Interview de M. Nicolas Sarkozy, porte parole du RPR, dans "Paris-Match" du 29 janvier 1998, sur la politique du Gouvernement de Lionel Jospin, notamment sur les 35 heures, les minima sociaux, la baisse des charges, intitulée : "Sarkozy régle ses comptes à Jospin".

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Paris Match

Texte intégral

Paris-Match : Oui ou non, l'irruption des chômeurs sur le devant de la scène politique va-t-elle forcer le gouvernement à changer de politique ?

Nicolas Sarkozy : Oui. Parce que depuis sept mois, le gouvernement commet une grave erreur. Plutôt que de résoudre le problème du chômage et de l'exclusion, il a préféré donner des gages à sa « majorité plurielle ». Il a ainsi donné satisfaction aux associations des sans-papiers avant de s'occuper des exclus. Le gouvernement, en faisant d'abord passer les textes de Chevènement, a inversé les priorités.

Paris-Match : Oui ou non, le mouvement des chômeurs risque-t-il de dégénérer, même si les minima sociaux sont revus à la hausse ?

Nicolas Sarkozy : Oui, dans la mesure où l'on s'obstine à ne pas vouloir poser la vraie question : avec la politique du gouvernement Jospin-Aubry, y a-t-il une chance pour que le chômage recule ? Hélas ! Il n'y en a aucune. D'abord, parce que non seulement on ne fait pas ce que les autres pays font avec succès, mais nous nous acharnons à faire l'inverse. En Angleterre, les Britanniques travaillent pas an 100 heures de plus que nous et ils ont la moitié moins de chômeurs ; aux États-Unis, les Américains font 300 heures de plus et ils n'ont pratiquement pas de chômeurs. Nous, nous travaillons moins que les autres et nous avons plus de chômage. Quelle conclusion en tire Jospin : eh bien, il faut encore travailler moins. Comprenne qui pourra ! Ensuite, de tous les pays développés, nous avons la part des emplois publics, dans l'emploi total, la plus importante : 25 %, alors que l'Angleterre n'en a que 14 %, l'Italie, 15 %, et l'Allemagne, 17 %. Quelle leçon en tire Lionel Jospin ? Il faut créer 350 000 emplois publics supplémentaires.

Paris-Match : Et enfin ?

Nicolas Sarkozy : De tous les pays développés, nous sommes celui qui a l'organisation et la législation les plus rigides. Conclusion de Jospin et de Martine Aubry : il faut accentuer cette rigidité. Enfin, partout ailleurs, ceux qui créent des richesses, ceux qui prennent des risques sont considérés favorablement. Pour les socialistes, ils sont suspects d'un délit nouveau, celui qui consiste à trop travailler. Un comble ! Cette politique à l'opposé de ce qui se fait partout ailleurs dans le monde provoquera des résultats opposés à ceux qu'obtiennent les autres pays et donc, hélas, le chômage continuera à augmenter.

Paris-Match : Oui ou non, « les 35 heures », dont le projet est débattu cette semaine à l'Assemblée, créeront-elles des emplois ?

Nicolas Sarkozy : Non. Les 35 heures, c'est une quadruple erreur : erreur sociale car cela se paiera d'une diminution des salaires (ils sont déjà les moins élevés des pays développés), erreur financière car c'est une idée « originale » que de vouloir subventionner des emplois privés avec nos impôts, erreur économique parce qu'en renchérissant, le coût du travail, on va diminuer, la compétitivité des entreprises et, enfin, erreur politique car c'est une vision parfaitement erronée du travail que celle qui laisse penser que le travail aliène alors qu'il émancipe…

Paris-Match : Mais vous citez Marx !

Nicolas Sarkozy : Je ne suis pas certain d'être dans l'orthodoxie marxiste en précisant que le problème n'est pas de travailler moins, mais de travailler mieux. Alors que nous gagnons une année d'espérance de vie tous les quatre ans, je considère irresponsable de plaider pour la réduction massive et obligatoire du temps de travail. Le spectacle de Mme Voynet défilant pour les 32 heures dans un monde en pleine compétition, dans un pays où il y a 3 millions de chômeurs, en dit long sur la méconnaissance totale des réalités d’aujourd'hui.

Paris-Match : Oui ou non, le gouvernement peut-il réduire les charges sociales, qui pèsent trop lourdement sur les entreprises ?

Nicolas Sarkozy : Oui. Il n'y a pas d'autres solutions que la réduction de la dépense publique et la réduction des charges. Cela passe par le non renouvellement de tous les départs à la retraite dans la fonction publique. Il n'y a pas d'autres solutions pour réduire les impôts que de tenir les dépenses. Je ne suis pas fasciné par le modèle américain mais, tout de même, souvenons-nous : il y a six ans, les Américains avouaient un déficit budgétaire, au prorata de leur richesse nationale, supérieur au déficit français. Entre-temps, les dépenses publiques ont été réduites, les impôts de même, et le grand débat actuellement aux États-Unis devrait nous faire rêver : « Que va-t-on faire des excédents dégagés l'an prochain par le budget américain ? » Dans certains États, des appels sont lancés aux mères de famille qui n'ont jamais travaillé, aux retraités pour qu'ils acceptent de reprendre un emploi. Loin de moi l'idée qu'il faut appliquer en France un schéma à l'anglo-saxonne, mais entre l'autisme, qui consiste à refuser de voir ce qui marche ailleurs dans le monde, et le suivisme qui consisterait à s'inspirer trait pour trait de ce que font les autres, il y a la voie du juste milieu qui tout simplement consiste à s'inspirer des recettes qui marchent sans se préoccuper de savoir quelles sont leurs références idéologiques. Ce qui compte, c'est le résultat : il faut donner du travail à ceux qui n'en ont pas.

Paris-Match : Oui ou non faut-il diminuer ou, en tout cas, réviser tout le système des aides à l’emploi ?

Nicolas Sarkozy : Oui, il faut le réviser. Je suis persuadé que ce qu'attendent les chefs d'entreprise pour créer des emplois, ce n'est pas des usines à gaz inventées par des technocrates irréalistes, mais la liberté qui leur permettra de conquérir des marchés, et donc de créer des emplois. La partie la plus dynamique de la population veut la liberté d'entreprendre, de construire, de faire et non pas des subventions, des aides massives qui ont démontré largement leur inefficacité.

Paris-Match : Oui ou non, faut-il, malgré tout, temporairement relever les minima sociaux ?

Nicolas Sarkozy : Je suis très frappé que le débat sur le chômage se focalise sur les minima sociaux. La véritable question, c'est qu'il est inacceptable que l'on puisse laisser quelqu'un aussi longtemps au chômage au point qu'il en soit réduit aux minima sociaux. Le vrai scandale, ce n'est pas celui des minima sociaux, c'est que l'on considère comme normal qu'un homme ou une femme puisse attendre deux, trois, quatre, cinq ans sans emploi. La vraie mobilisation, ce n'est pas d'installer quelqu'un dans l'exclusion pour que celle-ci devienne acceptable, c'est de refuser l'exclusion qui se fait par la perte d'un emploi. En se mobilisant sur les minima, on se mobilise sur les conséquences mais pas sur les causes. Ce que demandent les chômeurs, ce n'est pas un statut de chômeur, c'est qu'aucun d'entre eux ne puisse atteindre cette limite qui le conduit à ne vivre que de minima sociaux. La véritable politique sociale est celle qui consiste pour l'État à donner un crédit illimité en matière de formation à ceux qui perdent leur emploi, pour qu'ils puissent apprendre aussitôt un nouveau métier, car des nouveaux métiers, il y en a. La véritable dignité de l'homme, c'est de lui permettre de vivre de son travail et non de l'assistance !