Interviews de M. Eric Raoult, ministre délégué à la ville et à l'intégration, dans "Libération" du 1er mars 1997 et à RMC le 27, sur le projet de loi Debré sur l'immigration et sur la politique d'intégration des immigrés.

Prononcé le 1er mars 1997

Intervenant(s) : 

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Texte intégral

Libération : 1er mars 1997

Libération : Vous avez un peu fait de la provocation à l’égard des cinéastes. Pourtant ce sont des gens qui s’intéressent à la banlieue !

Eric Raoult : Disons que c’est une réaction à une provocation. J’aime bien Kassovitz. Mais cela n’empêche pas que les faits de dégradation et de violence ont augmenté pendant six mois après la sortie de « La haine ». C’est une réalité qu’un ministre doit prendre en compte. Ils nous disent : on connaît bien la banlieue, on la filme. Nous on la gère. Rappelez-vous cette scène de la « La Haine » où des jeunes de la cité disent à une équipe de télévision : « Pourquoi filmez-vous ? Vous vous croyez à Thoiry ? » Maintenant, après la polémique essayons de travailler ensemble.

Libération : Il n’y a pas eu que les cinéastes. Il y a eu les pétitions. Et 100 000 personnes dans la rue dont beaucoup de jeunes, parce que vous touchiez à quelque chose de sacré : l’hospitalité…

Eric Raoult : C’est un mouvement qui traduisait une émotion, réelle. Mais il y a eu un malentendu sur le sens de cette hospitalité. Un dicton yiddish assure que chacun à deux patries : la sienne et la France. C’est et ce sera toujours une réalité. La place de l’étranger, elle existe toujours, dans une France accueillante. N’oubliez pas les chiffres : 80 millions d’étrangers entrent en France chaque année, dont 1,5 million avec un visa de court séjour ; parmi eux, 150 000 sont concernés par les certificats d’hébergement. Refuser de voir les réalités de l’intégration, c’est aussi aller contre l’hospitalité. L’immigré en situation irrégulière, c’est d’abord le plus exploité, celui qui est logé par des marchands de sommeil dans des meublés sordides, qui est employé dans les ateliers clandestins. Ceux qui sont les plus remontés contre la clandestinité, ce sont les immigrés en situation régulière, ne l’oubliez pas.

Libération : Etait-ce très opportun, après Vitrolles, de débattre de l’immigration ?

Eric Raoult : Le calendrier parlementaire et celui des élections partielles ne sont pas coordonnés. Mais le fait que la gauche et la droite aient un vrai débat sur le sujet, comme ce fut le cas à l’Assemblée, a permis de clarifier et de dépassionner. Face au FN, il faut de la clarté et de la volonté.

Libération : Sauf que l’immigration est le terrain choisi par le FN. N’aurait-il pas mieux valu écouter Pierre Mazcaud, qui a toujours dit qu’on pouvait adapter les lois Pasqua par voie réglementaire ?

Eric Raoult : Après Saint-Bernard, ce n’était plus possible. Parce qu’à cette occasion chacun a pu voir que presque tous les sans-papiers arrêtés ressortaient libres des centres de rétention, du fait de l’imprécision des textes. Il faut accepter qu’en matière d’immigration la législation soit évolutive, du moment qu’elle est intelligente. On découvre ces derniers mois les réalités de l’immigration chinoise, comme il y a eu avant celle des Maliens, celle des Sri-Lankais ? Et on ne sait pas ce que sera l’immigration de demain, où seront les famines, les guerres civiles. Quand les socialistes disent que ce qu’une majorité a voté, une autre peut la changer, j’attends de voir. Déjà certains au PS commencent à trouver que la tournure qu’a pris le débat risque de leur coûter très cher. Nous avons voulu la fermeté et l’humanité dans le respect de la loi et de la République, l’humain se complique avec l’urbain. Mais l’intégrité doit rester à l’ordre du jour et peut réunir les bonnes volontés. C’est plus facile de signer une pétition que d’aider un enfant à tenir un crayon dans un quartier de banlieue.


RMC : jeudi 27 mars 1997

P. Lapousterle : J.-M. Le Pen, dans un entretien au Figaro ce matin, affirme qu’il suffirait d’un fait exceptionnel pour que son parti profite d’une lame de fond populaire. Et parmi les deux faits possibles, il indique et prévoit une explosion dans les banlieues. Pensez-vous que cette hypothèse soit juste ?

E. Raoult : M. Le Pen est un oiseau de mauvais augure, c’est un pyromane, j’essaie d’être un pompier.

P. Lapousterle : Et alors ?

E. Raoult : C’est simplement que si nous pouvons…

P. Lapousterle : Mais est-ce qu’il y a un risque d’explosion dans les banlieues qui pourrait changer la donne politique en France ?

E. Raoult : Toute la politique qui est menée actuellement par le Gouvernement d’A. Juppé est de mener des actions d’accompagnement, des actions de promotion, faire en sorte que les quartiers vivent mieux et que les gens des quartiers puissent avoir un espoir. M. Le Pen n’est pas le meilleur espoir pour les banlieues et nous le démontrons au quotidien.

P. Lapousterle : Un mot sur les internes et les médecins, peut-on en toute hypothèse faire une réforme sans les médecins et les internes à supposer que le Gouvernement ait raison ?

E. Raoult : La réforme qu’A. Juppé a proposée, a été annoncée il y a déjà plusieurs mois. Les internes sont des étudiants. Ils sont aujourd’hui inquiets. La proposition de les faire participer beaucoup plus et d’autre part, la campagne d’explication que le Premier ministre a souhaité développer avec des parlementaires qui sont d’anciens internes, va dans le bon sens. La semaine dernière, j’ai rencontré les internes de l’hôpital où je suis entré dans la salle, ils m’ont hué. A la fin, ils m’ont applaudi parce que, pour un certain nombre, ils avaient compris que les arguments que développe aujourd’hui le Gouvernement sont des arguments de bon sens. Tout n’est pas réglé mais les choses se sont apaisées.

P. Lapousterle : Cela dit hier, les missi dominici du Gouvernement ont eu du mal ?

E. Raoult : Envoyer des députés médecins dans des amphithéâtres d’internes, franchement, il n’y a que le Gouvernement actuel pour pouvoir le faire, c’est assez courageux.

P. Lapousterle : La loi dite Debré a été définitivement adoptée. Etait-elle indispensable alors que M. Pasqua pensait que les textes précédents suffisaient ?

E. Raoult : Les textes de J.-L. Debré n’abrogent pas celui de C. Pasqua. Le texte de J.-L. Debré apporte une réponse aux images que les Français ont vu durant l’été avec l’église Saint-Bernard, on évacue l’église mais le lendemain, les gens sortent des centres de rétention. Et d’un autre côté, il ne faut pas l’oublier, quand un ministre se rendait dans un quartier, il revenait avec des demandes d’intervention pour les parents étrangers d’enfants français. C’est-à-dire pour une lacune de texte de C. Pasqua. Il n’y a pas que des choses négatives ou dures à l’intérieur du texte de J.-L. Debré, il y a également de la générosité qui vise à régulariser un certain nombre de situations qui avaient été un peu oubliées par les textes précédents. Je crois que les choses se sont apaisées. L’immigration, dans un pays démocratique, doit être contrôlée. Tous les pays le font. Pourquoi le nôtre ne le ferait pas. Mais après la fermeté du contrôle, il faut aussi la générosité de l’intégration et c’est ce que nous avons hier présenté avec J.-C. Gaudin au conseil des ministres.

P. Lapousterle : Il n’y a pas encore de politique d’immigration en France ? Une loi par-ci, une loi par-là mais on n’a pas le sentiment que le Gouvernement ait décidé d’une vraie politique d’immigration en disant il en faut tant. On a l’impression que tout cela est fait un peu au hasard.

E. Raoult : Non, je ne crois pas. Je crois que notre pays sait où il va pour ses flux migratoires, pour l’immigration. Nous ne voulons pas d’immigration clandestine parce que le clandestin n’a pas de droits. Le clandestin n’a pas de voix. Et il ne peut pas défendre un certain nombre de choses pour sa condition. D’un autre côté, notre pays n’est pas un pays fermé. La France, ce n’est pas l’Albanie. On peut y entrer, on peut y avoir un parcours d’intégration. Et si l’on est en situation régulière, on peut venir y rencontrer ses amis, sa famille. Chaque année, 80 millions d’étrangers entrent en France. Mais ce que nous ne voulons pas, c’est que la clandestinité qui conduit bien souvent à l’exploitation, aux ateliers clandestins, aux marchands de sommeil, constitue un vivier pour l’insécurité, un vivier pour l’exploitation. Je crois que le texte de J.-L. Debré était un texte mesuré. C’est la raison pour laquelle, après peut-être certains excès médiatiques de personnes qui voulaient rappeler qu’elles s’étaient parfois trompées et qu’elles ne s’étaient pas toujours engagées, et bien maintenant, on est dans une situation apaisée. J.-L. Debré avait raison et le Gouvernement avait raison aussi de tenir bon.

P. Lapousterle : Vous avez présenté au Conseil des ministres un plan de relance pour l’intégration des étrangers en France. Un point d’abord : est-ce que le problème d’intégration n’est pas plus large en France que celui des simples étrangers ? En effet, il y a beaucoup de Français ayant des papiers français mais d’origine étrangère qui se plaignent de ne pas pouvoir s’intégrer dans notre société.

E. Raoult : C’est la première fois qu’un gouvernement de droite aborde avec courage le problème de la discrimination. C’est la première fois qu’un gouvernement aborde les différentes facettes de l’intégration : l’intégration urbaine, c’était le pacte pour la ville ; l’intégration des plus défavorisés, c’est la loi sur la cohésion sociale ; cette facette non négligeable de l’intégration, c’est-à-dire de la double volonté d’un certain nombre d’étrangers ou de fils d’étrangers de trouver une place en France et puis aussi la volonté de la nation de leur donner une place.

P. Lapousterle : La volonté de la nation ou du Gouvernement ?

E. Raoult : Non, la volonté de la nation. Vous savez, le chef de l’Etat, en recevant la communauté juive, a dit qu’il y avait un corollaire de la fermeté face à l’intégration. On n’a pas à se faire montrer du doigt par un certain nombre de personnalités qui nous diraient qu’en France, l’intégration n’existe plus. Des Lopez et des Pellegrini, on en a dans toutes nos familles. Nous avons un grand pays d’intégration. Il y a un vieux proverbe yiddish qui dit : « tu as deux patries, la tienne et la France ».

P. Lapousterle : Pourquoi a-t-on intégré, comme vous le disiez à l’instant, des centaines de milliers, des millions d’étrangers pendant des années et des années en France et qu’il faille maintenant un contrat d’intégration pour continuer d’intégrer 50 000 étrangers par an ?

E. Raoult : Je crois que d’abord il y a le chômage, il y a les craintes, il y a l’utilisation de ces craintes dont on parlait tout à l’heure et puis il y a, aujourd’hui également, la nécessité d’avoir une identité, une identité reconnue. Quand Mouloud, avec sa casquette retournée, dit : « moi la République c’est une station de métro et la France, je ne sais pas ce que sait », il faut lui expliquer que, concrètement, le pays de ses parents il ne le retrouvera peut-être pas et que s’il veut ici vivre avec ses copains, il faut qu’il respecte un certain nombre de devoirs et qu’il n’a pas toujours que des droits. Ce contrat d’intégration, on ne le fait pas tout seul. C’est la raison pour laquelle l’idée de cette relance de l’intégration est fondée tout à la fois sur cette double volonté – on ne fait pas le contrat tout seul – et puis d’un autre côté aussi sur un parcours. On n’a pas voulu utiliser des grands slogans intellectuels avec J.-C. Gaudin, on a voulu regarder pourquoi il y a des à-coups, pourquoi il y a des dysfonctionnements. Il y a des dysfonctionnements parce que l’on parle mal le français, parce que l’on réussit mal à l’école, parce que l’on ne vit pas bien dans son quartier et que d’autre part la naturalisation qui est souvent la dernière étape – être citoyen comme les autres…

P. Lapousterle : Cela va changer rapidement ?

E. Raoult : Ecoutez, on se fixe deux à trois ans pour améliorer tous ces dispositifs et je crois que cela est bien parti parce que, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, il ne s’agit pas de faire passer les étrangers d’abord. Il y en a certains qui utilisent d’autres slogans. Nous, nous voulons donner un coup de pouce à ceux qui ont peut-être la même volonté de devenir demain des citoyens français comme les autres.

P. Lapousterle : Ceux qui ne vous voient pas, ne voient pas que vous avez un beau costume bleu ce matin et que vous allez tout à l’heure avec le Prince Charles en banlieue. Est-ce que c’est une bonne idée, vous croyez ? Vous prenez des risques.

E. Raoult : Non, écoutez, de toute façon j’ai l’habitude de me promener…

P. Lapousterle : Je sais mais est-ce que ce n’est pas un risque inconsidéré que d’aller avec le Prince Charles, la famille d’Angleterre en banlieue ?

E. Raoult : Non, le Président de la République, J. Chirac, s’était rendu à Glasgow aux côtés du Prince Charles qui lui avait montré ce que la Grande-Bretagne fait de mieux avec sa fondation. Le Prince Charles rencontre aujourd’hui le chef de l’Etat et le chef de l’Etat lui a dit : « Ecoutez, Charles si vous voulez voir un endroit où la banlieue se bouge… »

P. Lapousterle : Voyez Raoult ?

E. Raoult : Il n’a pas dit cela, il a dit : « Venez en Seine-Saint-Denis et nous allons vous accueillir avec mes amis dans ce département, à Clichy-sous-Bois dans une banque alimentaire, à Duny avec l’aide aux devoirs et enfin à Aulnay où les familles ont participé à la réhabilitation du logement ». En France l’intégration marche et très franchement, la France a expliqué tout autour d’elle qu’il n’y a pas que Le Pen et Harlem Désir dans ce pays, il y a aussi tout de même l’espoir de s’en sortir.