque que, quand il y a d'autres affaires comme celle-là, on n'entend jamais dire : un ripou du Parti Socialiste". Et Dieu sait si pourtant, à la FASP avec Monatte, il y avait un super ripou, et l'affaire URBA...

M. FIELD : Je pense qu'on l'a entendu au moment de l'affaire URBA...

M. LE PEN : ... mais on n'entend jamais ça !

M. FIELD : ... mais il n'était plus flic.

M. LE PEN : Dites-moi, pourquoi serais-je mieux informé sur la moralité des policiers que ne l'est le ministre lui-même qui a fait bénéficier ce monsieur d'une promotion ? Et j'entendais tout à l'heure dans votre éditorial, précisément quelqu'un qui se plaignait que la hiérarchie policière, et donc le ministre, ait autorisé ce monsieur à avoir une activité qui n'était pas strictement une activité policière. Ce n'est pas mon problème, c'est le problème du ministre.

M. FIELD : Donc, on lâche ses militants quand ils commencent à avoir des ennuis avec la Justice ?

M. LE PEN : Il n'a pas d'ennuis...

M. FIELD : ....ah ! Non ! Il n'a pas d'ennuis !...

M. LE PEN : Ils sont toujours en garde à vue. Et je croyais que vous pratiquiez...

M. FIELD : la présomption d'innocence.

M. LE PEN : ... Dans les médias, la présomption d'innocence, Faites-en bénéficier aussi les policiers de temps en temps.

M. FIELD : En février 1996, Jamet s'adressait aux policiers pour dénoncer la loi et la morale bafouée, la jeunesse dépravée, cosmopolite, abrutie de stupéfiants...

M. LE PEN : ... il a raison.

M. FIELD : Ce sont des gens comme ça qui font la morale ?

M. LE PEN : Non, mais attendez, ce serait un peu risible s'il était coupable. Ne le condamnez pas avant qu'il soit jugé.

M. FIELD : Dont acte !
Haroun Tazieff, un immigré, un résistant, un ministre de Gauche, cela ne devait pas être votre tasse de thé ?

M. LE PEN : Je n'avais pas d'antipathie pour Haroun Tazieff. C'était une grande gueule de Gauche, alors ce n'était pas ma tasse de thé. En effet, nous ne pensions pas la même chose. Il s'était laissé aller à porter quelques jugements qui étaient à l'écart des volcans. Mais en dehors de cela, non, je le trouvais plutôt sympathique. Justement, parce que c'était une grande gueule et qu'il n'était pas très à l'aise dans le milieu politicien.

M. FIELD : Le mouvement des chômeurs en Allemagne, cela m'invite évidemment à vous poser une question sur celui des Français. Et plus généralement, à chaque fois qu'il y a un mouvement, je pense aux grèves du Service public en 1995, je pense au mouvement des routiers, je pense au mouvement des chômeurs, très curieusement on ne vous entend plus. C'est comme si, dès qu'il y avait quelque chose qui se passait un petit peu d'un mouvement social, Le Pen passait sous la table.

M. LE PEN : On ne m'entend jamais puisqu'on ne m'entend que quand...

M. FIELD : ... Ecoutez ! Cela m'est arrivé d'avoir des échos quand même !

M. LE PEN : Ah ! Non ! On parle de moi, on me fait dire des choses, mais on ne me laisse, sauf ce soir, jamais les dire moi-même. Et, en effet, nous n'avons pas été invités à exprimer notre point de vue. Nous l'avons fait à travers des communiqués, mais nous n'avons pas été invités sur les plateaux, ni sur les antennes. Mais je peux vous dire, si vous le souhaitez, ce que je pense du mouvement des chômeurs, aussi bien en Allemagne qu'en France.

M. FIELD : C'est étonnant finalement ! La lutte contre le chômage que vous liez très souvent à l'immigration, c'est un de vos chevaux de bataille, donc on pourrait se dire : "quand il y a un mouvement des chômeurs, les thèmes du Front National vont être reportés", rien du tout !

M. LE PEN : Nous sommes d'autant plus intéressés à ces problèmes que, comme le disent les statistiques, nous sommes le Mouvement qui a le plus de chômeurs comme électeurs et le plus d'ouvriers.

M. FIELD : Plus d'ouvriers, cela commence à être moins vrai d'après les derniers chiffres, les dernières analyses.

M. LE PEN : Cela se rectifiera certainement... :

M. FIELD : Dont acte !

M. LE PEN : ... je pense qu'il y a des moyens de jouer les statistiques. Nous verrons aux prochaines élections. Et puis ce n'est pas moi qui tiens, malheureusement, ces officines de statistiques. Par conséquent, je n'ai aucune garantie quant à leur valeur.

M. FIELD : Les officines !...

M. LE PEN : Mais quand elles viennent de l'adversaire, généralement, et quand elles sont favorables au Front National, c'est que c'est probablement vrai.
Là-dessus, j'ai dénoncé le caractère artificiel des manifestations de chômeurs. Pourquoi ? Parce que je suis télé maniaque, je regarde beaucoup la télévision et je me suis aperçu que ce sont exactement les mêmes hommes. – je dis bien "les mêmes hommes ou les mêmes femmes" — qui, avec leur haut-parleur, sont dans les manifestations du
DAL, sont dans les manifestations homosexuelles, dans les manifestations contre le Sida, dans les manifestations d'Extrême Gauche - ce sont d'ailleurs des gens d'Extrême-Gauche puisque l'un d'entre eux, ce qui est assez paradoxal, Monsieur Aguiton est un fonctionnaire qui, lui, en tout cas, ne risque pas d'être chômeur -, c'est donc une agitation qui prétendait encadrer le mouvement des chômeurs qui a été sympathique. Et je reconnais le mérite qu'a eu cette agitation, même si ce sont des adversaires trotskistes qui la déclenchent, c'est que cela fait penser de temps en temps aux Français qu'il y a quelques millions de gens qui sont dans la gêne, qui n'ont pas de travail et d'autres, des millions d'autres qui sont dans la gêne et dans la misère. Par conséquent, ce côté est positif.
Mais croire, me faire croire qu'il s'agit là de mouvement authentiquement populaire, je suis convaincu du contraire, la preuve : c'est qu'il a suffi que Monsieur Jospin fasse quelques considérations un petit peu charitables, fasse quelques promesses en l'air et le mouvement s'est immédiatement dégonflé. Par conséquent, je suis sûr qu'il était artificiel.

M. FIELD : Vous ne répondez pas à ma question plus générale sur votre disparition au moment où il y a du mouvement social ?

M. LE PEN : Mais c'est parce que vous ne nous invitez pas. Je vous jure que si vous nous invitez à quelques mouvements que ce soit, il y aura toujours quelqu'un, soit Monsieur Mégret, soit Monsieur Gollnisch, soit Monsieur Le Gallou, soit Monsieur Lang, n'importe qui viendra vous répondre. Nous avons des réponses à apporter, mais je vous l'ai dit : "on nous invite moins de 1 % des émissions politiques", alors ...

M. FIELD : Mais vous pourriez être plébiscité par le mouvement de la rue. Cela n'est jamais le cas. Donc, finalement, vous pouvez être peut-être moins populaire...

M. LE PEN : ... méfiez-vous du jour où cela se produira !

M. FIELD : Ah ! Bon ! Des menaces ! Tout de suite.

M. LE PEN : Non, non, je dis : "méfiez-vous !..."

M. FIELD : Pourtant, nous étions dans une conversation de bon aloi. Mais si vous voulez changer de ton...

M. LE PEN : ... elle est toujours de bon aloi, si vous le voulez bien.
Si, un jour, je suis porté par la foule, par la masse populaire, c'est que les affaires iront mal pour "la bande des quatre".

M. FIELD : C'est un peu ce que vous avez derrière la tête ou votre souhait puisque vous avez rendu public la composition d'un gouvernement fantôme, entouré d'un certain nombre des dirigeants du Front National à qui vous attribuez presque par avance des postes ministériels...

M. LE PEN : ... je n'aime pas beaucoup le terme de "fantôme" qui est britannique...

M. FIELD : ... "fantôme", c'est un mot français. Je fais attention avec vous, je parle français.

M. LE PEN : D'accord ! Mais ce n'est pas exactement un gouvernement fantôme, c'est un gouvernement d'avenir. C'est-à-dire que nous pensons, nous avons comme objectif d'arriver au Pouvoir. C'est même, je dirais, la seule finalité noble de la politique. On fait de la politique pour, un jour, appliquer ses idées au Pouvoir.

M. FIELD : Légalement, évidemment ?

M. LE PEN : Evidemment.

M. FIELD : En tout état de cause ?

M. LE PEN : Evidemment. En 25 ans de vie du Front National, nous avons démontré que nous avons toujours agi dans le cadre de la légalité. Nous présentons des candidats partout. En revanche, nous n'avons jamais attaqué, en 25 ans, un seul meeting de nos adversaires. En revanche, nous ne faisons pas un seul meeting, nous ne faisons pas une seule distribution de tracts, qui ne soient attaqués par des bandes de nervis - aux ordres de tel ou tel...

M. FIELD : ... tandis que des nervis, vous n'en avez pas... ?

M. LE PEN : Non...

M. FIELD : Pas plus au DPS qu'ailleurs ?

M. LE PEN : Non, et surtout pas !

M. FIELD : On parlera du Département Protection Sécurité, tout à l'heure.

M. LE PEN : On va en parler, si vous le voulez bien. Parce qu'on en a beaucoup parlé dans la presse. On a beaucoup dit qu'il allait y avoir des enquêtes, qu'il allait y avoir des poursuites, et on n'a rien vu venir. Est-ce que les ministres seraient complices de la DPS ? Je ne peux pas le croire !

M. FIELD : En tout cas, ce gouvernement d'avenir, comme vous dites - je continue à l'appeler "gouvernement fantôme - vous dites : "c'est au cas où, finalement, il y aurait un désastre qui s'abattrait sur la France". Ce sont vos mots.

M. LE PEN : Mais pas du tout !

M. FIELD : Ce sont vos mots.

M. LE PEN : D'accord, bien sûr...

M. FIEL : Alors, ne dites pas : "pas du tout". C'est ce que vous avez dit.
 
M. LE PEN : Mais aussi... normalement, nous n'avons pas de culture de gouvernement. Nous avons toujours été dans l'Opposition. Et pour apprendre les mécanismes, le fonctionnement de ces mécanismes de la République, du gouvernement, des Institutions, eh bien, nous avons créé ce pré-gouvernement qui va, avec ses Cabinets, se mettre en place pour étudier le fonctionnement éventuel d'une arrivée au pouvoir du Front National, soit seul, soit avec des alliés.

M. FIELD : Quels alliés ? Vous anticipez ma question.

M. LE PEN : Et peut être paré à une circonstance dramatique où on exigerait le recours que constitue le Front National. A mon avis, d'ailleurs, le seul recours qui reste après que, depuis 25 ou 30 ans, les quatre partis de "la bande des quatre" ont montré leur incapacité totale à résoudre les grands problèmes français.

M. FIELD : Mais enfin la Constitution ne prévoit pas qu'une force qui fait, disons, 15 % du corps électoral et qui tient quatre municipalités en France, prenne le pouvoir en cas de...

M. LE PEN : ... Non, mais elle peut faire 30 %, elle peut faire 35 %, elle peut faire 40 %, cela appartient à l'avenir. Je crois que le Front National qui n'a jamais cessé depuis 25 ans de progresser, qui progresse lentement tant on lui met d'obstacles anti-démocratiques sur sa route, eh bien, un jour, je l'espère, aura un nombre suffisant de députés, aura un nombre suffisant d'élus pour diriger la politique française, même s'il doit le faire avec des alliés.

M. FIELD : Quels alliés justement ? Puisque j'ai remarqué qu'on sentait qu'il y avait deux lignes dans votre parti...

M. LE PEN : ... Non, non...

M. FIELD : ... Si, si...

M. LE PEN : ... Ce sont les élections du temps qui le diront. Personne ne sait si, demain, il existera encore un RPR, s'il existera une UDF qui, pour l'instant, a l'air de se limiter seulement à Monsieur Léotard. Monsieur Léotard parti, déjà l'UDF aura disparu. Le RPR, on se demandait s'il allait se maintenir...

M. FIELD : ... c'est gentil pour Monsieur Bayrou, c'est gentil pour Monsieur Madelin...

M. LE PEN : ... non, mais justement ils ont quitté, ils ont pris leur indépendance en quelque sorte. Mais eux-mêmes peuvent disparaître. Nous avons vu des grands partis disparaître et, en particulier, dans des circonstances quelquefois dramatiques. Eh bien, il y a des partis dont le peuple se rend compte qu'ils n'ont strictement servi à rien, qu'à les envoyer dans le mur. Ce n'est pas moi qui dis "qu'ils vont dans le mur", ce sont tous les dirigeants politiques qui disent : "nous allons dans le mur". Eh bien, au pied du mur, nous serons là pour les ramasser.

M. FIELD : J'ai quelques questions à vous poser sur la stratégie électorale du Front National pour les futures régionales. Mais je vous propose une interruption de publicité et on se retrouve juste après.  

M. FIELD : Retour sur le plateau de PUBLIC, Jean-Marie Le Pen, le Président du FRONT NATIONAL, est mon invité, comme il est prévu.
Je vous pose une question sur la stratégie électorale, je reviens à ma question : à la convention nationale de votre parti, le 17 et le 18 janvier à Lyon, j'ai bien cru entendre une vraie divergence d'appréciation entre Bruno Mégret et vous sur des alliances avec le R.P.R. et l'U.D.F. Lui proposait des accords à titre expérimental pour les cantonales. Ce que vous avez rejeté en disant qu'il n'était pas question d'instaurer une alliance avec des Forces en décomposition, avez-vous dit, il faut assécher le marigot."

M. LE PEN : Non, non, c'est bien avant que j'ai dit cela.

M. FIELD : Vous répétez quelquefois les mêmes formules, c'est ce qui est votre droit le plus strict.

M. LE PEN : Non, non, j'ai bonne mémoire de ce que j'ai dit. Mais ne croyez pas qu'il y ait une divergence. Je sais que cela ferait plaisir à nos adversaires, mais....

M. FIELD : ... vous êtes le seul en France à croire qu'il n'y a pas de divergence entre Bruno Mégret et vous. Même Bruno Mégret....

M. LE PEN : Mais il n'en existe pas, parce que Bruno Mégret ne dit que ce que le Bureau politique a dit. Et je crois encore avoir au Bureau politique une certaine influence.

M. FIELD : Déclinante, non ? Déclinante ?
 
M. LE PEN : Non, je ne crois pas. Si vous aviez vu hier la convention des jeunes à Paris, je peux vous dire que je suis encore, sans doute, la personnalité la plus populaire, même parmi les jeunes. N'en doutez pas.

M. FIELD : Cela vous inquiète un peu cette montée en puissance de Bruno Mégret dans votre Parti ?

M. LE PEN : Non, pas du tout. Le jour où cela m'inquièterait, je prendrais les dispositions qui conviennent.

M. FIELD : ... Message reçu pour Bruno Mégret, j'imagine !

M. LE PEN : C'est que l'on n'aurait pas respecté la volonté du mouvement. Je suis le fondateur de ce mouvement. Je l'ai dirigé pendant 25 ans. Je crois avoir la confiance de l'unanimité de son Bureau politique, de l'unanimité de ses sections et de ses fédérations. En tout cas, je ne me fais aucun souci de ce genre, et je souhaite que des gens se préparent à prendre ma place parce que, un jour ou l'autre, je serai amené moi-même à m'en aller et à prononcer mon "nunc dimittis", et peut-être de façon violente, je n'en sais rien ! Mais ce sont des choses qui ne me font pas peur et que j'ai envisagées.
Cela dit, nous disons : pour les élections prochaines, aucun désistement, aucun retrait devant des politiciens qui sont des ennemis déclarés du Front National. Ceux qui auront lutte contre le Front National, qui l'auront insulté, il n'est pas question qu'ils aient le moindre désistement.
En revanche, et à condition que ce soit "homme pour homme" en quelque sorte, nous sommes prêts à faire des retraits et des désistements pour permettre à nos candidats d'entrer dans les conseils généraux ou, éventuellement, d'obtenir la présidence d'une Région. Il y a, là, je peux vous dire, unanimité de vue entre les dirigeants du Front National. Il n'y a aucun problème.

M. FIELD : Les deals se feront comment ?

M. LE PEN : Que ce soit à l'échelon départemental, avec référence évidemment à l'échelon national. Nous sommes un mouvement organisé, hiérarchisé...

M. FIELD : Il paraît !

M. LE PEN : Ecoutez, cela ne vous étonnera pas, vous qui avez quand même quelques origines communistes au départ !

M. FIELD : C'était très, très loin.

M. LE PEN : Sur les bords, je sais bien, d'accord ! Mais, enfin, vous avez quand même appris....

M. FIELD : Mais, enfin, vous savez, j'ai mûri. Vous, un peu moins.

M. LE PEN : Notre Mouvement est un Mouvement d'opposition vraie, c'est à-dire qu'il a contre lui l'ensemble des forces politiques, médiatiques et autres. Par conséquent, il est tenu à une discipline plus sévère, mais c'est une discipline librement consentie. Personne n'est prisonnier au Front National. Et ceux qui veulent partir, ne sont pas retenus. Voilà !

M. FIELD : Bruno Mégret, pour finir avec lui, il ne fait pas partie de votre Gouvernement de l'avenir ?

M. LE PEN : Monsieur Gollnisch, ils ont tous les deux des fonctions très importantes au Mouvement.

M. FIELD : Vous tenez la balance égale entre vos deux dauphins ?

M. LE PEN : Mais non, il n'y a pas que deux dauphins, il peut y en avoir plusieurs. Vous savez, la vie est une grande aventure. On ne sait pas qui sera encore en mesure d'être mon successeur le jour où je disparaîtrai. Personne ne le sait.

M. FIELD : Mais ceux qui commencent à chuchoter : Le Pen, cela commence…

M. LE PEN : ... à bien faire ! Ah! Cela arrive souvent, oui !

M. FIELD : Même pas loin de chez vous, je peux vous le dire. Dans vos propres rangs....

M. LE PEN : Ah, oui, c'est possible !

M. FIELD : .... Et qui voient une relève peut-être plus présentable, plus respectable......

M. LE PEN : Ah, tiens ! Pourquoi ?

M. FIELD : Cela semble vous énerver d'évoquer cela ? Ce que je comprends.

M. LE PEN : Ils pensent la même chose que moi puisqu'ils sont avec moi. Comment quelqu'un, qui a milité pendant 10 ans ou 15 ans, ou 20 ans avec Jean-Marie Le Pen, pourrait-il s'abstraire des critiques qui me sont faites ? Il a partagé le destin qui était le mien et la ligne que j'ai tracée et qui a été acceptée par les Congrès du Mouvement.
Je crois que cela fait partie des fantasmes. On rêve toujours que son adversaire est plus faible qu'il ne l'est en réalité. Mais si ça console un certain nombre de gens, ils peuvent continuer à penser cela. Ça ne me gêne pas du tout.

M. FIELD : Cela ne consolera pas Bruno Mégret.
Il y a une tradition dans cette émission, c'est un portrait qui est souvent....

M. LE PEN : ... au vitriol.

M. FIELD : ... un peu au vitriol. Le nôtre est à charge. Mais vous êtes là pour y répondre, évidemment.

M. LE PEN : Je n'en doutais pas.

M. LE PEN : C'est à Ajaccio, tiens !

M. FIELD : Jean-Marie Le Pen, une réaction à ce portrait ?

M. LE PEN : Ecoutez ! On ne répond pas à ce portrait, ce n'est pas un portrait ! Ce n'est même pas un réquisitoire. Les réquisitoires des procès de Moscou apparaîtraient comme des plaidoiries à côté de cela. Je pense que vos téléspectateurs sont suffisamment fins pour avoir + compris ce qui était insinué là.
Je voudrais simplement dire à cette personne que je ne suis pas parti de 1 % des voix. A l'âge où Madame Voynet n'avait pas encore fumé son premier joint, j'étais déjà chef de Groupe Parlementaire à 27 ans.

M. FIELD : Enfin, aux élections du début-fin des années 70, vous étiez à moins de 1 % ?

M. LE PEN : C'est cela. Cela prouve ma capacité, justement, à augmenter mon audience. Car on était parti même pas à 1 :
-0,74 % en 1774 - 15% maintenant. - 20 demain, 25... Et ainsi de suite. Ne me dites pas que c'est un portrait ?

M. FIELD : ... Si, c'est un portrait.

M. LE PEN : C'est un portrait fait par Chagall ou encore par Picasso, mais période rouge.

M. FIELD : on a l'air de vous mettre en colère, quand même ?

M. LE PEN : Pas du tout, non. J'ai beaucoup plus le sens de l'humour. Mais quand il y a cette grossièreté de trait, je pense que cela me fait gagner 100.000 voix.

M. FIELD : Mark Hunter, "Un Américain au front enquête au sein du F.N.", c'est un livre chez Stock, une enquête chez les militants du Front National, que vous avez rencontrés' et vous aviez envie de poser une ou deux questions à Jean-Marie Le Pen ?

M. HUNTER : Oui, Monsieur Le Pen, je viens de relever un changement dans votre discours habituel ce soir, qui me semble significatif. Quand on a évoqué l'affaire du policier, vous avez dit : "Oh, il y a des policiers socialistes, quand ils sont arrêtés comme des Ripoux, on ne parle pas de socialistes, on parle de Ripoux". Mais, justement, Monsieur Le Pen, votre délégué général, et selon votre phrase tout à fait délicieuse, le maire consort de Vitrolles, Bruno Mégret, a publié un livre récemment "L'alternative nationale" où il dit que vous allez créer une nouvelle élite qui gérera le pays sans corruption, sans possibilité de corruption, ni sans la possibilité que le Conseil Constitutionnel, la Presse, la Magistrature puisse s'opposer à sa volonté. Je voudrais vous demander, Monsieur Le Pen, si la possibilité existe qu'il y ait des hommes corrompus chez vous ? Qu'est-ce qui peut justifier un tel pouvoir illimité sur chaque Français ?

M. LE PEN : Je ne sais pas si c'est un journaliste américain qui est le mieux placé, actuellement, pour me donner des leçons de morale....

M. HUNTER : Attendez ! Je ne vous donne pas de leçon de morale, Monsieur le Pen!

M. FIELD : J'invite qui je veux, Jean-Marie Le Pen, et qu'il soit Américain, excusez-nous !

M. LE PEN : Non, non, mais parfaitement. Mais, moi, je dis ce que je veux aussi.

M. FIELD : D'accord. Mais, moi, j'étais plutôt content qu'ils débarquent du côté de 45 en France, les Américains.

M. LE PEN : Vous avez invité ce monsieur.... Je ne le reconnaissais pas sans son chapeau, d'ailleurs, parce qu'il porte assez facilement le chapeau !

M. HUNTER : Merci d'avoir donné mon signalement.

M. LE PEN : Même le chapeau des autres ! Vous pourriez porter celui de Monsieur Clinton, tiens ! Car, actuellement, il a bien besoin que quelqu'un l'aide.
Cela étant dit, nous ne sommes pas responsables des fonctionnaires de l'Etat d'aujourd'hui. Je signale d'autre part, et cela prouve bien la manière dont est biaisé le débat sur les médias. On est en train de parler....

M. FIELD : Vous illustrez le portrait que vous avez dédaigneusement....

M. HUNTER : ... Mais vous n'avez pas répondu à ma question, Monsieur Le Pen ?

M. LE PEN : ... Nous sommes en train de parler, là, de gens qui ne sont même pas mis en examen ; qui ne sont même pas mis en examen. Mais vous les considérez déjà comme des coupables et, d'une manière gourmande, puisque, éventuellement, ils auraient pu appartenir, à un moment donné ou à un autre, au Front National.

M. FIELD : La liste est assez longue : Claude Jappe, conseiller régional du F.N. condamné en avril 1997 pour usurpation de fonction, à propos du faux contrôle de Police à Strasbourg. Marc Luhen, secrétaire général départemental du Maine-et-Loire, condamné pour emploi de clandestins, six mois avec sursis, 130.000 F.
Le secrétaire général de la Ville de Toulon qui fait l'objet d'un recours devant le Tribunal Administratif pour le 4 pièces qu'il habite avec un loyer dérisoire, etc.
Mains propres ?

M. LE PEN : Cela, c'est la millionième partie des scandales de la Vème République.

M. FIELD : Non, mais vous n'en êtes pas exempt, c'est tout. Je ne dis pas "pire qu'un autre"...

M. LE PEN : Mais qui a dit le contraire ?

M. FIELD : Mais vous ? Cette haute "main propre" !

M. LE PEN : Nous sommes comme les autres. Et nous parlons la langue de chair et pas la langue de bois. Mais, de grâce, quand l'Etablissement vient nous donner des leçons, alors que ses ministres et ses présidents ont trempé dans les scandales financiers....

M. FIELD : Vous faites diversion.

M. LE PEN : Y compris le Conseil Constitutionnel dont le Président est aujourd'hui menacé d'être traîné devant la Justice, car ses collaborateurs (trices) ne recevaient rien moins que 45 millions de commission, 45 millions lourds évidemment, dans les affaires de vente d'armes ou d'achat...

M. FIELD : Alors, vous aviez les mains propres, parce que vous n'aviez pas de mains et que vous n'étiez pas aux affaires ?

M. LE PEN : Je n'ai jamais dit qu'il n'y avait pas au Front National des gens qui pouvaient être poursuivis ou condamnés, mais ils sont condamnés pour des contraventions. Alors que les gens qui nous  dirigent, ont volé 150 milliards au Crédit Lyonnais, 150 milliards lourds, 60 milliards au GAN....

M. FIELD : Vous faites diversion, monsieur Le Pen, vous faites diversion.

M. LE PEN : Diversion ? Mais vous plaisantez !

M. FIELD : Non, je ne plaisante pas, malheureusement.

M. LE PEN : Vous allez faire rire tous vos téléspectateurs.

M. FIELD : Je ne suis pas sûr que ce soit la même chose avec vous.

M. LE PEN : Chaque jour qu'ils ouvrent leur journal, ils voient bien un ministre, un Président de Conseil Général, un député qui rentre au trou, qui sort du trou, qui vient d'être condamné, etc. Enfin, c'est dérisoire !

M. FIELD : Eh bien, moi, je vous dis qu'à Marignane le maire est accusé de malversations par son directeur de cabinet ; qu'à Orange le secrétaire général de la Mairie est mis en examen pour prise illégale d'intérêt ; qu'à Vitrolles, il y a l'implication de 3 responsables de la Mairie pour complicité de violence en réunion : c'était l'attaque du barrage des routiers ; qu'à Toulon, le chef de cabinet de Monsieur Le Chevallier, Philippe de Beauregard, a été mis en examen le 6 janvier pour recel de preuves concernant un monnayage.... Donc, mains propres, pas tant que cela !

M. LE PEN : Ecoutez, c'est dérisoire.

M. FIELD : Mais non, Monsieur Le Pen. Cela touche l'ensemble....

M. LE PEN : Parlez-moi de condamnations, au moins des Tribunaux auront jugé.  

M. FIELD : Cela vient.

M. LE PEN : Là, vous me parlez de mise en examen. Or, une mise en examen n'est rien d'autre qu'un document élaboré par un juge d'instruction et laisse intact la présomption d'innocence.

M. FIELD : Je vous ai parlé dans cette liste de condamnations.

M. LE PEN : Mais vous ne la respectez pas quand il s'agit du Front National.

M. FIELD : Je vous dis que Claude Jappe et Marc Luhen qui sont vos deux responsables, l'un....

M. LE PEN : ... L'un pour avoir demandé ses papiers à un contre manifestant...

M. FIELD : ... avec une fausse carte de policier, monsieur Le Pen ?

M. LE PEN : Mais non ! Oh, là, là, quel crime abominable ! C'était un policier...

M. FIELD : ... Quel mépris vous avez de la loi ! Quel mépris vous avez de la loi !

M. LE PEN : Oh, je vous en prie ! Pas vous, l'anarchiste, écoutez !

M. FIELD : Ah, tiens !

M. LE PEN : De grâce !

M. FIELD : On se lâche ?

M. LE PEN : Ecoutez, vous allez faire rire tous vos copains.

M. FIELD : Il ne fallait pas gratter beaucoup pour voir le vrai visage apparaître, Monsieur Le Pen!

M. LE PEN : Ah, oui, hein ! Il a des griffes, l'ours, hein ?

M. FIELD : Oh ! bien émoussées.

M. HUNTER : Je voulais demander une question sur la légalité, il y a quelques minutes vous avez dit que vous avez toujours agi dans la légalité. Voilà qu'à Vitrolles, vous avez basculé dans l'illégalité ?

M. LE PEN : A quelle occasion ?

M. FIELD : La préférence nationale.

M. HUNTER : En déclarant la préférence nationale pour les seules familles françaises et européennes. Bruno Mégret a dit lui-même dans une interview au Monde - je sais que Le Monde ne vous interviewe jamais -....

M. LE PEN : Jamais. C'est vrai. Vous avez raison...

M. HUNTER : ... Mais c'est arrivé quand même, et Bruno Mégret a dit : "Vous savez très bien que c'est illégal". Alors, voilà qu'on le fait.

M. LE PEN : Et alors ?

M. HUNTER : Alors, je voulais savoir : êtes-vous décidé maintenant de n'obéir qu'aux seules lois de la République qui correspondent à votre programme ?

M. LE PEN : Il n'aurait pas été possible de lutter contre le communisme dans les pays communistes puisqu'il y avait une légalité communiste....

M. HUNTER : Nous ne sommes pas dans un système totalitaire, Monsieur Le Pen.

M. LE PEN : Or, ce que fait Monsieur Mégret, c'est une démarche intelligente : il applique le programme du Front National pour lequel il a été élu par une majorité. Ce programme n'est pas compatible avec les lois actuelles du gouvernement, par conséquent le gouvernement....

M. FIELD : Les lois actuelles ne sont pas du gouvernement, Monsieur Le Pen, ce sont les lois de la République jusqu'à ce qu'on les change.

M. LE PEN : Les lois de la République, si vous voulez.

M. FIELD : Non, ce n'est pas moi qui le veux !

M. LE PEN : Et quand il y aura conflit entre ces deux lois, il sera établi clairement aux yeux des électeurs que si l'on veut obtenir, comme ils le souhaitent à Vitrolles, la préférence nationale, il faudra changer la loi. Et pour changer la loi, il faudra changer de majorité et élire des gens du" Front National pour pouvoir la changer.

M. FIELD : Monsieur Le Pen, tant que la loi est la loi, pourquoi ne vous engagez-vous pas à... Vous avez un singulier rapport à la loi, je pense à autre chose qui n'a rien à voir, mais le soutien que vous accordez, par exemple, aux commandos anti-avortement. On peut être contre la loi. On peut se battre pour la changer. Mais à partir du moment....

M. LE PEN : ... les commandos anti-avortement.....

M. FIELD : Mais laissez-moi poser mes questions !

M. LE PEN : ... il existe des dizaines de chapelets des commandos anti avortements !

M. FIELD : Oui, bien sûr ! A partir du moment où la loi....

M. LE PEN : ... tandis que leurs adversaires tuent des enfants...

M. FIELD : Alors, ne dites pas que vous êtes démocrate, si vous ne respectez pas les lois qui sont celles de la République et que vous essayez d'en empêcher l'application ?

M. LE PEN : Avez-vous entendu un grand démocrate qui s'appelait François Mitterrand....

M. FIELD : Vous ne répondez pas.

M. LE PEN : ... parler de la force injuste de la loi ? Cela devrait être une référence pour vous, cela ? Non ?

M. FIELD : Pourquoi pour moi ?

M. LE PEN : Parce que vous êtes un homme de Gauche, je crois plutôt, non ?

M. FIELD : Qu'est-ce que vous en savez ?

M. LE PEN : Il me semblait ! D'après vos dires, vos écrits, tout cela ? Ah, mais je suis tout prêt à vous accepter à droite même, si vous voulez venir ?

M. FIELD : Qu'est-ce que vous êtes bien lamentable sur ces questions-là, parce que vous ne répondez pas à mes questions....

M. LE PEN : Je vous en prie ! Soyez courtois....

M. FIELD : C'est une mise en cause personnelle que vous faites, vous ne répondez pas aux questions que je vous pose. Je ne suis ni de Gauche, ni de Droite, je suis un journaliste qui vous pose...

M. LE PEN : ... Si vous considérez...

M. FIELD : ... des questions auxquelles vous ne répondez pas.

M. LE PEN : ... Si vous considérez que je vous injurie, parce que je dis que vous êtes de Gauche, alors, là, je suis prêt à m'excuser.

M. FIELD : Excusez-vous.

M. LE PEN : Je m'excuse de vous avoir injurié en pensant que vous étiez à Gauche.

M. FIELD : Et maintenant vous répondez à ma question : que faites-vous de la légalité républicaine ?

M. LE PEN : Je la respecte et je la combats, comme c'est mon droit et mon devoir d'opposant. Voyez-vous, c'est cela la démocratie. La démocratie, ce n'est pas d'accepter les lois telles qu'elles sont. C'est de se battre.....

M. FIELD : c'est de se battre.

M. LE PEN : démocratiquement...

M. FIELD : ... démocratiquement pour les changer.

M. LE PEN : ... pour les changer, c'est ce que je fais.

M. FIELD : Et pas pour les transgresser, quand elles ne sont pas changées.

M. LE PEN : Et pensez bien que si jamais je ne l'avais pas fait, eh bien, on ne m'aurait pas raté ! Comme on ne me rate pas quand je suis innocent…

M. FIELD : Vous illustrez à nouveau le portrait....

M. LE PEN : ... alors, vous pensez bien, si j'étais coupable !

M. FIELD : ... sur l'obsession du complot. Jean-Marie Le Pen, il n'était pas si faux que cela, le portrait ! C'est peut-être pour cela qu'il vous a...

M. LE PEN : Oui, oui. C'est que le complot existe, et tout le monde en est conscient : En tous les cas tout le monde le saura, un jour ou l'autre.

M. FIELD : Cela s'appelle un peu de la paranoïa, en général !

M. LE PEN : Monsieur, je sais que vous êtes un peu philosophe....

M. FIELD : ... et puis Agrégé, cela doit vous plaire ? C'est l'élite.

M. LE PEN : Vous y avez mis du temps, mais, enfin, vous y êtes arrivé quand même !

M. FIELD : Alain Chariot, lieutenant de police, délégué du Syndicat Général de la Police, allez-y ! Très vite, parce qu'il est 49...

M. CHARLOT : Je suis sur ce plateau en tant que policier et non pas en tant que délégué syndical. Ce sont mes collègues d'à côté qui sont délégués syndicaux.

M. FIELD : Vous vouliez réagir aux mises en cause qui étaient faites sur la Police Nationale, notamment les déclarations de Jean-Marie Le Pen qui disait : "La Police Nationale est aujourd'hui incapable d'assurer la sécurité des Français".

M. CHARLOT : Ah, je pense que non ! La Police Nationale, pour moi, aujourd'hui, avec la Gendarmerie Nationale bien évidemment, est la seule garante des libertés et de l'égalité entre tous les citoyens.

M. LE PEN : Ne répondez pas à cela, monsieur, parce que je n'ai pas dit cela...

M. FIELD : Ah, bon !

M. LE PEN : ... Je n'ai jamais dit cela. J'ai dit que : "la Police n'est pas aussi efficace que la sécurité l'exigerait et que les citoyens le souhaiteraient parce qu'elle ne reçoit pas les ordres pour le faire."
Et j'ai dit récemment : "Quand il n'y a pas d'ordres, là il y a désordre". Et quand la Police reçoit des ordres, elle fait son métier. Et quand elle ne le fait pas, c'est qu'elle est contrainte de rester sur la réserve, car on ne lui a pas donné les ordres. On l'envoie plutôt traquer l'automobiliste trop vite sur la route, plutôt que de traquer le trafic de drogue ou tel ou tel méfait qui sont commis dans nos banlieues, dans nos rues, dans nos écoles. Mais je n'ai jamais fait le procès de la Police.
Pas plus que je n'ai fait le procès de l'immigration, j'ai toujours dit que "ces phénomènes étaient de la responsabilité EXCLUSIVE des politiciens français". Ce sont les gouvernants, ce sont les majorités politiques qui sont directement responsables de ces dysfonctionnements de la Société.

M. FIELD : Elie Buchwald, secrétaire général du Syndicat Général des Policiers, en tenue.

M. BUCHWALD : Non, le secrétaire général du SNPT. Tout d'abord, une pensée forte et émue pour tous mes camarades et collègues décédés en service, malheureusement.
Mais je voudrais dire une chose très simple : le discours que j'entends, ici, me paraît être faussement, je dirais, indigne, alarmiste, parce que je crois que l'on est en train de faire porter, à travers des incapacités, quelles qu'elles soient, la faute sur les policiers qui sont, donc, tous mes collègues qui font leur travail tous les jours. Et je crois que ce discours tenu amènera inéluctablement les policiers et les jeunes dans les banlieues à s'affronter encore plus que ce qu'ils ne font, au lieu de ramener la sérénité aussi bien dans le rang des policiers que d'aider les jeunes à s'en sortir dans les banlieues, et quelles que soient leurs origines.
Je condamne fermement ce discours que l'on ne peut accepter dans une République comme la nôtre ou une démocratie comme la nôtre.

M. LE PEN : Je réponds à monsieur : j'ai dit exactement l'inverse. Bien que je ne sois pas donneur de conseils, j'aurais un conseil à donner à un syndicaliste, c'est de s'occuper des intérêts de ses syndiqués et de moins parler de politique et plus de syndicalisme....

M. FIELD : C'est le conseil que vous aviez donné à Monsieur Jamet quand il était …?

M. LE PEN : Je ne m'occupe pas du syndicalisme…

M. FIELD : Du Front National Police, vous ne vous en occupez pas ? Alors, vous n'êtes pas vraiment le chef ?

M. LE PEN : Il n'y a pas de Syndicat Front National dont je m'occupe....

M. FIELD : Non, il a été interdit par le Tribunal d'Evry, vous avez raison.

M. LE PEN : Alors, voyez, il n'existe plus !

M. FIELD : Ah, oui, d'accord... Mais bien joué ! Il a existé.

M. LE PEN : Monsieur Jamet était officier de Police, je vous le rappelle. Il a même été récemment promu par sa hiérarchie. Or, sa hiérarchie est plus amène que moi, elle a plus de moyens d'investigation que, moi, je ne puis en avoir. Je faisais en quelque sorte confiance à la hiérarchie policière. J'avais tort. Peut-être !

M. FIELD : Bien. Jean-Marie Le Pen, merci d'avoir été mon invité.
Dans un moment, vous avez le grand privilège de retrouver Claire Chazal pour le Journal de 20 heures.
Nous nous retrouverons la semaine prochaine, en direct c'est PUBLIC, À 19 heures dimanche prochain.
Bonne soirée et bonne fin de week-end à tous.