Interviews de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, à "An-Nahar" le 6 mars 1997 et à "LBCI" le 7, et points de presse à Beyrouth le 6, sur les relations franco-libanaises et la difficulté d'une paix durable au Sud-Liban.

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Circonstance : Voyage de M. de Charette au Proche-Orient (Israël, Syrie et Liban) du 2 au 6 mars 1997

Média : LBCI - Presse étrangère - Télévision

Texte intégral

Date : 6 mars 1997
Source : quotidien libanais « An-Nahar »

An-Nahar : À la veille de votre visite au Moyen-Orient, croyez-vous que les réserves syriennes vis-à-vis du rôle français ont été dissipées après la visite du Premier ministre libanais, M. Rafic Hariri à l’Élysée et ses entretiens avec le Président français, M. Jacques Chirac, et après la visite de Mgr Tauran à Damas, et ses entretiens avec le ministre des affaires étrangères, M. Farouk Chareh ?

Hervé de Charrette : Votre question me surprend. Je n’ai jamais entendu parler de réserves syriennes vis-à-vis de l’action de la France au Proche-Orient. C’est tout le contraire. À maintes reprises, et encore tout récemment, à l’occasion de la visite à Paris du vice-président Abdel Halim Khaddam et de mon collègue Farouk al-Charaa, nous en avons eu le témoignage. La Syrie a prouvé concrètement, en avril 1996, combien elle était attachée au rôle de la France. Le Liban aussi. Il règne entre nous une grande confiance. Cela n’a pas changé et ne changera pas.

An-Nahar : Est-ce que la France est toujours prête à envoyer des troupes d’intervention au Liban au cas d’un retrait israélien, unilatéral de la zone frontalière ? Est-ce vrai que l’origine de l’idée des troupes d’interposition était israélienne ?

Hervé de Charrette : Il ne faut pas mélanger les choses. Premièrement, il n’a jamais été question d’envoyer des troupes d’interposition. Parler d’interposition, c’est supposer qu’on s’intercale entre deux combattants qui veulent en découdre. On se situe dans une logique de guerre. Ce n’est pas notre cas. Nous sommes prêts à envoyer des gens pour aider à garantir un accord, avec le consentement des parties en cause. Nous nous situons donc dans une logique de paix. Deuxièmement, nous pensons qu’une solution durable ne peut intervenir au Sud-Liban que dans le cadre d’un accord global de toutes les parties. Notre approche ne nous est pas inspirée ou suggérée par qui que ce soit. Notre approche est française.

An-Nahar : Est-ce que vous pensez que le moment est maintenant convenable pour que l’Europe joue un rôle efficace dans le processus de paix, à côté des Américains et des Russes, ou bien, elle jouera toujours un rôle financier complémentaire du processus politique ?

Hervé de Charrette : Le Président de la République l’a dit dans son discours à l’université du Caire, en avril dernier. Nous estimons que l’Europe doit jouer le rôle d’un troisième co-parrain du processus de paix, à côté des États-Unis et de la Russie  et bien entendu, en concertation et en coopération avec eux. L’Europe exerce déjà une contribution importance. Son envoyé spécial, M. Moratinos, effectue un travail remarquable. L’Europe a été associée à la conclusion de l’Accord sur Hébron. Son action est amenée à s’accroître. C’est dans la logique des choses.

An-Nahar : Votre visite pour Israël prévue pour le début de mars survient alors qu’une grande tension règne en Cisjordanie entre les Palestiniens et les Israéliens à la suite de l’extension des colonies israéliennes à Jérusalem, quelle est votre attitude vis-à-vis de cette politique israélienne, qualifiée par les Palestiniens et les Arabes en général, d’« expansionniste », et est-ce que vous pensez qu’elle entrave les négociations finales avec les Palestiniens en imposant un fait accompli à Jérusalem.

Est-ce que, d’autre part, cette politique aura des répercussions sur les relations, qualifiées d’« excellentes », de la France avec l’État hébreu ?

Hervé de Charrette : La France est hostile à la politique du fait accompli. Elle ne peut approuver aucune mesure unilatérale qui préjuge du résultat des négociations sur le statut final des Territoires palestiniens. La construction d’habitations pour des Israéliens  de toute une nouvelle implantation  dans Jérusalem-Est va à l’encontre des Accords d’Oslo et de Taba. Il est à craindre qu’elle ne complique davantage les négociations sur le statut final. Je l’ai dit à mes amis israéliens, nous ne sommes pas les seuls à le penser. Les autres Européens et les Américains pensent comme nous. Cela n’a rien à voir avec notre amitié pour Israël. Oui, nous sommes amis. Oui, nous avons un désaccord sérieux. Ce n’est pas contradictoire.

An-Nahar : Est-ce que vous pensez que l’attitude intransigeante du Premier ministre israélien, M. Benjamin Netanyahou, encourage le renouement des négociations avec la Syrie et le Liban, et est-ce qu’il « mérite » une « récompense » sur l’Accord d’Hébron qui conduirait la Syrie à accepter ses conditions pour reprendre les négociations du point zéro ?

Hervé de Charrette : La question n’est pas là. La diplomatie ne consiste pas à distribuer des bons ou des mauvais points. Nous souhaitons contribuer à trouver une solution qui permette à la Syrie, au Liban et à Israël de reprendre la négociation sur des bases mutuellement acceptables. Nous sommes convaincus que cela implique une acceptation du principe de l’échange des territoires contre la paix. Une fois cela posé et admis, on peut discuter des modalités. C’est une affaire compliquée. Mais, nous devons agir avec détermination et patience dans ce sens.

An-Nahar : L’idée « Liban d’abord », initialement proposée par les Israéliens, de nouveau lancée dans les milieux politiques et médiatiques, est-elle viable ? Et dans quelle mesure peut-elle servir le déblocage des négociations syro-israéliennes ?

Hervé de Charrette : La France n’y a jamais cru. L’expérience lui a donné raison.

 

Date : 6 mars 1997

Point de presse du ministre des affaires étrangères, M. Hervé de Charrette, avec les journalistes libanais, à Beyrouth

Q. : Est-ce que le Gouvernement français encourage le retrait des forces israéliennes du Sud-Liban, d’une façon partielle ou totale, sans prendre en ligne de compte le processus syro-libanais ?

Hervé de Charrette : Je voudrais vous dire, Mesdames et Messieurs, combien je suis heureux de me retrouver une fois de plus à Beyrouth, au Liban, vers lequel bat le cœur de la France. Et, je suis heureux de vous retrouver parce que je retrouve beaucoup d’amis. Je suis très heureux de me retrouver avec mon ami, Fares Bouez, auquel beaucoup de liens m’attachent.

Cette tournée au Proche-Orient m’a permis de me rendre successivement à Tel-Aviv, à Damas et à Beyrouth. L’objectif que j’ai poursuivi était, bien entendu, de faire le point de la situation en ce début d’année 1997 et je voudrais vous dire simplement ce que je ressens.

Je fais trois constatations qui sont trois réflexions : la première est que nous sommes aujourd’hui dans une situation de blocage du processus de paix. Cette situation est dangereuse. Elle est dangereuse pour tout le monde et en particulier, elle expose le Sud-Liban à des risques d’aggravation, et je vous dis, d’une façon ferme et aussi d’une façon solennelle, qu’il est impossible de rester dans cette situation. Elle présente des risques que personne ne doit courir. Selon nos observations, il faut donc, à tous égards, relancer le processus de paix. Je l’ai dit à tous mes interlocuteurs. Il y a, à la fois, la nécessité, et me semble-t-il, une certaine urgence à relancer ce processus. Je crois que c’est le souhait de tous. Il appartient maintenant, à tous ceux qui peuvent y contribuer de réduire l’écart qui sépare les positions des uns et des autres. Cet écart reste grand et donc, le travail que nous avons accompli ensemble est de réduire cet écart.

Enfin, bien entendu, je l’ai dit à Tel-Aviv, à Damas, et je le redis ici à Beyrouth, la France est disponible, pleinement disponible pour aider à surmonter cette période difficile, pour aider à rapprocher les parties et faire en sorte qu’on passe sans trop tarder, de la situation actuelle difficile à une reprise des discussions pour parvenir enfin à la paix : la paix entre Israël d’un côté, la Syrie et le Liban de l’autre.

Et, pour répondre à votre question, je crois qu’il faut bien comprendre que si on veut tirer tous les bénéfices de la paix, y compris la récupération de la souveraineté pleine et entière du Liban sur son territoire, il faut la paix. Pour parvenir à cela, il faut non seulement ouvrir, mais conclure les négociations sur le volet syro-libanais.

Q. : Vous être trop pessimiste en ce qui concerne l’avenir du processus de paix.

Hervé de Charrette : Non. Je crois faire une analyse sage, juste, je l’espère, de la situation. Je ne suis pas pessimiste. Je suis plutôt d’un tempérament, comme vous avez pu le constater dans le passé, optimiste et actif. Donc, nous sommes bien décidés, la France est tout à fait résolue à apporter sa contribution forte pour permettre de rapprocher les points de vue. Je crois que si chacun apporte sa contribution à cet objectif, nous parviendrons, dans les prochains mois, à relancer les choses.

Q. : Est-ce que vous avez pu convaincre le Président Assad et M. Netanyahou à propos des idées de rapprochement que vous avez proposées pour relancer le processus de paix ?

Hervé de Charrette : Je ne peux vous le dire tout naturellement.

Q. : Il paraît que vous avez proposé des idées ? C’était négatif ?

Hervé de Charrette : Les idées sont positives.

Q. : Leur réponse ?

Hervé de Charrette : Soyez assurés que nous sommes déterminés à poursuivre cette œuvre patiente et résolue au service de la paix. Et, je le répète, il ne faut pas cultiver le pessimisme. Il faut, au contraire, entretenir l’optimiste actif. Mais, les obstacles existent et les sous-estimer seraient, sous doute, très imprudent.

Q. : Pensez-vous que la visite du Pape au Liban est le début de la fin de la crise au Moyen-Orient ?

Hervé de Charrette : Je suis sûr que la venue du Pape au Liban est un événement très important que je salue avec respect. J’ai pour le Pape, vous vous en doutez, une très grande admiration et je suis sûr que sa venue ici sera un événement considérable.

Q. : (Inaudible)

Hervé de Charrette : Le Liban peut être sûr que M. Fares Bouez et moi-même nous travaillons ensemble, la main dans la main, pour faire en sorte d’obtenir deux choses : tout d’abord, que cet accord d’association soit signé rapidement. Je souhaiterais que le Liban soit le premier signataire à l’avenir et ensuite, pour faire en sorte que cet accord, cela va de soi, vous soit le plus favorable possible. Je comprends les préoccupations du gouvernement libanais. Nous en avons parlé. Nous avons fait un examen précis et détaillé des questions posées et nous serons, bien entendu, comme vous pouvez l’imaginer, votre avocat au sein de l’Union européenne, pour faire avancer vos intérêts et vos préoccupations.

Q. : Avez-vous examiné la question du Sud-Liban avec le Président Assad et avec M. Bouez ? Comment voyez-vous les informations qui parlent d’un éventuel retrait israélien du Sud ?

Hervé de Charrette : Ce serait très bien d’appliquer la résolution 425 du conseil de sécurité. Ce serait parfait. Cela ne s’est pas produit pendant quatorze ans. Si cela se produisait la quinzième année, ni Fares Bouez, ni moi, n’y verrions aucun inconvénient. Au contraire, ce serait une bonne nouvelle. Maintenant, avant d’annoncer cela, il faudrait regarder avec attention et ne pas se fier à des rumeurs. Dans la situation actuelle, il y a des éléments d’inquiétudes et des éléments plus positifs. Tâchons de regarder les choses avec un regard le plus optimiste possible.

Du côté de l’inquiétude, il y a tout ce que vous savez, c’est-à-dire, le sentiment de blocage du processus de paix qui avait fait beaucoup de progrès, beaucoup d’avancées au cours de la période passée et qui donne le sentiment aujourd’hui d’être à un point d’attente, un point d’arrêt. Et tous, nous voyons qu’il est possible de faire redémarrer les choses. Il y a aussi une autre préoccupation que je voudrais exprimer devant vous : le fait que la paix ne progresse pas. Il y a le risque que la violence progresse ou renaisse. Donc, il faut que tous les dirigeants de la région, qui ont des responsabilités immenses, sachent que, sur leurs épaules, pèse la responsabilité très forte de faire progresser les choses, avec le risque que, si on ne le fait pas, on risque de donner alors un signal d’encouragement aux ennemis de la paix. Et, il y a des ennemis de la paix dans cette région, vous le savez bien.

Alors d’un autre côté, il y a quand même quelques éléments positifs. D’abord nous venons de mettre en place ensemble le groupe de surveillance, l’application de l’accord du 26 avril dernier, qui comme vous le savez, est une idée française, dans un moment tendu et difficile avec des débats vifs. Ce groupe de surveillance vient de se mettre en place sous la présidence commune des États-Unis et de la France. Je suis venu ici avec M. Gaussot, notre ambassadeur qui sera en charge, à Nicosie, d’assurer la co-présidence française.

D’autre part, autre élément positif. Nous ne pouvons que nous réjouir d’avoir fait ensemble, entièrement, l’échange qui a eu lieu en terre libanaise, permettant le retour d’un certain nombre de prisonniers libanais. C’est aussi un élément positif pour lequel il faut rendre hommage à tous ceux qui ont contribué à son succès et en particulier, bien entendu, à nos amis allemands. Je noterai au passage que d’ailleurs, tout le monde avait remercié non seulement le Liban, la contribution syrienne, Israël, bien sûr, et même de l’Iran. Eh bien, je veux bien volontiers dire mes félicitations pour chacun de ceux qui ont joué aussi un rôle.

Nous allons maintenant nous atteler à la mise en place du groupe consultatif, très important, pour l’aide à la reconstruction du Liban. Avec les États-Unis, avec l’Union européenne, avec nos partenaires de l’Union européenne, avec le Liban, nous allons maintenant nous donner pour objectif de faire en sorte que ce groupe consultatif soit rapidement mis en place. Tout cela, ce sont des signes. Soyez assurés qu’en cette période, la France prendra des initiatives pour faire en sorte que les choses progressent et que le processus de paix puisse reprendre son cours.

Q. : Comment est-ce que la France pourrait assumer pleinement la mission au Proche-Orient, comme vous avez dit qu’elle entendait le faire ? Est-ce que les Israéliens vous écoutent ? Parce qu’on sait qu’ils écoutent toujours le médiateur américain.

Hervé de Charrette : Écoutez, ne me demandez pas ce que je pense de l’attitude israélienne, puisqu’aussi bien, je vais en Israël demain. Ce soir, j’y serai, je rencontrerai les responsables israéliens demain. Je veux bien revenir, pour répondre à votre question, mais pour l’instant c’est un peu prématuré. N’ayez aucun doute, nous avons l’intention de nous faire écouter. Nous n’avons pas l’intention de rester les deux pieds dans le même sabot, lointains et immobiles. Nous serons actifs, présents et, bien entendu, nous serons à côté du Liban qui est notre ami de cœur, et dont le sort est pour nous une préoccupation absolument essentielle. Jusqu’à présent, nous avons montré que, quand on voulait se faire entendre, on y parvenait. Eh bien, ça continuera.

Q. : Que peut faire la France alors que les négociations qui sont entièrement bloquées se déroulent à New York ?

Hervé de Charrette : Pour l’instant, je ne vois pas de négociations du tout. Donc, la question est-elle raisonnable ? Où qu’elles se déroulent, je peux aller n’importe où, y compris sur la lune, pour les faire redémarrer. Si vous voulez laisser penser que vous avez des doutes à l’égard de l’activité et de l’efficacité française, alors là franchement, Monsieur, vous avez tort, parce que le passé prêche en notre faveur.

Q. : Monsieur de Charette, je vous avais demandé si vous avez examiné la situation du Sud Liban avec le Président Assad. Vous ne m’avez pas répondu.

Hervé de Charrette : Oui, c’est vrai... Bien sûr que j’ai examiné avec le Président Assad toutes les questions qui concernent le processus de paix. Nous les avons examinés en détail. J’ai eu la conviction que la Syrie souhaite ardemment la poursuite, la reprise du processus de paix et l’application de la totalité des résolutions du conseil de sécurité, y compris la 425.

Q. : Est-ce que vous avez examiné avec le Président Assad la question de la dissolution de la résistance ?

Hervé de Charrette : Nous avons examiné beaucoup de choses. Beaucoup de points et vous aurez l’occasion de vous en apercevoir dans le futur.

 

Date : 6 mars 1997
Point de presse du ministre des affaires étrangères, M. Hervé de Charrette, avec les journalistes libanais, à Beyrouth

Mesdames, Messieurs,

Je termine hélas trop vite ces entretiens que j’ai eus à Beyrouth avec les dirigeants libanais et qui me confortent naturellement dans la conviction qui est la nôtre, qu’entre la France et le Liban, les liens extrêmement étroits, extrêmement intimes qui sont noués, trouvent leurs racines dans notre très longue histoire commune et trouvent aussi leurs raisons de s’épanouir et de se développer dans le souci qu’a la France d’appuyer, de soutenir et d’encourager la démarche libanaise pour son progrès et sa reconstruction. Au cours de ces entretiens, nous avons naturellement évoqué, à la fois les relations étroites entre la France et le Liban et l’avenir du processus de paix, qui est la raison même de mon déplacement dans la région.

S’agissant des relations entre la France et le Liban, vous savez que sur le plan politique, elles sont plus étroites qu’elles ne l’ont jamais été, je crois. La France fait aussi un effort très important dans le domaine culturel, éducatif, avec beaucoup de grands projets que nous avons déjà visités ensemble, que ce soit à l’université Saint-Joseph, que ce soit pour le grand projet de création d’une nouvelle école de management avec la chambre de commerce de Paris. Nous avons donc une activité extrêmement intense et bien entendu, la France souhaite contribuer, d’une façon extrêmement active, au développement économique du Liban, et participer, d’une façon très intense, aux grands projets d’infrastructure que votre pays développe. Ainsi, les relations entre la France et le Liban se développent-elles selon trois volets : le volet politique, le volet culturel et éducatif, et le volet économique pour participer pleinement au développement du Liban.

Nous avons naturellement évoqué les questions qui tournent autour du processus de paix. La France et le Liban partagent une très parfaite identité de vues, s’agissant du processus de paix. Nous souhaitons, oserai-je dire nous exigeons, que ce processus de paix reprenne sur la base des décisions du conseil de sécurité, des nombreuses décisions du conseil de sécurité, en particulier la résolution 425, et sur la base des accords déjà conclus et des engagements déjà pris. Il faut poursuivre sur la même route parce qu’il n’y a pas d’autres routes.

Q. : Est-ce qu’il y a une proposition précise de la part de la France pour reprendre les négociations ?

Hervé de Charrette : Vous devez en effet savoir que nous travaillons dans cette perspective. Nous élaborons des projets. Nous sollicitons aussi les avis et les conseils des amis, de sorte que le moment venu, nous soyons en état de faire des propositions nouvelles qui puissent contribuer à ce processus de paix. Nous venons de mettre en place le groupe de surveillance de l’arrangement du 26 avril. Il a vite été mis sur la voie et montre que la France, et avec elle, je crois l’Europe, est désormais clairement engagée comme un partenaire incontournable de la paix au Moyen-Orient.

Q. : Est-ce qu’il vous faudra attendre les élections américaines ?

Hervé de Charrette : Il ne faudra rien attendre. Il faut avancer le plus vite possible et le plus loin possible.

Q. : Monsieur de Charette, est-ce que vous avez compris si M. Hariri allait être candidat aux élections ?

Hervé de Charrette : Nous n’avons pas parlé des élections.

Q. : Est-ce que vous apportez des idées claires à M. Netanyahou, pour relancer le processus de paix ?

Hervé de Charrette : Je crois que j’ai les idées claires, je n’avais pas pensé que j’avais des idées confuses.

Q. : (à propos du rôle consultatif)

Hervé de Charrette : Le rôle consultatif, c’est encore très important. Je voudrais en effet vous confirmer la détermination de la France à participer à la mission, dans les meilleurs délais, du groupe consultatif. Il y aura le 1er août prochain, je crois, à Bruxelles, une réunion à laquelle la France, naturellement, participera avec la partie américaine, avec la Commission européenne, de façon à mettre sur pied, dans le meilleur délai, ce groupe consultatif qui fait partie des engagements que nous avons fait ensemble au moment de la crise.

Q. : On peut parler de mois ?

Hervé de Charrette : De semaines.

 

Date : 7 mars 1997
Source : chaîne de télévision « LBCI »

LBCI : Monsieur le ministre, avant d’effectuer votre tournée au Moyen-Orient, vous avez exprimé votre pessimisme en ce qui concerne la relance du processus de paix au Moyen-Orient. Aujourd’hui, au terme de cette tournée, est-ce que vous avez changé d’avis ou d’impression ?

Hervé de Charrette : Je ne parlerai pas de pessimisme, je parlerai plutôt de gravité, de sérieux, peut-être même d’inquiétude, parce que c’est vrai que le blocage des négociations entre Israël d’un côté, la Syrie et le Liban d’un autre, n’est pas une situation stable. On l’a déjà vu dans le passé, on a déjà des expériences de ce genre. La bonne solution consiste à aller de l’avant, par la négociation, sinon on s’expose à reculer, c’est-à-dire, à voir plus de tension. C’est pour cela que la France est entièrement mobilisée pour permettre la reprise de la négociation.

LBCI : D’un autre côté, la France a déclaré que la colonisation de Jérusalem est contraire au droit international. En quoi la colonisation de Jérusalem pourrait affecter la situation au Sud-Liban à votre avis ?

Hervé de Charrette : Je crois qu’il n’y a pas de lien direct. Il est vrai que le processus de paix, c’est un tout. Et, si on progresse d’un côté et qu’on ne progresse pas de l’autre, c’est une situation dangereuse et donc, la France recommande qu’en même temps, les négociations se poursuivent entre Israéliens et Palestiniens. Mais, la négociation doit aussi reprendre entre les Syriens et les Libanais d’un côté, et les Israéliens de l’autre. Et, ce que vous avez rappelé au sujet de Jérusalem est plutôt un obstacle à la paix. Il faut respecter les résolutions du conseil de sécurité et il faut s’en tenir à la loi internationale si on veut parvenir à la paix.

LBCI : Une question concernant un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre. C’est le projet d’initiative de déploiement français au Sud-Liban. Qu’en est-il de ce projet ? Qu’est-ce que vous en dites ?

Hervé de Charrette : Pour avoir la paix vraiment au Sud-Liban, il faut que le Liban puisse récupérer la totalité de son territoire et de sa souveraineté, ce qui est votre préoccupation et ce qui est aussi la préoccupation et l’objectif de la France. Il faut pour cela que les négociations reprennent, avec d’un côté la Syrie et le Liban, et de l’autre Israël. Il faut qu’on se remette autour de la table. Nous avons dit, il y a de nombreux mois, qu’une fois la paix acquise, si les parties demandaient une aide de la France, un concours de la France, pour contribuer à la sécurité, nous serions prêts à le faire. Mais, nous n’en sommes pas là malheureusement, puisque nous en sommes à une absence de négociations. Je répète, sans négociations, il n’y aura pas de paix.

LBCI : Apparemment, les relations, Monsieur le ministre, entre la France et Israël sont un peu difficiles et délicates. En prenant en considération cet état-là, comment la France se pose en médiateur entre le Liban et la Syrie d’un côté, et Israël de l’autre ?

Hervé de Charrette : La position de la France a toujours été que nous étions amis des uns et amis des autres, capable d’écouter les uns, dialoguer avec les uns, et d’écouter et de dialoguer avec les autres. Quelquefois, en Israël, vous avez raison, on n’a pas bien compris cela et on nous l’a reproché. Je suis allé en Israël et j’ai dit la même chose. J’ai dit que nous étions tout à fait à l’écoute des préoccupations de sécurité des Israéliens, mais aussi à l’écoute des légitimes préoccupations des Syriens et des Libanais qui veulent récupérer la pleine souveraineté de leur territoire. C’est cela le mérite des Français : être à l’écoute des uns et des autres. C’est ce que j’appelle la « politique du milieu de la route », c’est-à-dire, prêt à comprendre et à écouter ce que les uns disent et qui est légitime, et aussi à écouter et à comprendre ce que les autres disent, qui est aussi légitime. C’est le seul moyen pour parvenir à la paix. Chacun doit être disposé à écouter l’autre. La France n’est pas un médiateur. Elle est prête à apporter sa contribution modestement, mais de façon déterminée, pour permettre de retrouver la paix et en particulier, pour permettre au Liban de retrouver son unité.

LBCI : Qu’en est-il de la coordination de la France et des États-Unis, sachant qu’il y a des divergences dans les points de vues sur les différents problèmes ?

Hervé de Charrette : Entre la France et les États-Unis, il n’y a pas de divergences, il n’y a pas de conflits, il n’y a pas de compétition. Il y a plutôt une complémentarité. De la même façon, au moment de la malheureuse crise libanaise du printemps dernier, la France a été utile pour permettre de trouver une solution et pour que les choses s’arrêtent. Je crois qu’aujourd’hui, la France peut être utile. Mais elle n’est pas seule, elle le comprend bien. Nous respectons tout à fait le rôle important des États-Unis et nous voulons travailler ensemble, en concertation, en dialogue. Je crois qu’avec nos amis américains, nous pouvons être complémentaires.

LBCI : À quelle échelle situez-vous cette coordination ?

Hervé de Charrette : J’ai reçu, à Paris, Mme Albright, il y a quelque quinze jours. Nous avons parlé de toutes ces questions. Je crois que la contribution française n’était pas bien comprise il y a un an, parce qu’il est vrai que la France s’était un peu retirée de cette région. Aujourd’hui, elle est mieux comprise et mieux acceptée parce qu’on nous voit et qu’on se rend bien compte que les liens que nous avons entre la France et le Liban, les liens qui existent aussi entre la France et la Syrie ou entre la France et Israël, nous donnent une position utile. Nous cherchons à être utiles aux uns et aux autres et à faire en sorte qu’au Proche-Orient, la paix revienne. Nous sommes à la fois attentifs à vos préoccupations et ce sont aussi nos intérêts. Lorsqu’il y a, ici, la paix, c’est bon pour nous. Nous sommes tous, les riverains de la même Méditerranée. Cette Méditerranée est, pour une part, libanaise. Elle est pour une part, à quelques milliers de kilomètres, française et européenne. C’est pour cela que nous devons travailler ensemble, à faire en sorte qu’autour de la Méditerranée, les peuples s’entendent et se consacrent à leur développement.

LBCI : Monsieur le ministre, une question concernant le comité de surveillance au Sud-Liban. Est-ce que vous pensez, avec tout ce qui est arrivé récemment, que le comité va avoir un rôle, une action renforcée ?

Hervé de Charrette : C’est très important. Vous savez que ce comité de surveillance était une proposition française, en avril dernier. Elle a été retenue comme une très bonne idée par tous les partenaires. Il faut que nous attachions beaucoup d’importance les uns et les autres au bon fonctionnement de ce comité parce que c’est celui qui permet de réduire les tensions et d’éviter le retour d’une grave crise. Mais évidemment, le comité de surveillance ne peut pas à lui seul apporter la paix. Ce n’est pas son rôle. La paix viendra de la négociation. C’est pourquoi j’insiste beaucoup. Le comité de surveillance doit faire en sorte qu’il n’y ait pas d’escalade, d’affrontement, qu’il n’y ait pas de crise. Mais, pour en revenir à la solution des problèmes, il faut se mettre autour de la table et négocier. C’est cela le message de la France.

LBCI : Monsieur le ministre, avant de terminer et avant de quitter le Liban et la région, comment pouvez-vous résumer la situation actuelle ?

Hervé de Charrette : D’abord, je voudrais vous dire que nous sommes ici sur la « Jeanne d’Arc ». C’est un événement formidable. La « Jeanne d’Arc » est un grand bateau dans l’Histoire de la marine française. Il y a ici quelques élèves officiers de marine libanais que nous sommes très heureux et très fiers d’accueillir. Et, l’escale que fait la « Jeanne d’Arc » à Beyrouth est le symbole même de la présence de la France ici et de l’amitié qui lie les deux peuples. Ce n’est pas une « amitié littéraire ». C’est une vraie coopération pour la protection et la sauvegarde de nos intérêts. La présence de ce beau bateau de la Marine française ici, j’en suis très fier pour la France et, je crois que c’est aussi un geste d’amitié de la France vis-à-vis du Liban.

LBCI : Est-ce que vous nous quittez avec une note d’optimisme ?

Hervé de Charrette : Oui. Je crois que les choses sont difficiles, mais j’ai ressenti, de part et d’autre, la volonté d’aller de l’avant et donc, nous allons y contribuer, dans les semaines qui viennent, de façon très intense et très active.