Interview de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, à France-Inter le 19 novembre 1996, sur les négociations d'entreprise sur la loi Robien (embauche contre réduction du temps de travail), et le dispositif ARPE (embauche contre préretraite progressive).

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Circonstance : Forum sur l'aménagement et la réduction du temps de travail à Lille le 18 novembre 1996

Média : France Inter

Texte intégral

A. Ardisson : Je précise que vous ne gérez pas le dossier des transporteurs routiers, vous gérez en revanche celui du temps de travail et vous étiez hier, à Lille, à un forum sur l’aménagement et la réduction du temps de travail. Ces forums se déroulent au moment où la loi de Robien, qui signifie réduction du temps de travail contre embauche, est l’objet d’une offensive très sérieuse de la part du patronat qui la trouve à la fois trop chère et pas assez souple. Est-ce que vous êtes sensible à ces critiques ou est-ce qu’au contraire vous soutenez cette loi ?

J. Barrot : Oui, un mot sur les forums, comme celui de Lille hier. Trois entreprises, patrons et salariés, ont témoigné. C’était très intéressant, mais aucune entreprise n’avait pris exactement la même formule que l’autre. Alors, la loi dite de Robien est un dispositif parmi d’autres. Il ne faut pas s’hypnotiser sur un seul moule. On ne va pas faire entrer toutes les entreprises françaises dans le même moule, mais c’est vrai que le dispositif de la loi du 11 juin 1996, la loi dite de Robien, peut permettre, si on en fait un bon usage dans certains cas, de pouvoir créer de l’emploi à partir d’une réduction du temps de travail, mais tout cela – et c’était évident hier, à Lille – ne marche bien que lorsqu’on est dans une perspective de développement.

A. Ardisson : Justement, la critique du patronat est de dire : « en fait de moule, cela nous bloque pour d’autres négociations sur le triptyque : aménagement du temps de travail, compensation sous forme de réduction des heures… ».

J. Barrot : Le patronat est plus nuancé et il met en garde sur un usage systématique de ce dispositif parce que si l’on veut, en effet, que le coût pour la collectivité – puisqu’il y a des baisses de charges pour encourager les entreprises à utiliser ce dispositif –, pour que ce coût reste raisonnable, il faut que les emplois créés soient des emplois durables. On ne peut pas imaginer une entreprise qui créerait momentanément des emplois pour obtenir ces baisses de charges, étant entendu que l’entreprise s’affaiblirait et qu’à terme, ces emplois disparaîtraient. Là, à ce moment-là, ce serait un mauvais usage du dispositif ; il faut regarder cas par cas.

A. Ardisson : Le contrôle est prévu sur deux ans ?

J. Barrot : Oui. Il faut regarder cas par cas, c’est pour cela qu’hier à Lille – c’est très important – nous avons confirmé que désormais toute PME peut obtenir un diagnostic gratuit et une subvention importante pour une consultation avant d’engager la négociation qui aboutirait à l’aménagement-réduction du temps de travail. La présidente du Conseil régional du Nord - Pas-de-Calais a ajouté que la région, de son côté, allait apporter aussi son concours pour éclairer les décideurs.

A. Ardisson : L’un des enjeux de cette loi c’est aussi l’enveloppe des exonérations – actuellement, elle est de 800 millions. Si malgré les résistances du patronat institutionnel, elle se développait, s’il y avait une grosse demande – on voit qu’il y a des grosses entreprises, comme Axa, qui sont intéressées –, est-ce que vous seriez prêt à en rajouter, sur cette enveloppe ?

J. Barrot : Encore une fois, s’il y a un bon usage de la loi, cela veut dire des emplois durables créés, des chômeurs en moins et le coût est tout à fait acceptable. Si, au contraire, il y a un usage tous azimuts, le coût peut devenir trop lourd dans la mesure où les emplois créés ne sont pas assurés de durer. Alors, si on a un bon usage, oui on accompagnera bien sûr, il ne faut se passer d’aucun moyen efficace de lutte contre le chômage, mais il faut toujours se dire qu’en matière d’aménagement et de réduction du temps de travail, il doit y avoir le triplé gagnant. D’abord l’entreprise : il faut qu’elle sorte mieux organisée, plus efficace, de la négociation. Les salariés, parce qu’ils y gagnent du temps libre et de meilleures conditions de travail, et puis les chômeurs qui rentrent et en particulier les jeunes. Et l’entreprise se trouve rajeunie. C’est pour cela que je crois les employeurs qui, hier à Lille, ont insisté sur le fait que lorsqu’on aménage le temps de travail, on communique mieux à l’intérieur de l’entreprise et très souvent l’entreprise se rajeunit. Ce qui est une force.

A. Ardisson : Ceci nous amène à parler de la renégociation de la convention de l’Unedic, c’est-à-dire de l’assurance chômage, parce que précisément c’est un problème de vases communicants. Alors, à la suite des mesures qui ont été décidées en 1992 et prises en 1993, non seulement les finances sont rétablies mais il y a un bonus. La question est maintenant : qu’est-ce qu’on en fait ? Est-ce qu’on va améliorer la condition des chômeurs, notamment ceux qui sont les moins indemnisés, moins de 3 000 francs par mois ? Est-ce qu’on va en profiter pour réduire les cotisations ? Ou est-ce qu’on va, comme on dit, activer ces dépenses pour créer des emplois ? Vous avez votre mot à dire. Évidemment, c’est une négociation paritaire…

J. Barrot : Ah oui, il faut quand même que le ministre du Travail, chargé du dialogue social, laisse les partenaires prendre leurs responsabilités. Il ne faut pas confondre les rôles de chacun. Ceci étant dit, on peut exprimer des souhaits, vous venez d’en exprimer. Moi, je pense que les chômeurs souhaitent d’abord qu’on les aide à retrouver du travail et que l’on crée des emplois à leur intention. Donc, j’insiste un peu pour que les partenaires sociaux n’oublient pas que le premier souci dans cette société, c’est de faciliter la recherche d’un emploi nouveau. À cet égard, ils ont mis au point un dispositif qui s’appelle l’ARP, c’est-à-dire l’aide pour les travailleurs qui ont de longues années de cotisations derrière eux, pour partir un peu avant l’heure afin de faire rentrer un nouveau venu et de préférence un jeune. Je crois que ce dispositif est intéressant parce qu’il lie un peu le sort des générations.

Aujourd’hui, de quoi avons-nous besoin en France ? De l’expérience des anciens mais aussi du dynamisme des jeunes qui entrent dans les entreprises. Alors, il faut essayer d’associer les deux, et on peut bien imaginer à un moment donné que celui qui a de longues années derrière lui puisse peu à peu quitter l’entreprise, progressivement, pour permettre l’arrivée du nouveau venu et peut-être même aider la formation de ce nouveau venu et de ce jeune. Il y a là le lien intergénérations qu’on peut innover.

A. Ardisson : Si je comprends bien, vous êtes plutôt de l’avis de Nicole Notat pour élargir ce dispositif peut-être à des plus jeunes que ceux qui ont 58 ans, peut-être en l’élargissant à des mi-temps ?

J. Barrot : Non, ce que je crois c’est qu’il faut, quand même, que les gestionnaires de notre indemnisation chômage soient de bons gestionnaires. Et je suis sensible à ce que dit, par ailleurs, le patronat. Mais je pense qu’ils ne peuvent pas se contenter d’être de bons gestionnaires, il faut aussi qu’ils nous aident à faire preuve d’innovation, d’imagination sociale pour lutter plus efficacement contre le chômage.

A. Ardisson : Comment accueillez-vous les travaux d’approche des patrons de Renault et PSA qui, justement, voudraient rajeunir leur personnel et vous sollicitent.

J. Barrot : Expérience et dynamisme, il faut associer un départ progressif à la retraite et une arrivée de jeunes. Il faut le faire de manière souple. On ne peut imaginer se séparer aussi des travailleurs, qui ont une longue expérience derrière eux, de manière brutale et puis de remplacer une génération par une autre. Il y a beaucoup d’autres moyens.

A. Ardisson : C’est trop, ce qu’ils vous proposent ?

J. Barrot : Je crois que les chiffres qui sont sortis sont des chiffres qui sont incontestablement excessifs ou, en tout cas, des chiffres qui sont des ordres de grandeur sans doute au-delà du possible et sans doute du nécessaire.

A. Ardisson : La convention entre médecins et Sécurité sociale est abrogée de fait. Qu’est-ce qu’il va se passer pour les assurés ?

J. Barrot : Eh bien, les négociations ne sont pas terminées, elles ont encore huit jours. Je crois qu’il faut que les organisations représentatives des médecins comprennent que les médecins, dans leur grande majorité, sont attachés à la vie conventionnelle et plutôt que de jouer la politique du pire, moi, je souhaite que les organisations syndicales médicales s’engagent pour, en quelque sorte, cogérer la réforme. Il ne faut pas que les médecins français oublient que leurs confrères dans les autres pays, qui n’ont pas cette vie conventionnelle, subissent des règles que leur imposent les assureurs privés ou publics. Donc, je crois que nous avons un système à la française et plutôt que de mener des combats à retardement, il vaut mieux s’engager clairement dans une vie conventionnelle où l’on peut, ensemble, se donner les justes disciplines.