Texte intégral
Le Monde : Quelle conception du syndicalisme la CGT souhaite-t-elle promouvoir ?
Louis Viannet : En dépit des procès d’intention qui nous sont faits, la CGT ne renoncera pas à ces efforts pour l’unité d’action. C’est décisif pour permettre aux salariés de se faire entendre. La démarche de la CGT étant encore trop souvent perçu comme tactique ; or il s’agit vraiment d’une démarche fondamentale.
Le Monde : La CGT ne se cantonne-t-elle pas dans un registre protestataire ?
Louis Viannet : Vouloir faire resurgir les clivages entre les positions d’un syndicalisme présenté comme uniquement protestataire et un syndicalisme de propositions serait tourner le dos à la réalité. La difficulté essentielle provient de l’absence réelle de volonté de rechercher le meilleur rapport de force pour parvenir à des compromis les plus favorables possibles.
Il s’agit de créer les conditions pour faire jaillir sur une base offensive les exigences qui correspondent au besoin des salariés. Les problèmes qui se posent aujourd’hui sont trop sérieux pour s’en tenir à la simple recherche de rapports civilisés entre organisations. Il faut rechercher des positions, sinon communes, tout au moins convergentes, en prenant en compte les organisations telles qu’elles sont.
Le défi qui est posé aux syndicats et de se donner les moyens pour sortir du cercle vicieux ou les négociations sont systématiquement engagées sur des revendications patronales. Le CNPF utilise les atouts que la division syndicale lui fournit. J’ajoute que, même si la loi les autorise, la pratique d’accords minoritaires, qui se généralise, dénature la notion même d’accord contractuelle. La nécessité pour le syndicalisme de se faire entendre avec le plus de force possible vaut aussi bien au plan national qu’au plan européen. C’est une des raisons qui motivent notre demande d’adhésion à la Confédération européenne des syndicats. La CGT s’engagera de manière dynamique et unitaire dans la journée d’action organisée par la CES le 28 mai.
Le Monde : La CGT est accusée d’être anti-européenne à Paris et pro-européenne à Bruxelles…
Louis Viannet : J’ai pris connaissance des arguments notamment avancés par la CFDT dans la CES. Il faut casser les pattes au canard qui veut que porter critiques sur le traité de Maastricht ou sur la monnaie unique reviendrait à se situer comme résolument anti-européen. Je serai tenté de renverser la vapeur. Est-ce qu’être européen aujourd’hui, cela veut dire tout accepter ? Nous sommes en présence d’une construction européenne qui fait large place aux intérêts des grands monopoles et des grandes féodalités financières et ne se préoccupe guère de la situation des salariés. L’Europe sociale demeure la grande absente. Les syndicalistes doivent amplifier l’action pour de véritables droits sociaux ; en particulier, imposer un droit de regard sur les délocalisations, concentrations, fusions. Ce sont de nouveaux droits à conquérir pour l’exercice d’une nouvelle démocratie.
Nous sommes pour une construction européenne qui débouche sur une communauté créant les conditions de la paix en Europe. Nous ne sommes plus à l’époque de la guerre froide, marqué par une conception camp contre camp. C’est pourquoi nous considérons l’élargissement à l’Europe centrale et oriental comme un élément essentiel de stabilité. Il faut absolument associer les peuples à l’élaboration de la construction européenne au lieu de leur imposer des critères drastiques d’adhésion, basés uniquement sur le marché et la concurrence. Il faut respecter leur identité et les souverainetés nationales La construction européenne a un besoin immense de démocratie, d’intervention des peuples, des salariés, trop de décisions économiques et sociales sont prises à ce niveau pour ne pas poser avec force nos exigences sociales.
Le Monde : La CGT demeure-t-elle hostile à la monnaie unique ?
Louis Viannet : La construction monétaire actuelle n’offre aucune garantie de stabilité en Europe. Au contraire, la mise en place d’une Europe à plusieurs vitesses, certains pays étant exclus de la monnaie unique, porte les risques de grands désordres, amplifiés par l’élargissement futur. Est-il acceptable de mettre en place une hiérarchie entre pays, sur des bases de droits et de devoirs inégalitaires, tout cela au nom des critères monétaires qui aboutissent à pressurer les dépenses publiques et de santé, et à établir des rapports dominants-dominés ?
Peut-on prétendre aujourd’hui qu’avec la domination du marché, la mise en place d’une banque centrale européenne, échappant au contrôle des États et des peuples, l’édifice en construction est susceptible de s’opposer aux méfaits de la mondialisation ? Nous voulons construire des coopérations et des solidarités, à partir des priorités sociales, et notamment le plein emploi. »